Bourré au XVIIIe siècle …


Un accord consensuel entre seigneur et habitants : une sacristie pour un chemin.

En 1743, Claire Vieil, dame de la Terre et Seigneurie de Bonroy (1), « épouse non commune en biens de Jacques Béraud, écuyer gentilhomme servant du Roy, autorisée à la poursuite et direction de ses droits », souhaite supprimer le chemin qui existe « entre les deux maisons seigneuriales, pour y former une cour fermée de murs ».

Ses prédécesseurs avait utilisé ce chemin « à la seule vue de faciliter et abréger l’arrivée de leurs grains et denrées de leurs métairies de Poliveau et de Grange Rouge ». 

Ce chemin était sur sa fin très étroit et conduisait au cul de sac d’une perrière appartenant à la seigneurie mais qui n’était plus exploitée et située sur une pente « si escarpée qu’on ne peut y aller qu’avec peine ».

Mais il y a un problème : « cependant quelques habitants des hameaux et maisons voisines pour abréger leur chemin allant à l’église se sont insensiblement et par la longue absence des seigneurs de Bonroy, attribués l’usage de ce chemin quoi qu’ils en aient respectivement d’autres qui conduisent expressément à l’église et par lesquels ils voiturent les fruits de leurs terre ».

Ce chemin qui « n’avait été fait que pour la commodité des seigneurs de Bonroy » n’a plus, selon elle, d’utilité.

Sa suppression, estime t’elle, ne lèserait personne puisque d’autres chemins existent pour les besoins des habitants.

Pour autant, Claire Vieil ne veut pas d’ennuis avec les habitants.

Aussi, elle « n’a pas cru devoir rien entreprendre sans au préalable en avoir conféré avec les habitants et leur avoir communiqué son dessin et elle n’a trouvé aucun obstacle ».

Ce qui est vrai.

Le 28 avril 1743, l’Assemblée des habitants est convoquée dans l’Eglise « de la manière accoutumée au son de la cloche à la diligence de Gabriel Archambault, syndic des habitants de la dite paroisse ».

Ils sont 52 avec les deux fabriciens de la paroisse. Ce sont les « principaux habitants et en faisant la plus saine partie tant pour eux que pour les autres habitants d’icelle dont ils se font les porteurs fort ».

En fait, ce sont les habitants qui acquittent la taille.

Le curé Jallon est bien sûr présent. Il est doublement concerné.

Et, c’est le notaire Dauvergne de Montrichard qui rédige le compte rendu qui prendra rang dans ses minutes.

Les habitants veulent une sacristie digne de ce nom pour leur Eglise.

A la fin de l’année dernière, la châtelaine a bien embelli l’église.

Elle a fait ériger un « nouveau maître-autel au haut duquel elle a fait poser ses armes »,placer une « nouvelle balustrade pour la table de communion » et séparer « le sanctuaire du choeur, au lieu et place de l’ancien pauvre et dégradé ».

Mais, ces travaux ont conduit à empiéter sur « le peu de terrain qui était derrière l’ancien (maître -autel) et qui servait avec beaucoup d’incommodité de sacristie ».-

Ils souhaitent donc que la châtelaine « donne un terrain convenable à prendre dans l’un de ses jardins joignant la dite église et y faire bâtir à ses frais une sacristie commode pour le service ».

Ils soulignent ( un peu de flatterie ne peut nuire en la circonstance ! ) ses bienfaits antérieurs : le « soulagement des pauvres nécessiteux qui sont nombreux «, la construction de deux chapelles, l’installation d’un dais, une bannière, une chaire et « autres choses ».

Et, ils n’avaient pas manqué d’insister sur le fait que les habitants n’étaient « point en situation tant par leur indigence ordinaire augmentée par le défaut de vente de leur vin de la dernière récolte que par l’impossibilité d’avoir un terrain attenant à l’église pour y bâtir une sacristie ».

L’Assemblée fait siens les arguments de la châtelaine pour la suppression du chemin.

Un dernier obstacle concernant le curé est aussi levé : le curé sera autorisé pour cette année là à utiliser encore le chemin pour acheminer ses dîmes et son vin à sa cave, en attendant que la châtelaine fasse arracher des vignes de la seigneurie pour dégager un chemin direct pour les besoins de la cure.

Le même jour, Claire Vieil et les habitants adressent ensemble leur accord, pour le faire enregistrer, au le Bureau des Trésoriers de France et au Grand Voyer de la Généralité de Tours.

La encore, prudence oblige : « soit pour empêcher le voyer ou ses commis de faire aucun procès-verbal en voyant ce changement » ou « soit pour imposer silence à ceux qui pourraient par mauvaise humeur s’en plaindre par la suite ».

Un accord de ce genre, profitable et au seigneur et aux habitants, valait la peine d’être sorti de l’oubli.

Un tel consensus ne devait pas être très fréquent à l’époque.

Claire Vieil, veuve en 1758, finira ses jours à Blois en 1770.

  1. Claire Vieil avait acheté, en 1736, une partie de la seigneurie de Bonroy, à François-Léon de Dreux Nancré ; puis l’autre partie, en 1739, à Jean de Gentils. Les deux étaient des descendants de la famille de Farineau qui posséda pendant plus de deux siècles cette seigneurie.

Sources :

Archives départementales de Touraine : C 273

Archives départementales de Loir et Cher : 3E5/146

Mes deux articles publiés dans des numéros antérieurs du Petit Bourrichon : sur l’Histoire de la Seigneurie de Bonroy et sur un mariage secret à Bourré au XVIIIe siècle.


Article publié dans le "Petit Bourrichon", année 2020.