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/1939-1945/mona-la-blonde« L’éminence grise » de la Gestapo de Blois : « Mona la Blonde » : Marie-Delphine REIMERINGER, veuve BLAVOT ( 1906-1986 )


11 septembre 1944-12 octobre 1945 : Mona échappe à la justice française

La « protection » des services secrets américains


 Mona sous juridiction américaine       

On se souvient qu’après son arrestation dans l’Indre, le major Clutton représentant des Alliés pour l’opération Jedburgh, demanda à l’interroger. Mona exigea que cet interrogatoire ait lieu en tête à tête avec le major. A la suite de quoi, le major rédigea une lette cachetée à destination des autorités militaires américaines, confia Mona à un détachement militaire américain remontant vers la Loire, qui à son tour remît Mona aux bons soins de l’armée américaine stationnée à Romorantin, le 11 septembre 1944 au soir.

Elle fut confiée à l’officier Munioz du C.I.C à Romorantin (1).

Donc, d’entrée de jeu, Mona fut soustraite aux autorités françaises car jugée importante par les Américains.

Nous ignorons évidemment ce qu’elle avait raconté à Clutton.

Elle connaissait nombre de responsables allemands et de la Gestapo y compris de Paris ; elle était initiée aux rouages de la machine répressive nazie ; elle parlait et écrivait plusieurs langues ; elle possédait une niveau culturel certain.

Autant d’éléments lui conférant un possible rôle d’aide dans la recherche et l’identification des criminels de guerre nazis.

Le fait qu’elle ait été au service de la Gestapo n’était pas un obstacle à son utilisation car on sait que les Américains ( comme d’autres pays ) ne seront pas très regardants sur des criminels nazis si ceux-ci les intéressaient à un titre ou un autre. De plus, elle était alsacienne-lorraine, donc de nationalité française.

Mais ces éléments sont-ils suffisants pour expliquer « la protection » dont va bénéficier Mona de la part des services secrets américains.

Comme nous le verrons, les événements ultérieurs vont peu à peu dessiner la probable vraie raison de cette situation singulière.

Ils aideront aussi pour répondre, non de manière irréfutable, car il faudrait pour cela des preuves qui existent peut-être dans les archives des services secrets américains et/ou français, mais pour formuler une réponse à la question récurrente de savoir si Mona fut un de leurs agents.

Ce qu’elle ne cessera de clamer pour sa défense.

Mais pour l’heure, revenons à l’après 11 septembre 1944.

Un contexte français spécifique

Le 3 juin 1944, le Comité Français de Libération Nationale s’était transformé en Gouvernement Provisoire de la République Française.

A partir du débarquement du 6 juin, la conjonction des troupes alliées et de la Résistance Intérieure ( mais surtout les actions de cette dernière ), permet la libération progressive du territoire national

 Mais en cette fin d’été 1944, la guerre est loin d’être terminée. Les prisonniers de guerre dans les stalags et les déportés dans les camps ne seront de retour qu’à partir de avril-mai 1945 et ce retour va s’étaler sur de nombreux mois. C’est le cas pour pour des résistants que nous retrouverons car concernés par la saga de Mona.

Le 4e Régiment d’Infanterie de l’Air, composé de 1100 jeunes FFI-FTP du Loir et Cher s’illustre dans la poche de Lorient où leur chef, le colonel Valin, est assassiné avec le commandant Verrier, le 19 décembre 1944.

 Le 31 août, le premier Gouvernement Provisoire comprend deux ministres communistes et ensuite celui du 13 novembre en comprendra cinq dont Maurice Thorez, le secrétaire général du PCF.

On se doute que cette situation française n’est pas du goût des Américains qui craignent et l’avancée soviétique en Europe vers l’Allemagne et Berlin et le poids du PCF au sein des forces vives de la Résistance, soupçonné de vouloir fomenter des troubles pour tenter de prendre le pouvoir en France.

De fait, la « guerre froide » a commencé.

Il faut aussi avoir à l’esprit l’attitude américaine au regard de la Résistance française, ici sommairement résumée.

Les USA furent une puissance neutre jusqu’à leur entrée en guerre en décembre 1941.

Ils conservèrent donc des relations diplomatiques avec Vichy.

Ce n’est qu’après l’occupation de toute la France par les Allemands en novembre 1942, qu’ils se tourneront dans la recherche d’une alternative politique à Vichy, à partir de l’Afrique du Nord.

Ils regarderont d’abord du coté de l’amiral Darlan qui refuse, penseront au général de Lattre de Tassigny, pour in fine choisir de soutenir le Général Giraud.

Ils subiront, contraints et forcés, l’ascension de Gaulle au sein de la Résistance Française.

Ils n’ont aucune confiance en lui. Ils le considèrent comme un agitateur, incontrôlable et dangereux. Les actions de la Résistance relèvent pour eux de la « guérilla », étrangère à leur mode de penser la guerre dans le contexte d’un pays occupé par une puissance étrangère.

Comme on l’a vu dans l’article précédent, ils mettent les organisations de résistants hors jeu s’ils le peuvent.

Le seul allié qui compte pour eux, c’est la Grande-Bretagne.

Toutefois, le général Eisenhower reconnaîtra l’apport et l’aide des actions de la Résistance au moment du débarquement.

On comprend mieux dans ce contexte que leurs services secrets vont être à l’affût de tout ce qui va pouvoir être exploité dans le cadre des enjeux à venir dans les rapports de force au sein des mouvements d’idées et des organisations de la société française, à l’issue de la guerre.


Les services secrets américains en solo.

Avant leur entrée en guerre, les USA ne disposaient pas d’un service central de renseignements. Le FBI s’occupait de la sécurité intérieure ( et un peu de l’Amérique Latine ).

Chaque département d’Etat possédait son propos service de renseignements ( l’US Army, l’US Navy, etc.).

Le désastre de Pearl Harbour démontra l’inefficacité de cet éparpillement.

Le 13 juin 1942, un organisme central, l’Office of Strategic Services, est créé : l’OSS.

L’OSS est chargé de collecter des renseignements mais aussi de conduire des actions clandestines dans les pays occupés ou en guerre contre les forces de l’Axe.

Ces actions seront très diversifiées. Elles consisteront notamment en l’envoi d’officiers pour des missions spéciales en collaboration avec la résistance locale.

Nous y reviendrons, lors du premier procès de Mona, avec la mission Sussex qui concernera des agents de la Préfecture de Loir et Cher.

Le retard américain dans le domaine du renseignement fut vite comblé.

Dès 1943, des centaines d’agents OSS recrutent quelques milliers de sous-agents français qui vont agir, la plupart du temps, en marge des réseaux de la Résistance Intérieure Française et de la France Libre.

 L’OSS financera des mouvements qui pour un temps, ne se réclameront pas de de Gaulle ou tenteront de demeurer indépendants. Ainsi, en 1943, c’est Henry Frenay, fondateur du mouvement Combat qui recevra en Suisse des subsides de l’OSS, via son représentant en Europe, Allen Dulles, futur dirigeant de la CIA.

L’OSS pousse plus loin encore que ses dirigeants politiques et les militaires américains son aversion pour de Gaulle et ses services de Londres.

Le BCRA est qualifié de « Gestapo française » pour les méthodes utilisées(2). Oui, pas moins !

L’OSS travaillera surtout avec les services secrets de l’armée française - les SR - qui au-delà de l’Armistice, continuaient leur propre combat contre l’Occupant mais dont le positionnement idéologique globalement conservateur et anticommuniste rassurait les américains.

Un « bodyguard » pour Mona

Le 17 septembre 1944, Mona se trouve donc au Centre des Interrogatoires 19, avenue Foch dans le 16e arrondissement.

Comme l’Hôtel Lutetia, siège de l’Abwehr et de la Geheime Feldpolizei durant l’Occupation, reconverti en Centre d’Accueil des Déportés, le 19 avenue Foch, occupé par le Service des Confiscations du SD-SIPO, avait dû être mis à la disposition des Alliés ou des seuls américains.

L’avenue Foch avait été dénommée « l’avenue Boche » car les Occupants y avaient réquisitionné plusieurs immeubles pour y loger notamment les différents services de police et en premier lieu ceux de la Gestapo.

Passée la période de ses interrogatoires, l’OSS a donc gardé Mona. Ce qui confirme qu’ils estimaient qu’elle pouvait leur servir dans les mois à venir.

Les américains craignaient l’intervention « physique » des autorités françaises pour récupérer Mona car elle sera constamment accompagnée par un agent de l’OSS chargé de sa protection.

Elle sera domiciliée 18, boulevard Suchet ( 16e ) pendant plus d’un an.

Que fit-elle pour l’OSS ? La presse affirmera au moment de son procès en 1946, qu’elle devait y exercer des fonctions de secrétariat. On peut penser à un rôle de traductrice et interprète.

Nous ne savons, hélas, rien d’elle et de ses activités durant cette période.


Les demandes françaises de restitution de Mona

Le 14 septembre 1944, le Préfet de Loir et Cher, qui vient d’apprendre l’arrestation de Mona et sa remise aux autorités américaines, s’adresse au responsable du C.I.C qui siège à l’Hôtel de France à Blois et lui demande de confier dès que possible l’intéressée à la police française car elle est « susceptible de fournir des renseignements importants et son audition par la police française est d’une importance capitale pour l’oeuvre d’assainissement entreprise par le gouvernement de la République ». Il ajoute que « le Commissaire de la République à Orléans et le Service de la Sureté Nationale à Paris réclament aussi l’audition de Mona dans ces deux villes »(3).

Cette période de mise en place des nouveaux services administratifs traduit le manque de coordination entre les structures civiles et celles de la Résistance : ainsi, en cette fin septembre, le Préfet réclame au commandement des FFI à Blois, le fameux rapport de Perdriset- le commandant Francis- sur Mona qu’il n’a toujours pas !

Le 12 octobre, le Préfet informe le Secrétariat général de la Police à Orléans que les « autorités américaines doivent remettre à la disposition des autorités françaises l’agent de la Gestapo connue sous le nom de Mona » et en profite pour réclamer sa future présence à Blois.

Le 2 novembre, le Préfet s’adresse, cette fois-ci, au Général commandant la Subdivision de Blois : « on me signale à nouveau que la nommée Mona, doit être mise par les Autorités américaines à la disposition des Autorités françaises ». Il lui demande d’intervenir auprès du C.I.C de Blois pour avoir des précisions « sur le lieu où se trouve actuellement cet agent de la Gestapo » et réitère sa volonté « qu’elle soit conduite pour quelques jours à Blois »

Mais les dysfonctionnements, voire les désaccords, existent aussi au sein des forces américaines.

Ainsi, le 21 novembre, le Préfet informe le Ministère de l’Intérieur que le CIC de Blois « signale que l’agent de la Gestapo connue sous le nom de Mona a été remise aux autorités françaises » et le Préfet demande à son ministre qu’elle « soit conduite de toute urgence à Blois pour audition et confrontation ».

Mais le 24 novembre, le même C.I.C rectifie le tir et précise au Préfet que Mona « est à l’interrogatoire au Centre des Interrogations à Paris ». 

C’est par un télégramme chiffré que, le même jour, le Préfet fait remonter au Ministre cette information de toute évidence jugée sensible.

Une exaspération croissante

Accord des autorités civiles américaines et refus de l’OSS ? Le résultat est que les Américains « baladent » les Français !

Les autorités françaises obtiennent quand même que le Commissaire Jean Boisselier du BST d’Orléans puisse auditionner Mona dans le cadre de l’instruction judiciaire ouverte sur elle. Ces auditions ont lieu les 22 et 23 février 1945 au 18, boulevard Suchet et donnent lieu à plusieurs procès-verbaux (4).

C’est le Secrétaire Général pour la Police de la région d’Orléans qui « monte au créneau », le 1er Mai 1945 puis le 5 mai, auprès de son collègue du 5eme Bureau lui aussi à Orléans, pour qu’il intervienne à son tour « auprès de l’autorité militaire américaine » pour que Mona soit mise à sa disposition quelques jours.

Le 22 mai, le chef d’escadron Grima lui répond que sa requête a bien été transmise par le canal hiérarchique « auprès des autorités américaines de Paris pour solliciter la remise pendant un court délai… »

Après les refus opposés de fait à l’administration civile, c’est la famille policière et militaire qui prend le relais !

 On relèvera que les autorités françaises ont opté pour une position « a minima » : ils réclament seulement la mise à disposition de Mona pour une courte période.

Le Secrétaire Général pour la police Petitjean réitère sa demande auprès du même le 11 juin.

Car dans le Loir et Cher, les mises en cause de Mona se multiplient au fil des rapports de gendarmerie dans le cadre de la mise en oeuvre de l’épuration et des dépositions de ses victimes.  

Le Secrétaire Général fait notamment état de l’affaire des parachutistes américains dans le Vendômois qui entrainera la déportation de plusieurs résistants ( dont nous reparlerons au moment du procès ) et du pillage, à Huisseau-en-Beauce, du château de la famille Van den Brock d’Obrenan, déportée.

De même, en parallèle, se déroule l’instruction de Léopold Robin, révélatrice des activités de Mona.

On sent grandir l’exaspération de la police française : « de la réponse faite par l’autorité militaire américaine à la demande que je vous ai prié de présenter, dépend la question de savoir si oui ou non, cette autorité américaine désire elle-même que justice soit rendue à ceux des Français qui sont morts ou ont enduré les pires sévices pour la cause alliée et pour avoir tenté notamment de sauver des aviateurs américains ». 

Langage peu diplomatique mais fort clair !

Nous ignorons les échanges à Paris entre autorités françaises et américaines.

La situation reste inchangée tout au long de l’été 1945.

Mais les services de renseignements français ont toujours eu un oeil sur Mona.

Ainsi, ce sont eux qui, en août 1945, alertent l’Ambassade de Grande-Bretagne sur le danger potentiel que peut représenter Mona qui loge dans l’immeuble jouxtant l’hôtel particulier du Prince de Galles, l’ex-roi Édouard VIII, au 24, boulevard Suchet (5).

12 octobre 1945-24 avril 1946 : Mona détenue à la Maison d’Arrêt de Blois

Deux événements concomitants vont enfin créer les conditions de la récupération de Mona par les autorités françaises.

Le 1er octobre 1945, le Président Truman supprime l’OSS. Ses services sont rattachés à d’autres organes du renseignement des départements d’Etat et du FBI.

Puis en 1947, sera créée la CIA, avec un statut d’agence indépendante et dont la mission essentielle, sinon exclusive, sera la lutte contre le communisme au niveau international.

Les temps ont changé : l’Allemagne occupée par les Alliés devient un bouclier face à la zone d’influence soviétique.

Ainsi, s’ouvre une période de flou juridique et de désorganisation de l’ex-OSS que les Français vont mettre à profit.

Dans ce même moment, Mona va venir d’elle même se jeter « dans la gueule du loup ».

Le rocambolesque « kidnapping » de Mona par la police française

 C’est l’abbé Guillaume, le meilleur connaisseur contemporain de Mona, qui rapporte les faits (6).

Les époux Calame sont alors en fuite recherchés par la police.

 Ils se trouvent à Paris et veulent régler un vieux contentieux avec Mona : elle les aurait lésés dans un partage de bijoux volés à des résistants arrêtés. Or, ils ont besoin d’argent pour se cacher et fuir quelque part. Ils connaissent ses habitudes : elle a toujours avec elle une bourse contenant des bijoux.

Ils l’attendent devant les bureaux de l’OSS. Geneviève Danelle lui braque un révolver dans le dos, la force à monter dans une voiture conduite par Roger Calame. Ils l’amènent dans un appartement boulevard Voltaire et …Geneviève Danelle, qui a des connaissances médicales, lui fait une piqure de strychnine ! Par chance pour Mona, elle venait de subir une intervention chirurgicale la veille : le produit administré pour cette opération se révèle un antidote au poison. Mais, quand elle se réveille, elle avait été délestée de ses bijoux !

Furieuse, Mona dépose plainte au Commissariat.

Erreur fatale !

La police française va lui tendre un piège. Sous prétexte de documents à compléter, elle est convoquée au commissariat, le 12 octobre 1945.

Elle s’y rend et des policiers français bousculent son garde du corps américain et l’embarquent manu militari dans une voiture.

Et voici la version de Mona : « Le 12 octobre dernier, je fus victime d’un rapt odieux. Sous prétexte d’un renseignement, la police de la rue des Saussaies m’a demandé de passer à leur bureau. Je m’y suis rendue, accompagnée d’un officier américain. Là, on a injurié et frappé cet officier et on m’a enlevée de force, jetée dans une voiture et ramenée à Blois.

Le juge d’instruction était fort surpris de me voir car le mandat d’arrêt n’existait plus. L’ambassade américaine fort mécontente de cet affront, a fait démarches sur démarches pour m’avoir, mais en vain. On ne pouvait désavouer le geste de la Police »(7).

Sauf document qui démontrerait le contraire et sans offenser l’égo de Mona, il semble bien que les Américains ne levèrent pas le petit doigt.

Ainsi, l’abbé Guillaume, toujours bien renseigné, précise : « mais « ses services américains » comme elle dit, ne s’intéressèrent pas à elle et l’abandonnèrent à son sort ».
On peut penser qu’il devenait compromettant pour eux de réclamer qu’on leur rende une agente de la Gestapo traduite devant la Justice de son pays pour intelligence avec l’ennemi en temps de guerre !

Mona n’a pas été ramenée immédiatement à Blois puisqu’elle n’est écrouée que le 16 octobre.

Avant d’être remise aux institutions judiciaires, elle a vraisemblablement été interrogée par les services secrets français à Paris et à Orléans. Mais nous n’en avons pas trouvé trace.


La détention de « Marie Delphine Durand » tenue secrète…..

L’arrestation de Mona et sa détention, à partir du 16 octobre à Blois, vont être tenues secrètes pour l’extérieur.

Sur le registre d’écrou, elle est nommée Marie-Delphine Durand, habillée ce jour là d’un paletot de drap gris, d’une robe écossaise et d’une paire de souliers (8).

Ce sera le nom usité en prison pour le personnel et les autres détenus.

Mais sa véritable identité est aussi mentionnée dans une colonne.

A t’elle été mise « au secret » au sens propre, comme cela s’est dit, c’est à dire isolée des autres détenus ?

Difficile à établir. L’abbé Guillaume précise, en effet, qu’elle avait eu des contacts en prison avec Maurice Lequeux ( un des protagonistes des procès de Pierre Culioli, que nous retrouverons) : « Après la Libération, la discipline dans les prisons était moins rigoureuse que sous l’Occupation et les relations épistolaires et orales étaient partout facilitées entre les détenus ».

De toute évidence, les pouvoirs publics craignent des réactions, voire des manifestations de la partie de l’opinion publique en phase avec le mécontentent des milieux de la Résistance qui dénoncent la lenteur de l’épuration, la clémence de bien des jugements.

Le nom de « la » Mona est abhorré.

De plus, la Préfecture avait déjà dû faire face à des protestations publiques de résistants contre la Justice de l’épuration. Ainsi, le 18 juillet 1945, une manifestation de résistants devant le Tribunal avait été organisée contre l’avocat Charles Simon, réputé collaborateur et qualifié « d’avocat pro-allemand », spécialisé dans la défense de collaborateurs devant les juridictions de l’épuration. Ils exigeaient sa radiation et se disaient près à poursuivre leur action (9).

Or, Me. Simon est un des trois avocats choisis par Mona !


……avec le concours d’une partie de la presse

 Le 10 février1946, le Patriote, l’organe hebdomadaire du Front National, mouvement très proche du PCF, titre : « La « Mona » est à Blois ».

Le Patriote pense que cette annonce est un scoop.

Il espère « qu’elle révèlera les noms des indicateurs de la Gestapo ... c’est une question de justice pour nos morts ».

Après avoir rappelé les méfaits de Mona, le journal décrit ce que furent selon lui les conditions de son arrestation : « Elle fut arrêtée dans les jours de l’insurrection par un groupe de résistants. Ils la remirent entre les mains de la police française qui était installée depuis quelques jours à Blois. Au bout d’un certain temps, la Mona fut transférée par les Américains vers un lieu que nous ne connaissons pas. Quelques personnes prétendirent qu’elle se trouvait à Paris et qu’elle jouissait d’une liberté relative. Fort heureusement, il n’en est rien et son retour à la nouvelle prison infirme toutes les allégations déclarant que la Mona était considérée par les Américains comme un agent double à l’abri de notre justice ».

Le Front National ne peut imaginer que les Américains se soient comportés de la sorte !

La Nouvelle République, à son tour, informe sur la présence de Mona à Blois et révèle qu’elle est « entre les mains de la justice française depuis le mois d’octobre dernier. Il avait été nécessaire de faire le silence autour de son nom jusqu’à présent et l’heure n’était certainement pas encore venue de parler d’elle »(10).

Le journal explique, que peu de temps après l’arrivée de Mona à Blois, le procureur avait réuni les responsables des journaux et obtenu leur accord pour ne parler d’elle qu’après le feu vert du procureur. Ce que ce dernier n’avait pas encore fait !

Le motif avancé était évidemment, non pas la crainte des réactions populaires, mais la nécessité de laisser l’instruction se poursuivre sereinement.

Le journal espère que « la révélation intempestive » du Patriote ne « gênera pas dans leur rude tâche les magistrats... ».

Le Patriote n’en reste pas là.

Il rétorque à la Nouvelle République « que la direction du Patriote ne fut pas informée de la tenue de cette réunion » et regrette « le manque de courtoisie de leur confrère » parce que le Patriote à annoncé le premier la présence de Mona.

Mais surtout le Patriote persévère dans son incrédulité sur le récit de la Nouvelle République quant à l’enlèvement de Mona par la police française : « savoureux récit », « véritable récit de gangsters » et d’interroger : « Le journal de Touraine voudrait-il nous laisser entendre que les polices française et américaine se livrèrent l’une contre l’autre à de véritables coups de force ? ».

Et par dessous tout, le Patriote s’insurge contre les déclarations de la Nouvelle République : « quand elle affirme que l’espionne a rendu des services à plusieurs français et qu’elle a fini d’ailleurs par être un agent double » (11).

Le Patriote se sortira de cette impasse, sans reconnaître toutefois qu’il avait fait état, sûrement de bonne foi, de fausses informations, en publiant deux mises au point : l’échec de la mission Bigot à Romorantin en septembre 1944 où les FFI de Loir et Cher constatèrent que Mona était bien déjà aux mains des Américains et sa présence à Paris, en septembre 1945, Boulevard Suchet, dans des locaux américains (12).

La Nouvelle République relativise l’affaire. Car selon elle, la présence de Mona à Blois commençait, de toute façon, à s’ébruiter. Elle avait, en effet, été hospitalisée à l’Hotel-Dieu du 22 au 25 janvier. On lui avait aussi fait faire un aller-retour à Orléans pour témoigner à un procès d’épuration.

Le 24 avril 1946, Mona est transférée à la prison d’Orleans (13).

Son procès n’interviendra que plusieurs mois après.


14 septembre 1946 : Mona renvoyée devant la Cour de Justice.

Dans un exposé des faits de quatre pages, le Commissaire de la République, après avoir résumé les événements de la vie de Mona, s’appuie sur les dépositions recueillies durant l’information menée sur elle, pour déterminer si elle a été coupable « d’intelligence avec l’ennemi », motif qui avait conduit à ses inculpation et détention.

Il relève :

  • que, « elle devint au bout de peu de temps la maîtresse de Bauer...douée d’une forte personnalité, elle ne tarda pas à prendre sur cet homme un gros ascendant et à exercer une influence prépondérante à la Gestapo de Blois ».
  • que, « loin de se cantonner strictement dans son rôle d’interprète de Bauer, elle prenait souvent l’initiative dans la conduite des interrogatoires et était la conseillère de son chef lorsqu’il s’agissait de prendre des décisions importantes ».
  • que, « c’est bien elle souvent qui recevait les indicateurs français de la police allemande et qui les guidait dans leur action ».

Le Commissaire résume un certain nombre d'affaires qui la mettent en cause et dont les protagonistes viendront témoigner en personne ou par déclaration écrite.

Le Commissaire de la République acte que pour sa défense Mona prétend « qu’elle a joué un rôle modérateur dans un sens favorable aux Français ».

Il relève : « qu’il semble résulter effectivement de plusieurs témoignages recueillis qu’elle répugnait aux violences et évitait d’assister aux scènes de brutalités…qu’elle avait averti certaines personnes menacées d’arrestation….qu’elle est intervenue pour faire libérer un certain nombre de personnes arrêtées ». Nous verrons leurs témoignages.

Enfin, le Commissaire note que Mona « prétend qu’elle avait contracté DES AVANT son entrée à la Gestapo un accord secret avec une puissance alliée sur lequel elle se refuse à donner de plus amples renseignements ».

Le Commissaire conclue qu’il « résulte des charges suffisantes » démontrant "qu’étant française, en temps de guerre, elle a entretenu des intelligences avec une puissance étrangère ou avec ses agents en vue de favoriser les entreprises de cette puissance contre la France ».

Elle entre donc dans le champ de l’article 75 du Code Pénal et elle est renvoyée devant la Cour de Justice pour y être « jugée conformément à la loi » (14).

26-27 septembre 1946 : le procès de Mona

 Le dernier procès de la Cour de Justice d’Orléans

C’est l’ordonnance du 26 juin 1944 qui avait créé les Cours de Justice pour juger les actes de collaboration relevant de l’article 75 du Code Pénal.

L’ordonnance du 26 août avait créé, elle, une Chambre Civique au sein de chaque Cour de Justice pour juger les actes ne relevant pas d’une sanction pénale.

Ainsi, au chef-lieu de chaque ressort de Cour d’Appel, était mise en place une Cour de Justice ayant compétence pour juger les auteurs d’actes commis entre le 16 juin 1940 et la date de la Libération qui révélaient une intention de favoriser les entreprises de l’ennemi.

Les Cours de Justice comprenaient autant de sections qu’il y avaient de départements dans le ressort de la Cour d’Appel.

Chaque section était composée de cinq membres : un magistrat Président et quatre jurés ; un Commissaire du Gouvernement remplissait les fonctions du ministère public.

Les listes de jurés étaient établies par un magistrat et deux délégués du Comité de la Libération concerné. Les Chambres de mise en accusation des Cours d’Appel jugeaient les pourvois en cassation des jugements des Cours de Justice.

La Section de la Cour de Justice de Blois y avait siégé depuis le 11 novembre 1944.

Elle avait été supprimée en Octobre 1945 et les procès à venir se tiendront devant la Cour de Justice à Orléans.

Elle avait rendu 237 arrêts dont 21 peines capitales ( une seule exécutée ), 60 emprisonnements de 10 ans et plus.

Sa Chambre Civique avait prononcé 430 verdicts dont 98 de dégradation nationale à vie.

76 procès se déroulèrent devant la Cour de Justice d’Orléans mais avec des jurés loir-et-chériens (15).

Pourtant, le procès de Mona n’existe pas officiellement !

L’inventaire des Archives Départementales du Loiret donne la date du 25 septembre comme dernière session de la Cour de Justice.

Ce dossier est toujours introuvable 

Ce qui suit résulte donc de la mise en perspective de documents provenant de diverses sources, avec d’inévitables « trous » quant à la reconstitution du procès.

Colère et frustration des milieux patriotes

 Le retour des prisonniers de guerre et des déportés avec leurs révélations sur l’horreur des camps nazis avait avivé les ressentiments face à une épuration jugée trop sélective, trop lente et surtout bien trop clémente.

Dans les communes concernées se tiennent des cérémonies d’hommage à leurs martyrs comme pour André Morand à Contres, Clotaire Paumier à Chémery, etc.

Ces cérémonies nourrissent les idéaux de la Résistance et le besoin que ces morts soient vengés.

Déjà, au Congrès Départemental des Comités Locaux de la Libération, le 13 mars 1945, un des dirigeants du Comité Départemental, Jean Petit, faisait le constat que « l’épuration a profondément déçu les milieux patriotes du département » et il dénonçait « les lenteurs et les ridicules clémences » (16).

Les réductions de peine, les grâces ou amnisties, dont commencent à bénéficier des collaborateurs condamnés, suscitent leur colère.

Ces mesures sont vécues comme une insulte aux victimes de la répression allemande.

Le journal du MLN s’insurge contre des mesures dont viennent de bénéficier plusieurs collaborateurs notoires ( Grenier, Chevalier, Massicot, etc.) : « Est-il compréhensible que ces hommes qui furent pour leurs concitoyens des ogres et des monstres bénéficient de la part de ceux qui les jugent d’une mansuétude de mauvais aloi ; nous nous élevons contre ces actes de sabotage de la justice.. » (17)


 Marcel Buhler, alors secrétaire du Comité Départemental des Internés et Déportés Politiques, défend les manifestations de résistants lors de procès au jugement trop doux : « Derrière ces interventions vigoureuses, derrière cette façade, il fallait chercher quelque chose de plus profond. C’était la grande voix des camps, l’immense clameur de ceux que le crématoire avait dévoré, qui se faisait entendre »(18).
On se doute que la suppression des juridictions d’exception à Blois, comme si elle sonnait la fin de la période d’épuration, avait attisé ces frustration et colère.

Le Patriote donne le ton : « il faut que Mona parle...nous exigeons qu’une lumière totale soit faite sur les fréquentations de la Mona...nous réclamons l’arrestation des mouchards...une occasion unique se présente pour épurer largement notre département »(19).

Le journal met en avant un thème sensible qui tiendra une place importante au cours du procès : le comportement des élites et des notables durant l’Occupation, en stigmatisant « les hautes relations de Mona ».

Des victimes réclament justice contre Mona, comme l’épouse de Paul Berthereau, la famille Jouanneau, Madame Jarry, etc (20).

La Nouvelle République ne peut faire moins que de souhaiter que Mona donne aux magistrats instructeurs « le maximum d’indications susceptibles de faire découvrir et châtier justement, tous les délateurs de notre département qui par leurs dénonciations amenèrent les arrestations, les tortures et la mort de nos concitoyens » (21).

Un procès attendu (22)    

 La Cour est présidée par le magistrat Saulnier.

Le Substitut de la République, assumant donc les compétences habituelles du Parquet, est André Delthil(23).

Trois avocats assurent la défense de Mona : le fameux Me Simon, Me Coulon et Me Moreau, tous deux du barreau de Paris.

La presse est émoustillée par le procès : « Enfin, en Cour de Justice, une affaire interessante » ; « une affaire d’envergure, celle de la belle Mona, agent de la Gestapo de Blois ».

Et elle espère « l’atmosphère des grands procès ».

Pourtant l’assistance est clairsemée en raison de la délocalisation à Orléans et elle demeurera très calme durant ces deux jours.

Peut-être parce que « l’opinion apparait particulièrement divisée et que les organisateurs ou les défenseurs de la blonde interprète viendront à tour de rôle soit accabler l’accusée, soit l’innocenter ».

Le président introduit les débats sur la base de l’exposé des faits du 14 septembre. Puis le premier jour est consacré à l’audition des témoins ou à la lecture de leurs dépositions écrites pour les absents. Le second, à la fin des témoignages, au réquisitoire, au délibéré de la Cour.

Une trentaine de personnes sont concernées. Nous citerons les témoignages les plus significatifs.


Accusation et défense : deux mondes différents, deux Résistances

La plupart des témoins de l’accusation, plus nombreux que ceux de la défense, sont des résistants de la première heure ou presque, qui s’engageront au sein de la résistance organisée : les Fermé et autres montrichardais dans le SOE avec le réseau Adolphe ; le couple Bernard-Baumann et Hervé Thierry au sein de Combat et du NAP-Fer ; Talamas avec LibéNord ; Jouanneau au sein du Front National ; etc (24).

Plusieurs seront des FFI, participant et aidant les maquis.

Ils sont généralement, pour les loir-et-chériens, originaires de milieux commerçants, ouvriers, des couches moyennes.

Ils ont connu toutes les phases de la Résistance et surtout agi sur le terrain : passages de la ligne de démarcation, hébergements de clandestins, réceptions de parachutages, transports et camouflages d’armes, sabotages, fabrication de faux papiers, impression et diffusion de la presse clandestine, etc.

Nombre d’entre eux, et/ou leurs proches, ont subi la répression.

Ils reflètent assez largement la palette des opinions politiques du moment dans le département.

Les témoins de la défense sont eux, pour l’essentiel, des notables ou fonctionnaires d’autorité comme le Préfet Aucourt, le Procureur Wagner, le Secrétaire Général de la Préfecture Vignon, le Surveillant-Chef de la Maison d’Arrêt qui remplace le Directeur muté, la Générale de Goys.

Quelques uns seulement ont eu des rapports avec la Résistance, et parfois tardifs.

La défense de Mona fera témoigner des personnes qui furent pro-allemandes comme Melle. Claude, interprète d’allemand à la Préfecture, ou Yvette Tranier, dite Lola, ex-employée à la Gestapo d’Orléans.


Les questions au coeur du procès


Les violences sur les personnes interrogées

Les témoignages convergent : Mona participait bien aux interrogatoires et y prenait une part active.

C’est elle qui était à l’initiative bien plus souvent que Bauer. Elle orientait l’interrogatoire, le relançait, suggérait parfois la suite à donner au sort des malheureux : libération, poursuite de l’emprisonnement. Pire, peut-être.

Malgré ses dénégations visant à minorer son rôle dans ces interrogatoires, cette implication de Mona est confirmée dans tous les témoignages.

Un aspect contradictoire ressort de ces témoignages : Mona a-t-elle pratiqué des violences physiques sur ceux et celles qu’elle interrogeait ?

Mr. Talamas, membre de la CGT chez Bronzavia, une usine blésoise travaillant pour les allemands, arrêté le 8 mars 1944, dit que Mona lui a administré une paire de gifles (25).

Mr. Beaugrand, durant son interrogatoire à la Gestapo le 2 juin 1944, a entendu Mona gifler une jeune fille.

Mr. Jouanneau et son fils, membres du Front National et des FTP, arrêtés le 13 juillet 1944, ont été frappés derrière la tête avec un gros bâton (26).

Mr. Godin accuse Mona de lui avoir serré son membre viril à l’aide d’un tampon buvard jusqu’à l’évanouissement(27).

Dans des procès-verbaux de victimes interrogées par la Gestapo, mais non citées au procès, il est fait état de gifles et coups administrés par Mona.

Elle niera catégoriquement ces faits de violence, arguant que ces témoins la confondait avec d’autres agents de la Gestapo qui lui ressemblaient et participaient aux interrogatoires.

Il s’agit de Anne-Marie Taesch (28) et surtout de Geneviève Danelle, maitresse de Roger Calame (29), connues pour leurs violences sur les détenus et qui effectivement lui ressemblaient.

Cette éventualité d’une bonne foi de Mona, sur ce point, ne peut être balayée d’un revers de main.

D’autant que plusieurs déclarations de gens l’ayant côtoyée attesteront qu’elle quittait un interrogatoire ou un lieu lorsque les sbires de la Gestapo commençaient à passer à un stade supérieur dans la torture de leurs victimes, comme celles de Mme. Goujon (30), la cuisinière de la Gestapo ou de Madeleine Gallichet (31) ou encore du commandant Thénard (32).

On sait que Mona avait peur des bombardements, des coups de main des résistants à son encontre ou des orages en avion : les cris de douleur et la vue du sang devaient, on peut l’imaginer, la révulser.

Mais, Talamas et Jouanneau maintiendront leurs propos : ils confirmeront avoir formellement reconnu Mona. Ce dernier s’écriera : « N…de D…de N…de Dieu, c’est malheureux tout de même, je la reconnais bien ! »


Sa technique du « souffler le froid et le chaud »     

Les témoignages de l’accusation sont là encore unanimes sur la technique employée par Mona lors des interrogatoires.

De la persuasion…..

Au début, dans ses questions, elle se montrait douce, persuasive, presque compatissante et promettait que serait tournée la page des mobiles d’arrestation, que les intéressés ou leurs proches s’ils étaient impliqués seraient libérés, s’ils révélaient ce qu’on attendait d’eux.

Elle faisait parfois preuve de gestes de bienveillance.

Ainsi, Mona soigne les plaies au poignet provoquées par les menottes de Mr. Suet (33) qui les garda dix jours, greffier en chef au tribunal de Romorantin, membre actif de la Résistance locale.

Elle donne un verre de lait à Hervé Thierry, assoiffé, brutalement interrogé pour lui faire avouer où se cache Yvette Baumann.

Elle semble avoir favorisé en prison, une brève encontre entre Yvette Baumann et son mari et s’attribuera l’initiative de son hospitalisation après sa tentative de suicide.

Elle accordera une sortie de deux heures pour déjeuner avec un ami, à Mr. Guilpin(34), industriel à Blois.

La femme de Mr. Proust (35) de Vendôme est morte en déportation. Toutefois, il se « refuse à charger cette femme car elle a sauvé mon 

fils ». 

Mais le témoignage du docteur Meusnier(36) de la prison de Blois, trace les limites de ces gestes de bienveillance. Dommage qu’il ne fut pas entendu au procès.

Le Dr. Meusnier revient sur le cas de Yvette Baumann. Il fait « état des mauvais traitements » que la Gestapo lui a fait subir, les conséquences sur sa grossesse, sa tentative de suicide : « Comme il fallait prendre une décision à son sujet, la Gestapo a envoyé sa secrétaire Mona et j’ai pu obtenir d’elle qu’elle soit envoyée à la maternité où elle a accouché d’un enfant mort..il m’a semblé que Mme. Mona n’était pas très bienveillante pour des femmes qui se trouvaient dans une triste situation ».

Il rappelle aussi le cas de Mme. Petithomme (37) qui « avait été abominablement traitée par la Gestapo et ils m’ont menacé si je disais quoi que ce soit des mauvais traitements.... Devant ce cas grave, j’ai rendu compte à la Gestapo qui a envoyé la Mona…Je lui montre le corps de Mme. Petithomme. Elle fit venir un médecin allemand qui prétendit qu’il y avait simulation ! Ils embarquèrent cette femme pour une destination inconnue ».

Meunier insiste : « ce qui m’a toujours frappé de la part de Mona, c’est qu’une femme puisse être aussi peu sensible à la misère humaine surtout quand il s’agissait d’autres femmes dans la détresse ».

Sa défense, elle, essayera, et c’était de bonne guerre, d’exploiter ces propos contradictoires des témoignages de l’accusation pour convaincre les jurés de l’humanité de l’accusée.

Relayée par ses avocats, Mona s’attribuera la libération des témoins de l’accusation qui le furent, ou de leurs proches. Ainsi, elle soutiendra à Bernard Guilpin : « que je pouvais lui serrer les deux mains car elle m’avait sauvé la vie et que je pouvais remercier Bauer de ma libération » (38).

 

….aux sévices psychologiques

Mais dès qu’elle rencontre mutisme et résistance, Mona se déchaine et passe sur le registre des pires menaces de torture, exécution, déportation.

Georges Fermé et les témoins de Montrichard ( Berthelot, commerçant, Renault, agent d’assurances, Mme. Fermé, commerçante) seront les plus virulents dans la dénonciation de ses méfaits.

Mona était bien connue à Montrichard où elle accompagnait Bauer dans ses inspections fréquentes dans cette commune stratégique pour les voies de communication et quasi spécialisées dans le passage de la Ligne de démarcation.

Le groupe Fermé du SOE y était particulièrement actif.

Henriette Fermé fut déportée. Guy Mercier mourut en déportation.

Le réseau Adolphe auquel appartenait le groupe Fermé paya un lourd tribut à la répression nazie.

Et on se souvient que c’est Georges Fermé qui identifia Mona lors de son arrestation.

Georges Fermé rappelle qu’il avait demandé au major Clutton la permission de la fusiller. Ce qui provoqua un tollé de la part des avocats de Mona !

Henriette Fermé raconte que, face à ses refus de dire où s’était réfugié son mari : « Ca l’a mise en une si grande colère qu’elle est devenue une vraie furie » et lui hurla « Faites votre testament, vous allez payer pour votre mari ».

Mona dira à Jean-Guy Bernard : « Si vous parlez on soignera votre femme, et si vous ne parlez pas on la laissera crever comme un chien ».

Mr. Guilpin, interrogé tous les 3-4 jours confiera : « Elle me faisait subir des interrogatoires serrés… Elle me menaçait des pires choses, camps de concentration en Pologne…Elle me martelait la tête ; je l’aurais étranglée ».

Elle menacera Mme Germond (39) de Vendôme, de déporter son enfant âgé de deux ans, si elle ne disait pas la vérité sur son réseau.

Elle agira de même avec Mme. Gatignon(40) de Noyers-sur-Cher dont les enfants sont menacés d’être envoyés en Allemagne.

À Madeleine Gallichet, qui refuse de parler bien qu’ayant vu le corps martyrisé de son camarade Roger Violleau (41), elle prédit : « Vous êtes condamnée ; jusqu’à ce jour j’avais confiance en vous mais vous irez aux supplices des femmes. Vous connaîtrez les horreurs des prisons allemandes et si vous ne savez pas ce qu’est la haine, vous l’apprendrez ».

Jouanneau et son fils qui refusaient de parler après plusieurs interrogatoires furent menacés d’exécution immédiate : « il n’y a qu’à les envoyer lui et son fils dans les carrières de la Chaussée » (42).

Des propos similaires se retrouvent dans des dépositions d’autres victimes de la Gestapo.

Mona usait aussi d’un langage fleuri comme : « vieille vache, tu vas causer ».

Plus qu’une technique d’interrogatoire, ce comportement de Mona est révélateur de sa personnalité : elle doit dominer, être la plus forte donc faire avouer les détenus d’une part et d’autre part, elle ne supporte pas d’être rejetée et honnie, de ne pas être admirée et aimée.

Les gens doivent lui être redevables : pour avoir le sentiment d’exister et d’être puissante.

Elle pratiquera de la même manière en tant que témoin dans des procès de collaborateurs.

Celui de André Pelletier, dénonciateur de Yvette Baumann : Mona le chargera lors de l’instruction et l’innocentera à l’audience (43).

Celui de Olga Barreau, Vve Guillemot, qui dénonça Paulette Gatignon : Mona l’accusera puis elle témoignera en sa faveur lors de son procès en révision en se rappelant alors que la dénonciatrice était « une institutrice de Noyers » !

Sa pratique du vol

La spécialité de Mona, si je peux m’exprimer ainsi, fut le vol.

Après les arrestations, elle retournait sur les les lieux avec les sbires de la Gestapo pour « perquisitionner », officiellement à la recherches des preuves confirmant les accusations ayant motivé les arrestations.

En fait, la Gestapo raflait tout ce qui pouvait avoir valeur et utilité en ces temps de pénuries : matériaux, moyens de transports, outils, textiles, ainsi que les objets d’art et de décoration.

Durant ces perquisitions, Mona s’était spécialisée dans la recherche et la rapine des bijoux qu’elle conservait, au moins en partie, pour elle.

En plus des tableaux, de l’argenterie, de meubles, etc. Mona videra le coffre-fort de Mme. Foucher à Prunay-Cassereau avec tous ses bijoux(44).

Le fils Proux, lors d’une visite à la Gestapo pour avoir des nouvelles de ses parents, découvrira une très belle broche de diamants appartenant à sa mère au revers du vêtement Mona (45).

Lors d’une confrontation avec Robert Mauger qui était bijoutier, celui-ci estimera que la broche qu’elle portait ce jour-là valait fort cher, si elle était vraie ! (46)

A Montrichard, Mona questionne à répétition la belle-mère et la femme de ménage des Fermé pour savoir où sont leurs bijoux. Il n’y en avait pas.

Mme. Delahaye expliquera que lors de la libération de son mari, Mona lui fit signer des reçus reconnaissant que les bijoux qu’elle les avait forcés à lui remettre en contrepartie, provenaient de biens juifs.

Le château des Van den Brock sera pillé et là aussi leurs bijoux volés. Etc.

Mona affirmera que ces spoliations étaient destinées au service des réquisitions de la Gestapo à Paris, ce qui était vraisemblablement le cas pour une bonne partie des produits utilitaires mais pas pour toutes les oeuvres d’art et les bijoux qu’elle détournait à son profit.

On l’a vu dans le précédent article, Mona aimait la belle vie facile.

On peut penser aussi qu’elle se constituait un petit trésor de guerre pour l’avenir.

Mais, je n’ai pu m’empêcher de me poser une question.

Ses besoins d’argent résultaient-ils , en plus de son goût pour le luxe, aussi d’une addiction coûteuse comme les stupéfiants et/ou le jeu ? Cette éventualité me trotte dans la tête en connaissant sa fréquentation assidue de la maison de rendez-vous de Mme. Léger à Paris qui devait associer sexe, alcool, drogue et jeu comme dans la plupart de ces établissement où se côtoyaient collaborateurs des milieux dirigeants, hauts dignitaires allemands et membres de la pègre au service des occupants.


Son aide à la Résistance et à des Français

Ce thème est bien évidemment l’axe central de la défense de Mona.

Ses avocats ont fait appel à des témoins dont ils escomptaient que leur statut social impressionnerait les jurés.

Toutefois, une question ne peut être éludée : pourquoi ces personnalités ont-elles accepté de témoigner à décharge ? Certaines craignaient-elles que Mona ne mentionnent des faits les concernant professionnellement ou personnellement ?

Pourtant elles ont vécu « de l’intérieur » les réalités de l’Occupation et de la Gestapo. Elles connaissaient le rejet qu’inspirait Mona aux résistants du Loir et Cher et la colère que pouvait déclencher un verdict perçu comme trop doux ?

Le Préfet Aucourt lui-même ne mettait-il pas en garde des amis contre la dangerosité de Mona et leur recommandait la prudence de leurs propos en sa présence ?

Mona dira un jour à Mortier, le collaborateur de Vendôme : « Le Préfet n’est pas pour nous, il est pour la Résistance ».

Madeleine Gallichet l’avait entendu s’exclamer : « Les Français, je leur crache à la figure ».

Qui jouait à quoi en ces dernières semaines avant le début de la débâcle allemande ?

  • Le procureur Wagner. En 1944, il était procureur de la République à Blois. Il connait bien Mona car il déjeunait à sa table, chez elle rue Daniel-Dupuy. Il sera arrêté brièvement deux fois en juin 1944. La deuxième fois, pour 24 heures, le 14 juin 1944 (47)
Pour fabrication de fausses cartes d’identité, dit-il.

Mona lui fit dire par sa femme qu’elle le ferait libérer. Le magistrat rapporte que Mona lui confia : « Votre dossier est grave. Jurez-moi de ne jamais rechercher qui je suis et pourquoi j’essaye de vous sauver » et il précise : « Je considère qu’elle m’a sauvé la vie car ma santé à l’époque ne m’aurait pas permis de supporter une longue détention ou la déportation ».

Lors de la cérémonie d’ouverture de Cour de Cassation en octobre 1944, il sera cité parmi les victimes des allemands au même titre que ses confrères morts pour la France.

  • Le Secrétaire Général de la Préfecture Robert Vignon (48). Entré dans la Préfectorale en 1934, il était secrétaire général de la Préfecture de Loir et Cher depuis le 16 décembre 1942. En juin 1944, il collabore au plan Sussex des Américains. 


Il abrite alors dans son appartement de la Préfecture un poste émetteur et son radio qui transmettent les renseignements recueillis sur les mouvements des troupes et les transports de matériel allemands (49). Deux autres fonctionnaires de la Préfecture font partie du réseau Sussex.

Il estime que Mona « joua un rôle modérateur » dans l’affaire des forestiers de Chambord, procura des informations au Préfet et surtout les avisa lui et le Préfet Aucourt de leur imminente arrestation par la Gestapo à la demande du Préfet de Région Chiappe, un ultra-collaborateur et de la Milice.

Tous les deux eurent le temps de s’enfuir en ce début d’été 1944.

  • La Générale de Goÿs. Son mari Louis de Goÿs de Mézeyrac est un héros de la Première Guerre Mondiale. C’est un des fameux « as » de l’aviation. Il fut chargé par le Général Joffre d’organiser une aviation de bombardement. Après une belle carrière, il était à la retraite depuis 1935. Il va participer à la Résistance.

La Gestapo avait arrêté son beau-frère et sa belle-soeur ainsi que trois de leurs amis, à la place du Général qui s’était rendu à Paris, ce jour là. La famille de Goÿs résidait à la Chaussée St. Victor.(50)  

La générale indique que Mona lui avait dit : « Que votre mari ne revienne pas ; son cas est trop grave. Je ne pourrais rien faire ».  

Elle avait proposé de faire libérer les autres membres de la famille de Goÿs et leurs amis qui effectivement furent relâchés. La Générale lui avait demandé : « Vous voulez sans doute de l’argent ? ». Mona avait repoussé cette proposition avec indignation, commente la Générale qui estime « qu’elle « lui a rendu un grand service »

  • Le Préfet René Aucourt (51), non présent mais qui a produit une déclaration écrite, a fait lui-même l’objet d’une instruction judiciaire à la demande de la Cour de Justice de la Seine. Il sera mis d’office à la retraite. C’était un ami intime de Pierre Laval avec lequel il s’entretenait souvent. Personnage réservé, il donne le sentiment d’avoir voulu ménager la chèvre et le chou. Sûrement plus par lâcheté que par diplomatie. 

Mais surtout la chèvre allemande. Par contre, il n’a pas eu de sympathie pour les extrémistes de la Milice.

Décrié par la Résistance qui dénonce sa faiblesse face aux allemands, il est aussi critiqué par les partis collaborationnistes et la Milice qui lui reprochent de ne pas être assez engagé dans l’oeuvre de la Révolution Nationale et la répression tous azimuts.

D’ailleurs à partir du printemps 1944, les Allemands feront monter les enchères pour obtenir le remplacement de fonctionnaires et d’élus par des miliciens ou leurs créatures.

Bien des témoignages attestent des rapports suivis que le Préfet Accourt a entretenus avec Mona qui a ses entrées dans ses appartements privés à la Préfecture et dans sa résidence de campagne à Chambon-sur-Cisse (52).

Son témoignage porte sur les trois affaires qu’il citera constamment pour convaincre de l’aide que lui-même apporta aux patriotes.

  • L’affaire des aviateurs américains.

    Le 5 février 1944, un avion américain « Libérator » touché par la DCA allemande de St. Pierre des Corps, s’écrase près de Rahart dans le Vendômois (53).

    Les huit occupants survivent, sont récupérés par le groupe de Résistance « Vendôme A », affilié au réseau Cincinnatus, fondé dès 1941 par le maire de Vendôme, Alphonse Collin et cachés dans des familles de résistants du groupe et des sympathisants. Le dimanche 20 février, sur dénonciation, les allemands entreprennent une grande rafle. La plupart des protagonistes américains et français furent arrêtés, détenus, torturés. Des fonctionnaires de la Sous-Préfecture et des élus, soupçonnés de complicité, seront aussi emprisonnés puis, faute de preuves, relâchés. Le Préfet Aucourt affirmera qu’il avait obtenu que les Allemands ne les traduisent pas devant leur Tribunal Militaire qui les aurait condamnés à mort et fait immédiatement fusiller. Il considère leur avait sauvé la vie. Mona l’aurait aidé à obtenir cette décision. Mais le Préfet Accourt sera toujours muet sur la déportation de dix de ces résistants : quatre reviendront et six mourront en déportation.

  • La libération de Henri Drussy.  

Le maire de Blois avait été arrêté le 3 avril 1944, en même temps que M. Van Den Brock, maire de Huisseau-en-Beauce, dans le cadre de l’affaire

Baumann. Le Préfet, qui rend compte au Ministre de l’Intérieur, indique : « m’étant rendu aussitôt auprès des autorités allemandes, j’ai pu après une

longue négociation, obtenir la libération du maire de Blois qui est devenue effective dans la soirée du 4 avril ». Selon lui, Mona aurait contribué à cette libération....de courte durée.

Henri Drussy est à nouveau arrêté le 14 avril par les allemands et transféré, menottes aux poings, à la prison d’Orléans.

Le Préfet Aucourt se rend à Orléans et négocie avec le chef régional de la Gestapo qui lui fait la promesse « que l’affaire serait réglée d’ici la fin de la semaine » (54). Le Préfet avait fait valoir les réactions prévisibles de la population blésoise. Paris était aussi intervenu. H. Drussy fût libéré le 26 avril.

Son fils Jacques fera état de ces interventions de Aucourt en faveur de son père, sans parler d’une aide de Mona.


  • L’affaire des forestiers de Chambord.

Le 26 mai 1944, les allemands arrêtent et emprisonnent 105 jeunes des Chantiers forestiers de Chambord pour vérification d’identité. Les allemands y soupçonnent la présence de jeunes qui, après un congé du STO, ne seraient pas retournés en Allemagne (55).

Un accord entre autorités françaises et allemandes prévoyait que des jeunes ne souhaitant pas partir au STO pour des raisons de santé ou familiales ou ayant accepté de quitter un maquis, soient employés dans ces chantiers forestiers.

D’autant que les besoins en bois sont énormes. Les allemands exigent de grosses livraisons de bois. Le Préfet Aucourt s’adresse à la Feldkommandantur le 30 mai, lui faisant valoir notamment que ces arrestations risquent de dissuader les jeunes à travailler dans les chantiers et de les encourager à rejoindre les maquis et la clandestinité.

Le 5 juin, la Kommandantur libère la majeure partie de ces jeunes.

  • Mr. Segond, ancien surveillant-chef de la prison viendra faire une intrigante déclaration : « Mona montra de la bienveillance envers de nombreux détenus » et « grâce à son intervention la prison ne passa pas sous contrôle allemand » (56).

La prison de Blois détenait ensemble les prisonniers relevant soit de la justice française, soit de la justice allemande. Les allemands payaient théoriquement un prix/journée pour les leurs. Dans la plupart des autres prisons françaises, il y détenaient directement une partie de leurs propres prisonniers, ce qui faisaient trois catégories de détenus.

Les pressions de l’Occupant pour que Vichy leur remette les prisonniers politiques devenaient de plus en plus fortes.

Le gouvernement de Vichy accepte officiellement de le faire le 31 mars 1944.

A Blois, ces détenus politiques occupaient la nouvelle prison rue Dessaignes. Mais, anticipant la décision nationale, dès le 5 janvier, la Gestapo exigeait la remise des 420 détenus politiques de Blois, dont beaucoup étaient des transférés venus d’autres prisons et condamnés par les Sections Spéciales. 387 « communistes et terroristes » leurs sont livrés par le Directeur le 18 février, et en toute connaissance du Préfet. Ils sont dirigés vers Compiègne et la déportation. Immédiatement, Bauer réclame les locaux libérés pour que les Allemands ( Gestapo et Feldkommandantur ) y détiennent et gèrent eux-mêmes leurs prisonniers. Le Gouvernement refuse net car il a besoin de ces locaux pour poursuivre des transferts de détenus politiques de plus en plus nombreux.

La prison de Blois conservera donc son statut de prison mixte franco-allemande. Mona n’a pas dû peser lourd dans cette décision prise au plus 

haut niveau !

Et deux cerises sur le gâteau des témoignages en faveur de Mona.

  • Celui de Mlle. Louise Claude. C’était une agrégée, mise à disposition par l’Université et recrutée à partir du 19 novembre 1940, comme interprète à la Préfecture. Son dossier atteste d’augmentations de rémunérations fort rapprochées !(57)

Elle était la petite amie de Rach, un des agents de la Gestapo de Blois.

Elle affichait des positions pro-allemandes comme en atteste son rôle sur le dossier de Paulette Moock(58).

La Commission d’Epuration des fonctionnaires de la Préfecture notera ces comportements pro-allemands sur la fiche d’une fonctionnaire dont elle était l’amie(59).

Comme Mona, elle semble bien avoir outrepassé son rôle d’interprète car elle intervenait directement auprès des autorités allemandes d’Orléans pour obtenir des faveurs sur des dossiers de réfractaires au STO, entre autres. Elle créditera elle aussi Mona « d’un rôle modérateur auprès de Bauer, individu irritable et violent qui détestait les Français ».

  • Celui de Yvette Tranier, dite Lola, agent de la Gestapo d’Orléans. Elle a été condamnée à 7 ans de prison lors du procès de la Gestapo d’Orléans (60). Elle ne prêtera donc pas serment en raison de sa condamnation. Elle affirmera que le frère de Mona - Frantz Reimeringer - un des principaux agents de la Gestapo d’Orléans, aux responsabilités accablantes, lui avait déclaré « que sa soeur avait failli être traduite devant un tribunal militaire en raison de son attitude favorable aux français ».

Alors, si même les nazis le reconnaissent, que demander de plus !


A t’elle été un agent double ?

Cette question passionna la presse qui en fait ses titres durant le procès.

On a vu que dans son exposé des faits, le Commissaire de la République avait fait état des affirmations de Mona selon lesquelles elle avait contracté un accord secret avec une puissance alliée avant même son entrée à la Gestapo et qu’elle se refusait à donner des précisions.

C’est donc au moment où le Président l’interroge sur ses motivations pour se mettre au service de la Gestapo que Mona lui demande d’ordonner le huit clos pour qu’elle puisse faire des révélations sur sa qualité d’agent double et donner le nom de ses chefs.

Le Président est réticent, lui faisant remarquer que la guerre est terminée et qu’elle peut parler librement. Mais le Substitut du Procureur de la République étant d’accord, le huit-clos lui est accordé.

On notera que Mona emploie la même méthode qu’avec le Major Clutton au moment de son arrestation : hier un tête à tête, aujourd’hui le huis-clos.

Ce huis clos durera une demi-heure. Rien n’en a transpiré.

Mais dans son réquisitoire André Delthil regrettera que Mona « n’aie pas apporté, durant le huis clos, plus de preuves à l’appui de ses dires ». Les doutes sur son caractère d’agent double ne sont et ne seront pas levés.

Sauf à être démentie par des preuves irréfutables, j’ai l’intime conviction qu’elle ne fut pas un agent double.

Dans les documents déclassifiés peu à peu par la CIA sur les agents ayant travaillé pour les services secrets américains, il n’y a pas, à ce jour, de fiche la concernant.

De même sur les documents de l’Administration hitlérienne à Berlin, eux aussi rendus publics par les américains dans leur recherche sur les criminels nazis, Mona n’apparait pas en tant que telle. Son nom est seulement mentionné sur une carte postale dans le dossier de son frère Franz(61).

Par contre, on peut considérer comme la vérité, que dans les derniers mois de la guerre, elle a aidé des personnalités qui, elles, travaillaient pour les Alliés et en premier lieu les Américains.

Cette femme extrêmement intelligente devait bien se douter que les Allemands avaient perdu la partie et qu’elle devait se ménager des appuis bien placés pour s’en sortir à la Libération.

On aura remarqué que les aides de Mona à des Français se situent presque toutes en 1944, et plusieurs, après le Débarquement.

Comme on aura noté qu’elle n’a pas aidé des Français, résistants, appartenant au Front National, à LibéNord ou aux FFI. Sans parler des juifs !

Si elle ne fut pas un agent double, pourquoi alors a t’elle suscité intérêt et protection des Américains ?

Pour ses connaissances des dignitaires nazis d’Orléans et de Paris, des collaborateurs de haut vol fréquentés chez Mme. Léger, des truands parisiens de la Carlingue(62) pratiquant eux aussi vols et spoliations des objets de valeur des juifs et des gens arrêtés ? En partie, peut-être.  

Ou pour ce qu’elle leur a confié sur la Résistance française ?

En effet, ces 26 et 27 septembre 1946, les magistrats présents et les jurés ignorent les faits suivants.

  • Le 27 décembre 1945, Mona envoie une lettre à Robert Mauger, député à l’Assemblée consultative, maire de Contres, président du Comité de Libération Départemental, lui demandant d‘intervenir en sa faveur car elle détient sur lui des informations qui pourraient être gênantes. Robert Mauger ne répondra pas à cette lettre, estimant qu’il s’agissait d'une nouvelle tentative de chantage…."nouvelle " car peu de temps avant le Préfet Aucourt qui rencontrait des difficultés à se faire réintégrer dans la Préfectorale, avait aussi sollicité son soutien en lui susurrant que Mona détenait des informations compromettantes pour lui ! Robert Mauger, malade, ne se préoccupe pas davantage de ces interventions à ce moment là.

  • Le 13 février 1946, Mona fait parvenir au Juge d’Instruction de son dossier une lettre dans laquelle elle dénonce Pierre Culioli, chef du Réseau Adolphe, rattaché au fameux réseau Prosper, comme étant celui qui avoua à Bauer, en sa présence, avoir donné les noms et adresses des responsables parisiens du Réseau Prosper, à commencer par son responsable Francis Suttil. Il s’en suivra, en cascade, le démantèlement par la Gestapo de ce qu’on a appelé « la French Section » du SOE, avec des centaines d’arrestations, de très nombreuses déportations. Le 26 mars, Mona sera entendue par le Juge et renouvellera ses accusations.

Ce dernier ne donnera aucune suite(63).


Tout laisse à penser que c’est ce genre de délations, d’une grande gravité, sur des Résistants connus ( et il y a vraisemblablement celles que nous ignorons parce qu’elles ne feront pas l’objet de retentissantes affaires médiatisées ) que Mona avait débitées au major Clutton dès son arrestation et qui intéressaient les Services Secrets Américains, à l’affût des problèmes et rapports de force internes à la Résistance française ainsi que de sordides histoires pouvant être exploitées contre telle ou telle famille de pensée.

Les jurés ne suivent pas les recommandations du Substitut.


Le Substitut Delthil : « Pour de très larges circonstances atténuantes ».

Juste avant le réquisitoire, Georges Fermé était intervenu au nom des résistants de l’accusation pour demander un verdict de peine de mort.

La presse souligne le caractère « modéré » du réquisitoire d’André Delthil, marqué selon elle, par « l’objectivité et l’impartialité ».

André Delthil souligne les caractéristiques de cette affaire qui passionna l’opinion publique du Loir et Cher. Aussi, il indique qu’il s’était penché « avidement sur l’énorme dossier de 700 pages » et « qu’il avait été étonné en constatant la disproportion entre les faits imputés par la rumeur publique et ceux qui résultent d’une instruction minutieuse ».

Me Moreau rapportera des années plus tard que le Substitut aurait estimé : « On a fait de cette affaire une montagne et la montagne a accouché d’une souris »(64).

André Delthil abandonnera toutes les accusations comportant des sévices imputés à Mona.

Il retiendra contre elle son appartenance à la Gestapo et qu’elle a donc bien été coupable d’intelligence avec l’ennemi.

il relève aussi les profits qu’elle a tirés des perquisitions.

Il considèrera que dans le cas complexe de Mona : « il y a du bon et du mauvais dans ses actes et qu’elle fut tantôt favorable aux Français, tantôt favorable aux Allemands ».

Alors que que dans l’exposé des faits préalable au procès, le Commissaire de la République avait mis au rang des faits retenus contre elle : « C’est bien elle souvent qui recevait les indicateurs français de la police..et les guidait dans leur action », cet aspect essentiel des actes de Mona a été quasi absent du procès et du réquisitoire.

Pourtant, Mona donnait à ses indicateurs des noms de suspects sur lesquels rechercher des preuves de « terrorisme ». La Gestapo les rémunérait, souvent par son entremise.

Le jeune Paul Massicot est caractéristique de ces indicateurs qui firent envoyer à la torture et à la mort plusieurs résistants (65).

Enfin, le Substitut Delthil juge, « qu’en raison des services qu’elle a rendus aux Français et aux Alliés, on ne pouvait pas lui refuser des très larges circonstances atténuantes »

 Une ultime manoeuvre de la défense pour que Mona échappe à l’Art.75 du Code Pénal. 

Les trois avocats de Mona se partageront ainsi la tâche :

Me. Coulon entend « détruire la légende de Mona », en développant les thèmes connus de sa fonction de simple interprète, de sa non violence, des services rendus aux Français et aux Alliés. Il insistera sur la confusion qui a pu s’opérer entre elle et les deux autres agents de la Gestapo lui ressemblant. Il se livrera à une étude psychologique du cas Mona, prise en tenaille entre France et Allemagne et leurs deux cultures.

Me. Moreau, jeune avocat débutant originaire du Loir et Cher, inscrit sa plaidoirie dans celle de Me. Coulon et développe l’aide de Mona aux Français et aux Alliés en concluant : « Rendez-lui ce qu’elle a rendu à tant d’autres, la liberté ».

Me. Simon dissertera sur le symbole Mona : « Une victime de ces luttes qui depuis des siècles opposent et la France et l’Allemagne. Elle s’est sentie rejetée par la France qui la considère allemande mais elle a refusé de se faire la complice de la brutalité et du sadisme allemand » ...

 « Son cas, c’est le problème de bien des âmes alsaciennes nées sous domination allemande qui reçurent une éducation allemande, mais dont le coeur va vers la France ».

La plaidoirie de Me. Simon sert en fait d’introduction au dépôt de conclusions de la défense demandant qu’une question subsidiaire soit posée à la Cour(66).

Ces conclusions essayent de démontrer que, juridiquement, la nationalité des Alsaciens-Lorrains entre 1940 et 1945 n’était pas clairement établie : « Attendu qu’une situation aussi incertaine et équivoque ne permet pas l’application de l’Art. 75 du Code Pénal, lequel exige, pour l’existence du crime d’intelligence avec l’ennemi, la qualité certaine et constante de Français chez l’accusé au moment de la perpétration des faits poursuivis »

 Aussi : « La question posée à la Cour l’invitera à rechercher et décider si au moment où les faits poursuivis ont été commis (1943-1944), l’accusée était et se savait actuellement française ».

Etonnant ! La situation juridique des Alsaciens Lorrains était pourtant clairement établie !

La Convention d’Armistice ne faisait pas état de l’Alsace-Lorraine. Un Armistice n’est pas un Traité de Paix. Aussi, le territoire alsacien-lorrain restait juridiquement français.

 Les Alsaciens-Lorrains gardaient donc leur nationalité française retrouvée en 1918. C’est à une annexion illégale que se livra l’Allemagne, sans valeur du point de vue du droit français et du droit international. Mais elle n’accorda pas pour autant la nationalité allemande aux Alsaciens-Lorrains. Ils étaient considérés comme des « Alsaciens-Lorrains de race germanique ». Le Reich n’accordait la nationalité allemande qu’aux jeunes Alsaciens-Lorrains qui s’engageaient volontairement dans l’armée allemande ou pour services rendus par des collaborateurs zélés du régime nazi.

La Cour rejeta ces conclusions.

Elle se retire à 18 heures 30.

Elle délibère une vingtaine de minutes.

Elle répond « oui » à la question sur l’intelligence avec l’ennemi et reconnait les circonstances atténuantes …mais de petites et non très larges circonstances atténuantes !

Mona va échapper à la peine capitale ou aux travaux forcés à perpétuité.

Les témoignages des personnalités dont elle a bénéficié et l’ambiguïté persistante sur son rôle d’agent double ont joué en sa faveur.

Y aurait-elle échappé si les jurés avaient connu ses délations contre des résistants emblématiques de la Résistance en Loir et Cher ?


Le verdict : 20 ans de travaux forcés

Alors qu’une partie des observateurs s’attendait à une condamnation légère après la position du substitut Delthil, les jurés ont pesé dans le sens d’une plus lourde condamnation : 20 ans de travaux forcés.

Cette condamnation est assortie de la peine d’indignité nationale à vie et de la confiscation de ses biens.

La Nouvelle République et la République du Centre, prudentes, ne commentent pas le verdict.

Par contre la France du Centre ne mâche pas ses mots pour réprouver ce verdict trop sévère : « La condamnation de Mona à 20 ans de travaux forcés apparait très nettement comme hors de proportion avec l’acte d’accusation…Le Président, les jurés ont-ils suivi l’opinion publique qui présentait Mona comme une « tortionnaire » de la Gestapo ? Sans doute…Il parait tout de même difficile de douter des témoignages comme celui de Mr. Wagner, avocat général ; comme celui de Mr. Vignon, résistant notoire, actuellement, chef de cabinet au Ministère de l’Agriculture ou comme celui encore de Mr. le Préfet Aucourt…. ».

Dans son numéro du 4 octobre, Le Travailleur, hebdomadaire du PCF, se situe, on s’en doute, sur un tout autre registre : «  Au moment même où les traitres et les lâches sont remis en liberté ou bénéficient de la grâce ou de jugements scandaleux telle que la Mona de Blois et d’autres encore dont il serait bon de rappeler le passé honteux… »(67).


Mona n’en a pas pour autant fini avec la Justice. Un autre procès va lui être intenté.

9 Juillet 1947 : Mona traduite en correctionnelle devant le Tribunal de Blois.


Après son procès à Orléans, Mona été ramenée à la prison de Blois le 19 décembre 1946.

Puis, le 15 janvier 1947, elle transite par la prison d’Orléans pour être transférée le 8 février à la prison de Romorantin.

Mais à la suite d’un incident dont nous reparlerons dans le prochain article, elle est transférée le 24 avril 1947 à la prison pour femmes de Rennes(68).

Elle se trouve donc à Rennes lorsque elle est conduite à Blois le 8 juillet, pour assister à son nouveau procès, le 9.

Une nouvelle fois, le dossier à proprement parler de ce procès ne se trouve pas aux Archives Départementales. Mais les données précédemment collectées éclairent les événements au centre de ce nouveau procès, en particulier les témoignages qui ont dû être sollicités que nous connaissons grâce au procès de Léopold Robin.

Par contre, l’intégralité du jugement a été conservée et contient l’essentiel des informations(69).

La famille Silz à l’initiative de ce procès

 Georges Silz, polytechnicien, était ingénieur. Il avait été officier de l’armée française qu’il avait quittée au moment de l’affaire Dreyfus. Il avait ensuite repris du service en 1914-1918 et nommé chef d’escadron. Il était décoré de la Légion d’honneur.

C’est le propriétaire du château de Vaugelay à Cellettes.

Une des ses filles Aline était assistante sociale et travaillait avec le professeur Minkowski au Foyer de Soulins à Brunoy, institution expérimentale pour enfants atteints de troubles psychiques(70).

Comme juifs, ils sont arrêtés par les Allemands, le 23 septembre 1943, sur dénonciation du couple Calame qui habitait alors Cellettes.

Aline sera exterminée à Auschwitz le 2 novembre 1943.

Georges Silz, interné à Drancy, sera par la suite transféré à l’hospice israélite de la Fondation Rothschild dont on sait qu’il servait de vivier pour compléter les convois de déportation avec des personnes âgées. Il survivra et sera libéré. Mais il lui faudra des mois pour se remettre de cette épreuve(71).

Dès le début de 1945, Georges Chalandré, le résistant de Gracay qui avait arrêté Mona, était entré en contact avec les gardiens du Château de l’Archerie à Cellettes où elle résidait et avec une autre fille Silz mais pas avec les gardiens du château de Vaugelay, soupçonnés par la famille Silz d’avoir été complices de Robin dans les vols opérés.

Georges Chalandré voulait rassembler des preuves pour étayer la culpabilité de Léopold Robin qui habitait à Gracay, comme collaborateur et trafiquant(72).

Mona et ses comparses accusés de vols et recel

Georges Silz et son fils René, co-propriétaire du château, font traduire en justice pour vols et recel :

  • Robin Leopold, entrepreneur de lingerie qui demeure maintenant dans le Loiret,
  • Reimeringer Marie Delphine, sans profession, et toujours domiciliée à son ancienne adresse à Dijon !
  • Calame Roger, sculpteur et Danielle Geneviève, sans profession, domiciliés 42, rue de la Pompe à Paris 16e,
  • Compain Émile, antiquaire demeurant à Blois.

Le cas du couple Calame sera dissocié car ils sont détenus et n’ont pu être transférés à Blois.

Me. Simon est à nouveau l’avocat de Mona.

Georges Silz réclame 600 000 francs de dommages et intérêts ; son fils, 150 000 francs.


Le rappel des faits

A l’encontre de Mona


Dès l’arrestation des Silz, « le château de Vaugelay fut aussitôt mis au pillage par les agents français ( cf. les Calame ) et allemands du Sicherheipolizei de Blois ».

Peu de temps après Mona « s’installa dans le château accompagnée du nommé Robin qui lui servait d’agent d’affaires ».

Elle « se conduisit aussitôt en propriétaire de l’immeuble et disposa à son goût des ressources importantes que la propriété contenait encore ».

Mona « donna des ordres au jardinier Gervais concernant l’administration de la maison ».

Elle « cédait du bois de chauffage, percevait les produits de la ferme et fit transporter un important mobilier à son domicile à Blois ».

En avril 1944, elle décida en accord avec Bauer, « de soustraire la propriété de Vaugelay à l’administration des affaires juives ».

Elle « chargea le nommé Robin de la gérance pour son compte des biens des malheureux Silz ».


A l’encontre de Léopold Robin : 

Léopold Robin tentera de nier sa complicité en reprenant l’argumentation qu’il avait déjà présentée lors de son procès d’épuration : il avait agi de bonne foi et il croyait que Mona était la légitime propriétaire.

La Cour estime que ces dires « sont contre toute vraisemblance » car « il ne pouvait ignorer l’arrestation des consorts Silz, leur déportation en raison de leur confession religieuse et l’existence d’une administration française chargée de gérer les biens des israélites ».

Elle relève que « Robin venait fréquemment au château de Vaugelay, accompagné de sa femme ou de sa maîtresse....qu’il vendait les produits de la ferme...que de nombreux objets mobiliers dont certains avaient une valeur considérable furent découverts à son domicile...il utilisait à son domicile personnels des objets dont un grand tapis ».

Mona rajoutera que Robin avait revendu du mobilier volé pour 39000 francs.


A l’encontre de Émile Compain :

Émile Compain, donc antiquaire à Blois « s’était rendu au moins à deux reprises différentes au château de Vaugelay pour acquérir de Robin du mobilier de valeur et des livres ».

Il avait « fait en particulier un choix dans la bibliothèque du château » et il avait acheté « pour un prix très bas les meilleurs ouvrages ». 

L’antiquaire était en relations depuis longtemps avec les Silz et « il n’ignorait ni leur confession ni leur déportation ».

Aussi, en raison « de son âge ( cf. il a 70ans ) et de sa longue expérience des affaires, il était plus à même que quiconque pour déceler à première vue le caractère frauduleux des ventes opérées par Robin .

Il a pourtant mis en vente les ouvrages vendus par Robin.

A son retour, Georges Silz vit des ouvrages provenant de sa bibliothèque et de celle de son fils en vente dans la boutique de Compain ...mais trois jours après, ils avaient été retirés car la nouvelle de son arrivée à Cellettes s’était vite répandue !


 A l’encontre des trois pour des faits analogues au Château de l’Archerie :

Le château de l’Archerie, propriété de Mr. Fischer et situé à proximité de celui de Vaugelay « avait été presque entièrement pillé en 1940 par les troupes allemandes ».

Il fut à « nouveau réquisitionné en 1944 pour les besoins de la police allemande de Blois ».

Mona « en mai 1944, toujours accompagnée de Robin, déroba deux malles de linge, des tableaux qui furent enlevés par le sieur Blavot époux Reimeringer et qu’une perquisition au domicile de ses parents ( cf. à Vierzon ) amena la découverte de deux de ces tableaux ».

Robin déroba aussi des livres au château de l’Archerie « qu’il revendit à Compain ».

La Cour considère donc « que les délits relevés à l’encontre des trois prévenus apparaissent caractérisés et qu’il échet dans ces conditions d’entrer en condamnation ».


Un réquisitoire sévère

La Cour souligne « que ces soustractions frauduleuses revêtent un caractère particulièrement odieux, en raison des circonstances ».

Mona « sujette française ne pouvait ignorer le caractère délictueux de ses agissements »

Elle « n’hésita pas à dépouiller les malheureux que la police allemande à laquelle elle était affiliée venait d’arrêter » et « qu’elle a des antécédents judiciaires graves ».

La Cour pointe aussi qu’il n’y a la concernant « que de mauvais renseignements ».

Elle requiert « une application sévère de la loi à son encontre »

Robin « a également des antécédents judiciaires qui font ressortir une probité douteuse ».

Il a « vu une occasion facile et dépourvue à l’époque de tout danger de poursuites, de s’enrichir rapidement en profitant des pillages commis par l’ennemi ou ses agents et en pillant également pour son propre compte sous le couvert des autorités allemandes ».

Pour la Cour, Robin est «  un délinquant de droit commun de la catégorie la plus lâche » et elle demande une « application de la loi pénale ferme à son égard ».

Les attendus du jugement sur Compain sont durs.

Ils rappellent que Compain connaissait de longue date les Silz, avec « lesquels il avait eu des relations d’amitié ». Il avait fait « entrer le fils dans une société savante de la Région ».

Ainsi, il n’a pu s’agir en l’espèce « d’une aberration momentanée d’un vieillard passionné de bibliographie ou d’objets d’art ».

Mais qu’il apparaît que Compain « n’a vu dans ces opérations malhonnêtes que de fructueuses affaires où il ne courait aucun risque car il savait que Robin agissait sur protection allemande ».

La Cour estime toutefois qu’il faut prendre en compte « son âge et son passé » et « faire une application moins sévère de la loi qu’à ses co-prévenus ».

 

Mona est condamnée à 5 ans de prison, Robin à 4 ans et Compain à 3 ans.

La Cour estimera que tous les vols et dégradions au château de Vaugelay ne peuvent être imputés aux trois prévenus.

Elle fixera les dommages et intérêts en dessous des sommes réclamées par les Silz : 350 000 francs pour le père et 100 000 francs pour le fils.

Mona fera appel de ce jugement. Il sera maintenu par la Cour d’Appel d’Orleans le 6 février 1948 et confondu avec la durée de sa première condamnation(73).

Le jour même du procès, elle est ramenée à la prison de Rennes.


Nous allons la retrouver, mais cette fois-ci, devant la justice militaire, en tant que témoin à charge.

En cette année 1947, Mona va être à nouveau à la une des médias pour orchestrer la mise en scène de sa vengeance.


Prochain et dernier article : « La vengeance de Mona »
Thérèse Gallo-Villa
Le 24 mai 2021

Sources :

Elles sont mentionnées dans les notes.

La plus grande partie des sources proviennent des séries des Archives Départementales de Loir et Cher : 1375 W, la Seconde Guerre Mondiale ; 1652 W ( les Renseignements généraux ) ; 1693 W, les dossiers de résistants ; 1487 W, les dossiers spéciaux de la Police ; 1585 W, les prisons ; 602 W, les juridictions d’exception ; etc.

Sites Internet : Wikipédia, ceux spécialisés sur la Résistance, la déportation et l’Occupation.

Les travaux de l’auteure publiés sur le site : www.tharva.fr

Les archives de la famille Delthil que je remercie à nouveau pour la communication de documents et de renseignements concernant la carrière d’André Delthil.

Je remercie aussi Gaelle Mercier, Linda Ferin et le Service de Reproduction des ADCL pour leur concours.


Bibliographie :

En plus de la bibliographie indiquée dans les notes et de celle contenue dans le premier article, on peut utilement se référer :

A des ouvrages traitant des français, qui se sont mis au service de la Gestapo. Plusieurs citent Mona, comme :

CHAUVY Gérard et VALODE Philippe, La Gestapo française, Acropole, 2018.

LEFEBVRE-FILLEAU, préface de PERRAULT Gilles, Ces français qui ont collaboré avec le IIIe Reich, Ed. du Rocher, 2017.

RENAUD-GROISON Jean, Complots en France, Ed. Jean Picollec, 1980.

A des ouvrages traitant des sujets de cet article :

ALBERTELLI Sébastien, préface Daniel Cordier, Les services secrets de la France Libre, Ed. Chronos, 2017

BANCAUD Alain, La Haute magistrature sous Vichy, Vingtième Siècle, Revue d’Histoire, 1996.

BARUCH Marc Olivier, Qui sont les Préfets de Vichy ? IHTP, La France dans la Seconde Guerre Mondiale, 2000.

DELTHIL André, Souvenirs d’un magistrat sous l’Occupation, Mémoires de l’Académie d’Agriculture, des Sciences, des Belles Lettres et Arts d’Orléans, 2008, 6e série, Tome 17.

FALIGOT Roger, Guisnel Jean et Fauffer Rémi, Histoire politique des services secrets français, La Découverte, 2013.

GOUEFFON Jean, La Cour de Justice d’Orléans ( 1944-1945 ), Revue d’Histoire de la 2e Guerre Mondiale, 1983, N° 130.

JALADIEU Corinne, La prison politique entre1940 et 1944 : de la double peine aux camps nazis, Criminocorpus, Justice et détention politique, répression politiques en tant de guerre, 2013.

JEAN Jean-Paul (sous la direction ), préface R. Badinter, Juger sous Vichy, juger Vichy, Histoire de la Justice, N°29, 2019.

LACROIX-RUIZ Annie, La non-épuration en France, de 1943 à 1950, Armand Colin, 2019.

PECOUT Christophe, Les chantiers de jeunesse ( 1940-1944 ), Guerres Mondiales et conflits contemporains, N°243, 2009.


Notes

1 Les services de l’armée américaine comportaient 4 secteurs : le CIC, service du contre-espionnage et de la sécurité des troupes américaines ; le Bureau des Affaires Civiles pour les questions en relation avec les populations ; le Service des Réquisitions pour les approvisionnements et l’emploi de la main d’oeuvre ; la Military Police pour la discipline des troupes. Ces services étaient présents à Blois, Romorantin et Vendôme.

2 Fabrizio CALVI, L’OSS, La guerre secrète - les Services spéciaux américains, la Résistance et la Gestapo, 1942-1945, Hachette, 1990.

BCRA : c’est le service de renseignement et d’actions clandestines de la France Libre à Londres.

3 ADLC 1375 W 155 : correspondances des 14 septembre - 12 octobre - 2,11, 21 et 24 novembre 1944 ; 1, 5, 22 mai 1945 ; 11 juin 1945.

4 Référencées et utilisées dans le premier article.

5 Le Patriote, 16-3-1945

6 Abbé Paul Guillaume, La Sologne au temps de l’’héroïsme et de la Trahison, 1950, Orléans.

Les autres citations de l’Abbé Guillaume sont dans le même ouvrage.

7 ADLC 141 J 6 : Lettre de Mona à Robert Mauger du 27 décembre 1945

8 ADLC 1585 W 30

9 Le Patriote, 22-7-1945

10 La Nouvelle République, 11-2-1946

11 Le Patriote, 18-2-1946

12 Le Patriote, 16-3-1946
13 ADLC 1585 W 30

14 Archives de la famille Delthil : exposé des faits du Commissaire de la République.

15 Bernard Lefresne : «1944-1945 : l’épuration en Loir et Cher », site www.histoire-41.fr

16 Cité par Bernard Lefresne.

17 Le MLN, Journal de Blois, 6-9-1945

18 La Sologne Libre, 24-8-1945

19 Le Patriote, 25-2-1946

20 Paul Berthereau, militant syndicaliste et communiste, mort en déportation ; Jouanneau, voir note ; Hubert Jarry dit « Priam », capitaine FTPF, tué au combat le 23-7-1944.

21 Cette partie sur le procès a été rédigée à partir des informations des éditions du 26, 27, 28 et 29 septembre 1946 de la Nouvelle République, de la République du Centre et de la France du Centre ainsi que du livre de l’Abbé Guillaume et de documents des archives de la famille Delthil.

Pour les autres titres du Loir et Cher, notamment les publications de la Résistance, soit leurs numéros de la période ne sont pas archivés comme pour le Patriote, soit ils ne contiennent pas d’indications.

J’ai recoupé, autant que faire ce peut, ces informations avec les documents d’archives existants

sur les personnages dont il est fait état et les données contenues dans le premier article.

22 Jeune juge, né en 1918, il débute sa carrière à Orléans où, sauf une brève affectation à Vendôme, il exerce jusqu’en 1950. Il sera ensuite affecté dans plusieurs juridictions des Hauts de France de 1950 à 1963 ( Vervins, Amiens, Laon ). Il poursuit sa carrière en détachement au Maroc de 1963 à 1967. Puis il revient en France et sera nommé Conseiller à la Cour d’Appel d’Orléans et finira sa carrière, de 1977 à 1982 à la Cour d’Appel de Paris. André Delthil est Chevalier de la Légion d’honneur. Il décède le 11 avril 2016 à Orléans.

Archives de la famille Delthil.

23 Pour les protagonistes de l’affaire Baumann et pour le groupe Fermé de Montrichard, je renvoie à mes articles précédents

24 Les Jouanneau appartenaient au même groupe de résistants de St. Gervais la Foret autour de Paul Berthereau et de Maurice Guillon auteur de « Prisonnier de la Gestapo à Blois, Editions de la Pochatière, 2000 ».

25 Le témoignage de Roger Godin parût sujet à caution car « la police mondaine parisienne donne sur les moeurs du témoin des renseignements sur lesquels il ne faut pas insister ».

26 ADLC 1652 W 21/1756 : déclaration de Mona sur les agents de la Gestapo de Blois.

27 Ce couple d’informateurs de la Gestapo pratiquait l’infiltration de groupes de résistants. C’est eux, entre autres, qui firent tomber le réseau de LibéNord dans le Vendômois. C’est Geneviève Danelle qui avait brûlé à la cigarette Pierre Mussetta pour lui faire avouer où était cachée Yvette Baumann et battu Myriam David dans la même affaire. La Gestapo l’introduisait auprès de détenues en la faisant passer pour infirmière ; elle les droguait et les malmenaient pour les faire avouer comme avec Madeleine Gallichet.

28 ADLC 1652 W 21/1756 : déclaration de Mme. Goujon du 21-12-1944.

29 ADLC 1487 W 4 : déclaration de Madeleine Gallichet du 13-6-1945

30 Témoignage du Commandant Thénard du groupe Vengeance qui rapportera les confidences de M. Van den Brock, son compagnon de cellule, sur les gifles que lui asséna Mona, lui cassant son oeil de verre et le rendant quasiment aveugle ( cité par l’Abbé Guillaume ).

32 ADLC 1693 W 18 : dossier de résistant

33 ADLC 1487 W 4 : Déclaration de Bernard Guilpin du 25-6-1945

34 ADLC 1652 W 21 : propos tenus lors du procès : je n’ai pu préciser leur signification.

35 ADLC 1487 W 4 : déclaration du Dr. René Meusnier du 19-6-1945.

36 SHD : dossier de déportée AC 21 P 481153 . Mme Petithomme née Chevallier a fait partie du transport du 12-6-1944 et gazée le 1-2-1945

37 ADLC 1487 W 1 : Le personnage est ambigu : Bernard Guilpin, membre de l’Action Française, fondateur du Rotary Club à Blois en 1931, fut le principal administrateur des biens juifs « aryanisés » et l’initiateur pour la Préfecture de la recherche des propriétaires juifs à partir de la consonance et orthographe des noms ( voir mon étude sur « La Shoah au quotidien »). Le 18-8-1944, il atteste donc que c’est sa secrétaire, alors menacée d’épuration, qui prit contact avec « une personne de mes relations de Paris, ancien aviateur de l’autre guerre et français cent pour cent qui a provoqué auprès de la Gestapo de Blois une intervention qui a contribué pour beaucoup à ma mise en liberté ».

38 Hélène Germond, chirurgien-dentiste, fait partie du groupe « Vendôme A ». Elle est arrêtée dans l’affaire des aviateurs américains et déportée le 13-5-1944. Son mari décèdera en déportation.

39 Paulette Gatignon, négociante en vins, fait partie du Réseau Adolphe avec son mari du groupe de Noyers-St.Aignan. Elle est arrêtée à Paris et déportée le18-7-1944.

40 Roger Violleau, militant communiste, appartenant au même groupe que Madeleine Gallichet. Affreusement torturé, il est déporté à Buchenwald puis Dora et y décède à une date indéterminée

41 Il s’agit de carrières dont on extrayait du calcaire à la Chaussée St.Victor, lieu où les Allemands fusillèrent des résistants communistes. Une stèle commémore ces héros.

42 Cité par l’Abbé Guillaume.

43 ADLC 1652 W 21/1756 : Dépôt de plainte de Mme. Poussin, belles-soeur de Mme. Foucher à la Gendarmerie suite aux vols commis par la Gestapo lors de leur perquisition du 24 mars 1944. Outre les biens de Mme. Foucher, le coffre contenait des objets précieux que lui avaient confiés des personnes juives.

44 ADLC 1652 W 21/1756 : Déclaration de René Proux du 18-9-1944

45 ADLC 141 J 6 : Papiers de Jean Martin-Dumézil concernant le Loir et Cher sous l’Occupation.

46 ADLC 1375 W 75 Fiche sur l’arrestation de Robert Wagner

47 Archives Nationales : Dictionnaire Biographique des Préfets, rubrique R. Vignon.

48 www.plan-sussex-1944.net  : Biographie de Georges Soulier, le radio caché par R.Vignon

SHD : Dossier Robert Vignon : GR 16 P 594390

49 ADLC 1375 W 74 Fiche sur les arrestations des de Goÿs.

50 ADLC 141 J 6 : A la Libération, le Préfet Keller demandera au Général de Goÿs d’établir un rapport sur les crimes des Allemands en Loir et Cher.

51 Archives Nationales : Dictionnaire Biographique des Préfets, rubrique R. Aucourt.

52 ADLC 1375 W 158 Audition de Mme. Goujon , cuisinière, du 10-1-1945 ; 1497 W 4 : audition de Alphonse Charte, concierge de la Préfecture, du 27-1-1945.

53 Gilbert Rigollet, Le Vendômois sous l’Occupation, Le PUF Vendôme, 1984.

54 ADLC 1375 W 72 : correspondances du Préfet Aucourt sur l’arrestation de Henri Drussy.

55 ADLC 1375 W 60 : dossier sur les forestiers de Chambord.

56 ADLC 1375 W 61 : dossier sur les prisons de Blois.

57 ADLC 2 M 18 Personnel de la Préfecture.

58 Paulette Moock fut victime d’une longue procédure pour déterminer si elle était de race juive ou aryenne : voir mon étude sur « La Shoah au quotidien ».

59 ADLC 1375 W 135 : dossier sur l’épuration des fonctionnaires de la Préfecture. Elle ne semble pas avoir avoir été inquiétée.

60 Ces procès eurent lieu en juillet 1946. Le frère de Mona fut condamné à mort par contumace.

Nous le retrouverons dans le prochain article.

61 Documents publiés sur le site www. foia.cia.gov

62 La Carlingue, nom donné à une bande de criminels de la pègre parisienne ayant activement collaboré avec les Allemands, sous les ordres de Henri Laffont et Pierre Bonny. Cette véritable Gestapo française était installée 93, rue Lauriston dans le 16e.

63 Ces documents sont dans les Papiers de Jean Martin-Dumézil, source déjà citée.

64 ADLC : 141 J 6, Lettre de Me Moreau du 30 mai 1987 à la Nouvelle République, à la suite d’un article dans lequel le journaliste avait comparé Mona à Klaus Barbie.

65 Bernard Lefresne : « Vilaine fripouille », article sur Paul Massicot, www.histoire-41.fr

66 Archives de la famille Delthil.

67 Gallica, Presse locale et régionale, Loir et Cher.

68 ADLC 1585 W 31: Registre d’écrou

69 ADLC 597 W 1 et W 9 : Tribunal de Blois, jugements en correctionnelle.

70 Georges Silz et Eugène Minkowski, Notice nécrologique, Brochure, Blois 1947.

71 Magazine mensuel de la ville de Brunoy, N° 192, juillet/août 2020.

72 AD du Cher 3 W 98/438 Bis : Cour de Justice, Dossier Robin.

73 AD du Loiret 253 W GF/4276-4277 : mention de son appel et du jugement portée sur le registre d’écrou de prison d’Orléans.