Partie III

Théâtre d'ombres

 

Chapitre I

Historiettes cachées,

Sous le tapis de l’histoire officielle…


SOMMAIRE

Introduction.

« Monsieur Mac », les femmes, le jeu…

Mort par overdose.

  •  Le Sergent BOYER compagnon du défunt.
  • La pharmacienne de Selles sur Cher.


Les « petits débits » à soldats.

  •  Une ferme isolée.
  •  « L’American-Bar ».
  •  Le Bar-Cinéma de Selles-sur-Cher
  •  Une chirurgien-dentiste ouvre un salon de thé spécial.

Du coté de chez… SCHWARTZ

 Monsieur Jean Schwartz.

  •   L’espion aux amendes et aux cacahuètes. 
  •   De Kichinev à Gièvres en passant par Boston et Paris. 
  •   Les vicissitudes d’un étranger en France depuis de longues   années. 
  •   Son courrier est épluché. 
  •   Le « dit Marc » et HERSZFELD ne font qu’un. 
  •   Le Préfet saisit Bauer. 

 Monsieur Marius Schwartz. 

  •   Victime d’un maire ignorant les arrêtés municipaux ? 

L’Hermitage :

La ruée vers l’or….du dollar.

  • Les principaux acteurs de cette comédie interlope : 

  • L’initiateur du projet : le lieutenant DESOUCHES Bernard : 

  • Le contexte : prohibition américaine d’un côté, permissivité française organisée de l’autre : 

  • DESOUCHES à la recherche …d’un tenancier : 
  • Le Lieutenant BENEDIC André : 
  • Monsieur MEDEM Léon : 
  • MEDEM et la filière corse : 
  • Le « Bel » Hermitage : 
  • Un sujet suspect…. et une « agente » double… 
  • Madame BELIN, une « agente » double…. 
  • BELIN vide son sac : 
  • Charlotte à André : « gagnons de l’argent, mais loin l’un de l’autre » : 
  • Charlotte une gérante discrète : 
  • Avril, des débuts prometteurs : 
  • Charlotte fait de la prospective : 
  • André, lui, cherche des affaires plus lucratives : 
  • Les affaires marquent le pas : 
  • La fête au camp : 
  • MEDEM a été opéré : 
  • Des affaires étranges se trament :
  • MEDEM est sous le coup d’un arrêté d’expulsion :
  • L’exploitation se poursuit : 
  • Les affaires et les dépenses vont bon train :
  • André au Val de Grâce : 
  • L’Intelligence Section de Tours s’en mêle : 
  • Deux personnages paraissent retarder la sanction prévisible. 
  • « Au planteur de Caïffa » : 
  • Le caricaturiste marchand de vin : 
  • La sanction tombe ! 


André de COPPET, mélomane, mécène et aide de camp.

  • Qui est André de COPPET ? 


Sources .




Remerciements .


Introduction.


Les historiettes publiées ci-dessous sont, à l'exception de la brève biographie d'André de Coppet, tirées de quelques-uns des dossiers de Bauer.

Il était le Commissaire Spécial de Loir et Cher, chargé de la surveillance et de la Sureté Nationale.

J'ai, sous le titre, «Le contre-espionnage et la surveillance en Loir et Cher », évoqué son action et ses démêlés tant avec les officiers américains de « l'Intelligence Section » qu'avec ceux du Bureau Central de Renseignements (BCR) de la 5ème Région Militaire. (tharva.fr  La vallée du Cher et la présence Américaine)

A ce titre il a conduit de nombreuses enquêtes sur divers individus. J’ai tiré ces historiettes.

de ses enquêtes.

Elles couvrent la période de la présence américaine.

Avec les yeux d'aujourd'hui, certaines d’entres elles peuvent sembler loufoques. elles sont pourtant conformes à la réalité du contenu des pièces des dossiers de bauer.

Ces dossiers rassemblent de nombreuses correspondances. Elles on été saisies, ouvertes, lues, transcrites et conservées.

En cela, elles sont un témoignage de tranches de vie, personnelles mais aussi sociales dans la mesure où elles décrivent un environnement social voire familial.

Elles nous retracent l'atmosphère, le climat qui régnaient pendant cette courte période.

Il n'est pas dans mon esprit d'en faire une généralité.

On ne saurait assimiler l'ensemble des Loir et Chériens au comportement de celui des personnages qui traversent les dossiers de Bauer et qui constituent la trame de ces historiettes.

Mais ils ont existé.

Ils illustrent les possibilités que la guerre a offertes à certains et les tracas qu'elle a générés pour d'autres.

Elles sont une partie de l'histoire de notre département.

« Monsieur Mac », les femmes, le jeu…

 Le 20 novembre 1918, le sous-brigadier CHERRIER, du service de Police Judiciaire de Paris, se présente dans le bureau du Commissaire Spécial BAUER à Blois.

Il est porteur d’une commission rogatoire adressée à Monsieur le Juge d’Instruction de Blois par le Capitaine MANGIN-BOCQUET,.

Le Capitaine est rapporteur près le 2e Conseil de Guerre Permanent. Il instruit une affaire de complicité de désertion.

Plusieurs personnes, sept au total, sont à cette date, déjà arrêtées et inculpées de « complicité de désertion ».

L’objet de la commission rogatoire est de vérifier si un certain « monsieur Mac », de la Military Police Américaine, a bien été destinataire d’une lettre de Mr FORTUCCI ou EKLIND, tous deux inculpés, dans laquelle ils réclament à « Monsieur Mac » une somme d’argent importante, sous peine de le dénoncer aux autorités militaires s’il ne s’acquitte pas de sa dette.

« Monsieur Mac » doit être entendu, faut-il encore trouver ce « Monsieur Mac ».


Quels sont les principaux personnages de cette affaire ?

FORTUCCI, tout d’abord.

FORTUCCI Lorenzo est connu de la police parisienne depuis 1915.

Il est surnommé « Henri l’Italien », condamné cinq fois dont quatre pour « infraction à arrêté d’expulsion ». Il est à cette date sous mandat de dépôt.

Il se dit « modèle d’académie plastique ». Il est aussi camelot. Ses ressources proviennent du jeu, de la prostitution et du « vagabondage spécial ».

Sa maîtresse est une certaine BREZEL Madeleine, « pensionnaire du Chabanais », haut lieu de la prostitution parisienne et ancienne « locataire » de la maison close, sise au 18 Degrés Saint Nicolas à Blois.

Maison close bien connue des soldats américains mais aussi des bourgeois en goguette et familièrement surnommée le « Numéro 18 » par les habitués et la police blésoise.

Cette maison est tenue par le couple MUSCHITZ.

Le tenancier MUSCHITZ, n’est pas concerné par cette affaire.

FORTUCCI est son ami d’enfance. Il l’a recruté comme interprète anglais-français pour les clients américains de l’établissement.

Du 9 mars au 4 juin 1918, le « sieur Fortucci» loge et prend ses repas au « numéro18 ».

Il y a une maitresse, la belle soeur du tenancier. Mais cela ne nuit en rien à ses escapades. Il découche souvent et passe ses nuits chez un certain R….Théophile, dit « Théo ».

« Théo » est un rentier qui habite Avenue St-Gervais en Vienne à Blois. Une de ses maîtresses est une certaine SACHSENHAUSS. Elle à vécu six mois avec « Théo ». Pendant cette période, elle héberge, dans sa chambre, un polonais du nom de SIENCKIEWICZ, déserteur de la Légion Polonaise. Tous deux sont sous les verrous.

FORTUCCI et «Monsieur Mac » se connaissent. Ils se côtoient très souvent au « numéro 18 ».

Ils jouent ensemble aux cartes au « Grand Café à Blois ». Ils jouent de l’argent.

Au « numéro 18 » « Monsieur Mac » accepte régulièrement les faveurs offertes gratuitement par les pensionnaires de la maison close.

En échange, « Monsieur Mac » use de son influence pour atténuer les rigueurs des règlements américains à l’encontre des maisons closes, car « Monsieur Mac »… n’est autre que le Lieutenant responsable de la Military Police à Blois !

Les portraits dressés par trois personnes, le tenancier du 18, FORTUCCI et le secrétaire du commissaire municipal de Blois concordent. Il s’agit bien de MAC COLLOUGH, Lieutenant de la Military Police de Blois, puis de Montrichard, puis de St-Aignan….

L’établissement fut consigné aux troupes américaines.

Le tenancier du « numéro 18 » et FORTUCCI, demandèrent un « service » au lieutenant.

MAC COLLOUGH, en remerciement des prestations gratuites des pensionnaires du «18 ».  Il remplaça le soldat de la M.P placé de faction devant la porte de la maison close qui exécutait la consigne avec rigueur, par un autre soldat qui, lui, laissa pénétrer les militaires dans la maison de tolérance.

MAC COLLOUGH jouait. Il perdait. FORTUCCI lui avait prêté de l’argent. Il fit le voyage jusqu’a St-Aignan pour le lui réclamer et obtint un acompte de 

100 fr.

Visiblement, ce n’était pas suffisant. Ce qui explique la relance par lettre.

Le compte rendu de l’enquête ne dit pas ce qu’il advint judiciairement de MAC COLLOUGH.

BAUER dira au Préfet de Loir et Cher : « A Blois, le Lieutenant MAC COLLOUGH a laissé la réputation d’un homme sans moralité, non qualifié pour occuper le poste de la Military Police ».

Il laissa le souvenir d’un « souteneur de haute volée ».

Dans nombre de séries télévisées modernes, les policiers « ripoux » sont quelquefois renvoyés à la circulation.

« Monsieur MAC », après avoir été responsable de la Military Police à Blois, Montrichard et St-Aignan, reçut pour dernière affectation en France, un poste au service du Trafic de la 1ère Armée Américaine.

Un retour à la circulation !

Mort par overdose.

Le 8 mai 1918, le sergent Ernest FONCANNON, décède à Selles-sur-Cher.

Son décès est dû à une « dilatation aiguë de l’estomac ». Il avait « bu négligemment une grande quantité de vin » !

Il avait aussi absorbé une « grande quantité de cocaïne » !.

Si l’on en croit le constat figurant sur l’acte de décès, il est donc mort d’une overdose de vin et de cocaïne.

Dans ces conditions, sa mort justifie l’ouverture d’une enquête conduite par la Prévôté Militaire Américaine.

Les officiers de la MP interrogent les témoins. Ils ne sont pas nombreux : deux personnes seulement.


Le Sergent BOYER compagnon du défunt.

Les deux soldats étaient en permission.

Ils se connaissent depuis leur arrivé au Texas en 1916. Ce sont des amis.

Le Sergent Edward BOYER témoigne.

Ils ont passés une grande partie de la soirée du 7 mai ensemble.

D’abord, au saloon en face de la laverie, où ils ont bu.

La pharmacienne de Selles sur Cher.

La deuxième personne interrogée par la Military Police est la pharmacienne de Selles-sur Cher.
Elle confirme que le Sergent Edward BOYER qu’elle reconnait formellement, est venu dans sa pharmacie, muni de deux prescriptions et qu’elle lui a vendu : 4 grammes de cocaïne et 2 grammes d’héroïne.

Les deux produits ont été placés dans deux petites boîtes, noire et rouge pour la cocaïne, verte et banche pour l’héroïne.

La pharmacienne reconnait formellement les deux petites boites.

Elle admet qu’elles étaient pleines à plus des trois quarts de leur contenance.

Le Sergent FONCANNON a été enterré dans le cimetière de Selles-sur-Cher.

Cocaïne et héroïne sur ordonnance.


Cela peut paraître surprenant, aujourd’hui, qu’en mai 1918, il était possible à un soldat américain d’acheter, sur présentation de deux prescriptions, 4 grammes de cocaïne et 2 grammes d’héroïne dans une pharmacie de Selles-sur-Cher.

Nous ne disposons que de ce compte rendu d’interrogatoire qui se réduit à celui du Sergent BOYER et de la pharmacienne.

Les deux prescriptions y figurent comme pièces à conviction.

Si elles émanaient d’un médecin militaire américain, la vente de la cocaïne et de l’héroïne n’était pas illégale.

En effet, la vente de ces « substances vénéneuses » était régie par la loi du 12 juillet 1916.

En pleine guerre, la France avait aligné sa législation sur les pays anglo-saxons.

Le législateur avait donc complété la loi du 19 juillet 1845, relative à la vente, l’achat et l’emploi des substance vénéneuses.

Il introduit la cocaïne et l’héroïne - « le poison boche » - dans la liste des stupéfiants.

Les décrets d’applications sont plus contraignants quant à la délivrance sur ordonnance de ces produits.

La pharmacienne semble être dans son rôle lorsqu’elle vend ces produits à un soldats qui lui présente une prescription.

La vente de cocaïne et d’héroïne n’était pas interdite sur ordonnance.

L’héroïne fut interdite à l’usage médical en 1962.

Le Sergent FONCANNON n’était pas considéré comme un drogué.

Peut-être avait-il besoin d’un remontant pour suivre les cadences de travail imposées aux soldats dans les camps américains de la Vallée du Cher.

Nombre de médecins considéraient ces produits comme des stimulants.

Mais ce n’est qu’une hypothèse .

En France, avant la guerre, l’usage de l’opium était courant parmi les marins de la Royale.

Les milieux littéraires, artistiques et mondains en usaient. La morphine y était prisée et l’on pouvait facilement se procurer de la cocaïne dans les cabarets parisiens.

A la différence de l’alcool et du vin qui abondent dans les tranchées, la cocaïne ou l’héroïne y sont peu présentes.

Elles sont le fait de soldats issus des classes privilégiées.

On peut affirmer, sans se tromper, que c’était aussi le cas dans la Vallée du Cher.


Les « petits débits » à soldats.

Une ferme isolée.


Le 29 mai 1918, le Commissaire Spécial rend compte au Préfet d’une brève et discrète enquête, qu’il vient de conclure.

Le Sous-Préfet de Romorantin s’était inquiété auprès de lui, à l’occasion de son passage dans la ville, des conditions dans lesquelles un débit était exploité à proximité du camp américain de Pruniers.

Le Commissaire Spécial mène donc son enquête.

Ce débit « est bien » situé à la Berrerie, en bordure de la route et à proximité du camp.

Il est tenu par Madame C…. Jeanne, épouse K….

Jeanne est âgée de 41 ans.

Elle est aidée dans sa tâche par sa mère âgée de 65 ans et sa soeur de 32 ans, Marie L…, célibataire domiciliée à Paris rue des Batignolles.

C’est quasiment une affaire de famille.

Le mari de Jeanne, Mr K… est qualifiée de « littérateur ». Il est employé au Ministère du Commerce et en sursis d’appel.

Ce Mr. K…. est l’ami du Lieutenant DESOUCHES Bernard, interprète de la Mission Française auprès de l’Armée Américaine.

Ie Lieutenant est un officier incontournable dans les relations entre l’armée Américaine et les autorités civiles et militaires françaises dans la Vallée du Cher.

Sur la demande de son mari, Mr K…, le Lieutenant a facilité l’installation de Jeanne à Romorantin où elle a tenu un commerce de maroquinerie, puis ouvert ce débit.

Il est fréquenté par les soldats américains et les ouvriers chinois du camp.

Mme Jeanne K…. est par ailleurs la maîtresse du Major BATES, commandant du camp de Pruniers. C’est encore le Lieutenant DESOUCHES qui lui présente le Major, lequel, selon les rumeurs est sur le départ au moment de l’enquête. Et selon les résultats l’enquête ce serait le Major l’inspirateur de l’activité commerciale de madame Jeanne.

Les « Services de l’Intelligence » américains considèrent que ce Major est de mauvaise moralité. Cet officier supérieur aurait été traduit devant une cour martiale parce qu’il s’était rendu dans une maison de tolérance en état d’ivresse, en compagnie de soldats auxquels il avait emprunté de l’argent.

Une note manuscrite du Commissaire Bauer, précise que selon « les renseignements contenus dans une lettre adressée par Madame Bénédic à son mari, le Major BATES quitterait prochainement Pruniers ». Le Commissaire conduit plusieurs enquêtes de front. Nous retrouverons Madame BENEDIC dans l’affaire de l’Hermitage.

Le Commissaire BAUER est un fonctionnaire rigoureux et scrupuleux, aussi interroge-t'il en présence du Commissaire de Police de Romorantin, le Lieutenant DESOUCHES sur la réalité du débit.

Selon lui, « ce débit, installé dans une petite ferme, a l’aspect d’une maison de prostitution clandestine ».

« L’American-Bar ».


« L’Américan-Bar » était situé à Selles-sur-Cher.

Il est tenu par deux femmes, Jeanne LAFONT, 25 ans, domiciliée au 18, rue Caumartin à Paris et Marthe OLIVIER, 27 ans, domiciliée 86, rue Rochechouart à Paris.

Elles sont venues s’installer à Selles, sur les indications d’un certain Pierre.

Pierre Georges ABEL a été condamné à 6 mois de prison avec sursis pour vol.

Il est l’amant de Jeanne LAFONT, prostituée dite « Georgette la garce ».

Elle a été plusieurs fois raflée avec d’autres prostituées par les agents de la Préfecture de Police de Paris. Elle est signalée comme ne « fréquentant que la pègre et les souteneurs ».

Pierre est mobilisé.

Il est conducteur d’autos, attaché au service du Capitaine Chef de la Mission Française auprès de l’armée américaine à St-Etienne.

Le père de Marthe OLIVIER fut pendant 9 années, le chef du personnel domestique de l’Ambassade d’Autriche à St-Petersbourg.

Le 5 septembre 1918, LAFONT et OLIVIER déclarées personnes indésirables.

furent éloignés de Selles-sur-Cher.

Le Bar-Cinéma de Selles-sur-Cher.

L’établissement est tenu par Mme Veuve B…. domiciliée dans la commune.

Elle emploie deux prostituées qui sont classées « suspectes du point de vue national ».

Marie-Arménie LECHAUQUETTE, dite « Sutherland » âgée de 19 ans, a été condamnée à un an avec sursis de prison pour escroquerie.

L’autre serveuse se fait appeler « Nina de Bray ». En réalité elle s’appelle MUFFAT Marie Alphonsine, âgée de 32 ans ; comme sa collègue de travail, elle est sans domicile fixe.

La tenancière avait initialement fait une demande pour installer un bar près de la gare de St-Aignan. L’autorisation lui avait été accordée. Lorsque la Mission Française auprès de l’armée américaine avait été informée de la présence de « Sutherland » et de « Nina de Bray », elle fit en sorte que l’autorisation lui soit retirée.

Ce fut le cas.  

Une chirurgien-dentiste ouvre un salon de thé spécial.

C’est à Chèmery que cette ouverture eut lieu.

La chirurgien-dentiste est Madame SCHOULL Marcelle âgée de 33 ans, épouse RINALDI.

Elle est en instance de divorce d’avec RINALDI Louis, citoyen italien qui vit à Monaco.

Elle était déjà divorcée d’un sujet allemand MEYER Wilhelm.

Marcelle est dite de « moeurs faciles ».

C’est dans l’exercice de son métier de chirurgien-dentiste qu’elle nouait avec ses clients des liens, des intrigues dont elle tirait ses resources.

Faut-il en conclure que la clientèle des chirurgiens-dentistes, en particulier d’une chirurgienne-dentiste - cas très rare à l’époque pour être souligné - était une

clientèle aisée ?

Du coté de chez… SCHWARTZ

A La Mouée, sur la commune de Gièvres, un certain SCHWARTZ Marius, ouvre un débit de boissons.

A Gièvres, Jean SCHWARTZ, lui, tient un débit de boisson et fait du commerce de ravitaillement avec les soldats américains.

Ils n’ont aucun lien de parenté et ne sont pas les seuls à exercer une activité commerciale.

Avec les chantiers américains, l’arrivée des soldats, les débits de boisson ont poussé

comme les champignons, nous en reparlerons.

Ils n’ont pas de liens de parenté.

Pour des raisons différentes, les deux SCHWARTZ vont faire l’objet d’une étroite surveillance

Mais pour l’un, elle fut plus étroite que pour l’autre.

Monsieur Jean Schwartz.


SCHWARTZ Jean, est un homme épié, observé, très surveillé.

Son histoire est particulière car elle est significative du climat de suspicion qui régnait alors et de l’emballement de la machine à chercher les espions dans tous les coins.

Et ce sont « des amendes et des cacahuètes » qui en sont les causes.


L’espion aux amendes et aux cacahuètes.

Bien souvent dans ce type d’affaire, tout commence avec une lettre anonyme : ce fut le cas cette fois aussi.

Un habitant de Gièvres, mécontent du traitement que les commerçants faisaient subir aux soldats américains, expédie pour les dénoncer et réclamer justice, une lettre courageusement anonyme au Général Commandant de la 5ème Région Militaire.

Elle n’est pas datée. Elle a certainement été expédiée dans les premiers jour du mois de mars 1918.

Le Bureau militaire du service d’espionnage (BCR) se saisit de l’affaire.

Le Général saisit le Préfet, qui saisit le Commissaire Spécial, qui mobilise ses agents à la recherche d’un maximum de renseignements.

Bref, le grand jeu !

Dans cette lettre, l’habitant anonyme dénonçait pêle-mêle les commerçants, les mercantis, les laveuses, censés « voler » les américains et accusait les élus de couvrir par leur silence ces pratiques.

Il livre quelques chiffres et surtout des noms.

Dans les débits de boissons, les commerçants acceptent les consommations que « s’y le verre (sic) », Madame S…. ne rend pas la monnaie « sous prétexte qu’il faut prendre l’argent où il y en a ».

Mr. T… vend la « bouteille de vin mousseux 15 francs ».

Les mercantis s’installent en location ou sous-location à des prix exorbitants.

Mr. J….. prend en location un petit atelier pour un « loyer de 6000 fr. annuel ».

Il y installe un restaurant et « Mr. B….entrepreneur de la presse à fourrage à Gièvres y a payé un repas ordinaire 17 fr. » Ce restaurant refuse les civils, « il n’accepte que les militaires américains pour mieux les voler ».


« Ce restaurant n’a rien demandé à personne. Il s’est baptisé Teddy ».

Dans les locations ou sous locations, le chiffre d’affaires « d’une soirée est de 400 fr », affirme t-il !

Mme D… qui ne vend que du thé et du chocolat réalise un chiffre d’affaire important.

Mme J… de la parfumerie James fait les mêmes prix.

Mme E… est laveuse, « voici les prix de lavage, : combinaison 1.50, mouchoir, 0,25, serviette 0,40, chemise 0,65, chaussettes 0,30. Elle se vante de faire des semaines de 100 fr. ».

Il demande au Général de mettre un terme à ces pratiques injustes.

Et il termine par :

« Doit-on laisser les espions roder autour des chantiers américains ? ».

« un nommé SCHWARTZ y vend amandes et cacaouettes (sic), mais ce doit être un espion sans papiers qui sous couvert de ce commerce doit pratiquer l’espionnage. D’ailleurs, il loge chez une Dame B….de moeurs légères, tenancière d’Hôtel mais sans registre ».

Dans cette dénonciation où le vrai et le faux se mêlent, la rumeur et la rancoeur se côtoient.

Mais, un dénommé « SCHWARTZ qui vend amendes et cacahouètes aux américains »…

Ce n’est pas normal !

il y a anguille sous roche.
Le 11 mars 1918, le Général Commandant la 5e Région adresse la lettre anonyme accompagnée d’une note comminatoire au Préfet de Loir et Cher. : « prière de procéder à une enquête sur les faits relatés sur cette lettre notamment en ce qui concerne le dénommé SCHWARTZ »

 Il demande que les résultats soient adressés au B.C.R. Autrement dit, le Bureau Militaire chargé du Renseignement suit l’affaire.

Ce SCHWARTZ qui vend amendes et cacahuètes aux américains ! Qui est-il ? Que fait-il ? Il est suspect !

Le Préfet saisit le Commissaire Spécial de Loir et Cher BAUER pour enquête.

Et la machine militaro-policière s’emballe.


De Kichinev à Gièvres en passant par Boston et Paris.

SCHWARTZ Jean, n’est pas né dans la commune ni dans les environs.

Il est né le 6 avril 1863 à Kichinev, capitale de la Bessarabie (partie orientale de la Moldavie).

C’est l’actuelle capitale de la Moldavie.


Ce territoire était passé sous le contrôle du Tsar de Russie depuis son annexion en 1812.

Jean est russe, donc sujet d’un pays allié.

Cette ville est restée tristement célèbre, notamment par la violence de deux vagues de pogroms qui s’y déroulèrent, la première les 6 et 7 avril 1903, la seconde les 19 et 20 avril 1905.

A la suite des faibles condamnations qui suivirent ces deux pogroms, de nombreux juifs convaincus qu’ils n’étaient plus en sécurité en Russie, émigrèrent aux Etats-Unis et en Palestine.

Au moment des faits, Jean était alors un jeune émigré, aux Etats-Unis.

A l’âge de 15 ans, il y retrouva, à Boston, son oncle qui exerçait le métier de tailleur.

Il rentra, assez vite en France, avec sa femme, elle aussi russe originaire de Kichinev.

Le 28 septembre 1909, il faisait une déclaration d’étranger à la Préfecture de Police de Paris.

Ses papiers d’identité lui furent retirés et une carte verte d’étranger délivrée, comme c’était la règle à cette époque.

Il travailla dix ans comme coupeur à la Belle Jardinière.

Il quitte la Belle Jardinière pour les Galeries Lafayette. Il n’y reste que quelques jours, abandonne la profession de tailleur pour devenir représentant pour les biscuiteries CEALIS à Paris et SAM à Enghien.

Bien que peu instruit, il parle couramment cinq langues.

A l’occasion de l’une de ses tournée de représentant, il est de passage à Romorantin en janvier 1918, apprend que les Américains s’installent à Gièvres. Il décide, alors, de s’occuper de ravitaillement.

Lorsqu’il s’installe à Gièvres, il conserve son domicile parisien, 3 rue Pierre Lescot.

D’après les éléments de l’enquête conduite par BAUER, les renseignements recueillis sur SCHWARTZ sont favorables, tant à Paris que dans les autres villes.

Dans son rapport, le Commissaire Spécial balaye les allégations contenues dans la lettre anonyme.

Jean loge avec sa femme à l’hôtel de Madame B….., mais elle a aussi pour locataires des officiers américains et tous remplissent le registre.

La maison « Teddy » est louée à raison de 300 fr. mensuels et non 6000 fr annuel.

L’officier de police du camp n’a reçu aucune plainte concernant les prix excessifs pratiqués par les commerçants, de plus selon lui, les soldats américains s’approvisionnent très peu chez les commerçants de Gièvres, etc..,.

Malgré, l’absence d’avis défavorables sur la personne et le comportement de SCHWARTZ, il est placé sous surveillance. 

Il fera l’objet de cinq recommandations, pas moins, du Général Commandant la 5ème Région Militaire.

Ses faits et gestes vont être épiés, contrôlés, son courrier saisi, ouvert et lu avant qu’il lui soit distribué !

Son entourage fut soumis au même traitement.

Les vicissitudes d’un étranger en France depuis de longues années.

Comme tout étranger, Jean SCHWARTZ était soumis à des obligations strictes pour se déplacer.

Il doit demander à la sous-préfecture de Romorantin l’autorisation de se déplacer, obtenir un laissez-passer à la mairie de Gièvres.

Il doit indiquer la durée ainsi que l’adresse de sa résidence, de son séjour, les raisons et les coordonnées des personnes qu’il rencontrera.

il doit également faire viser sa carte verte par le commissariat de police du lieu de son séjour.

Deux fois par mois, notre homme se rend à Paris, chez lui, pour les affaires de son commerce.

A chaque voyage, le même scénario se répète.

Le Sous-Préfet autorise Jean à se déplacer, le maire à lui délivrer le laissez-passer. Il prévient le voyageur que s’il ne fait pas viser sa carte verte, il n’aura plus d’autorisation.

A chacun de ses séjours à Paris, Jean fait viser le récépissé de sa carte verte au commissariat de son domicile.

A l’exception d’un séjour. Celui d’avril 1918.

Le 2 avril, il se rend à Paris pour cinq jours avec les autorisations nécessaires.

Le 28 avril, il est convoqué au poste de gendarmerie de Gièvres.

Les gendarmes CHIPPAULT Joseph et MOREL Jules l’interrogent. Ils veulent savoir pour quelles raisons il n’a pas fait viser le récépissé de la carte verte par le commissariat de police de son quartier.

Jean répond simplement : « Je suis allé à Paris le 2 avril dernier, avec un passeport m’autorisant à faire un voyage dans un délai de 5 jours qui m’avait été délivré par le maire de Gièvres. Arrivé à Paris dans la journée du 2, j’en suis reparti le 4 avril pour rentrer à Gièvres. Je ne suis donc resté que 2 jours et demi à mon domicile 3, rue de Lescot et si j’ai négligé de faire viser mon récépissé de carte verte au commissariat de mon quartier, c’est que je croyais cette formalité inutile pour un aussi court séjour ».

Excédé, estimant qu’il est victime de vexations de la part des autorités, il proteste auprès du Ministre de l’Intérieur.

Le 15 mai, le Ministre interroge le Préfet sur les raisons de cette lettre. Le Préfet qui visiblement a d’autres chats à fouetter ne répond à son ministre que le 8 juin qu’il n’avait fait qu’appliquer les consignes du Ministre !

Son courrier est épluché.

Mais Jean SCHWARTZ est surveillé aussi par les agents du Service de Renseignements Militaires.

Le 13 juillet 1918, le Président de la Commission Militaire du Contrôle Postal de Meaux fait parvenir une note au Général Commandant la 5é Région militaire accompagnée des copies d’un échange de correspondance relative à « l’affaire Jean SCHWARTZ - Marc HERZSFELD ». 

Voilà donc un deuxième personnage qui apparaît dans « l’affaire ».

Un certain HERZSFELD. Il signe ses lettres Marc, il est donc « dit Marc ».

« Mais cette affaire retient spécialement notre attention » affirme le militaire chargé de contrôler le courrier.

Les lettres ont été échangées dans le début du mois de juillet.

Que disent ces lettres ?

Le 5 juillet, Jean SCHWARTZ écrit au « dit Marc ».  « Mon cher Marc, c’est bien le SCHWARTZ du Raincy qui vous a écrit ».

il est de passage à Paris, il lui demande de le rencontrer chez son gendre DENCKBERG.

« J’ai des choses très sérieuse à vous dire dans votre interêt ».

Une précision, Marc est horloger.

Un troisième personnage apparaît, DENCKBERG.

Il est le gendre de Jean.

Marc répond au gendre de SCHWARTZ pour lui dire que la lettre de son beau-père est arrivée après la date du rendez-vous. Il ne pouvait donc pas s’y rendre. Il lui propose la date du 15 juillet, pour le rencontrer.

Signe Marc et donne son adresse.

Ce que Marc, Jean et DENCKBERG ignorent, c’est que leur courrier est ouvert, lu puis retranscrit avant d’être remis dans le circuit postal.

Mais voila ! Le responsable de la transcription s’est trompé d’adresse dans le renvoi du courrier ; « le rendez-vous du 5 juillet a été forcement manqué », avouera le Président de la Commission du Contrôle Militaire Postal au Général en lui promettant que cela ne se reproduirait plus !

Marc, écrit également à Jean pour lui proposer la date du 15, mais surtout pour lui poser des questions sur l’activité que Jean lui propose d’engager à Gièvres.

« Expliquez-moi de quoi il s’agit ? » « Vous pensez que j’aurai beaucoup de travail ? » « quelle vente ? des montres pour soldats » « je peux avoir combien ? » « si c’est 15-20 fr. par jour, le jeu n’en vaut pas la chandelle ».

« A Gièvres, il y a 1300 habitants donc pas beaucoup à espérer des habitants comme montres et pendules, et comment savoir d’avance si peux gagner ma vie bien plus qu’à Paris ou qu’à Claye »

Le 15 juillet 1918, Jean répond à Marc. il lui explique qu’il fait de bonnes affaires avec les américains, qu’il parle bien l’anglais et qu’il est possible de vendre toutes sortes de montres neuves et d’occasions, en particulier des montres bracelets plastique, qu’il pourra vendre des bagues, qu’il pourra éventuellement s’occuper de réparer les appareils photographiques Kodac.

Il signe lui aussi de son prénom : S. Jean. Gièvres.


Le « dit Marc » et HERSZFELD ne font qu’un.


Le 11 juillet 1918, Le Général de l’Espée adresse une lettre au Préfet pour lui signaler ce fait capital : « le dit Marc » s’appelle en réalité Marc HERSZFELD !!! .

Il suffisait de lire la lettre pour constater que le « dit Marc » et HERSZFELD ne font qu’un puisque c’est son prénom.

C’est un russe né à Odessa.

Pour les habitants de Claye-Souilly (où il demeure ) « Son attitude semble suspecte », ils « l’accusent de monter dans le clocher pour faire des signaux » !

La rumeur, toujours la rumeur…..

Et, signe incontestable d’une activité louche et inquiétante, SCHWARTZ se fait, comme HERSZFELD, adresser la correspondance sous son seul prénom.

C’est la pratique courante de russe à russe, entre immigrés, de s’interpeller par leur prénom !

De plus, ils se connaissent soit directement, soit par oui dire.

Ce qui a dû renforcer la suspicion des fins limiers du BCR de la 5é Région, c’est que Marc demande à Jean de lui préciser de quel SCHWARTZ il s’agit.

Le patronyme SCHWARTZ est effectivement très répandu.

Il en connait plusieurs, au moins deux-joueurs d’échecs tous deux- l’un est tailleur, l’autre professeur de musique.

Il a entendu parler du « SCHWARTZ du Raincy ». Il le lui dit dans sa lettre.

Il explique à Jean qu’il envisage de s’installer à Paris dans une petite boutique. « Je gagne ma vie mais ce n’est pas le rêve ; et puis je m’embête à 22 sous l’heure ».

Il fait un post scriptum : « Vous avez écrit Claye d’une façon fort bizarre, faites bien attention à l’orthographe : Claye-Souilly ».

C’était peut être là, dans cette dernier phrase que se trouve le message codé !!!


Le Préfet saisit Bauer.


Nous connaissons enfin tous les protagonistes de « l’affaire ».

Le 29 septembre 1918, Maurice DENCKBERG rend visite, accompagné de sa femme, à son beau-père à Gièvres.

Né à Galatz ( en Roumanie ) en 1884, il vit à Paris depuis 1901. Il habite avec sa femme Lisa SCHWARTZ chez ses beaux-parents, rue Lescot à Paris.

Il a exercé son métier de tailleur dans un grand magasin de New-York, Wanamaker’s, à Broadway, d’avril 1916 à Octobre 1917.

Le couple est à Gièvres, parce qu’il envisage d’aider Jean dans son activité commerciale.

Jean avait demandé à son gendre de contacter Marc, horloger de son état, pour lui proposer d’ouvrir une boutique d’horlogerie à proximité du camp américain.

Entre russes émigrés, la solidarité est forte, les pratiques sociales du pays perdurent.

Tous les protagonistes de « l’affaire » sont réunis dans un même dossier.

Mais au fait, de quelle affaire s’agit-il ?

Tous l’ignorent.


A moins que les « amendes et les cacahuètes » en sachent plus qu’elles ne le disent !


Monsieur Marius Schwartz.


Il a installé à La Mouée, commune de Gièvres, à proximité du camp, un bar uniquement fréquenté par des soldats américains.

Il est parisien de naissance. Né le 11 janvier 1877 de parents d’origine hongroise mais naturalisés français depuis une quarantaine d’années. Il est bijoutier de profession, domicilié habituellement à Buenos-Aires.

En août 1918, il habite Paris, 5 rue Saint-Senoch. Il est marié, depuis 1906, à Caroline CATS.

Sa situation militaire est en règle.

Sa femme Caroline CATS, hollandaise, née à Bruxelles, exploite avec une cousine une maison de couture et de lingerie, la maison Clarice, située 420 rue St. Honoré à Paris.

Son père expert en bijoux, sa mère et ses deux soeurs habitent 28, rue Baudin à Paris. En août 1918, ils « villégiaturent à Aix les Bains ».

Le frère de Marius, Léon est directeur de la « Maison Pathé » à Batavia (Java).

Sa femme après avoir séjourné à Lyon avec sa nièce de nationalité hollandaise, rentre à Romorantin le 11 juillet 1918.

SCHWARTZ Marius a un dossier aux Archives de la Police Judiciaire de Paris. Le 22 avril 1909, il vole à un bijoutier une bague d’une valeur de 2000 fr. pour la revendre.

Il n’a pas été arrêté car il a pris la fuite.

Pour tenir son débit de boissons, Marius a engagé une serveuse, Louise POUYOLON, née à Paris.

Agée de 33 ans, elle se livre à la prostitution depuis l’âge de 15 ans,

Elle était dans une maison close à Marseille.

Le 16 juillet 1918, elle se rend à Romorantin pour devenir pensionnaire au 42, rue des Limousins. L’établissement est consigné aux troupes américaines, elle est donc en chômage technique et accepte l’emploi de serveuse proposé par Marius.

Elle semble être revenue à Paris pour y retrouver son amant, un italien ouvrier d’usine victime d’un accident du travail.

Compte tenu de ses antécédents et de la composition de sa famille, le sieur SCHWARTZ Marius est placé sous surveillance par le Commissaire Spécial Bauer.



Victime d’un maire ignorant les arrêtés municipaux ?


En mai 1918, Marius loue une parcelle de terrain à Monsieur GOURDET, maire de Pruniers.

Il a l’intention d’installer son bar sur ce terrain.

Le bail est enregistré.

Le 2 juin, il remet au Maire une demande d’ouverture du débit de boisson.

La demande est clairement rédigée et ne laisse place à aucune équivoque. Il demande « une licence de boisson sur table restaurant ».

Selon Marius, le maire était dans l’obligation conformément à la loi, de transmettre au procureur sa demande dans les trois jours.

En fait, le maire garde la demande dans le tiroir de son bureau jusqu’au 25 juin.

Marius a commencé les travaux d’installation de son débit.

Il reçoit une lettre du maire l’informant qu’il ne pouvait ouvrir ce débit de boisson sur cette parcelle, en vertu d’un arrêté municipal de 1907, interdisant « de monter un débit de boisson sur un terrain mitoyen de l’école de filles ».

Le maire prétend ignorer l’existence de cet arrêté municipal !

Marius doit interrompre les travaux.

Le 12 septembre, Marius écrit au Préfet de Loir et Cher, après avoir fait une démarche identique, sans succès, auprès du Sous-Préfet de Romorantin. Il lui demande l’autorisation de poursuivre civilement le maire de la commune.

Marius est furieux car il a le sentiment de s’être fait rouler dans la farine par le propriétaire de la parcelle, par ailleurs maire de la commune, qui lui avait demandé un loyer de 1200 fr. payé d’avance !

Ce courrier est la dernière pièce figurant au dossier.

On peut imaginer qu’elle met un point final à l’affaire SCHWARTZ Marius.

La surveillance fut-elle arrêtée ?

Le débit fut-il ouvert ?

Le maire ignorait-il vraiment l’existence de cet arrêté ?

Autant de questions sans réponses.

Nous ne connaîtrons pas le dénouement de l’affaire.

Dans une période aussi brouillée tout était possible…


L’Hermitage :

La ruée vers l’or….du dollar.


Mars 1918, deux compères louent à Mr et Mme BEZARD, un immeuble cossu, rue Tour à Romorantin.

Dans cet immeuble, ils ouvrent un hôtel restaurant luxueux, à l’enseigne « L’Hermitage ».

Il est réservé aux officiers français et américains, particulièrement, aux officiers américains.

Le loyer mensuel -1500 fr.- et le montant élevé des travaux de rénovation -30 000 fr.- attirent l’attention du Commissaire de Police de Romorantin mais aussi des agents du BCR de la 5ème Région Militaire.

Du côté américain, l’Intelligence Section de Tours et le service de l’Intelligence de l’Etat- Major de Pruniers s’intéressent de très près à la personnalité du gérant.

En ce début 1918, les affaires d’intelligence avec l’ennemi défrayent la chronique journalistique.

L’affaire BOLO-PACHA occupe le devant de la scène. Une autre, plus discrète mais en lien avec BOLO, met en scène trois personnages, Pierre LENOIR, Guillaume DESOUCHES et Charles HUMBERT.

BOLO et LENOIR seront condamnés à mort et fusillés : BOLO, le 17 avril 1918, Pierre LENOIR, le 24 octobre 1919, tous deux au Fort de Vincennes.

Dans une Sologne bouleversée par la présence massive des hommes venus d’Amérique, une nuée d’affairistes de tous poils se rue sur le dollar-or.

Des marigots se forment en quelques lieux d’où se propage l’espionnite aigüe.

L’hôtel de l’Hermitage est un de ces lieux.


Les principaux acteurs de cette comédie interlope :


Les acteurs de cette comédie sont nombreux.

Ils sont trois à s’être associés pour financer location et travaux. Le duo principal est constitué du lieutenant BENEDIC André, officier de l’armée française et d’un certain MEDEM Léon, sujet persan.

Le troisième actionnaire sera identifié plus tard. Il s’agit de Mr. HAMOND (orthographié quelquefois HAMMOND), présenté comme le fabricant de la bicyclette « la Française » (bicyclette sur laquelle en 1903, Maurice GARIN remporta le premier Tour de France).

La femme de BENEDIC, Charlotte, jouera un rôle important dans la gestion de l’Hermitage.

D’autres personnages gravitent, dans et autour, de cet hôtel-restaurant.

Mme BELIN qui espionne à qui mieux-mieux.

NERCESSENS, plus ou moins financier, plus ou moins écarté, car en relation avec Charles HUMBERT du trio LENOIR - DESOUCHES - HUMBERT.

Y séjournent aussi, AMIAUX Albert caricaturiste, SAUJEAU Gaston, Inspecteur Général de la maison « au planteur de Caîffa ». 

Ces deux là apparaîtront plus tard dans l’histoire de l’Hermitage.


L’initiateur du projet : le lieutenant DESOUCHES Bernard :


Le contexte : prohibition américaine d’un côté, permissivité française organisée de l’autre :


Le commandement américain interdit strictement la vente des alcools forts aux soldat et officiers. Le Général Pershing, dans un ordre militaire d’une grande fermeté patriotique exige l’abstinence sexuelle de ses soldats pour éviter la prolifération des maladies vénériennes. Il refuse le principe des maisons closes qu’il considère comme étant le principal agent propagateur de ces maladies. Ces principes rigoristes sont accompagnés par la fermeté des sanctions : toutes les infractions constatées seront punies du Conseil de Guerre.

A l’opposé, l’armée française, elle, préconise l’organisation et la tenue de « bordels ». Elle estime que leur contrôle médical est un outil efficace de lutte contre les maladies sexuelles transmissibles. Les Ministre de la Guerre allant jusqu’à préconiser l’installation de maisons closes proches des camps américains et notamment à Pruniers. (Voir article sur la péril vénérien sur ce site).

D’un côté donc la prohibition, de l’autre le libéralisme organisé et contrôlé des moeurs.  


DESOUCHES à la recherche …d’un tenancier :

Encore lui !

Le Lieutenant DESOUCHES est officier interprète de l’armée française affecté a la Mission Française auprès de l’armée américaine dans le département de Loir et Cher.

On l’a déjà croisé à propos de l’installation d’un petit débit dans la forêt proche du camp américain, (voir ci-dessus « Un petit débit dans la forêt »).

On le rencontrera par la suite, à des niveaux stratégiques dans les relations entre les autorités civiles et militaires françaises et le C.E.A.

Signalons qu’il est le cousin germain de Guillaume DESOUCHES, co-inculpé d’intelligence avec l’ennemi dans l’affaire LENOIR - DESOUCHES - HUMBERT.

Ce lien de parenté, indiqué par BAUER, le Commissaire Spécial, alourdira le climat de suspicion qui pèse sur l’Hermitage.

Le Lieutenant, en bon soldat, met en oeuvre les ordres de son ministre.

Il entreprend des démarches pour faire ouvrir une maison close pour les officiers américains à Romorantin.

Il rencontre Mr. DURAND, tenancier d’une maison à Romorantin, ami du maire de la ville.

Il lui recommande d’agrandir son local et de recruter des pensionnaires.

il estime toutefois que cette maison n’aura pas le « standing » nécessaire pour des officiers.

Il va donc à Paris pour y rencontrer un certain BORDAS qui affirme pouvoir « installer des pensionnaires de choix » dans un immeuble que le Lieutenant se propose de faire réquisitionner par l’armée.

Le maire de Romorantin refuse de délivrer l’autorisation indispensable pour l’ouverture d’ une nouvelle maison. Il ne veut pas qu’un établissement supplémentaire fasse concurrence à celui que tient son ami DURAND.

A cette époque, la maison close est un établissement commercial patenté dont le tenancier est considéré comme un honorable commerçant qui verse son obole, prélevée sur ses recettes, à la caisse communale de bienfaisance.

BORDAS installera une maison close à Pruniers en face des bureaux de DESOUCHES !DESOUCHES va donc contourner le problème pour Romorantin.

il contacte son ami BENEDIC et l’incite à ouvrir l’hôtel-restaurant de l’Hermitage.

Ce dernier sollicite MEDEM. On ignore comment Mr. HAMOND se retrouve avec eux.

Les trois associés apporteront 10 000 fr. chacun dans l’affaire, soit 30 000 fr..

Et c’est ainsi qu’ils « ouvrent » l’Hermitage.

Le Lieutenant BENEDIC André :

Il est sous- lieutenant dans l’armée française. Il a commencé sa carrière en bas de l’échelle comme soldat au service automobile de la Croix-Nivert.

Il y « laissa de mauvais souvenirs » selon BAUER qui obtint cette information de la maîtresse d’un officier !

Il s’est fait affecté à la disposition du Colonel MITCHELL, chef de la Mission Américaine en France.

Doit-il sa carrière à ses mérites ou au Commandant BENEDIC son frère supposé, capitaine chef de cabinet de LYAUTEY au Maroc, puis commandant à l’Etat-Major du Général.

BAUER évoque cette parenté au conditionnel.

Toujours est-il qu’il supervisa l’installation des bureaux du Colonel MITCHELL, 2 rue St Thomas d’Aquin à Paris, puis ceux des services de l’aviation américaine, 45 avenue Montaigne.

« Il s’occupait de l’achat de matériel de bureau et de fournitures de toutes sortes ».

L’officier payeur américain trouva les facture élevées.

Le Lieutenant BENEDIC, âgé de 47 ans, est marié à Charlotte. Ils sont domiciliés 12, square Delambre à Paris.

La correspondance qu’il échange avec sa femme légitime confirme que le Lieutenant BENEDIC est un noceur.

Il menait grand train de vie et jouait. Il était très entouré de « demoiselles ».

Il recevait des « mondaines » dans son bureau, avenue Montaigne et entretenait une relation suivie avec une certaine Eliane, artiste du théâtre Michel.  

MEDEM et BENEDIC se connaissent. Les deux compères s’étaient rencontrés lorsque MEDEM était représentant de l’entreprise « Underwood and Underwood » ; BENEDIC lui, travaillait pour les publications Laffitte.

En compagnie de MEDEM, qui logeait au Grand Hôtel à Paris, ils fréquentaient le Maxim’s, le Fouquet’s et le Ciro’s.

Le 15 mars, le Lieutenant BENEDIC est affecté au Service des Fabrications de l’Aviation (SFA) à Nanterre.


Monsieur MEDEM Léon :

1m72, cheveux et sourcils châtain, complètement rasé, binocles, visage rond, traces de petite variole, forte corpulence, teint mat…il porte complet gris foncé et chapeau mou.

Né en 1884, le 30 octobre à Ourmia, (orthographiée Ourmeiah dans tous les rapports).

Située en Perse au moment des faits, en Iran aujourd’hui, c’est la capitale de l’Azerbaïdjan occidental actuel.  

Lui, se dit arménien de nationalité persane.

A l’âge de 22 ans, il s’installe au Etats-Unis, vit et travaille à New-York, pour la société américaine « Underwood and Underwood ».

C’est une importante société fondée par les frères Underwood.

Elle était spécialisée dans la photographie, notamment dans la production d’images stéréoscopiques.

MEDEM y était représentant.

Il a deux domiciles à Paris, l’un 59, Bd Montparnasse, l’autre 2, rue Scribe.


MEDEM et la filière corse :

Le 4 décembre 1917, sous le timbre du Consul Général de France à New-York, un certain MORACCHINI s’adresse au Sénateur de la Corse, Mr GABRIELLI.

ll lui présente Mr. MEDEM comme étant l’associé de Mr. VECCHINI, dans la société VECCHINI et MEDEM et Cie de New-York.

A ce titre, MEDEM se rend en France pour rencontrer le Ministre des Transports afin d’obtenir l’autorisation d’importer depuis les Etats-Unis une importante quantité d’acier commandé par « une maison travaillant pour le compte du gouvernement ». On ignore laquelle 

Le transport des troupes américaine en Europe complexifie le transport maritime.

Il lui faut donc une entrée efficace auprès des services du Ministère des Transports afin d’obtenir les autorisations nécessaires pour l’embarquement de sa marchandise.

C’est l’objectif de la lettre de MORACCHINI qui demande au sénateur de recevoir MEDEM, de le conseiller et de l’introduire.  

Bien entendu, il s’agit d’une intervention officieuse. Il n’est pas de la compétence du Consul Général d’intervenir dans les affaires économiques.

Néanmoins, la recommandation amicale sera efficace.

Il débarque à Bordeaux, le 16 décembre 1917, en possession d’un passeport délivré par la Légation de Perse aux Etats-Unis en date du 23 novembre et validé par le Consulat Général de France à New-York.

Il s’installe au Grand Hôtel à Paris.

C’est là, au restaurant de l’hôtel que sur son invitation, il rencontrera Mr. Joseph SANGUINETTI du Ministère des Affaires Etrangères.

Le lendemain, SANGUINETTI s’adresse à MEDEM : « Cher Ami, je suis encore un peu ce matin sous la douce influence de ma reprise de contact avec le whisky », il joint « un mot » pour un certain « PENCIOLELLI, secrétaire adjoint au cabinet de Clemenceau, pour Monsieur MARIN ,Ie secrétaire de Mr. LEANDRY ».

Quels sont ces personnages ? Quel rôle jouent-ils dans l’appareil gouvernemental ? Difficile de le dire.

Une certitude cependant : après une soirée arrosée, MEDEM, avait obtenu, par le canal de ce que l’on pourrait appeler la « filière corse », un billet d’entrée.

Fut-il utile ? Rien ne permet de le dire !

L’acier fut-il embarqué à destination de la France ? Nous n’en savons rien !

A Paris, il a certainement renoué avec BENEDIC.

Le « Bel » Hermitage :


Le tenancier de cet Hôtel-Restaurant cossu, c’est MEDEM !

Il arrive à Romorantin fin février 1918, accompagné de Madame BELIN.

L’établissement ouvre à la clientèle au début du mois Mars 1918.

Trois employés assurent la tenue de l’établissement.

Un maître d’hôtel, Mr. SMOLDERS Alphonse d’origine belge, âgé de 46 ans, domicilié à Paris, et deux domestiques, Madeleine LALLEMAND, 32 ans, rapatriée de Tourcoing en 1915 et Mme DEROG, rapatriée de Lambersart (Nord) en 1917.

Madame BELIN en est la gérante officielle.

Madame BENEDIC Charlotte et ses deux enfants y séjournent.

Les parents de BENEDIC s’installent à Romorantin, Faubourg d’Orléans.

Toute la famille est donc réunie.

Immédiatement, cet hôtel-restaurant de luxe attire les soupçons de tous les services d’espionnage, de contre-espionnage, du BCR français en passant par l’Intelligence Section de Tours et de Pruniers, du Commissaire de police, du Commissaire spécial.

Autant de services qui se repassent les agents doubles.

Bref, l’Hermitage devient un nid d’espions ou de supposés espions qui s’espionnent mutuellement sur fond de querelles familiales entre madame et monsieur BENEDIC, en quête d’argent.

Un sujet suspect…. et une « agente » double…

Dès l’ouverture, MEDEM est considéré comme un suspect par le Major BATES, commandant du camp d’aviation de Pruniers.

C’est Madame BELIN qui affirme, sous le sceau de la confidence, que MEDEM est suspect aux yeux du Major BATES, car dans les discussions avec les officiers américains il s’intéresse à leurs mouvements…

Le Major BATES n’a pas bonne réputation auprès de l’Intelligence Section de Tours qui le surveille.

Il est d’ailleurs sur le départ pour un autre commandement.


Madame BELIN, une « agente » double….

Madame BELIN met en application l’adage bien connu « on n’est jamais aussi bien servi que par soit même ».

Après son licenciement par MEDEM, elle se présente au commandant WARD, Chef de l’Intelligence Section de Paris. Elle lui offre ses services dans une lettre en date du 22 mai. Elle connaît le « Chief CLERK » de la Mission Française du 45 rue Montaigne et s’en recommande : « J’ai assuré pendant 10 mois à la Mission Française - S/Lieutenant BENEDIC, un service délicat en raison même du chef qui me commandait ». En fait, elle était sa secrétaire-dactylographe.

Elle a été, du moins l’affirme-t-elle, la toute première secrétaire entrée au service de l’Aviation en France en avril 1917. « Je connais la plupart de tous les officiers supérieurs ».

Le 1er mars, elle est employée à l’Hermitage.

MEDEM et BENEDIC l’avaient recruté pour assurer la gérance de l’hôtel.

Elle a abandonné ses fonctions militaires, pour devenir la gérante de l’hôtel, avec des appointements mensuels de 500 fr., nourrie et logée.

Elle est la femme du Capitaine BELIN du 285e Territorial d’Infanterie, détaché au Camp Retranché de Paris.

Elle est installée avec sa fille à l’Hermitage.

Dès son arrivée à Romorantin, « j’ai offert mes services à l’Etat-Major américain de Pruniers. Le Ct-Major BATES m’a mise à la disposition du Disbursing Officer pour lequel je fais les traductions de factures et apporte les chèques à domicile dans la ville. Ce travail couvre, d’autre part et très aisément un service spécial de renseignement « Intelligence » du CG. Ceci est tout à fait secret et c’est pour assurer ces fonctions là que j’ai gardé ma pension à l’Hermitage où viennent souvent les officiers intéressants de la région. Le camp américain prend des proportions plus considérables chaque jour et il est certain que ces opérations doivent intéresser vivement ceux qui travaillent pour l’ennemi ».

Le Major BATES l’avait recruté avec des appointements de 450 fr mensuels.

Sa mission, espionner MEDEM, et surtout pénétrer dans sa chambre pour consulter les papiers personnels qu’il y conservait !

MEDEM était-il informé des activités parallèles de BELIN ? Peut-être.

Il a le contact facile avec les officiers et parle l’anglais couramment.

Il ne lui accorde aucune confiance.

Lorsque le Major BATES est muté, madame BELIN est licenciée.

Par lettre, MEDEM lui signifie son congé fin mars.

Sa gérance fut brève.

Licenciée certes mais elle reste à l’hôtel.


BELIN vide son sac :

Le 30 mars, Madame BELIN demande une rencontre au Commissaire de Police de Romorantin.

Elle lui livre toutes les informations que la discrétion de ses missions exigeait qu’elle les conserve pour elle.

Elle confirme que Mr MEDEM lui a signifié son congé pour la fin du mois de mars,

qu’il est un des trois associés qui envisagent de créer des établissements identiques partout où il y a des camps américains, que BENEDIC a commis des indélicatesses sérieuses, qu’il avait fait d’énormes achats pour les américains, qu’il aurait des maîtresses et des moeurs déplorables, qu’il a mis beaucoup d’argent dans l’Hermitage et qu’elle se demande où il a eu cet argent, etc…

Rien de nouveau sur les personnages.

Elle déverse beaucoup de rancoeur et de fiel.

Dans cet imbroglio de racontars, un autre personnage apparaît : une américaine du nom de THOMPSON, « venue aider les français » dont les « allées et venues paraissent anormales ». Elle fréquente la marquise d’Epernay, une figure romorantinaise de la bienfaisance et aussi le restaurant MEDEM. Pour le Commissaire de Police, elle est à surveiller donc !

Des dires de la dame BELIN, le Commissaire de Police en tire des conclusions définitives : « dès maintenant, sans avoir la persécution des espions, il apparaît très utile d’exercer une surveillance discrète sur MEDEM, qui d’ailleurs étant arménien, protégé spécial, doit être surveillé ».

Il le fut de toute part !

Tout ce beau monde, américains compris, est placé sous la surveillance discrète et efficace du Commissaire Spécial BAUER. Il informe régulièrement le Préfet et la Direction Générale de la Sureté Nationale.

Il agit également pour le compte du BCR de la 5é Région militaire.

Quant au Commissaire de Police de Romorantin il « suit l’affaire de près ». Le Préfet lui conseillera d’être discret et si possible de s’occuper d’autre chose.


Charlotte à André : « gagnons de l’argent, mais loin l’un de l’autre » :

Charlotte BENEDIC est à Romorantin avec ses enfants, André son mari à Paris.

Ils correspondent souvent.

Leurs lettres sont interceptées pour être lues, ensuite elles sont remises dans le circuit de distribution.

De ce fait, il arrive à André de recevoir le même jour, quatre lettres de sa femmes expédiées à des dates différentes et inversement. Ces faits ne semblent pas attirer leur attention.

La correspondance de Charlotte décrit l’ambiance qui règne dans l’hôtel-restaurant de l’Hermitage. Elle évoque la marche des affaires, ses difficultés et sa soif d’indépendance à l’égard de son mari.


Charlotte une gérante discrète :

Le 9 avril, André demande à sa femme de rester à Romorantin, plusieurs mois s’il le faut, pour seconder MEDEM.

Le couple a engagé beaucoup d’argent. Il faut donc réunir toutes les conditions pour faire prospérer leur capital.

Elle doit rester à l’Hermitage car « MEDEM ne peut pas diriger seul ».

Elle va donc s’y installer.

Elle remplace la gérante licenciée, Madame BELIN.

Cette dernière a d’ailleurs été remplacée quant à la collecte pour les américains, des informations concernant MEDEM, par madame THOMPSON, signalée par le commissaire de police comme suspecte.


Avril, des débuts prometteurs :

Les travaux d’aménagements ne sont pas terminés.

Le nombre de clients augmente.

Les débuts sont prometteurs, « Nous gagnerons sûrement beaucoup d’argent ». écrit Charlotte à son mari.

Le 14 avril, la recette s’élève à 650 fr, « il y avait un monde fou et bien entendu les américains étaient saouls ».

Elle demande à son mari de lui envoyer des cigares. « Ils sont très vendus et il nous en faudrait en quantité, du whisky aussi.... ».

« As tu pensé à donner quelque chose à DESOUCHES ? ».

Lui donner quoi et pourquoi ? Une gratification en reconnaissance de son aide ?

Les affaires prennent du volume et la vie s’organise à l’Hermitage , « au sujet de l’affaire ça marchera. Ce premier mois, nous ferons seulement nos frais, au pire, et peut- être gagnerons un peu », espère Charlotte.

« Nous avons un capitaine charmant américain qui a pris la grande chambre et qui nous apporte sucre et jambons. Nous n’avons absolument que le dessus du panier, les hommes les plus chics. Quand leur nombre augmentera, on gagnera beaucoup.... »

Avec le développement des affaires, les problèmes de personnels surgissent : « Nous avons eu beaucoup de mal avec les domestiques. Pour la salle, nous avons deux femmes que nous ne payons pas car elles se feront 200 francs et plus de pourboires par mois ».

Madame BELIN a été remerciée donc MEDEM lui présente la note du séjour de sa fille : 198 fr. mais Madame BELIN refuse de payer et elle invoque un accord avec BENEDIC qui l’avait autorisé à résider avec sa fille à l’hôtel.

Charlotte reproche à André sa largesse, « Vraiment en un an tu aurais dû la connaître et ne pas nous imposer ce boulet »…« Tout a mal débuté et il y a eu au moins 2000 fr. d’engloutis ».

Toutefois, « Nous avons fait les comptes aujourd’hui et nous n’avons pas mangé d’argent, ce qui est le principal ».

Bien que licenciée Mme. BELIN conserve sa chambre, « on lui a fait des conditions très petites mais elle donne tout son linge à laver, etc...Comme il faut la ménager, on est obligé d’en passer par là ».


Charlotte fait de la prospective :

Bien que l’« affaire marche de mieux en mieux », Charlotte reste prudente : « ne crois pas qu’on puisse gagner plus de 4000 fr. par mois, ce qui est déjà quelque chose ».

Elle a fait ses comptes : « il faudrait faire 600 de recette par jour » pour atteindre 4000 fr. mensuels.

Ce qui est « peu de chose quand on aura partagé en trois ».

Mais, « Les américains arriveront de plus en plus et les affaires s’étendront ».

De la réponse de Charlotte au courrier de son mari, il semblerait qu’il ait envisagé de vendre. « Passer la main en ce moment ne me parait pas opportun » répond-elle.

André, lui, cherche des affaires plus lucratives :

« Il me faut des affaires »…. « J’ai reçu ce matin un coup de téléphone d’AUMONT ».

AUMONT est un entrepreneur du Romorantinais.

Il a reçu du service dans lequel BENEDIC est affecté une demande de prix pour la fourniture de palans d’un montant de 250 000 fr de commande.

Il s’adresse par écrit à BENEDIC : « .. Je ne connais personne qui serait aussi bien placé que moi soit comme prix, soit comme délai ».

« Il me semble donc tout indiqué que nous fassions cette affaire mais d’autre part vous sachant attaché à ce service il me parait plus convenable de vous en parler, avec vous l’affaire pouvant devenir plus intéressante. Qu’en pensez vous ? ».

Il faut se voir….

Puis, il téléphone à BENEDIC.

Charlotte le met en garde : « N’entreprends pas trop d’affaires surtout avec d’autres ».


Les affaires marquent le pas :

Peu de monde, depuis quelques jours les affaires sont calmes. La recette de dimanche n’a été que de 500 fr.

Cela couvre seulement les frais. Charlotte place ses espoirs dans « …la fin de la construction du tram qui pourra amener tout le monde à Romorantin le soir  ».

Mais dans l’attente, il faut « payer de lourdes factures » …« Il faudra un jour payer les 4000 fr à PORCHER ».

Charlotte estime que l’’encours en caisse est trop faible au regard des besoins d’approvisionnements ; Il ne reste que 2000 fr.. Il est urgent de demander du capital à HAMOND.


La fête au camp :

Une fête costumée est en cours d’organisation au camp américain.

Elle se déroulera le dimanche 5 mai au soir.

Charlotte affirme que beaucoup de dames de la ville sont invitées et chaque officier avait le droit d’amener une dame.

« Ce soir la fête américaine a lieu ; les dames NORMAND et bien d’autres sont invitées. Je suis la seule à ne pas l’être. C’est une injure cruelle que me font les américains ».

« ..ce soir nous n’aurons personne à cause de cette fête qui gardera tout le monde au camp..... ».

Selon un lieutenant américain, habitué de l’Hermitage, « Il paraît que c’est DESOUCHES qui devait inviter les femmes françaises. On va lui faire dire aujourd’hui l’insulte qu’il m’a faite. C’est un saligaud...Quel mufle ! »….

« Mais tu comprends qu’avec la tenue qu’il y a dans la maison, il doit penser que j’en fait autant. Et que je ne suis pas digne de me trouver avec les dames Normand et autres ! ».

Au dernier moment la fête sera annulée au motif que les costumes ne sont pas arrivés. « Je suppose que les autorités françaises ont dû interdire ce bal avec des femmes françaises costumées » écrit Charlotte.

Et « Les affaires marchent bien.... » : la recette est de 508, 25 fr.

MEDEM, pendant ce temps est à l’hôpital.


MEDEM a été opéré :

Fin avril, la santé de MEDEM s’était dégradée.

Il souffrait de violentes douleurs intestinales. Son médecin lui avait administré à deux reprises des piqûres de morphine.

Le premier mai, une consultation réunissait plusieurs médecins américains et les médecins français BOSSELUT et THIRIAU, ainsi que le chirurgien ROCHETTE de Bourges, pour établir un diagnostic et déterminer la nature des soins.

A cette consultation assistait aussi un jeune chirurgien américain dont le commissaire de police de Romorantin, qui livre ces informations, n’a pu retenir le nom.

Une intervention chirurgicale urgente est décidée.

Le 2 mai, MEDEM est opéré par le Docteur BOSSELUT, médecin major, chef du service de la place à Romorantin.

Avant l’opération, Charlotte fait signer à MEDEM une reconnaissance de dette d’un montant de 40 000 fr. « Dans cette reconnaissance Monsieur MEDEM reconnaissait avoir reçu de BENEDIC et pour l’installation de l’hôtel Hermitage la somme sus-indiquée »

affirme le commissaire de police. il a assisté, à la demande de Charlotte, à la signature et il a légalisé le document en présence de deux témoins, les docteurs BOSSELUT et THIRIAU.

Pour le commissaire, il y a anguille sous roche puisque le montant déclaré de l’apport de chacun des trois associés était de 10 000 fr. Il faudra enquêter !

On comprend mieux pourquoi Charlotte, dans les courriers à son mari, s’inquiétait de la maladie de MEDEM. Elle a préservé ses intérêts.

L’opération s’étant bien déroulée, MEDEM est hors de danger.

Notons que Madame BELIN, bien que licenciée a été présente en compagnie de BENEDIC dans le suivi de la maladie de MEDEM et de la prise de décision de son opération.

Nous devons cette information au rapport du Commissaire de Police de Romorantin en date du 4 mai 1918.


Des affaires étranges se trament :

Le mercredi 19 juin, une nouvelle lettre de Charlotte à André est interceptée.

On apprend que MEDEM est de retour à l’Hermitage.

Il est possible qu’il ait quitté l’hôpital vers le début de la deuxième quinzaine du mois de mai.

En effet, le dimanche 16 mai, il a reçu la visite de deux personnages, deux civils accompagnés d’un militaire le « Capitaine LASSALLE ».

Les officiers français ne dédaignent pas l’Hermitage. En ce mois de juin, ils sont nombreux à l’hôtel. Le Lieutenant DESOUCHES fait une apparition avec sa femme. Il a ignoré Charlotte. Elle s’en moque.

Ces deux civils ont proposé à MEDEM de lui racheter la « maison », « pour monter une usine de chocolat »,…« Il y en a un qui a une gueule de juif infecte » d’après Charlotte.

Quant à la « mère BELIN » elle a réservé deux chambres, l’une pour un Commandant, l’autre pour un Capitaine.

Les civils qui étaient accompagnés par le Capitaine LASSALLE ont longuement parlé de BENEDIC et de MEDEM.

Ils repartent le 20 juin. DESOUCHES leur a déconseillé de rester à l’hôtel et de regarder plutôt du côté de Blois pour une usine de chocolat.

Charlotte ne croit pas à cette histoire de chocolat.

« Il y a un de ces homme qui s’appelle NULLEMAN, et le juif je ne sais pas comment ».

« Dans tous les cas, ils veulent la maison, il faut la leur faire payer cher. Méfie-toi d’eux ».

Elle donne à son mari le plus de noms possibles, pour qu’il se renseigne sur les activités de ces gens, du moins peut-on le supposer.

Elle paraît inquiète, cependant elle ne perd pas espoir de gagner de l’argent. La recette du jeudi 20 mai est de 320 fr sans compter les chambres et plusieurs dîners qui ne sont pas encore payés.  

Pour gagner de l’argent, il faudrait des recettes journalières de 1000 fr. estime t-elle, « Il arrive beaucoup de monde et peut être d’ici un mois nous gagnerons beaucoup d’argent. Et le monde dit que la place est unique... ».

Toutefois, la visite de ces civils accompagnés d’un capitaine, le contenu des discussions et l’histoire de l’usine de chocolat, laissent à penser que quelque chose se trame, et que Charlotte n’est pas informée.

Certains commentaires de Charlotte sont aussi révélateurs de l’antisémitisme diffus qui existe dans la société française, après l’affaire Dreyfus.  


MEDEM est sous le coup d’un arrêté d’expulsion :

Le 16 juillet 1918, le Ministre de l’Intérieur, prend un arrêté d’expulsion du « Sieur MEDEM ».

Le Ministre considère « que la présence de l’étranger sus-désigné sur le territoire français est de nature à compromettre la sûreté publique ».

Il a dix jours pour quitter le territoire. Il lui est ordonné de faire connaître la gare frontière par laquelle sa sortie du territoire aura lieu.

il devra donc avoir quitté le territoire le 28 juillet à minuit.

Que lui reproche-t-on ?

« Une conduite douteuse. Il a cherché comme hôtelier à faire faire des dépenses exagérées aux Officiers Américains prenant pension chez lui et a provoqué maintes fois l’abus de la consommation alcoolique au moment des repas ».

Il déclare qu’il quittera la France par Bordeaux à destination de New-York. Le 22 juillet, il prend le train pour Paris.

Le motif de son expulsion, tel qu’il est évoqué par l’arrêté d’expulsion, semble bien léger. En effet, l’armée française par l’intermédiaire de DESOUCHES est à l’origine, de l’ouverture de cet établissement que fréquentent aussi des officiers français. Ils consomment autre chose que du jus de fruit !

Ils ne sont pas soumis aux mêmes interdits que les officiers américains quant à l’alcool.

De l’alcool, il y en avait dans le restaurant, au bar et DESOUCHES ne pouvait ignorer les envois de whisky organisés par son ami BENEDIC.

Quant à la prostitution dans l’établissement, c’est un secret de polichinelle et Charlotte l’évoque dans une de ces lettre à André.

Les exemples ne manquent pas où, dans des situations similaires, la mesure administrative décidée était de consigner l’établissement aux troupes américaines pour une durée variable et la fermeture en cas de récidive seulement.

Dans ce cas précis, il s’agit d’une mesure extrême, l’expulsion d’un sujet étranger qui, on l’a vu, avait ses entrées dans le monde politique et militaire.


L’exploitation se poursuit :

Charlotte reste seule à la direction de l’établissement.

Après un long silence, son mari André lui adresse, le mercredi 31 juillet, une lettre dont le style ainsi que les formulations confirment qu’il est un fieffé comédien : « Je ne t’ai pas écrit depuis longtemps. Je fais un cycle de tristesse et j’accomplis le tour des douleurs. Le dernier événement survenu a brisé mon dernier effort et je n’ai pas la force de lutter contre un destin barbare ».

« La justice a parlé et c’est nous les victimes ».

Une tragédie grecque !

Sa demande de mutation pour Romorantin n’a pas été traitée par son Colonel. Visiblement, il est tombé en disgrâce.

Il a été interrogé par le Directeur de la Sureté Nationale.

« Mais n’ayant rien à me reprocher, je me demande si la vigueur avec laquelle j’ai dit tout ce que je savais au Directeur de la Sûreté générale ne m’a pas porté tort. J’ai fait là tout mon devoir. Mais j’ai été nettement avisé que les renseignement recueillis ne permettaient même pas la contre enquête et que la décision du Ministre de l’Intérieur était irrévocable. Bien mieux j’ai reçu l’ordre de ne plus me rencontrer avec M. MEDEM ».

Il donne le sentiment d’avoir « chargé » MEDEM.

La suite de sa lettre est un long plaidoyer affectueux pour sa femme. André a beaucoup à se faire pardonner, semble-t-il !

Il lui propose de passer l’affaire. « Veux-tu donc examiner la question et me dire ce que t’en penses ….je pense venir Dimanche. Prépare bien ta pensée et tes idées ».!!!.

Le lendemain, il expédie un télégramme :

« Absolument affolé serai demain Vendredi 12 h 30 Romorantin ». Nous sommes le 2 août.

Nous ignorons ce qui se passe entre les membres du couple. C’est un long silence jusqu’au 12 août.

Les affaires et les dépenses vont bon train :

Le 12 août, Charlotte répond aux quatre lettres qu’elle a reçues de son mari le même jour.

Elle aborde d’abord les affaires.« tu aurais dû envoyer du whisky ».

C’est une boisson très demandée mais aussi le témoignage d’une affaire qui tourne.

Il lui avait demandé de donner à un certain CHAUVALON une somme de 2000 à 2500 fr.

Pour Charlotte, la priorité est de payer le marchand de vin ; le matin de sa réponse, elle a payé une facture de 2030 fr. ; le lendemain, elle doit régler 1000 fr de champagne.

Le vin, le champagne, le whisky… ce sont ses priorités. Elle ne veut pas être démunie.

CHAUVALON sera payé après. La trésorerie est un peu juste, elle rappelle à son mari l’importance d’augmenter le capital.

Après le départ de MEDEM, les propriétaires BEZARD sont passés la voir. Ils veulent augmenter le montant du bail.

Elle a refusé. Le 15 du mois, elle paiera le loyer, sans changement. Si les BEZARD en acceptent le montant, elle considérera qu’il y a accord tacite.

Les affaires vont bien.

Le personnel a un travail fou, il faudrait le doubler.  

« Et comme cette maison ne doit durer qu’un court espace de temps le principal est de gagner beaucoup d’argent. Le reste est peu important. Il faut accepter tous les ennuis de ce commerce puisque ce n’est que pour un an à peu près ».  

Dans une deuxième partie de sa lettre, elle aborde le sujet qui fâche : la venue de son mari.

Elle met la situation au clair :

« Je veux rester maîtresse dans cette maison qui est la mienne, que j’ai organisée et menée à bien ».

« Je veux seule faire les comptes et que tu ne t’en mêles pas. On ne peut tenir l’argent à deux ».

« Il m’est impossible que tu m’approches maintenant sans que je vois la figure des demoiselles successives ».

« La maison est à mon nom ».

Elle lui reproche sa vie dissolue et le « calvaire » qu’il lui a fait vivre.

Elle affirme son indépendance. Cette affaire, c’est l’affaire de Charlotte.

Elle ne veut pas le voir à Romorantin.

Elle continue son exploitation et la situation semble lui réussir.,

Entre temps, le 3 août, MEDEM, n’ayant toujours pas quitté le territoire, est arrêté et incarcéré à la prison de la Santé.



André au Val de Grâce :


C’en est trop pour André, il est hospitalisé au Val de Grace.

Il en profite pour recevoir la visite d’un certain NICOL, que BAUER identifiera comme étant MEDEM ! Mais voilà, MEDEM est à la Santé donc nous ne connaîtrons jamais l’identité de ce NICOL ! Peut être un avocat, puisqu’ils élaborent ensemble un long mémoire destiné à la Ligue des Droits de l’Homme, pour qu’elle intervienne en faveur de MEDEM, qui s’estime innocent.

André confie à sa femme qu’il est un homme seul car aucune de ses connaissances occupant des fonctions leur permettant d’intervenir efficacement en faveur du dossier MEDEM ne souhaite le faire.

André BENEDIC se sent abandonné de tous, et peut être aussi de sa femme, qui lui répond : « Que fais-tu au Val de Grace ? Je ne sais pas ce que tu veux dire au sujet de l’avenir et de MEDEM. Je n’ai pris aucun engagement et je ne comprends rien ».


Les BEZARD en resteront là. Ils n’augmenteront pas le loyer. « Ils m’ont envoyé leur marchand de vin en gros ».« Nous n’avons plus rien ».« Nous perdons chaque jour une vente considérable ».« Il aurait fallu que Mr HAMOND en remette ».. de l’argent bien entendu !

La cave est vide et Charlotte manque de liquidités…au sens propre et figuré !

Un objectif obsède Charlotte, faire des affaires et gagner de l’argent ! C’est la garantie de sa libération familiale.

Mais, l’histoire des ennuis de l’Hermitage est loin d’être terminée.


L’Intelligence Section de Tours s’en mêle :


Un beau matin, le 4 septembre 1918, un officier américain se présente à l’hôtel et prend chambre.

Ce soldat américain n’est autre qu’un officier de l’Intelligence Section de Tours venu sur les lieux pour se rendre compte de la situation. Il était en mission.

Il s’agit du Lieutenant Joseph R. SHRIVER.

Selon la méthode bien rodée des services de police américains, il va se fondre dans le décor.

Il se comporte comme un client normal, vaquant à ses occupations.

Il rentre, sort, visite la ville. il consomme au comptoir, demande du « scotch », se mêle aux autres officiers américains, consomme avec eux, prend ses repas en groupe, offre à boire, bavarde avec le maître d’hôtel, écoute discrètement les conversations.

Il constate : un Major consomme des brandys, un groupe de plusieurs officiers ingurgite cinq cognacs chacun, puis quelque peu-pompettes- « taquine la serveuse ».

Le champagne défile au bar et sur les tables du restaurant. La serveuse retournent les bouteilles vides qu’elles cachent dans une cave proche de l’écurie. Lui même commande un brandy, on lui en apporte.. deux !

Le bar ferme à 9 heures. Alors que les volets sont placés devant les fenêtres, les soldats à l’intérieur continuent à boire jusqu’à très tard dans la nuit.

Une cloison avec une porte abrite une arrière salle des regards indiscrets . Le vacarme qui perce la cloison témoigne de la fête qui s’y déroule.

La « bonne » installe les officiers dans leur chambre.

A son retour, la serveuse la questionne sur l’argent que l’officier lui a donné. « un franc et après elle a dit qu’elle avait reçu trois francs ». Elle arrondit ses pourboires en se prostituant.

Le soir, Charlotte invite l’officier à se joindre à deux autres officiers accompagnés de deux femmes ; il refuse et monte dans sa chambre.

L’officier comprend le français. Il observe, il note.

Ses conclusions sont sans appel : les tenanciers sont trop curieux sur les mouvements de troupes. Ils vendent de l’alcool, du mauvais Vouvray, à des prix très élevés ; ils font en sorte de ne vendre que les vins qu’ils veulent vendre.


Dans le rapport qu’il adresse au service de l’Intelligence de Tours et de Romorantin, il demande que l’établissement soit consigné aux troupes américaines.

Le 7 septembre, le lieutenant SHRIVER adresse aussi ses conclusions au Lieutenant PORTER, Chef de la Police à Romorantin.

Dans son rapport, il affirme avoir signalé les faits à plusieurs reprises aux tenanciers, leur demandant de ne pas servir d’alcool, qu’il en a informé les autorités française en leur demandant de prendre des sanctions.

Mais dit-il, « Les Autorités auxquelles nous nous sommes adressés ne coopèrent qu’à moitié ».

Le Lieutenant PORTER demande officiellement au Sous-Préfet de « consigner l’Hotel Hermitage, pour les militaires américains aussi longtemps que vous le désirez ».

Le Sous-Préfet, furieux d’être accusé de n’avoir coopéré qu’à moitié, informe le Préfet de cette accusation, qui à son tour informe le Général commandant la 5e Région Militaire.

En fait, il est probable que ce soit l’armée française qui était visée par les critiques des Américains.


Le 16 septembre, le Préfet demande au Général de consigner l’établissement.


Deux personnages paraissent pouvoir retarder la sanction prévisible.

Dans le même temps, les services du contre espionnage de la 5ème Région militaire saisissent la Sureté Nationale.  

Elle doit enquêter sur deux personnages. Ils paraissent aux yeux de l’armée suffisamment puissants et influents pour retarder la prise de décision.

En effet, le Général affirme dans sa demande d’enquête « qu’il a été convenu que l’Hôtel de l‘Hermitage ne serait pas fermé momentanément ».

Il s’agit de AMIAUX Abel et de SUZEAU Gaston. Ils ont lié connaissance en fréquentant assidûment le bar de l’Hermitage.

Les Américains aussi se sont intéressés à ces deux individus. Ils restent prudents car ce sont deux français et échappent donc à leur compétence.


« Au planteur de Caïffa » :


Monsieur SUZEAU Gaston est un inspecteur des magasin « Au Planteur de Caïffa ».

« Au Planteur de Caïffa », est une enseigne commerciale créée en 1887.

En 1910, elle comprend plus de 300 succursales en France, ravitaillées par le chemin de fer.

Elle vend du café, du thé, des épices, selon la méthode unique du colportage. Chaque colporteur est reconnaissable par son costume aux couleurs de l’entreprise : casquette, tablier de jardinier, sacoche d’épicier et un crayon sur l’oreille. Le colporteur pousse un triporteur qui peut aussi être tiré par des chiens ou attelé à un âne ou un mulet.

Il vend aussi des sardines, du fil, des aiguilles, du coton, du chocolat, du sucre.

Avec leur triporteur, les colporteurs parcourent les villages et sont rémunérés au pourcentage des recettes.

C’est une entreprise qui a une réelle importance en France.

Mr SUZEAU a la bougeotte. Accompagné de son personnel, deux hommes et deux femmes, il fait de fréquents voyages à Pruniers, Gièvres, à Ploërmel, à St-Aignan.

Lorsqu’il était à Romorantin, il s’est rendu à Valençay, au moment où l’Y.M.C.A occupe le château de Valençay. Il était aussi à Vendôme à coté du camp d’aviation britannique.

Bref, particulièrement bien renseigné, il est partout où sont les américaines et suit à la trace l’installation de leurs camps.

Il est arrivé à Romorantin en Juin 1918.

Ses déplacements, son train de vie important car il descend dans les meilleurs hôtels, ses fortes dépenses, « plus qu’il n’en gagne semble t-il », intriguent. Il est le représentant d’une entreprise qui a des succursales en Espagne, « Il se pourrait que ces magasins soient en intelligence avec l’ennemi ». Il faut donc nécessairement enquêter sur cet individu !

On peut imaginer que les déplacements incessants de Mr SUZEAU étaient liés à la nature de son activité commerciale et qu’il cherchait à s’attacher la clientèle des soldats et de l’Hermitage.

Le caricaturiste marchand de vin :

AMIAUX Abel est un caricaturiste connu. Il fait parti des caricaturistes attitrés du journal « La Baïonnette ». 

La Baïonnette est un hebdomadaire satirique crée en 1915 par un caricaturiste du nom de Henri MAIGROT dit HENRIOT.

HENRIOT est collaborateur à l’Illustration.

Ce journal ridiculise « le Boche », le Kaiser, en les caricaturant.

Cet hebdomadaire cessera de paraître en 1920.

Abel est aussi un négociant en vin en gros. Il effectue de fréquents déplacements entre Romorantin et Bordeaux.

Cette activité est évidement plus rémunératrice que celle de caricaturiste.

Il est arrivé à Romorantin le 27 juillet 1918, venant de Tours. Il loge à l’Hôtel d’Angleterre.

Il se fait livrer d’importantes quantités de vin à une adresse, « Mr. Gautier Romo ».

Lui aussi se rend fréquemment à Pruniers, Gièvres, Vierzon.

Le bruit court qu’il a des intérêts dans l’affaire de l’Hermitage, car il fait tout ce qui est en son pouvoir pour éviter le fermeture de l’établissement.

Peut-être n’apprécie-t-il pas de perdre un de ses meilleurs clients !


La sanction tombe !

Le 1er octobre 1918, le Lieutenant-Colonel OLIVAINT, Commandant de la place de Romorantin, fait connaître au Sous-Préfet de Romorantin « que par décision du Colonel Commandant les 7e et 8e Subdivisions, l’hôtel de l’Hermitage est consigné aux troupes françaises et américaines pour trois mois du 30 septembre au 30 décembre inclus ».

La sanction est lourde, car cet établissement n’avait qu’une clientèle, celle des officiers français et américains.  

Il est de fait quasiment fermé.

Il est de fait quasiment fermé.

Fin de l’aventure pour Charlotte….

Pendant plusieurs mois, officiers américains et français, espions civils et militaires, affairistes de tous poils, prostituées, marchands de vin,.. ont fait affaires ensemble.

Ils boivent, mangent, s’amusent, se saoulent, s’espionnent.

Et, chaque soir, les tenanciers comptent la recette du jour.

Ils ont une obsession, celle de faire de l’argent.

Les marchands en gros vendent leur marchandises et défendent leurs clients.

Une société interlope vit grassement de la guerre.

Pendant ce temps, les populations se serrent la ceinture et souffrent.

Les « poilus » et les « doughboys » tombent, eux, sous le feu de l’ennemi.

André de COPPET, mélomane, mécène et aide de camp.


Le 12 avril 1918, le Général ALEXANDER, commandant la 41ème division, adresse ses invitations pour le diner qu’il donnera à l’issue du concours athlétique du 20 Avril à

St-Aignan .

Cette invitation adressée au Préfet figure dans les archives du cabinet du Préfet.

Sa rédaction témoigne d’une grande maîtrise de la langue française, mais aussi d’une habitude des mondanités ainsi que d’un raffinement culturel certain.

« Le Général sera très honoré si vous voulez bien lui faire le plaisir de votre compagnie au diner…. ».

Il ne s’agit pas d’une invitation écrite puis traduite par des militaires.

Elle est signée par l’aide camp du Général, André de COPPET.


Qui est André de COPPET ?


Il est le fils de Edouard de COPPET, un riche banquier de New York.

Edouard est un mécène.

Il possède une propriété en Suisse, à Flonzaley.

Il entretient, au sens propre du terme, un des premiers Quatuor à cordes.

Créé en 1903, cet ensemble instrumental prendra le nom de « Quatuor de Flonzaley ».

Le banquier subvient aux besoins matériels des musiciens pour qu’ils se consacrent entièrement à leur art et ne commercialisent pas leur musique.

En revanche, le Quatuor ne donne jamais de concert en public, mas seulement dans la propriété suisse du banquier devant ses nombreux invités.

Ce n’est qu’en décembre 1905 que le Quatuor de Flonzaley se donne en public au Carnegie Hall. Ce sera un grand succès et le début d’un carrière publique interrompue par la première guerre mondiale.

En 1916, Edouard de COPPET meurt. Son fils André hérite de sa fortune et de la vocation de son père : le mécénat.

Il s’engage dans l’armée et on le retrouve en France à St-Aignan, comme aide de camp des Général ALEXANDER.

A la fin de la guerre, il reprend ses activités de banquier et de mécène.

En 1920, le Quatuor de Flonzaley se reconstitue et André de COPPET, avec certains des membres du quatuor, organise la tournée de dix semaines en Amérique, d’Arturo Toscanini accompagné d’un groupe de musiciens de la Scala de Milan.

Cette tournée est un triomphe pour le Maestro.

En 1953, André de Coppet meurt. Il est âgé de 61 ans.

L’histoire de la présence de l'armée américaine dans la Vallée du Cher, lors de la première guerre mondiale, a retenu le Général ALEXANDER, le soldat, frère d’arme de PERSHING.

Elle a oublié son aide de camp, le banquier mécène qui légua au Archives Nationales de la France un important fonds d’autographes de la période des guerres de Religions et du Premier Empire et qui contribua à faire connaître le grand Maestro Toscanini au-delà des frontières de l’Italie.


Armand VILLA

3 janvier 2020

SOURCES :

La Baïonnette : hebdomadaire satirique, publié de 1915 à 1920. Gallica.bnf

Les historiettes de cette page sont abondamment illustrées par des caricatures tirées de l’hebdomadaire « La Baïonnette ».

il s’agit d’un choix délibéré inspiré par le passage dans la Vallée du Cher d’Abel AMIAUX caricaturiste. Il a collaboré à cet hebdomadaire.

Les dessins sont tirés de deux numéros de l’hebdo : le numéro 135 du 31 janvier 1918, intitulé « Ombres de Guerre », et le numéro 167 du 12 septembre 1918 , intitulé « Paris de Guerre ».

Les légendes ont été librement adaptées par l’auteur.


Les Archives Départementales de Loir et Cher : série R, Suspects 14-18.


Les bulletins de la société d’histoire et d’archéologie de sologne :

A propos de l’Hermitage, le lecteur se reportera avec intérêt à l’article de Mademoiselle Hélène LECLERC, publié dans le n° spécial, n° 130 du 4ème trimestre 1997.


Les sites Web :

http://www.usmilitariaforum.com : U.S. Army Brassards & Armbands.


http://pharmacritique.20minutes-blogs.fr/archive/2011/03/28/cocaine-heroine-opium-alcool-les-medicaments-et-sirops-de-no.html.


www. gvshp.org/ : Image via New York Public Library


www. digitalcollections.nypl.org :


www. encycloduvelo.fr/francaise-francaise-diamant/ : l’Encyclopédie du vélo.

Remerciements :

Mes remerciements vont à Madame et Monsieur CHASSAGNE, de l’association « Les Amis du Vieux Selles », pour la liste des décès de soldats américains intervenus à Selles sur Cher.