St. Claude-de-Diray ( 1941-1943 ) :


( crédit photo : Deux rescapés du génocide racontent, Editions Sociales, 1991 )

Les EIDELIMAN :

Une famille emblématique de la Shoah dans le Loir et Cher.

A la mémoire de la résistante Cécile Rol-Tanguy 

décédée le 8 mai 2020 et qui partageait 

les mêmes idéaux que la famille Eideliman.


L’appartenance immémoriale à la communauté juive de Bessarabie :

La Bessarabie, une sorte d’Alsace-Lorraine :


Les Eideliman sont originaires de Richkon, son nom yiddish, ou Rascani son nom roumain ou Riscani son nom moldave, en Bessarabie (1)


La Bessarabie, cette terre que la Roumanie et la Russie se sont si âprement disputée au cours des siècles et qui passe, de traité en traité, d’un pays à l’autre.

En 1812, à la Russie.

En 1856, à la Roumanie.

En 1878, à nouveau à la Russie

En 1918, à nouveau à la Roumanie.

La Bessarabie est un melting-pot de peuples qui l’ont au fil du temps traversée, et souvent s’y sont sédentarisés : moldaves, ukrainiens, russes, tatars, tziganes, allemands, juifs, etc. fuyant guerres, massacres, famines.

C’est une terre riche située sur des grands axes du commerce entre Occident et Orient.

La présence de communautés juives y est, comme on dit « immémoriale », arrivées à la suite des légions romaines.

Des juifs d’autres pays les y ont rejoint venant notamment d’Allemagne, de Russie, Hongrie, de l’Empire Ottoman car leur sort y était moins déplorable.

Mais la politique russe va se durcir l’égard des juifs et un antisémitisme actif se développe à la fin du XIXe siècle débouchant sur les pogroms de Kishinev en 1903 et 1905 qui vont conduire à une émigration massive, notamment vers la Palestine (2)

La Bessarabie comptait plus d’un million de juifs dans les années 1880.

En 1918, elle ne compte plus que 267 000 juifs. Ils constituent dans plusieurs villes la majorité de la population. Plus de la moitié des juifs besssarabiens sont de culture ashkénaze et parlent le yiddish.

Richkon est un « shtetel », c’est à dire une bourgade rurale exclusivement composée de juifs : cinq cents familles avec une organisation hiérarchisée en fonction des métiers et à l’intérieur de ces métiers.

Les artisans (tailleurs, cordonniers, forgerons, etc.) étaient les plus nombreux, positionnés vers le bas de l’échelle sociale.

Le village comptait 9 synagogues : chaque corporation ayant la sienne.

Les chemins étaient en terre battue transformée, une bonne partie de l’année, en une boue qui s’infiltrait partout.

Ni eau courante, ni électricité, ni éclairage au gaz.

Et, sauf pour une infime minorité, la misère était le lot quotidien de ces familles.

Une famille d’artisans-casquetiers :

Moise Eideliman est né à Rascani, le 27 février 1977.

Etéa Feiga Vodavoz, son épouse, est elle née le 10 mai 1880 à Lipcani.

Moise fabriquait des casquettes l’été, des bonnets de fourrure l’hiver.

C’était un métier très répandu parmi les artisans juifs.

Il travaillait dur du matin au soir rivé à sa machine à coudre, leur seule richesse.

Les jours de foire, il vendait sa production aux paysans qui venaient s’approvisionner chez les artisans juifs.

Etéa s’occupait des taches ménagères et de l’éducation des enfants. Et elle aidait aussi son mari pour les finitions de couture.

Six enfants vont naître : en 1904, Philippe ; le 24 juillet 1906, Ghers francisé en Henri ; le 2 février 1909, Juda qui sera Jules ; le 30 octobre 1911, Yankiel ou Jacques ; le 9 août 1915, Abram ou Albert ; et enfin le 2 janvier 1918, la fille tant attendue par ses parents, Sarah.

La famille vit dans une grande pauvreté. 

Les repas étaient des plus frugaux, réduits souvent à du pain avec du thé, à des haricots blancs et des pâtes confectionnées par Etéa, avec parfois un peu de boeuf bouilli et presque un luxe, de temps en temps, de la graisse d’oie à tartiner sur du pain.

Mais pour le Sabbat ou les jours de fête religieuse, la famille s’offrait la traditionnelle carpe farcie ou du poulet.

Car la famille Eideliman était croyante et pratiquante, traduisant ainsi un sentiment religieux porteur de son appartenance identitaire.

La famille jeûne pour Kippour, assiste aux offices de la synagogue.

Ces années autour de la première guerre mondiale, de la Révolution russe et du nouveau passage de la Bessarabie sous l’autorité roumaine, s’accompagnent d’une ébullition des idées à laquelle n’échappe pas Rascani.

Les idées sionistes se propagent en particulier chez les jeunes qui ne veulent plus subir l’antisémitisme en courbant l’échine comme l’ont fait leurs ainés victimes des pogroms et des humiliations quotidiennes.

Mais aussi d'autres convictions, celles des « rouges » ou des « camarades » qui sont souvent des syndicalistes. Un frère de Etéa est réputé bolchevik !

Les enfants Eideliman suivent ces débats d’adultes avec passion.

 Si Moise, le père, est très religieux, replié sur lui-même, moulé dans cette société traditionnelle, Etéa manifeste elle le refus de ce monde d’injustice et de misère et elle l’exprime dans des chants d’espoir à ses enfants.

Elle jouera un rôle majeur dans la structuration de leurs idées politiques.

A leur situation matérielle misérable, s’ajoutent le nouveau contexte de la présence roumaine et le renforcement de l’antisémitisme.

Pour les Eideliman comme pour tant d’autres déshérités de tant de pays, l’émigration apparaît comme le seul avenir possible (3).

Philippe sera le premier à émigrer aux Etat-Unis, grâce à Etéa, qui s’est démenée.

Mais la deuxième loi américaine des quotas en 1924 limite sérieusement l’émigration en provenance de l’Europe de l’Est.

Les deux autres fils aînés ne veulent pas faire leur service militaire dans l’armée roumaine.

L’appel de l’émigration :

L’aspiration familiale à plus de bien-être et de sécurité les habite.

A défaut de pouvoir rejoindre Philippe, ce sera la France qui symbolise liberté et culture.

Ghers et Juda arrivent les premiers à Paris à l’automne 1926.

A nouveau Etéa fait les démarches complexes, longues et coûteuses pour obtenir l’autorisation d’émigrer pour le reste de la famille…il faut donner des bakchichs aux fonctionnaires roumains !

Enfin, le 27 février 1929, c’est le départ (4).

L’intégration en France et dans la communauté juive progressiste parisienne.

Les débuts : démunis mais enthousiastes :

A la Gare de l’Est, ils sont accueillis non seulement par Juda et Ghers mais aussi Philippe venu spécialement des USA.

Toute la famille va s’entasser dans les deux petites pièces où logent les deux frères, Impasse des Couronnes, en plein quartier de Belleville.

Belleville, synonyme depuis la fin du XIXe siècle de quartier d’accueil des populations immigrées notamment des juifs d’Europe Centrale et Orientale.

( crédit photo : Deux rescapés du génocide racontent, Editions Sociales, 1991 )

Des rues entières sont des rues « juives ».

L’immeuble est vétuste, le logis quasi insalubre, envahi de punaises.

Mais quel ravissement !  

L’eau courante sur le palier. Finies les seaux d’eau à trimballer !

La ville est éclairée par des lampadaires au gaz. Finies les rues noires la nuit à Rascani !

La découverte de Paris est un enchantement pour les enfants Eideliman.

Mais les deux salaires de Juda et Ghers sont insuffisants.

Moise arrive à installer sa précieuse machine à coudre dans un réduit et reprend son métier de casquetier.

Les plus jeunes vont à l’école et apprennent le français.

Juda ne voulait pas exercer un des métiers traditionnels juifs, comme dans l’habillement.

Il était passionné par les technologies et arrive à devenir radio-technicien.

Ghers, lui, poursuit la tradition familiale et travaille avec son père.

Jankiel apprendra le métier de tailleur dans une entreprise qui fabrique du haut de gamme.

Albert va enchainer des petits boulots bien qu’il aspire à faire des études et est avide de connaissances.

Sarah sera plus tard vendeuse.

Et Etéa gère toute la famille.

Elle est l’archétype de la « mamma » juive, véritable chef du clan familial, entretenant des liens très forts avec ses enfants et surtout ses fils qui lui vouent une admiration et un amour sans borne (5).

En 1930, la famille déménage et s’installe 72 bis, rue Mademoiselle dans le 15e arrondissement.

Elle y dispose enfin d’un logement plus confortable de quatre pièces.

Moise peut y installer un atelier et va devenir une sorte de fourreur. Toujours avec Ghers.

Ils achètent des peaux de lapin et des pattes de poulain chez des grossistes et fabriquent des « nappettes », sorte de vestes et manteaux en patchworks, dont les morceaux sont assemblés en fonction du sens du poil et des teintes.

Et avec les salaires des fils, la famille peut vivre correctement.

Henri, Jules, Jacques et Albert, enfin français :

Après la saignée démographique de la guerre 14-18 et avec les besoins de la reconstruction du pays, la France assouplit nettement sa législation sur les naturalisations avec la loi du 10 août 1927 sur la nationalité française (6).

Mais dans les années trente, les conséquences de la crise économique de 1929 et l’influence sur l’opinion publique des positions d’extrême droite contre les immigrés - « les métèques » - vont conduire à une application sélective de la loi.

Ce sont les jeunes hommes dont on pourra faire des soldats qui intéressent les gouvernements !

Seules les demandes de naturalisation des quatre fils seront retenues.

Jules est naturalisé le premier, le 5 mai 1933.

Henri est naturalisé le 24 mai 1934 ; Jacques et Albert, le sont la même année.

Ils vont immédiatement accomplir leur service militaire.

Ce service militaire, pour les immigrés, est généralement l’acte fondateur de leur intégration, quasi charnelle, à leur nouvelle patrie dans ce brassage social et territorial unique en son genre.

Jules et Henri se marient peu après.

Jules épouse, le 17 mars 1934, Seiva Crazover. Elle sera appelée Suzanne. Elles est née en 1912 à Rascani. Elle est couturière. Ses parents sont décédés.

Une petite Berthe naît le 27 février 1937.

Henri se marie lui, le 3 janvier 1935, avec Rose Stern, familièrement nommée Rosette. Elle est née, elle aussi, en 1910 à Rascani. Elle est vendeuse. Ses parents sont dans le commerce ambulant.

Liliane vient au monde le 21 juillet 1938.

Les deux frères se sont donc unis à des « payses ».

Ne restent au foyer que les trois plus jeunes.

A la veille de la guerre, Sarah vivra en couple avec un jeune juif polonais de famille aisée ; il a fait des études ; mais on ne connait que son prénom : Georges (7).

 

L’engagement communiste de la famille Eideliman :

Seul Moise semble s’être tenu à l’écart du parcours idéologique du reste de sa famille.

Sa nouvelle vie à Paris lui a fait perdre tous ses repères. L’ordre immuable des choses, que lui et ses ancêtres, avaient vécu comme normal, est anéanti. Il se sent minoré et marginalisé. Moise va se réfugier dans son travail.

Tous les enfants Eideliman vont suivre la même évolution.

ils ressentent le besoin de s’ouvrir aux autres, d’apprendre, de se frayer un chemin vers un engagement qui corresponde aux valeurs que leur a inculquées leur mère de justice, de solidarité, de résistance.

Dès leur arrivée à Paris, et au fur et à mesure de leur possession du français, ils fréquentent musées, expositions, cinémas, etc.

Ils entrent en contact avec des organisations juives dites « de gauche ».

Ce sera notamment le cas de Jules plus instruit, plus entreprenant, qui servira d’éclaireur à ses frères.

Ils regarderont du côté de Hashomer HatzaÏr, un mouvement de jeunesse sioniste et de Poale Zion, un mouvement marxiste sioniste. Ils ne se retrouveront pas dans les thèses sionistes quelle qu’en soit l’orientation.

Puis, ils iront voir du côté du Bund, aux positions socialistes, dont l’anti-soviétisme va vite les rebuter.

Tout poussait, en effet, les Eideliman vers l’internationalisme.

Ils ne se sont jamais sentis ni russes, ni roumains.

Ils commencent à peine à se sentir français. Mais, ils rejettent toutes les formes de nationalisme parce qu’elles conduisent, estiment-ils, au racisme, au chauvinisme et au colonialisme.

Cette quête va les conduire vers le Club de la Jeunesse Ouvrière juive ( AYK) qui dépendait de la Kultur Ligua, liée à la sous-section juive de la Main d’Oeuvre Immigrée ( MOI ) du PCF (8).

Ce Club développe une importante activité culturelle tant théorique que récréative.

Il est une véritable école de formation et de cohésion identitaire pour tous ces jeunes immigrés juifs, avec ses bibliothèques, ses conférences, ses cours, ses sorties, ses colonies de vacances, etc.

Le « 10, rue de Lancry » dans le 10e, où est son siège, sera une authentique pépinière de futurs résistants, de militants et dirigeants du PCF, de la CGT, du MRAP et d’autres organisations progressistes comme l’UJRE, la Commission Centrale de l’Enfance, etc.

Elles donneront naissance aux organisations de la Résistance juive pendant la guerre.

Jules est un des dirigeants du Club de la Jeunesse.

Albert va y côtoyer le futur colonel Fabien.

Ils adhèrent aussi au Y.A.S.C, l’organisation sportive juive de la même mouvance ; au Secours Rouge ; à Solidarité, structure de solidarité juive spécifique de la MOI.

Sarah devient membre de l’Union des Jeunes Filles de France dirigée notamment par Danièle Casanova, qui mourra en déportation.

Les frères sont membres d’une cellule d’entreprise ou locale. Ils militent intensément.

Etea n'est pas en reste.

Elle a trouvé dans cette nouvelle vie parisienne l’espace pour developper ses aspirations à la justice et la solidarité.

Toute la famille ( y compris Moise ) lit la Naïe Presse, le quotidien progressiste en yiddish, proche du PCF.

Elle a adhéré au Comité Féminin contre de la Guerre du Mouvement Amsterdam-Pleyel et y assume des responsabilités (9).

Celle que sa famille appelle affectueusement Etty peut donner libre cours à sa générosité : elle collecte vêtements, vivres et argent pour les réfugiés et les enfants des républicains espagnols.

Elle héberge et nourrit des juifs réfugiés, fuyant le nazisme.

Et elle trouve encore le temps pour des travaux de couture qui permettent d’améliorer le quotidien familial.

Jules vit avec sa famille aussi dans le 15e ; Henri lui vit avec la sienne dans le 4e, en plein quartier juif, le Pletzl ; mais il passe beaucoup de temps chez ses parents où il travaille et prend ses repas ce qui pèse sur la bonne entente de son foyer.

Henri est le seul des enfants qui est demeuré croyant et pratiquant. Il continue à observer strictement les rites et à manger kasher tout en menant ses activités politiques.

Alors que la guerre approche, un malheur frappe la famille. En juillet 1940, arrive la nouvelle de la mort de Philippe dans un accident de voiture aux Etats-Unis.


Les premières années de la Seconde Guerre Mondiale.

Les quatre fils aux armées :

Henri, Jules, Jacques et Albert sont mobilisés dans la Région Parisienne.

Le régiment d’Albert cantonne dans l’Est de la France.

Et c’est lors d’une permission de ce dernier que fut prise la photo réunissant toute la famille.

Durant l’exode, le reste de la famille est évacuée dans le Calvados puis peut rentrer à Paris.

Sur la route où il reflue avec ce qu’il reste de son régiment, Jacques fait une rencontre : celle d’un soldat dont il repère qu’il appartient au même régiment qu’Albert.

Ils fraternisent. Il s’appelle Claude Robert. Il est agriculteur à St. Claude de Diray dans le Loir et Cher. Claude Robert est aussi communiste.


Après la débâcle, Jules, Jacques et Henri seront démobilisés et reprennent leur vie d’avant (10).

En octobre 1940, la famille est réunie.

Sans Albert qui a été fait prisonnier. Il a été envoyé dans un stalag en Allemagne le 4 octobre 1940, puis transféré dans un commando composé de prisonniers français juifs à Kaltenbraunn.

Le 4 octobre 1941, avec des camarades, il s’évade.

Ils seront repris et ramenés dans leur commando. Plusieurs mois après, la deuxième tentative sera la bonne : ils atteignent la Suisse et seront hébergés à Annemasse par les autorités de Vichy ! Il demeurera quelque temps à Lyon.

Puis, il rejoint sa famille…à St. Claude de Diray.

 Le début des mesures anti-juives :

Pour l’heure, la famille Eideliman est à Paris.

Ils subissent donc les premières mesures anti-juives du gouvernement de Vichy prises dès juillet 1940, dont la loi du 27 septembre relative aux étrangers en surnombre dans l’économie, le Statut des Juifs du 3 octobre, la loi du 4 octobre qui permet l’internement immédiat des juifs étrangers sur décision des Préfets.

Et celles des Allemands dont la très importante ordonnance allemande aussi du 27 septembre 1940 qui prévoit le recensement des juifs et impose un cachet à apposer sur leur carte d’identité . Elle initie aussi « l’aryanisation » de l’économie.

La famille Eideliman a appliqué l’ordonnance allemande. Elle est allée se faire recenser et faire mettre le tampon « juif ».

L’hiver 40-41 est rude. La famille souffre des restrictions.

Et la répression politique s’intensifie.


L’activité clandestine de la famille :

A peine démobilisés et rentrés à Paris, Henri, Jules et Jacques prennent contact avec leur parti devenu clandestin depuis sa dissolution le 26 septembre 1939 et dont les militants sont menacés de mort depuis le décret Sérol du 12 avril 1940.

En mars 1940, sont crées les Brigades Spéciales, en marge des Renseignements Généraux, chargées de lutter contre les « ennemis intérieurs ». En fait, elles sont spécialisées dans la chasse aux communistes.

Même si certains s’interrogent et vivent douloureusement le Pacte germano-soviétique, la plus grande partie des adhérents, non partis aux armées et ceux qui ont été démobilisés, vont rester fidèles au PCF et développer de premières formes de résistance.

Le Parti se réorganise pour une plus grande sécurité : les cellules sont remplacées par une organisation « en triangle » plus étanche auxquelles les frères Eideliman participent et y récupèrent le matériel de propagande

L’Humanité est tirée en petit format. Ils la plient plusieurs fois pour en faire de petits paquets ficelés plus faciles à balancer dans les couloirs, devant les devantures, dans les bistrots.

Ils vont coller les affiches en couple, pour jouer aux amoureux si un danger se faisait jour.

Ils utilisent le bas évasé des pantalons de golf très à la mode et propices au camouflage des tracts.

Rosette, première victime de la répression :

Rosette n’avait jamais vraiment trouvé sa place dans la famille de son mari qui fonctionnait comme un clan très soudé et fusionnel autour de Etty. Celle-ci devait avoir des difficultés relationnelles à accepter les compagnes et le compagnon de ses enfants.

Ce sera aussi le cas pour Georges l’ami de Sarah ; lis se sépareront.

Rose est une militante tournée vers l’action, peu portée sur les débats abstraits, entreprenante et indépendante qui vit l’instant présent.

Le 21 janvier 1941, elle est arrêtée par les Brigades Spéciales.

Elle est condamnée à un an de prison et incarcérée à la prison de Fresnes.

Elle débute alors une grossesse.

Jean-Claude Eideliman naîtra en prison le 6 octobre 1941.

La prison de Fresnes disposait d’une nurserie (11).

Jean-Claude y restera avec sa mère jusqu’à leur libération le 8 janvier 1942.

L’emprisonnement de Rose va sceller la séparation du couple.

Mai 1941 : le refuge à St. Claude de Diray

L’aide décisive de la famille Robert :

Lorsque la famille Eideliman se convainc que le moment est venu de quitter Paris, Jacques pense à son camarade Claude Robert, rencontré lors de la déroute de l’armée française.

La famille Robert accepte de les aider.

Ce sont des agriculteurs à St. Claude.

On connait les opinions du fils qui par ailleurs était un « homme curieux de tout, se livrant à toutes sortes d’expériences agricoles » dira Albert. Il s’initiera en effet à la culture de l’igname.

Le père Emile Robert avait été maire de St. Claude et démissionnaire pour ne pas avoir à obéir aux ordres des Occupants.

Il est très représentatif de sa catégorie sociale et de ce Loir et Cher, largement acquis aux idées radicales-socialistes, avec des ilots de notable influence socialiste.

Avec un attachement fort à la petite propriété privée, aux libertés publiques et à la laïcité.

Ce sont Sarah et son compagnon Georges qui viennent les premiers pour trouver un logement par l’entremise des Robert.

Moise et Etty, Sarah et Georges, Jacques mais aussi Henri et sa petite Liliane s’installent à St. Claude en Mai 1941.

Albert les rejoindra après son évasion et son séjour à Lyon, vers le printemps 1942.

   

Jules, deuxième victime de la répression :

Jules lui est resté à Paris avec sa femme Suzanne et leur fille Berthe.

Il n’a pas voulu quitter Paris. Pour ne pas perdre un travail qu’il affectionne ? Pour poursuivre son activité politique ?

Tous trois iront passer quelques jours de congés dans l’été 1941 à St. Claude. Leur dernière réunion familiale.

Jules est arrêté le soir du 14 août 1941 dans la rue, dans son quartier, avec deux autres de ses camarades.

Ils avaient sur eux des tracts du PCF.

Incarcéré à la prison de la Santé, Jules est condamné par la 12e Chambre Correctionnelle à six mois de prison. Le parquet fit appel et on lui reprocha d’autant plus son activité politique, qu’il était naturalisé !

Une des sinistres Sections Spéciales, juridictions pétainistes d’exception, le condamna à 5 ans de travaux forcés le 17 octobre 1941. Après un séjour à Fresnes et à la centrale de Poissy, il est incarcéré à la prison de Caen.

Dès que la nouvelle de son incarcération à Caen est parvenue à St. Claude, Jacques est parti en train pour le voir, malgré l’interdiction de déplacement faite au juifs. Ce sera, là encore, la dernière fois.

Le 14 mai 1942, Jules est fusillé comme otage par les Allemands au titre de représailles, après un attentat contre des soldats allemands (12).

Il avait été autorisé à écrire à Suzanne et un aumônier catholique l’assistera jusqu’au poteau d’exécution.

Lorsque le 3 juin, Suzanne se présente au commissariat dans le 15e pour retirer ses étoiles jaunes, elle porte une petite broche réalisée en prison par Jules, à l’endroit où elle devra coudre l’étoile. Le commissaire qui dût y voir un signe de rébellion, en fera rapport aux Renseignements Généraux…mais, il n’y eut pas de suite !

La mention « Mort pour la France » sera attribuée à Jules, le 14 janvier 1946.

La mort de Jules est un terrible choc pour la famille, tout particulièrement pour Etty.

La « loi du silence » protectrice des habitants de St.Claude.


Les Eideliman mènent une vie discrète à St. Claude.

Moise fabrique des vêtements et objets en peaux et fourrures qu’il vend.

Les fils sont journaliers et aident dans les fermes.

Etty et Sarah s’occupent de la maison, du potager et d’une petite basse-cour. Et de la petite Liliane.

Ils ont ainsi de quoi vivre.

Dans un rapport du 24 juillet 1953 établi par les Renseignements Généraux, il est souligné : « les membres de la famille Eideliman bien que peu connus à St. Claude de Diray, étaient très estimés à tous points de vue des rares personnes qu’ils fréquentaient dans cette commune ».

Ils avaient des rapports avec bien sûr la famille Robert mais aussi la famille du tonnelier Saulé dont la femme était infirmière-sage femme ainsi qu’avec une famille de réfugiés du Nord qui avaient été dans l’enseignement.  

Un adolescent nommé Michel (futur époux de Danièle Gervais-Marx) qui séjourne alors à St. Claude, rapporte qu’il se souvient de la présence d’une famille juive dans le bas du bourg « car j’admirais beaucoup leur fille, qui était vraiment belle. Elle portait des shorts, chose plus que surprenante compte tenu des habitudes du village et elle nous souriait toujours lorsqu’elle nous croisait ». A part des difficultés avec leur première logeuse qui leur cherche chicane pour les faire déménager, les Eideliman apprécient les habitants.

Albert dira : « J’ai gardé le souvenir de gens très serviables, laborieux, sobres. J’aimais cette pondération d’hommes qui réfléchissaient avant d’agir ».  

Jacques rajoutera que bien qu’étrangers et ne connaissant rien à la culture de la terre : « Nous avons été cependant vite adoptés ; il y avait dans ce village des traditions démocratiques… nous aurions pu être heureux.. ».

De Mai 1941 à février 1943, personne ne les dénoncera.

Pourtant, les Eideliman sont dans l’illégalité au regard de la législation de Vichy et de celle des Allemands.

Ils n’ont pas demandé l’autorisation de déménager.

Ils ne se sont pas déclarés en Préfecture.

Ils ne porteront forcément pas l’étoile jaune à partir de juin 1942.


La seule mesure qu’ils appliqueront, c’est en août 1942, avec le dépôt en mairie de leur poste TSF ( réalisé pièce par pièce par Jules ).

Mais le maire ne l’a pas fait savoir à la Préfecture car le nom de Eideliman ne figure pas sur la liste des juifs ayant ramené leur poste.

Comme ce maire, pourtant nommé par le gouvernement de Vichy, ne signalera pas la présence d’Albert, prisonnier évadé, aux autorités allemandes.

Répondant le 11 décembre 1946, à une demande du ministère des Anciens Combattants et Victimes de Guerre pour la constitution des dossiers de déportés, le Préfet précise « que le fichier des étrangers résidant en Loir et Cher ne comporte pas les noms des ressortissants roumains Eidelman Sarah, Moise et Ghers »

Effectivement, dans les multiples listes établies par la Préfecture sur les étrangers juifs et non juifs, je n’ai pas trouvé trace des Eideliman.

Mais le Préfet rajoute une donnée au coeur du drame qui va survenir : «toutefois, il existe dans les archives du service, une carte d’identité au nom de Eidelman Sarah transmise par la mairie de St. Claude de Diray le 13 janvier 1943 aux fins de renouvellement ; le dossier n’a pu être constitué par suite de l’arrestation de l’intéressée ».

Cette carte d’identité pour étrangers avait été délivrée par la Préfecture de Police ( à Paris ) le 20 janvier 1940. Les cartes d’identité d’étrangers étaient valables généralement trois ans.


L’engrenage vers la déportation

Le renouvellement des cartes d’identité :

Donc, en janvier 1943, les cartes d’identité des membres la famille ayant le statut d’étrangers- Moise, Etty et Sarah- doivent être renouvelées.

Sarah accompagnée par Henri, se rend à la Préfecture pour avoir les renseignements nécessaires.

Les fonctionnaires présents leur font observer qu’ils ne portent pas l’étoile jaune. Un d’entre eux est particulièrement agressif à leur égard.

Henri racontera ce fait à Albert en rentrant mais sans prendre au sérieux les conséquences qui pourraient en découler.

Quelques jours plus tard, le garde-champêtre vient réclamer les cartes d’identité sur ordre de la Préfecture.

D’ou la transmission obligée par le maire, le 13 janvier, des cartes des membres de la famille (on peut le penser), même si seule la demande de renouvellement de Sarah a été retrouvée.

Car à la fin du mois, ces cartes leur sont retournées sans explication.

Vraisemblablement pour ne pas éveiller leur méfiance qui pourrait motiver un départ précipité.

Mais, le 9 février 1943 à 10 heures du matin, deux agents de la Gestapo, accompagnés par le garde-champêtre, se présentent à leur domicile, récupèrent les cartes d’identité, les cartes d’alimentation et leur ordonnent de préparer quelques affaires.

Ils vont chercher la petite Liliane qui se trouvait chez une voisine. Henri avait vainement tenté de la faire passer pour la fille de cette voisine.

Albert va réussir à s’enfuir grâce à une sortie à l’arrière de la petite maison dans laquelle ils avaient aménagé après leur première location.

9 février 1943 : l’incarcération à la Maison d’Arrêt de Blois.

Le registre d’écrou de la Maison d’arrêt de Blois a figé le moment de leur incarcération : 14H10.

Les Eideliman sont prévenus « d’infraction de la loi des juifs ».

Le chef de la Sureté allemande au siège de Blois signe le registre d’écrou avec le surveillant chef de la prison.

Moïse est qualifié « d’illettré » et « sans profession » : il est vêtu d’un « complet gris, d’un pardessus gris, d’une paire de souliers, de bas noirs et d’une casquette grise ».

Il a 600 francs sur lui.


 Ghers est réputé savoir « lire et écrire » et il est dit « journalier » : il porte « une chemise kaki, un complet gris, un pardessus marron, un béret noir et une paire de brodequins ».

Sarah sait elle aussi « lire et écrire » et est « journalière » : elle est habillée avec « un blouson bleu, un manteau bleu, une jupe marron et une paire de sabots ».

Bien que non mentionnée sur le registre d’écrou, la petite Liliane est aussi incarcérée avec eux.

Nous disposons d’un témoignage exceptionnel, celui de Lise Jankelovitch ( voir l’article de l’auteure sur la famille Jankelovitch).

Le 13 février 1943, Lise rédige sa lettre hebdomadaire à sa mère et raconte sa semaine.

« …elle a été assez mouvementée pour moi. J’ai eu une compagne roumaine mardi soir de 25 ans et sa petite nièce de 4 ans ; de l’autre côté, son père et son frère, la famille toute dispersée. Ils sont partis hier matin certainement pour Bône la Rolande ( sic ). Inutile de te dire le souci que j’ai eu. Elle était très gentille et surtout très intelligente. Sa pauvre maman de 65 ans était justement à Blois quand ils ont été arrêtés, et où est-elle ? Ils ne savaient pas. Tu vois que dans notre malheur, il y en a de plus malheureux que nous. Pauvres gens, ils n’avaient presque rien apporté surtout pour la petite Liliane qui comprenait tout. J’ai aidé de mon mieux la jeune fille et surtout je l’ai consolée quoiqu’elle était très courageuse. Ma petite maman, il faut que tu écrives aussitôt le reçu de cette lettre à St Claude de Diray chez Mme. Saulé pour leur dire que Simone ( Sarah francisé en Simone ? ) Eidelman, son père, son frère et la petite Liliane sont partis samedi matin pour Bône. C’étaient des amis et peut-être qu’ils pourront avertir la maman…pour la nourriture, j’avais donné à Simone ce qu’il me restait ainsi que des conserves et mon pyjama. Je l’aimais beaucoup et elle parlait si bien ».

On ne sait si Germaine Jankelovitch a écrit aux Saulé mais c’est probable car elle donnait généralement suite à ce genre de demande de Lise.


13 février : le transit par la prison d’Orléans.

La levée d’écrou indique que sous escorte de la gendarmerie ( française ) les Eideliman vont être dirigés sur le camp de Beaune la Rolande.

En fait, et comme la plupart du temps, ils sont d’abord conduits à « la prison militaire allemande » d’Orléans qui sert de lieu d’orientation vers un camp de détention, de lieu éventuel d’interrogatoire aussi.

Le 12 février, la brigade de gendarmerie de Blois fait remonter l’information sur le transfert du lendemain à sa hiérarchie à Paris et aussi au Préfet.

Dès le 12 février 1943, la Préfecture de Loir et Cher connaissait donc ces arrestations.

Sur la fiche de Ghers, il est fait mention d’« un enfant âgé de 4 ans (arrêté avec sa mère ) ». il s’agit bien sûr de sa tante Sarah.


18 février : le transfert au camp de la Beaune la Rolande.

Ils vont y rester un peu plus d’un mois.

Sarah fera parvenir quelques lettres à Jacques où elle fait preuve d’optimisme car elle y écrivait « sans doute pour nous tranquilliser », juge son frère : 

« qu’on peint le diable plus noir qu’il n’est, que leur vie à Beaune la Rolande n’avait rien de tragique, que papa faisait des peluches et Henri jouait du violon dans l’orchestre du camp ».

23 mars : le départ pour le camp de Drancy.

C’est un départ pour une déportation imminente.

Le 20 mars, Röthke, chef du Service juif à la SS et qui dirige alors le camp de Drancy, avait donné des instructions au Préfet de Police pour le transfert des juifs remplissant les critères de déportation du camp de Beaune la Rolande à celui de Drancy.

Cette mesure touche aussi les juifs français qui ne sont pas mariés avec des aryens.

Deux convois de déportation seulement seront dirigés sur Sobibor : le N° 52 du 23 mars et N° 53 du 25 mars.

Les deux précédents convois ( ce seront aussi les seuls ) des 4 et 6 mars l’avaient été vers le camp de Majdanek.

Les historiens se sont interrogés sur les raisons de ces destinations car Auschwitz était la destination habituelle.

Là réside vraisemblablement la source de l’erreur sur les actes de décès des Eideliman établis en 1949, repris dans l’arrêté d’attribution de la mention « Mort en déportation » qui les fait décéder à Majdanek mais à la bonne date, sauf pour Henri dont le décès est établi à « avril 1943 ».


25 mars : la déportation dans le convoi N° 53.

Ce convoi vers Sobibor emporte 1008 juifs dont 118 enfants.

970 déportés arriveront vivants au camp.

15 hommes seulement seront « sélectionnés » pour un travail au camp.

En 1945, seuls cinq auront survécu.

Tous les autre déportés sont gazés à l’arrivée.

Suivant la législation pour la datation des décès des déportés : Moïse, Sarah et Liliane sont décédés le 30 mars 1943. Vraisemblablement aussi Henri.


Autour des Eideliman, une solidarité toujours active

Les Robert cachent Albert et Etty

Albert qui a pu s’échapper pendant que les sbires de la Gestapo cherchaient à savoir où se trouvait Liliane, arrive à retrouver sa mère.

Ils se réfugient chez Emile Robert qui les cache dans une maison inhabitée dont il a la clé.

Puis, il les éloigne de St. Claude.

Il les place en Sologne ( mais les deux frères ne précisent pas où ) dans deux familles différentes, par prudence.

Albert est hébergé « chez un brave homme, Mr. Mousset ».

Etty est installée chez une jeune femme qui s’est proposée pour l’accueillir.  

Cette femme s’adonnait à la prostitution. Un jour, alors que Etty est seule, un Allemand frappe à la porte. Etty croit-elle qu’il vient l’arrêter à son tour ? Elle va se jeter dans le puits à l’arrière de la maison.

C’est ce que rapportent Jacques et Albert dans leur livre en 1991.

Comme ils ont fait état de la présence de leur mère à St. Claude, de l’arrivée de la famille à la funeste journée du 9 février.

Rose et Jean-Claude sont eux aussi cachés en Sologne.

Rose Stern avait- insiste son fils- une véritable « aversion » pour les souvenirs et tous les documents et objets qui s’y rattachaient.

Elle lui a peu parlé de son père et de sa famille paternelle, ne lui a quasiment rien raconté sur cette période de la guerre.

Elle s’est débarrassée de tout ce qui s’y attachait, hormis de quelques photos.

Jean-Claude Eideliman sait seulement qu’ils se cachèrent en Sologne. Il croit se souvenir, mais n’en est pas sûr, que ce serait à Montrieux-en-Sologne.

Ce séjour doit se situer après la sortie de prison de Rose qui a son bébé en charge et avant qu’elle ne reprenne sa place dans la Résistance en juin 1943.

On sait que le 23 Juillet 1942, c’est elle qui avait averti par lettre sa belle-famille de la rafle du Veld’Hiv des 16 et 17 juillet.

C’est cet événement qui décida Jacques à passer la ligne de démarcation le 25 juillet 1942 pour rejoindre la zone dite libre et y préparer la venue ultérieure de la famille. Ce qui ne se fera pas. Pour des raisons que Jacques et Albert n’ont pas explicitées dans leur livre.

Comment Rose s’est retrouvée en Sologne, qui l’a aidée et protégée, a t’elle pu revoir la petite Liliane ? En l’état des données connues, aucun indice n’éclaire ces questionnements.

Berthe et Jean-Claude, deux enfants juifs, cachés dans des familles d’accueil.

Berthe sera cachée, avec son cousin Henri Crazover, par Georgette et Maurice Verrier à Courcy dans le Calvados.  

Georgette Verrier avait été élevée et adoptée par Blanche Calloy.

Blanche Calloy était la gardienne de l’immeuble où habitaient Jules et Suzanne Eideliman et la famille Crazover.

Elle avait été témoin à leur mariage.

Les Verrier se verront attribuer le titre de « Justes » par l’organisation Yad Vashem.

Après leur cache en Sologne, et avant que sa mère ne rejoigne la Résistance, Jean-Claude est caché dans une famille à Nogent-le-Rotrou, chez Albert et Amélie Jeunehomme.

Il y restera quelques années.

Jacques, Albert et Rose dans la Résistance.

Rose, la FTP-MOI :

 Rose s’engage le 1er juin 1943 à Paris dans les rangs des FTP-MOI, c’est à dire la Résistance communiste d’origine étrangère, très majoritairement composée de juifs.

Elle est « Viviane » (13).

Elle devient l’agent de liaison de Boris Milev dit Gaby qui est commissaire aux effectifs pour la Zone Nord des FPT-MOI. Elle assure ainsi les contact avec les groupes de Bretagne, du Nord et de L’Est.

Puis, elle est affectée en Meurthe et Moselle. Elle est chargée du matériel clandestin d’imprimerie, et de la fabrication d’engins et d’explosifs.

La nature de ses responsabilités en dit long sur le courage et le dynamisme de Rose.

Elle sera libérée de ses fonctions le 4 novembre 1944.

Ses services dans la Résistance lui vaudront le certificat d’appartenance aux FFI avec le grade de sergent… le Comité Militaire National des FTPF avait pourtant proposé celui de sous-lieutenant !


Jacques et Albert, les maquisards 

Après son passage de la ligne de démarcation en Juillet 1942, Jacques ira à Lyon puis s’installera à Carcassonne où il vivotera de petits boulots.

Les drames de sa famille l’obsèdent.

Albert lui quittera le Loir et Cher après la mort d’Etty. « Je n’avais plus aucune attache ».

Il va rejoindre « Riton » son copain de captivité qui travaillait à la construction d’un barrage près d’Espalion dans le Massif Central.

Les deux frères se verront plusieurs fois.

Début 1944, Jacques rejoint Albert à Bort les Orgues (19 ), endroit moins surveillé que Carcassonne et où se créent de nombreux maquis.

Ils rejoindront les maquis de la Margeride en mai 1944 (14).

           

L’ultime répression : la dénaturalisation

La loi du 22 juillet 1940

Une des premières lois liberticides de Vichy fut la loi du 22 juillet 1940 sur la révision des naturalisations intervenues depuis 1927.

Elle traduisait les convictions xénophobes des tenants de la révolution nationale. Elle avait aussi une motivation antisémite.

Jusqu’à la fin du régime de Vichy, toutes les naturalisations sont examinées par une Commission Nationale. Elle donnait un avis qui n’avait pas besoin d’être motivé, à partir duquel le Garde des Sceaux pouvait prendre un décret de dénaturalisation.

La dénaturalisation pouvait s’étendre aux enfants et au conjoint (15).


Jules :

Il avait été naturalisé le 4 mai 1933.

La Commission examine son dossier dans sa séance du 21 Novembre 1941.

Il est dénaturalisé par décret du 3 août 1942.

Jules est mort depuis près de 3 mois !

La dénaturalisation n’a pas été étendue à sa femme Suzanne ni à la petite Berthe.

Henri : 

Il avait été naturalisé le 24 mai 1934.

La Commission examine son dossier dans sa séance du 14 décembre 1942

Il est dénaturalisé par décret du 14 septembre 1943.

Il est mort depuis 6 mois !

La dénaturalisation est étendue à ses enfants Liliane et Jean-Claude.


Rose :

La dénaturalisation de Rose semble elle avoir été fondée sur une autre loi, car elle n’est pas incluse dans celle de son mari.

La loi du 10 aout 1927, précisément celle qui avait permis des centaines de milliers d’acquisitions de la nationalité française !

On lui a vraisemblablement appliqué les articles 9 et 10 de la loi qui prévoyaient la déchéance de nationalité pour ceux qui avaient accompli des actes contraires à la Sureté de l’Etat.

Or, Rose avait été arrêtée pour activité communiste donc un parti soutenant l’URSS, alliée du Reich à ce moment là.

Elle est déchue de sa nationalité par décret du 2 mars 1943.

Le Garde des Sceaux à la recherche des Eideliman :

Il convient de relever que le Garde des Sceaux est à la recherche du lieu de résidence de Henri en novembre 1943, de Rose et Jean-Claude en mars 1944.

On lui aurait « signalé » que Rose et son fils résideraient à St. Claude de Diray !

Ce qui confirme que leurs dossiers de dénaturalisation ont été instruits sur Paris, leur dernière résidence connue.

Comme il se doit, il s’adresse au Préfet, qui s’adresse à son tour au maire pour savoir ce que sont devenus les Eideliman.

La Préfecture joue les amnésiques car le 21 août 1943 quand elle avait décidé de constituer un fichier sur les arrestations par les autorités occupantes, elle s’était adressée aux maires concernés pour leur demander des renseignements qu’elle possédait déjà comme indiqué ci-dessus !

Le maire avait alors répondu, le 25 août 1943, avec des points d’interrogation aux questions sur ce qui avait pu leur arriver après le 9 février.

Cette fois-ci, pour Ghers-Henri, le maire prudent répond le 29 octobre 1943 : « ne réside plus dans la commune et nouvelle adresse inconnue ». Il ne fait pas état de l’arrestation. Au cas où Paris ferait des recherches sur les autres Eideliman encore vivants.

Pour Rose et Jean-Claude, le maire encore plus prudent, répond le 6 mars 1944 : « La famille Eideliman a été invitée à suivre les autorités allemandes courant janvier 1943. Aucune nouvelle depuis ». Ainsi, de fait, il englobe Rose et son fils dans les arrestations intervenues. Donc inutile que Paris continue à les rechercher.

Un nouvel exemple de la solidarité de la commune avec cette famille martyr et de sa méfiance au regard de la Préfecture.

La Préfecture transmet ces précisions communales à la Chancellerie. Elle va même nommément citer le jeune Jean-Claude dans les personnes arrêtées. La prudence devient la règle pour elle aussi.

Il faut dire que nous sommes au printemps 1944 ! Le débarquement allié se profile. La Résistance monte en charge dans le département. Plusieurs fonctionnaires de la Préfecture sont des résistants.

Les Eideliman seront tous, y compris à titre posthume, rétablis dans la nationalité française à la Libération.

…   Et la vie va reprendre son cours


Qui a dénoncé les Eideliman ?

Le 4 octobre 1944, Jacques et Albert sont de retour à St. Claude de Diray.

Ils s’adressent au Commissaire Spécial de Blois pour qu’il mène une enquête.

Ils veulent que soit trouvé (s) et puni (s) le ou les dénonciateur (s) de leur famille.

Ils soupçonnent certes les fonctionnaires de la Préfecture mais se demandent aussi si ce ne serait pas leur première logeuse ou le garde-champêtre.

Un rapport du 24 juillet 1953 ( il ne semble pas y avoir eu d’enquête avant l’officialisation de leur mort en déportation ) corrobore totalement la version des deux frères sur l’arrestation du 9 février mais constate que « malgré toutes les recherches effectuées tant à Blois qu’à St. Claude de Diray, les motifs exacts de l’arrestation de M. Eideliman Ghers, Henri, et des autres membres de sa famille n’ont pu être définis d’une façon certaine ». Le rapport conclut qu’ils « sont dus au fait que les membres de cette famille étaient d’origine juive et qu’ils ont dûs être signalés comme tels aux autorités allemandes par des dénonciateurs inconnus ».

L’hypothèse la plus vraisemblable semble bien être le zèle d’un ou de fonctionnaires préfectoraux, peut-être même pas consciemment antisémites, mais soucieux avant tout de faire appliquer la loi de Vichy et celle des autorités d’Occupation, parce qu’ils sont au service de l’Etat.

Et pour eux, les Eideliman n’avaient pas respecté la loi sur plusieurs points. Ils étaient donc coupables !

Faire reconnaitre les décès : 

A la douleur de la perte de proches dans des conditions atroces, le parcours administratif pour obtenir la reconnaissance et la légalisation des décès des déportés fut la plupart du temps une grande souffrance supplémentaire pour les familles.

Je me permets de renvoyer le lecteur à mon étude sur la famille Jankelovtich qui décrit tout le processus de ces démarches.

Elles furent longues et complexes.

Plusieurs années furent généralement nécessaires pour leur aboutissement.

Le décès de Ghers-Henri nécessita un jugement déclaratif de ce décès par le Tribunal civil de Blois le 17 février 1949, transcrit à la mairie de St. Claude, dernier domicile connu de la famille, le 3 mars 1949.

Pour Moise et Sarah, ce sera l’officier d’Etat Civil auprès du Ministère des Anciens Combattants qui établira les actes de décès le 17 août 1949, actes qui seront transcrits le 19 août.


Enfin, pour Liliane, il faudra attendre le 12 décembre 1951, pour que le Ministère des Anciens Combattants dresse son acte de décès, transcrit à St. Claude le 15 décembre et le 3 mai 1952 à la mairie du 12e arrondissement à Paris.

Seul Ghers-Henri a eu la mention « Mort pour la France » car il avait fait l’objet d’un jugement.

C’est l’arrêté du 11 mai 1989, publié au JO du 16 juin, qui attribuera aux quatre déportés de la famille Eideliman, la mention « Mort en déportation ».

Le « mystère » Etty

On a lu ci-dessus ce que ses fils ont rapporté sur son décès.

Or, le 12 avril 1943, une inconnue est trouvée morte vers une heure du matin dans une maison à St. Amand de Vendôme, aujourd’hui St. Amand Longpré.

L’acte de décès dressé sur indications du garde-champêtre est très détaillé.

L’inconnue était habillée comme si elle venait de rentrer ou s’apprêtait à sortir.

On la connaissait sous le nom de « Fanny Noël ».

Il n’est rien indiqué sur un possible suicide, accident, voire homicide.

Un jugement du 29 mars 1946, transcrit par la mairie de St. Amand sur l’acte de décès du 12 avril 1943, mais sans la date de cette transcription, a établi que l’inconnue était Etéa Feiga Vodavoz, épouse Eideliman, née à Lipcani le 10 mai 1880, domiciliée à St. Claude de Diray.

Hélas, je n’ai pas retrouvé ce jugement qui aurait pu, au travers de ses attendus, nous éclairer sur les conditions dans lesquelles Etty se trouvait à St. Amand de Vendôme.

Mais le mystère s’épaissit encore.

Le 13 juillet 1950, un acte de notoriété a été établi devant la Justice de Paix du canton du Raincy en Seine St. Denis pour Etea.

Jacques et Albert sont présents.

L’acte de notoriété désigne ses héritiers : ses deux fils survivants, ses deux petits-enfants Jean-Claude pour son père Ghers et Berthe pour Juda.

Comme Moise, Ghers et Sarah n’ont laissé aucun actif, ce document à vocation successorale semble motivé par la succession du fils Philippe, décédé aux USA (16).

Mais ce qui nous importe ici, ce n’est pas cette éventuelle succession, mais que les deux témoins obligatoires « ont certifié et attesté avoir parfaitement connu madame Etéa Feiga Vodavoz, en son vivant demeurant à Livry-Gargan 10, rue Paul Dupont, veuve ….et qu’il est à leur connaissance personnelle et de notoriété publique que la dite dame est décédée à Vendôme (Loir et Cher) le 12 avril 1943 où elle se trouvait momentanément et qu’elle laisse pour seuls héritiers… ».

On notera la confusion entre Vendôme et St. Amand de Vendôme.

Ces deux témoins sont une Liliane Bologna, épouse Francis Tanguy et Henri Stermann qui est éducateur au Centre du Raincy de la Commission Centrale de l’Enfance de l’UJRE (17).

Ils demeurent tous deux au Raincy. Livry-Garagan relève alors du canton du Raincy.

Je n’ai trouvé aucune information sur Liliane Bologna et le seul point commun apparu avec Henri Stermann est que sa famille habitait jusqu’à l’arrestation de ses parents, lors des rafles du Veld’Hiv en juillet 1942, dans le 15e arrondissement, non loin du domicile des Eideliman.

Si on suit cet acte de notoriété, Etéa Vodavoz, dans la période précédant sa mort, demeurait à Livry-Gargan en Seine St. Denis et non pas ou plus St. Claude de Diray ?

Le 10, rue Paul Dupont est une maison individuelle, où habitait (recensements de 1936, 1946) une famille Grobman, des juifs roumains aussi, dont le chef de famille Simon, tailleur, était né à Rascani et son épouse Sophie Moldavan, à Lipcani. Ils partageaient les mêmes idées politiques que les Eideliman (18).

Mais au-delà de ces caractéristiques communes, mes recherches sont restées vaines pour établir des liens entre les deux familles ; encore moins pour prouver la présence d’Etéa chez les Grobman.

Sans éléments nouveaux, les questions que posent les conditions du décès d’Etéa demeureront sans réponse.


Qu’est devenue la famille Eideliman ?

Jacques reprendra son métier de tailleur et ses activités militantes. Il restera membre du PCF jusqu’à la fin de ses jours.

Albert, après avoir enseigné en Guinée, réalisera le rêve de sa vie : faire des études supérieures ; il prendra ses distances avec le PCF dans les années 1960.

Tous deux se marieront et auront une descendance.

Jacques décèdera en 1999 et Albert en 2004.

Suzanne Crazover, la veuve de Jules, se remaria et aura un autre enfant.

Berthe deviendra une psychiatre réputée ; elle se mariera et aura des enfants ; elle disparaît en 2003.

Jean-Claude sera un diplomate du Quai d’Orsay ; lui aussi se mariera et aura une descendance.

Quant à Rose Stern, elle décèdera à l’âge de 102 ans en 2012. L’âge avait distendu ses liens avec le PCF mais, toute sa vie, elle conserva l’esprit de cette MOI qui fut pour elle comme une famille.

    ………..Liliane n’a pas eu le temps d’avoir 5 ans :

 Une nouvelle fois, ce qui ressort de la tragique histoire de la famille Eideliman, c’est l’incrédulité et la naïveté de tant de ces juifs français de souche, étrangers immigrés ou naturalisés.

Ils ne pouvaient pas concevoir que le gouvernement français les livrerait à la monstrueuse machine exterminatrice du nazisme.

Ils n’imaginaient pas d’ailleurs qu’une telle industrie de la mort pouvait être l’oeuvre des hommes.

La France les avaient accueillis.

Ils y avaient accompli leur service militaire. Ils avaient fait la « drôle de guerre ». Un d’eux avait été prisonnier de guerre.

De plus, les Eideliman avaient une conscience et une expérience politiques.

Alors, certes, ils savaient qu’ils pouvaient subir la répression pour leur engagement communiste.

Mais pas parce qu’ils étaient juifs. Dans le Reich, oui ; mais pas en France.

Ce thème de la sous-estimation du danger qui les guettait dans le pays des Droits de l’Homme et les regrets de ne pas être tous partis ensemble en zone sud à l’été 42, voire avant, hante les pages du bouleversant livre de Jacques et d’Albert.

Jankiel, devenu Jacques, exprimera en ces termes le sens de sa vie, de celle de sa famille : « La pauvreté, l’antisémitisme, le hasard des visas m’ont conduit en France. Maintenant, la France, je l’ai choisie… C’est là que j’ai mes racines ».

Thérèse GALLO-VILLA       

Monthou-sur-Cher, juillet 2020

( crédit photo : Deux rescapés du génocide racontent, Editions Sociales, 1991 )


Remerciements

Je remercie pour leur accueil et l’attention qu’ils ont portés à cette étude :

Jean-Claude EIDELIMAN, fils de Ghers-Henri

Gabriel EIDELIMAN, fils de Abram-Albert.

Gérard GROBMAN et sa mère Nadia GROBMAN, nièce et petit neveu des GROBMAN de Livry-Gargan.

Michel STERMANN, fils de Henri STERMANN.

Francis SOULAIGRE, adjoint à la mairie de St. Claude de Diray.

Laurence SEUTIN, Directrice de la Culture et de la Médiathèque de Livry-Gargan.

Mme. MALLOCHET pour son autorisation à photographier la plaque commémorative.

Les personnels administratifs des mairies de St. Amand-Longpré et de St. Claude de Diray.

Et une nouvelle fois le personnel des ADLC pour sa disponibilité et sa compétence.

 

SOURCES :

« Deux rescapés du génocide racontent » J. et A. EIDELIMAN, Editions Messidor, 1991.

Ce livre est une source majeure de cette étude ; je me suis efforcée de recouper autant que faire se peut les souvenirs de Jacques et Albert avec des sources d’archives et autres documents officiels.

Georgette VERRIER, article et photos, sur www.yadvashem-france.org

Juda EIDELIMAN, fiche, sur www.fusillés-40-44.maitron.fr

Mémorial de la Shoah : fiches EIDELIMAN.

Yvette FERRAND, La persécution des Juifs entre 1939-1945 en Loir et Cher, sur

www.rdv-histoire.ac-orléans-tours.fr

La Nouvelle République du 27 août 2017, « Dans la mémoire du village ».

SHD-Caen : dossiers des déportés, fusillés, etc.

    Ghers AC 21 P 447 097

    Juda   AC 21 P 447 101

    Liliane AC 21 P 447 098

    Moïse   AC 21 P 447 099

    Sarah   AC 21 P 447 100

SHD-Vincennes : dossier des résistants  

    Rose STERN GR 16 P 557 112

Archives Nationales : Base DENAT / Les dénaturalisions en application de la loi du 22 juillet 1940.

    BB / 27 / 1428 :

    EIDELIMAN Juda, Ghers, Jean-Claude, Liliane.

Services de l’Etat-Civil des communes de Caen, St. Claude de Diray, St. Amand-Longpré, Paris, Taverny, Saclay, Livry-Gargan.

Archives départementales de Loir et Cher:

1375 W 64     Fiches individuelles des personnes arrêtées par les Allemands

1375 W 69     Dossiers des personnes arrêtées par les Allemands.

      4 W 657   Les dénaturalisions.

1585 W 24     Prison de Blois : registre d’écrou.

1652 W 27     Dossiers des Renseignements Généraux : dossier EIDELIMAN.

  600 W 14     Jugements du Tribunal Civil de Vendôme.

    65 Q 36     Tables des décès de St. Claude de Diray (les tables de décès pour St. Amand de

        et 37     Vendôme ne se trouvent pas aux ADLC).


 NOTES :  

(1) On trouve différentes orthographes : Eidelman, Eidelmann, Eidelimann, Edelman.

J’ai choisi la plus usitée notamment dans les documents officiels.

(2) La Roumanie comptait près de 750 000 juifs en 1930.

Les émigrations aux USA et en Europe, les partages territoriaux de la guerre et de l’après-guerre, les persécutions roumaines, nazies puis soviétiques, l’émigration en Palestine, ont ramené la communauté juive roumaine à quelques 5000 membres seulement en 2011.

(3) Selon Serge Klarsfeld, on comptait environ 6 000 juifs roumains en France, au début de la guerre.

Parmi les personnalités françaises ayant une ascendance juive roumaine, on peut citer : Robert Badinter, Jean-François Coppé, Vladimir Cosma, Michel Drucker, Serge Klarsfeld, Pierre Moscovici, Lionel Stoléru, etc.

Le père de Robert Badinter, raflé à Lyon, sera déporté dans le même convoi que les Eideliman.

(4) Entre 1881 et 1925, 3 millions et demi de juifs quittent l’Europe centrale et orientale : 2 millions et demi émigrent aux USA, 210 000 en Grande-Bretagne, 150 000 en Argentine et 100 000 en France.

En 1939, il y aura à Paris (où ils se sont très majoritairement installés) environ 130 000 juifs étrangers dont 28 500 naturalisés.

(5) Le stéréotype de la mère juive se retrouve dans de nombreux ouvrages de la littérature juive, dans la chanson ( dont « Yiddishe Mame » revisitée par Charles Aznavour ) et dans l’humour juif.

(6) La loi du 27 août 1927 va permettre de prononcer 320 000 naturalisations entre 1927 et 1940. Mais ce seront près de 900 000 personnes qui vont acquérir la nationalité française ( enfants, conjoints, régularisations pour des gens déjà nés en France, etc.).

La loi clarifie la situation des épouses : les françaises épousant un étranger conservent leur nationalité ( elles la perdaient auparavant ) ; les étrangères épousant des français obtiennent la nationalité française sur déclaration de leur part.

Suzanne Crazover et Rose Stern ont du acquérir la nationalité française sur cette base déclarative.

(7) La Roumanie est officiellement un Etat même si elle est « protégée » par le Reich.

Ses ressortissants ont le statut de juifs étrangers et non d’apatrides comme pour les pays annexés ou occupés par l’Allemagne.

Ils seront astreints au port de l’étoile jaune en France mais ils seront en grande partie à l’abri de la déportation de masse jusqu’à ce que la Roumanie donne son feu vert à l’Allemagne le 17 septembre 1942 pour organiser leur déportation.

Le 23 septembre 1942, la police parisienne reçoit l’ordre de préparer la grande rafle du 24 septembre 1942 : 1574 juifs roumains arrêtés et déportés dont 183 enfants.

(8) La Main d’Oeuvre Etrangère ( MOE ) a été crée en 1926 par le PCF pour regrouper tous les communistes étrangers vivant et militant en France. Les communistes étrangers y étaient organisés par groupes de langues.

Dès 1927, le PCF met en place une sous-section juive qui sera particulièrement active.

En 1932, la MOE se transforme en MOI. Ses militants se retrouvent dans les organisations spécifiques citées dans l’article. Ils seront aussi très présents aux sein des organisations de la   de la CGTU puis de la CGT.

(9) Le Mouvement Amsterdam-Pleyel est un mouvement pacifiste de lutte contre la guerre et le fascisme, né en1933 à l’initiative de deux écrivains : Henri Barbusse et Romain Rolland. Il s’inscrit dans une démarche mondiale réunissant des noms aussi prestigieux que Albert Einstein, Maxime Gorki, etc.

Il aura une audience importante, réunissant de nombreuses forces politiques, syndicales, associatives et mobilisant beaucoup d’intellectuels de gauche comme Albert Camus.

Il se structure en comités locaux.

Il y en aura dans le Loir et Cher.  

(10) Les jeunes étrangers juifs (et moins jeunes aussi d’ailleurs ) non naturalisés s’engagent en masse en tant que volontaires dès la déclaration de guerre.

L’Union des engagés volontaires, anciens combattants juifs, leurs enfants et amis ( UEVACJEA ,) en partenariat avec le Mémorial de la Shoah, a remis son fichier au Service Historique de la Défense.

(11) La prison de Fresnes avait « un quartier des nourrices ».

Jusqu’à la Libération, l’administration pénitentiaire appliquera le droit de garde pour la mère détenue. L’enfant pouvait rester avec elle jusqu’à l’âge de 4 ans.

(12) Jules fut désigné comme otage le 11 mai 1942 en représailles à l’attentat commis le 2 mai contre trois marins allemands à St. Aubin-lès-Elbeuf.

(13) Chaque cellule de combat de la FTP-MOI était composée d’un responsable militaire, d’un responsable politique et d’un responsable technique. Chaque détachement disposait d’un service technique équipé d’un laboratoire servant à préparer des engins pour les attaques.

Ce fut, entre autres, une des responsabilités de Rose Stern.

(14) Les 10 et 11 juin 1944, eut lieu la bataille du Mont Mouchet, une montagne du massif de la Margeride, relatée par Jacques. Elle opposa les résistants du cinquième plus grand maquis de France à un détachement de l’armée allemande.

Les allemands disperseront les résistants qui poursuivront leurs attaques et infligeront de sérieux revers aux ennemis.

(15) 15 154 personnes furent dénaturalisées en application de la loi du 22 juillet 1940. La Commission Nationale en avait proposé plus.

On ignore combien de juifs avaient été naturalisés car les dossiers ne mentionnaient pas la religion, en raison de la laïcité de l’Etat. L’estimation des juifs dénaturalisés est donc approximative. Mais par recoupements notamment avec les fiches du mémorial de la Shoah, elle se situerait autour des 6000. Cette loi de dénaturalisation avait bien une finalité antisémite.

(16) Une audience au Tribunal de Sioux Falls dans l’Etat du Dakota du Sud le 18-7-1948 concerne la succession de Etéa Feiga Vodavoz (mais je n’en sais pas plus) et un dossier sur elle existe dans les Archives Diplomatiques du Ministère des Affaires Etrangères, Successions Dossiers Individuels, pour la même année 1948. Les délais de reproduction sont très longs.

(17) Henri Stermann ( 1923-2000) : né à Paris dans une famille immigrée juive polonaise. Ses parents seront arrêtés lors de la rafle du Veld’Hiv et déportés par le convoi N° 13 du 31 juillet 1942. Lui-même sera arrêté et déporté le 30 juin 1944 (convoi N°76).

A son retour de déportation, il deviendra durant plusieurs années éducateur dans les foyers pour enfants de déportés d’abord de l’OSE, puis de l’UJRE, au sein d’établissements de la Commission Centrale de l’Enfance, dont ceux du Raincy et de Livry-Gargan.

Adhérent du PCF, il fut responsable du Mouvement de la Paix à Livry-Gargan.

Il avait épousé Grete Meitmann, une jeune allemande protestante, qui était aussi éducatrice. Elle décèdera en 1953.

Leur fils Michel a écrit un livre émouvant sur cette mère qu’il n’a pas connue et sur la quête des origines et de l’histoire de sa famille paternelle et maternelle (voir la Bibliographie).  

(18) Simon Grobman (1894-1993) est entré dans la Résistance à Livry-Gargan dès le début de la guerre. Les réunions clandestines se tenaient dans sa cave 10, rue Paul Dupont. Son fils Maurice et ses deux cousins Adolphe Maldovan et Jacques Leibovici s’engageront comme volontaires et décèderont des faits de guerre. Ils sont inhumés tous les trois, « Morts pour la France » dans le même caveau au cimetière de Livry-Gargan.

Le frère de Simon qui habitait Paris, Gherson et son épouse Enta, seront arrêtés lors de la rafle du Veld’hiv et déportés par le convoi N°38 du 28 septembre 1942. Ils laissaient trois jeunes enfants, deux filles et un fils Simon.

Simon sera caché par la Résistance juive dans la famille Grenouillet à St. Georges-Motel dans l’Eure.

Cette famille sera déclarée « Juste parmi les Nations « par Yad Vashem en 2013.


BIBLIOGRAPHIE :

Je m’en suis tenue à citer des écrits en lien direct avec les aspects traités dans cet article.

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Les juifs d’Europe orientale et centrale, dossier thématique et le Quartier Belleville, Musée National de l’Histoire de l’Immigration, sur www.histoire.immigration.fr

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