Chapitre I

LE LOIR ET CHER DANS LA GRANDE GUERRE.

(Période 1917-1919)


Avant Propos

A l’occasion de la commémoration du Centenaire de la déclaration de la guerre de 1914-1918, nous avions avec notre association Monthou, Nature, Eau, Patrimoine, organisé une exposition sur le Thème : « Les Poilus de Monthou, souvenons-nous d’eux ! ».

Nous avions consacré cette exposition au parcours des ces hommes, depuis le jour de leur naissance jusqu’aux jours et lieux de leur mort ou disparition, et aux conditions de vie de leur famille restée au village.

Nous avions donc été conduits à consacrer plusieurs panneaux aux soldats du Corps Expéditionnaire Américain qui ont, soit séjourné plus ou moins longtemps, soit transité seulement pour quelques jours, dans le bourg.

Afin de mieux cerner la réalité de la vie quotidienne, nous avions interrogé tous « les Anciens ». Celles et ceux, qui nés après la guerre, étaient dépositaires de la mémoire orale transmise par leurs parents qui, eux, l'avaient vécue.

Et nous avions constaté, avec étonnement, que la présence américaine pourtant conséquente dans le village, n’avait laissé que très peu de souvenirs, voire aucun, dans certaines familles.

Ce constat, pas spécifique à Monthou sur Cher, m’avait interpellé.

La signification des quelques traces physiques encore visibles était méconnue de la grande majorité des habitants du village.

Bref, c’était une histoire oubliée !

Pour quelles raisons ?

Pour tenter d’y répondre et d’en comprendre les causes, j’ai poursuivi mes recherches sur le sujet au delà du périmètre de Monthou.

Très vite, il m’est apparu que les conditions de la « cohabitation » des soldats et des villageois n’étaient que des aspects secondaires.

La prégnance de la guerre, ses conséquences sur le climat social et économique du département, et donc sur la vie quotidienne de la grande masse des familles, sont très vites apparues déterminantes.

J’ai donc axé mes recherches sur le contexte économique et social de la période qui s’étend de 1917 jusqu’au retrait total des troupes américaines du département en 1919.

Ce travail de recherche fait l’objet de la publication ci-dessous.

Elle sera suivie de plusieurs autres.

L’une traitera des multiples facettes de la cohabitation entre les soldats américains et la population du département.

Enfin, une étude ultérieure sera consacrée à la situation politique et syndicale dans le département pendant la Grande Guerre.

Bonne lecture. Cette première partie intitulée : « Le Loir et Cher dans la guerre », repose sur l’examen des archives de la Préfecture, des Sous-préfectures de Loir et Cher, de la presse locale, conservées aux archives départementales.




SOMMAIRE

Introduction.

1917-1918, deux années particulières, pour le Loir et Cher.

L’année 1916, une année difficile. 
Parmi la population le doute s’installe. 
Sur le front, un effroyable bilan. 

Le Loir et Cher à la veille de la Guerre.

Les grandes caractéristiques sociologiques du département.

  •  L’agriculture en première activité 
  • Les professions agricoles
  • Un commerce et un artisanat bien implantés 
  • Une activité industrielle à ses débuts 
  • Un nombre d’ouvriers difficile à établir. 
  • Les professions libérales et les Services Publics 
  • Un tissu urbain modeste. 
  • Une énergie ancrée sur le charbon.
  • Le charbon est la principale énergie utilisée. 
  • L’énergie électrique en est à ses débuts. 
  • Des voies de communication nombreuses.
  • Les chemins de fer. 
  • Les voies de terre.
  • Les voies d’eau.
  • Des communications téléphoniques balbutiantes. 

L’enseignement dans le département. 

  • L’enseignement public, laïque, est majoritaire. 
  • Le personnel enseignant. 
  • L’enseignement privé.
  • Des institutions éducatives auxiliaires. 

Une société inégalitaire. 
Une activité économique « routinière ». 

3 août 14, le basculement dans la guerre…vers un département sinistré. 

UNE ARRIVÉE DANS UN DÉPARTEMENT SINISTRÉ 

LE TERRIBLE HIVER 1917. 

  • Tout gèle. 
  • Le charbon se raréfie…. 
  • …. Et le bois devient très cher. 

UNE SITUATION ECONOMIQUE DIFFICILE.

  • L’agriculture manque de tout, de main d’oeuvre d’abord.
  • L’aide du Service de la main-d’œuvre agricole.
  • Les prisonniers de guerre.
  • Le recours à l’immigration.


  • Les démonstrations de motoculture.
  • Femmes, enfants et anciens prennent le relais. 
  • Le recul de la scolarisation des enfants. 
  • La contraction des surfaces cultivées.
  • La moral de la paysannerie loir-et-chérienne est à la baisse.
  • Le fossé se creuse entre paysans et ouvriers. 
  • Malgré tout…..
  • L’artisanat et le commerce dévitalisés. 
  • La boulangerie un exemple significatif de la désorganisation qui règne dans les villes et les bourgs. 
  • Les industries naufragées sauf celles pour l’effort de guerre.
  • Les entreprises qui travaillent pour la Défense Nationale.
  • Dans l’industrie aussi, les femmes remplacent les hommes.
  • Une inégale répartition des richesses.

UNE ATMOSPHÈRE PESANTE

  • C’est l’angoisse du télégramme bleu. 

LES CONDITIONS DE VIE SONT TRÈS DÉGRADÉES

  • La cherté de la vie : contenir le mécontentement.

Taxation du prix des produits alimentaires de première nécessité et réglementation de la consommation.

  •  Le sucre.
  • Le beurre.
  • Le manque de lait.
  • Les oeufs.
  • La réglementation de la pâtisserie.
  • Les bonbons et le chocolat frappés par les restrictions.
  • Réglementation de la fabrication du pain.
  • Le Carnet de pain.
  • Les jours sans viandes.
  • Seulement deux plats au menu dans les restaurants. 
  • Le contrôle du prix des haricots et des pommes de terre.
  • Essence et pétrole.

Les Prix et les Salaires.

Les prix.

  • Le prix du pain. 
  • Le prix du beurre.
  • Le prix de la douzaine d’oeufs.
  • La viande, l’autre baromètre du moral alimentaire des populations.
  • La hausse des prix provoque mécontentement et sentiment d’injustice.
  • Allocations et Salaires.
  • L’allocation aux familles nécessiteuses.

Les salaires.

Le rôle des Mairies.


Introduction.


1917-1918, deux années particulières, pour le Loir et Cher.

Les révolutions russes de février puis d’octobre d’une part et l’entrée en guerre, le 6 avril, des États-Unis aux côtés des Alliés d’autre part, sont les deux événements majeurs de l’année 1917.

Ils imprimeront un cours nouveau à la conduite de la guerre, aux perspectives de son issue.

Au delà du conflit, ils transformeront la physionomie politique du monde.

Ils auront, sur le tissu social du département de Loir et Cher, des conséquences de nature et d‘ampleur différentes.

En février, la Révolution éclate en Russie. Le tsar abdique.  

Elle s’achèvera par la révolution d’Octobre.

L’armée russe connaissait déjà un processus de désagrégation.

Dès le 24 mars, l’écho parmi les armées russes, de l’exigence forte de « l’ouverture immédiate de négociations de paix et l’abandon de toutes annexions territoriales » portée par le Soviet de la ville de Petrograd, l’amplifiera.

Un des belligérants demande la paix !

Dans le département, cet événement eut des effets réels bien que limités.

Chez des militants de la S.F.I.O., il fortifia leur volonté de paix. Ils trouvèrent des arguments supplémentaires forts pour s’opposer à la participation de la SFIO au gouvernement. Ils sont revigorés.  

Certains syndicalistes de la CGT haussent le ton dans les instances confédérales, notamment les syndicalistes révolutionnaires qui s’insurgeaient contre la politique de la Direction Confédérale de la CGT engluée dans l’Union Sacrée.

 Le 6 avril 1917, la République des États-Unis déclare la guerre à l’Allemagne. Elle décide de se placer aux côtés des Alliés.

Dès lors, l’équilibre des forces était rompu au profit des Alliés. Les États-Unis disposaient d’une réserve énorme de soldats. L’espoir d’une fin victorieuse de la guerre pouvait à terme se concrétiser.

Pour cela les États-Unis devaient, d’abord, construire leur armée.

Les loir-et-chériens allaient en être les témoins.

En effet, le territoire qui correspond à celui de l’actuelle Région Centre, est choisi par le Général Pershing, Commandant en chef du Corps Expéditionnaire Américain, pour y installer la base arrière de la première armée américaine en construction.

La ville de Blois accueille un contingent sanitaire, et un centre de sélection, la Vallée du Cher un complexe logistique et de formation militaire pour les soldats américains.

Plusieurs dizaines de milliers de soldats y séjourneront ou y transiteront.

Le Loir et Cher, avec d’autres départements voisins, se trouve de fait, transformé en une zone militaire intermédiaire, directement reliée à la zone de combat de la 1ère armée américaine.

Pour la population, cette situation, nouvelle et inattendue, créera un choc culturel et technologique, brutal.

Cela ne sera pas sans conséquences sur le tissu social.

Pour en percevoir toute la dimension, il convient de situer la présence massive des « Sammies » dans le contexte économique et social du département, traumatisé par les effets de plusieurs mois de guerre.


L’année 1916, une année difficile.


Parmi la population le doute s’installe.

Chaque année, à deux reprises au moins, le Préfet du département adresse au Ministre de l’Intérieur un rapport sur « l’état moral de la population ». Pour le rédiger, il consulte les Sous-préfets de Romorantin et de Vendôme.

Le 21 février 1916, il écrit « la lassitude et le fléchissement du moral des populations rurales est assez notable », les populations « supportent les restrictions » sauf « celle du pain qui continue à être accueillie diversement ».

Le Sous-Préfet de Romorantin perçoit dans les critiques, des « rumeurs infâmes accusant les nobles, les riches, les fonctionnaires et les curés de faire la guerre », mais ce ne sont pour lui que « des flottements inhérents à la période ». 

Toutefois, il constate « qu’ils sont plus fréquents en février 1916 qu’en 1915 ». Par contre, « A Romorantin, agglomération urbaine où aucune usine ne chôme, aucun fait précis n’est résulté de ces tendances et la population ouvrière continue de travailler ».

Le 21 décembre 1916, le discours du Préfet s’infléchit, « aucun incident de nature à troubler l’ordre public et à compromettre la Défense Nationale n’est intervenu », mais, il ne peut « cacher que le moral des populations s’est encore dégradé ».

Selon lui, les causes sont multiples :

  • Les « lettres du front » tout d’abord. Les « poilus » invitent leur famille « à ne pas souscrire à l’emprunt ». « Pour terminer la guerre au plus vite ».
  • Les privations ensuite, « le charbon devient introuvable » ; « le sucre se raréfie tous les jours et il faut s’en priver » ; « les magasins sont fermés tôt, à 6 heures ». D’autres restrictions sont envisagées, « l’on parle de deux jours sans viande ».

Le Préfet tente une explication pour le moins surprenante : « Le Loir et Cher découvre que nous sommes en guerre » écrit-il. « Les deuils le lui avaient déjà appris, mais la vie matérielle restait large et plantureuse, les ressources en argent étaient abondantes, grâce aux allocations d’une part, aux salaires élevés d’autre part et à la facilité d’écouler des produits de la terre à un prix rémunérateur ». « Aujourd’hui, écrit-il, les populations sont atteintes dans leur bien-être ».

En effet, les difficultés de toutes natures s’accumulent depuis de longs mois déjà, dans les campagnes et les villes. Elles usent le moral des populations.

Le langage « politiquement correct » utilisé dans les rapports préfectoraux ne peut masquer la réalité. 

Et, sur le front, le bilan est effroyable.


Sur le front, un effroyable bilan

Les grandes batailles de 1916, ont fait près d’un million de morts ou disparus. À la fin de l’année 1916, le bilan de la guerre est effroyable.

On compte environ 4 millions de morts pour l’ensemble des belligérants.

Pour la France, le nombre des morts et disparus s’élève à 1 291 200.

La censure veille, le bilan est conservé au « secret » par l’État-Major militaire.

Mais la population n’est pas totalement dupe.

Le Loir et Cher compte ses nombreux morts.

Après l’offensive désastreuse du Chemin des Dames déclenchée le 16 avril 1917, les mutineries éclatent dans les rangs de l’armée. Les soldats en ont assez de la boucherie.

Les Empires Centraux ne peuvent pas tirer un avantage militaire décisif sur le terrain de l’étendue de leurs occupations territoriales, bien plus vastes que celles des Alliées.

Le conflit est dans l’impasse.

Il dure depuis 29 mois, déjà ! .

Et rien ne semble pouvoir arrêter la guerre !

Elle a transformé la vie sociale et économique du département.

Résignation, démoralisation, doutes, caractérisent cette fin d’année 1916.

Regardons brièvement la photographie du département avant la guerre.

Le Loir et Cher à la veille de la Guerre.

Le Loir et Cher est un département représentatif de cette France encore rurale d’avant guerre.

Les grandes caractéristiques sociologiques du département.

Les données et précisions qui suivent, sont tirées d’une part, de l’étude, qui fait référence, sur l’histoire sociale du département : la thèse de Monsieur Dupeux Georges « Aspects de l'histoire sociale et politique du Loir-et-Cher 1848-1914 » ( préface Ernest Labrousse, Mouton et Cie 1962), et d’autre part, des enquêtes annuelles de la Chambre de Commerce de Blois, réalisées de 1913 à 1919.

Leur croisement, donne un aperçu du contexte départemental à la veille de la guerre.

Selon le recensement de 1911, le département compte 271 231 habitants. Il n'a pas retrouvé son « pic démographique » de 1891, soit 284 392 habitants.

Ce « pic démographique » résultait de la croissance de l’agriculture à partir du Second Empire. À cette période de croissance - de l’année 1851 à l'année 1880, - succéda une période de régression marquée par une série de crises économiques, prophylactiques et un exode rural important.

Cette « grande dépression » agricole induisit des évolutions notables tant dans la structure foncière que des catégories professionnelles de l’agriculture en Loir et Cher.

Elle provoqua un exode rural conséquent.

L’émigration vers Paris et sa Région mais aussi les zones urbaines des départements limitrophes, notamment la ville de Tours, n’a pas été compensée par l’immigration venue de Bretagne ou du Massif Central.

Ce sont notamment les jeunes qui furent tentés ou contraints à l’émigration.

Aussi, la population du département est caractérisée par un net vieillissement : les moins de 20 ans ne représentent que 35,39 % de la population masculine et 33,69 % de la population féminine. Ils sont en diminution respectivement de plus de 5 % et plus de 4 % par rapport au recensement de l'année 1851.

Les plus de 50 ans, eux sont en augmentation. Ils représentent 25,07 % pour le sexe masculin et 26,66 % pour le sexe féminin. Ils augmentent respectivement de plus de 6 % et plus de 5 %.

La seconde caractéristique, réside dans l’évolution de la structure des catégories professionnelles agricoles et de la propriété foncière dans l’agriculture qui est de loin la principale activité économique.

L’agriculture en première activité

L’enquête annuelle de la Chambre de Commerce de Blois sur la « situation des différentes industries du département de Loir et Cher au 31 décembre 1913 » l’affirme sans conteste : l’agriculture est prépondérante dans l’économie du département.

Sur les 636 943 hectares de la superficie totale du département, 456 523 hectares sont consacrés aux terres labourables, aux prés naturels et herbages, aux pâturages et pacages, à la vigne et aux cultures diverses.

Trois micros « régions géographiques », la Beauce, Le Perche, et la Sologne permettent d’une part, la diversification des cultures avec une dominante celle des céréales, 203 890 hectares y sont consacrés pour une production de 2 630 700 quintaux de froment, méteil, seigle, orge, sarrasin et avoine ; d’autre part, de l’élevage, le cheptel est diversifié, et enfin de l’activité forestière. Les bois et forêts couvrent eux 137 795 hectares de la superficie totale du département.

Les trois vallées, le Val de Loire, le Val du Loir et la Vallée du Cher favorisent la culture de la vigne, qui s’étend des coteaux du Cher aux campagnes au nord des cantons de St-Aignan et de Contres.

En valeur, l’agriculture domine largement l’industrie.
  

Les professions agricoles  

L’appellation « professions agricoles » regroupe les chefs d’exploitation et les salariés agricoles.

Les professions agricoles représentent 63 % de la population active masculine.

Les chefs d’exploitation, c’est-à-dire les propriétaires, les métayers, les fermiers sont au nombre de 27 792.

Les salariés agricoles, ouvriers, journaliers, domestiques agricoles, charretiers et jardiniers sont au nombre de 28 007.

A quelques unités, les deux composantes sont égales en nombre.

L’augmentation du nombre des chefs d’exploitation s’est faite au détriment de celle des ouvriers.

Emigration et acquisition de petits lopins pour l’autoconsommation peuvent l’expliquer.

Au 31 décembre 1913, le département compte 12 590 vignerons. Bien que le nombre de vignerons soit en recul, la vigne occupe une bonne place dans l’activité agricole du département. La forte expansion dans les cantons de Contres, St-Aignan et Montrichard a favorisé le développement de la population des bourgs autour d’un artisanat lié aux travaux viticoles et agricoles ainsi que la croissance des activités commerciales.

L’évolution des structures professionnelles est à mettre en parallèle avec celle de la propriété foncière.

De l’étude citée, j’ai tiré les indications suivantes relatives à la répartition de la propriété foncière en 1913-1914. (à une cote cadastrale correspond l’ensemble des biens fonciers d’un même propriétaire), les propriétés :

  • de 5 hectares, représentent 17, 49 % de l’ensemble
  • de 5 à 9 hectares représentent 9,40 %
  • de 10 à 19 hectares, 9,80 %
  • de 20 à 29 hectares, 5,40 %
  • de 30 à 39 hectares, 3,98 %
  • de 40 à 49 hectares, 2,94 %
  • de 50 à 99 hectares, 9,88 %,
  • et enfin celles de 100 hectares et plus, 41,11 %.

La « très grande exploitation », celle de 100 hectares et plus, prime sur les autres.

Avec les exploitations de 50 à 99 hectares, elles représentent 50,99 %

G. Dupeux souligne dans son étude que, bien qu’en recul de 10 000 hectares sur près d’un siècle, 193 noms de la noblesse possèdent dans le département encore 104 577 hectares, et que 11 puissantes familles de nobles se partagent 30 950 hectares.

Entre les deux, les exploitations de 10 à 49 hectares représentent 22,12 %. La « moyenne exploitation » est en quantité en retrait par rapport à la petite. De plus, elle est caractérisée par un éventail plus large.

La « petite exploitation » a progressé dans la Sologne blésoise et domine dans les Vallées de la Loire et du Cher. En Beauce et dans le Perche la moyenne propriété s’impose.

Dans le Vendômois, les deux extrêmes s’étirent : la petite propriété dans la Vallée du Loir s’étend, alors que dans le canton de Vendôme et de Morée, c’est la grande propriété qui domine.

La Sologne, elle, a connu des changements profonds.

Les travaux d’assainissement du Second Empire ont favorisé l’essor de l’artisanat et du commerce, des villages et des bourgs.

Mais la grande propriété foncière solognote changea de mains. A la bourgeoisie ou la noblesse « locales » traditionnelles s’est substituée la grande bourgeoisie parisienne notamment louis-philipparde. Les Maîtres de Forges, les industriels, les financiers y achètent des domaines de chasse forts étendus.

Les conséquences ne furent pas des plus heureuses pour les Solognots. G. Dupeux écrira : « La Sologne, que nous avions vue fermée, repliée sur elle-même, s’est ouverte à l’extérieur, mais dans des conditions économiquement et socialement déplorables ; elle est devenue en certaines communes comme une colonie du grand capital parisien, soigneusement conservée dans sa médiocrité et sa routine ».

« Désormais entre la noblesse et la grande bourgeoisie d’une part, et un prolétariat agricole étroitement dépendant de l’autre, s’interpose une petite bourgeoisie relativement indépendante, surtout dans les grands bourgs ».

L’agriculture est donc le premier grand pilier de l’économie du département.

Son importance limite le marché de l’industrie

Le second pilier, est celui du commerce et de l’artisanat.

Un commerce et un artisanat bien implantés

Les deux activités réunies emploient 25 % de la population active masculine.

Nous l’avons souligné, ce sont les progrès de l’agriculture qui ont favorisé, dans les villages et les bourgs, l'apparition et le développement du commerce et de l’artisanat, et par là même, favorisé l’émergence d’une « petite bourgeoisie » de la boutique et de l’atelier.

En effet, l’examen des patentes, confirme la prédominance du commerce de détail et de l’artisanat qui rassemblent ensemble 9 577 propriétaires, c’est-à-dire les 3/4 de l’ensemble de ces professions. Le quart restant se partage entre les marchands en gros, 265, les marchands en 1/2 gros, 106, et les intermédiaires, 484.

Le très haut commerce et la banque concernent 40 personnes et 55 établissements : des courtiers et des commissionnaires.

Agriculture, Commerce et Artisanat représentent 88 % de la population active masculine.


Une activité industrielle à ses débuts

La Chambre de Commerce de Blois dresse une liste de 1 615 patentes dans l’activité « industrie » au 31 décembre 1913.

Elles couvrent un large éventail d’activités : l’alimentaire ; le textile ; la mode ; les cuirs et peaux ; la métallurgie ; l’habillement ; la porcelaine, le bâtiment, les carrières de pierre et de grès, de terre à porcelaine ; le machinisme outils ; les scieries et scieries mécaniques ; l’imprimerie et papeterie ; l’automobile avec les bicyclettes et la carrosserie ; la meunerie et enfin, diverses activités comme la résine (gommage des pins de Sologne) ; les fours à chaux ; les fabriques de tan, etc.

Les manufactures et fabriques côtoient des entreprises de tailles diverses, des « grandes et des petites ». De plus, certaines d’entre elles ne sont pas à proprement parler des activités industrielles, tels les 234 marchands forains, les 322 exploitants de machines à moissonner ou les 332 moulins à farine dont certains sont de très petites entreprises notamment les 148 moulins à eau ou à vent.

Les établissements industriels proprement dits, sont, selon l’étude de Georges Dupeux, au nombre de 724 et un petit nombre d’entre eux emploie une main-d’œuvre abondante.

Ce sont 3 filatures de laines, 2 usines de tissage, 2 fabriques de bonneteries, 2 verreries, 5 usines de chaussures, 1 chocolaterie, 1 fabrique de pierre à feu, quelques fours à chaux et tuileries, 6 fonderies, 1 usine de conserves alimentaires.

Les autres établissements sont de taille modeste. Ils n’emploient que quelques ouvriers.

Le textile est la première industrie en termes de production de valeur, devant l’industrie des cuirs et peaux, des chaussures seules, de l’alimentation et de la céramique verrerie.

17 établissements industriels, seulement, utilisent des chevaux-vapeur (chaudières).


Un nombre d’ouvriers difficile à établir.

Selon que l’on se réfère à l’énumération de la Chambre de Commerce fondée sur la notion « d’industrie collective » ou aux critères fixés pour le recensement de 1911 sur la notion de « profession individuelle », le nombre d’ouvriers passe de 20 000 dans le premier cas à 4 000 dans le second (soit 4,7 % de la population active masculine) en 1913.

Quel que soit le mode de calcul, il est intéressant de noter que le « prolétariat ouvrier » des activités industrielles pris au sens large de la Chambre consulaire reste inférieur au « prolétariat agricole » et aux chefs d’exploitations agricoles.


Les professions libérales et les Services Publics

Enfin, les professions libérales (notaires, huissiers, avocats, architectes, médecins, vétérinaires), au nombre de 300, représentent 1,60 % de la population active masculine.

Les services publics sont au début de leur croissance. Ils représentent en 1911, 3,3 % de la population active masculine.


Un tissu urbain modeste.


La population urbaine, quant à elle, représente 1/4 de la population totale du département soit environ 67 800 habitants.

Blois, ville préfecture, avec 23 955 habitants est de loin la ville la plus peuplée du département.

Elle est le reflet de la structure économique du département.

La grande masse des 1 282 patentés recensés par la Chambre de Commerce sont des commerçants et 55 % d’entre eux des

« petits » commerçants.

Ensuite, on trouve les « petits » entrepreneurs du bâtiment, puis les fournisseurs, qui font la liaison entre l’agriculture et le commerce.

Les entreprises importantes relèvent de l’industrie du bâtiment (tuileries, briqueteries, scieries), des industries de l’alimentation (fabriques de vinaigre, de conserves, de chocolats, brasseries), du cuir (les fabriques de chaussures), ainsi que les représentants du commerce de luxe ( bijoutiers, confiseurs, traiteurs, marchands de tapis, de pianos), au total 154 entreprises.

Moins nombreux encore, les industriels, une quarantaine au total.

Quant à la grande bourgeoisie d’affaires, elle est composée de 5 banquiers, (3 sont des particuliers), de négociants, de commissionnaires en marchandises et de courtiers en vins.

Les entreprises industrielles installées dans la ville sont peu nombreuses, onze dont 3 sont étrangères au département.

Blois est la « place de commerce » du Loir et Cher.

Vendôme compte 9 707 habitants, Romorantin 8101, Selles-sur-Cher 4 074 habitants.

Ce sont autour de ces villes que se concentrent pour l’essentiel les fabriques et les manufactures.

L’artisanat anime les gros bourgs : Montoire 2 970 habitants, St-Aignan 2 952, Montrichard 2 700, Contres 2 543, Oucques 1 579, Ouzouer-le-Marché 1458, Bracieux 1 089.


Une énergie ancrée sur le charbon.

Le charbon est la principale énergie utilisée.

En 1913, le Loir et Cher en a consommé 93 000 tonnes.

Il provient de 7 mines françaises pour 66 200 tonnes, dont Valenciennes, 46 000 tonnes.

Le reste, 27 000 tonnes, est importé principalement d’Angleterre, 25 000 tonnes et de Belgique.

498 établissements utilisent les chevaux-vapeur. Parmi ces établissements 284 établissements agricoles utilisent 520 locomotives servant au battage des grains.

L’énergie électrique en est à ses débuts :

Dans le département, 14 entreprises de fabrication d’électricité sont, soit sous contrôle de l’État, soit sous celui des municipalités.

48 municipalités ont signé des concessions avec des fournisseurs.

Dans 37 communes, fonctionne une distribution publique sous le régime de la permission de voirie ou sous celui des communes.

Des voies de communication nombreuses :

Voies ferrées, routes et chemins, voies fluviales, irriguent le département.

Les chemins de fer :

L’année 1914, consacre l’apogée des chemins de fers.

Dans le département le réseau ferré est bien plus dense qu’aujourd’hui.

Il est composé par quatre entités :

  • La compagnie de chemin de fer Paris-Orléans. Son réseau comprend 7 lignes, 387 km, (dont le Blanc-Argent voie unique et étroite de 65 km), 36 gares et stations.
  • Les chemins de fer de l’État. Ils représentent 165 km et 31 gares.
  • La compagnie des tramways de Loir et Cher. Ce sont des tramways vapeur. Le réseau comporte 10 lignes, soit plus de 327 km.
  • La ligne des tramways électriques départementaux : ce réseau a été concédé ou rétrocédé en 1910 par le département à Mr Charles Lefebvre Ingénieur des Ponts et Chaussées. Il comprend une ligne de 27 km, Blois - Amboise ouverte le 15/10/1913, du 1er tronçon de la ligne Blois - Beaugency - Clery 33 km, ouvert 11 juin 1914, de la ligne Oucques-Chateaudun ouverte le 31 juillet 1914, mais pas mise en oeuvre du fait de la

guerre et enfin de la ligne les Montils-Contres et Contres-Selles sur Cher, mise en oeuvre au 3e trimestre 1914. Pour ce réseau, l’électricité est fournie par "l’Electrique de Loir et Cher", entreprise administrée par un Conseil D'administration où siégeait le Ministre Loucheur (voir article sur le courant électrique).

Les trains et tramways transportent des voyageurs, mais aussi du courrier, des marchandises, des colis, des denrées et du bétail.

Le trafic ferroviaire est directement lié à la vie économique.

Ainsi, les tramways à vapeur de Loir et Cher ont transporté, 583 923 voyageurs, 172 979 tonnes de marchandises et 24 831 têtes de bétail pendant l’année 1913.

Le tableau ci-dessous récapitule le trafic de la compagnie Paris-Orléans pour la même période.

Je n’ai retenu que 7 gares sur les 36 exploitées par la compagnie.

Le réseau ferré sera un outil efficace, pour le regroupement des soldats dans les centres de dépôts militaires.

Les voies de terre :

Le réseau des voies de terre est composé de :

  • 6 routes nationales soit 306 km,
  • 129 chemins d’intérêt commun soit 2 890 km,
  • 3 956 km de chemins vicinaux secondaires.

Les voies d’eau :

Plusieurs voies d’eau sont ouvertes, certaines ne sont que partiellement utilisées par des bateaux de type « bourrichon ».

  • Le canal de la Sauldre avec 21 464 tonnes.
  • Le canal du Berry.
  • Le Cher Canalisé, emprunté par 710 bateaux avec 28 873 tonnes.
  • La Loire avec 2 480 tonnes.
  • Le Cher non canalisé.

Des communications téléphoniques balbutiantes

Au 31 décembre 1913, on ne compte que 153 bureaux télégraphiques, 123 bureaux téléphoniques et 300 abonnés, pour l’ensemble du département.

La Chambre de Commerce de Blois jouera un rôle majeur dans le développement des réseaux interdépartementaux, des liaisons de ville à ville et des circuits locaux.

Elle financera en particulier la liaison Romorantin - Vierzon et celle de Blois - Romorantin.

À titre d’exemple, en 1914, elle effectue à la recette principale des Postes le versement de la somme de 104 660 F en vue de la création de 18 nouveaux circuits communaux et de 3 circuits d’intérêt départemental.,


L’enseignement dans le département :

L’enseignement public, laïque, est majoritaire.

L’école primaire obligatoire.

C’est l’école du peuple, elle est communale. Trois communes seulement, ne remplissent pas les conditions édictées par la loi de 1867, qui fait obligation pour les communes de plus de 500 habitants, d’ouvrir une école de fille. Les mairies avaient pris toutes les dispositions pour cela mais la guerre a gelé tous les projets. Dans l’arrondissement de Blois, l’ouverture de l’école prévue au hameau de Vineuil, commune de Monthou sur Cher ne se fera pas.

L’enseignement primaire obligatoire délivre le Certificat d’Etudes Primaire élémentaire. Pour l’année scolaire 1913-1914, 884 classes sont ouvertes dans le département. Elles sont regroupées dans 346 écoles de garçons, 358 écoles de filles, 152 écoles mixtes (filles/garçons) et 24 écoles maternelles.

 35 468 élèves fréquentent l’école dont 19 836 garçons et 25 632 filles.

 Les écoles maternelles regroupent 1 560 enfants. Par rapport à l’année scolaire 

1912-1913, le nombre de garçons est en augmentation de 139 unités, celui des filles, en diminution de 27 filles.

L’enseignement primaire supérieur.

Il est dispensé dans plusieurs écoles.

Pour les garçons, 5 écoles primaires supérieures et 2 cours complémentaires dans les villes d’Onzain, de St-Aignan, de Romorantin, de Selles sur Cher et Montrichard accueillent un cours complémentaire. Il y a, pour les filles, 3 écoles supérieures complémentaires à Blois, Pontlevoy et Romorantin. Ce sont au total 359 élèves, dont 194 filles qui suivent cet enseignement.

Deux Écoles Normales, l’une d’instituteurs et l’autre d’institutrices forment, à Blois, 35 garçons et 39 filles.

Le personnel enseignant :

Les effectifs enseignants sont les suivants :

  • 373 Instituteurs dont 360 titulaires, 9 stagiaires, 4 intérimaires,
  • 492 Institutrices dont 457 titulaires, 20 stagiaires, 15 intérimaires.
  • 19 emplois sont vacants.

L’enseignement privé.

Pour l’année scolaire 1913-1914, 6653 élèves suivent leur scolarité dans un établissement d’enseignement privé. Ces élèves, essentiellement des filles, sont réparties dans les 112 écoles de filles sur les 140 que compte l’enseignement privé dans le département.  

Deux écoles seulement sont des écoles congréganistes. Les autres s’étaient déconfessionnalisées, elles étaient donc laïques. Ainsi l’école privée de filles financée par le Baron de Cassin à Monthou sur Cher était une école laïque.

Le personnel enseignant est lui aussi un personnel très massivement féminin, 12 instituteurs pour 236 institutrices.


Des institutions éducatives auxiliaires.

Le département compte un certain nombre d’institutions auxiliaires qui concourent à l’éducation.

Les cours pour adultes ont été suivis par 287 hommes et 183 femmes en 1914.

Cette année là, 657 conférences populaires se sont tenues. Ces activités n’ont pas cessé pendant la guerre.

Le département compte également 380 bibliothèques rassemblant 54 643 ouvrages. Elles ont consenti 26 137 prêts en 1914.

Une activité économique « routinière ».

Le 31 décembre de chaque année, la Chambre de Commerce de Blois, publie un rapport d’enquête sur l’état des différentes activités commerciales et industrielles du département.

L’enquête est réalisée auprès des patrons et des maires.

Nous disposons d’une photographie de l’activité économique du département dans les Cantons.

La description que la Chambre de Commerce de Bois dresse, donne l’impression d’une activité économique routinière.

Dans le canton de Blois, l’industrie du chocolat, l’entreprise Poulain, et la biscuiterie de luxe sont prospères.

L’industrie du bâtiment aussi, du fait de la construction dans la ville de petites maisons d’ouvriers. Le bâtiment tire les activités du bois d’industrie, les fabriques de machines pour faire des briques.

La meunerie confrontée à la centralisation du marché à Paris se porte bien.

Les laiteries industrielles se sont substituées aux coopératives, les conserveries développent une activité en hausse. Le commerce des fruits et légumes, du beurre, des oeufs, de la volailles et du gibier exporte mieux.

La mercerie et la bonneterie sont stables alors que l’entreprise de ganterie est en liquidation judiciaire.

L’activité d’imprimerie et de librairie est équivalente à celle de l’année précédente. L‘épicerie en gros connait, elle, une forte hausse de son chiffre d’affaire.

Dans le canton re Romorantin, la production de drap, en augmentation suite aux marchés de l’armée, domine l’activité du canton de Romorantin.

Dans ce canton, le bâtiment, les tuileries mécaniques sont stables. La confection aussi. Elle rassemble 50 ouvrières en atelier.

Alors que la « chaussure » va connaître une forte extension, un atelier de 150 à 200 ouvriers et ouvrières est en construction. La chemiserie ne connaît pas de chômage. Les affaires de la boulonnerie sont calmes

La récolte de résine est moyenne. L’élevage des faisans et perdrix rencontre des difficultés d’adaptation. La meunerie va bien, les scieries sont actives, et la récolte du vin faible en quantité est de bonne qualité.

Dans celui de Montrichard l’industrie de la carrosserie est en difficulté suite au décès du patron, les carrières de Bourré et de Pontlevoy se portent bien, les cinq tuileries sont de faibles importances, les champignonnières voient leur affaires progresser

La lingerie et la confection à domicile ne se développent pas. Les salaires sont bas.

La récolte de raisin est peu abondante, le vin est bon mais ne se vend pas.

Les mauvaises récoltes agricoles pèsent sur le marché.

Le canton de Vendôme est lui caractérisé par une industrie du gant en pleine croissance, qui emploie des ouvrières en atelier et à domicile, les tanneries sont dans un état stationnaire du fait de l’augmentation croissante des coûts des matières premières.

Le teinturerie comprend deux établissements dont un « important » qui emploi 4 personnes

La fonderie est dans une « prospérité stationnaire » du fait de la situation économique du pays. La carrosserie est prospère.

La meunerie est très calme,

Le bois assure une bon approvisionnement en bois de construction et les carrières de pierres dures ne peuvent extraire une quantité suffisantes de pierres.

Les autre secteurs sont calmes et maintiennent leurs activités.

les ventes de chevaux se développent rapidement, alors que celles de bestiaux se maintiennent à un bon niveau.

L’imprimerie et la librairie sont actives.

Les autres cantons offrent une image assez semblable.

3 août 14, le basculement dans la guerre…vers un département sinistré.


La déclaration de la guerre donne un coup d’arrêt brutal à ces activités. Et va en favoriser d’autres

La mobilisation générale opère une saignée importante au sein de la population active.

Elle frappe l’agriculture en pleine moisson.

Sur le territoire national, les enquêtes des Inspecteurs du Travail révèlent que 47 % des magasins, entreprises, bureaux, usines ferment leurs portes entre le 3 et 14 août.

22 % de leurs salariés sont mobilisés et 44 % sont congédiés.

Le chômage est immédiat et massif.

Les constats de la Chambre de Commerce de Blois dressés au 31 décembre 1914 laissent à penser qu’il en fut de même dans tout le département.

Les entreprises de cuirs sont réquisitionnées.

D’autres, après une suspension de quelques mois, reprendront leur activité pour fournir l’armée en produits divers, Poulain par exemple.

La manufacture Normant réserve sa production à l’armée. La plus grande partie du personnel a été mise en sursis d’appel et la production passera de 800 à 5 000 mètres par jour.

Les moulins, les conserveries et la sidérurgie, les chemiseries et les chaussures travailleront aussi pour l’armée.

Nous ne disposons pas, à ce jour de statistiques relatives au nombre de chômeurs dans le département. Mais tout laisse supposer que le chômage fut brutal et massif dès la déclaration de guerre. Il se maintiendra, malgré la participation de quelques entreprises départementales à l’économie de guerre.

La Chambre de Commerce de Blois énumère, canton par canton, pour les années 1915, 1916, 1917, la longue litanie des activités à l’arrêt ou quasiment à l’arrêt, depuis août 1914.

Tous les secteurs sont frappés.

A l’exception des entreprises qui travaillent pour la Défense Nationale. Elles connaîtront la croissance et souvent la fortune.

UNE ARRIVÉE DANS UN DÉPARTEMENT SINISTRÉ.

Le Général Pershing Commandant en chef du CEA, décide, d’implanter sur une grande partie du territoire de l’actuelle région Centre, dont le Loir et Cher, une de ses bases arrière, celle de de la 1ère armée américaine.

L’installation débute en juin 1917.

C’est dans un climat social lourd, angoissé, que les « hommes venus d’Amérique » vont s’établir pour plusieurs mois.

L’année 1917 débute dans un froid glacial !


LE TERRIBLE HIVER 1917 :

Le mois de décembre 1916 s’était achevé sous des pluies persistantes.

Fait inhabituel, les premiers jours de janvier avaient été exceptionnellement chauds.

Le thermomètre indique plus 12°, les 1er et 4 janvier.

Ensuite, la pluie tombe à nouveau pendant 14 jours.

Les agriculteurs sont contraints d’arrêter les travaux préparatoires du sol.

De grandes étendues de blé, de seigle, furent détruites.

Les parasites se développèrent.

Selon la Commission Météorologique du département, « dans certaines communes de Beauce, les limaces se sont tellement multipliées qu’elles ont fait perdre le blé sur une notable superficie ».

Puis, la température baissa continuellement jusqu’à la fin du mois de janvier, - 11 ° le 30 janvier.

La plupart des cours d’eau charrient des glaçons, puis gèlent totalement à partir de la fin du mois de janvier.

Il gèle à « pierre fendre ».

Il neige dru sur Blois le 2 février.

Le 3 février, dans le Loir et Cher, il fait - 13°.

Les températures des les dix premiers jours de février furent inférieures de 3 à 5° aux « normales saisonnières ».

Le thermomètre indique des pics de température de - 10° la nuit et -3° le jour.

Les témoignages de Montholiens, nous disent les souvenirs de leurs parents. Ils connurent des températures plus basses encore, de l’ordre de -15° en campagne.

La Loire, embâclée, est interdite à la navigation. Elle ne sera totalement libre de glace que le 25 février.

Aux effets de la guerre, s’ajoutent ceux des rigueurs de l’hiver.

Tout gèle :

Les pommes de terre gèlent.

Le froid complique le ravitaillement des villes. La presse locale se fait l’écho des conséquences de l’hiver dans la région.

Les articles « conseils » sur la meilleure façon de conserver les semences à l’abri du gel, de protéger les compteurs de gaz qu’il convient d’entourer dans de la paille, de la laine, de l’ouate, du foin, de dégeler les pommes de terre, fleurissent dans les journaux.  

La population souffre du froid.


Le charbon se raréfie….

Elle le ressent d’autant plus durement que l’approvisionnement en charbon est difficile.

Il est cher.

La houille est au coeur de la guerre.

Son approvisionnement et sa répartition, sont des préoccupations quotidiennes des autorités civiles, Préfets et élus, mais aussi de la population.

Sans houille, pas de courant électrique, pas de gaz, pas d’activité industrielle, pas de chauffage, d’eau potable pour les grandes villes du département, pas de battage agricole.

La houille conditionne pour partie la vie collective, à la ville et à la campagne..

Les témoignages sur la pénurie du charbon abondent.

Dans une Tribune Libre du Journal L’Echo du Centre du 10 février 1917, un particulier décrit : « La rue du Pont-du-Gast, à Blois, offrait mardi, entre 11h et 15h, un singulier spectacle. D’innombrables brouettes et véhicules de toutes sortes stationnaient, encombraient le trottoir jusqu’aux abords de l’avenue Victor-Hugo. Devant les grilles qui défendent l’entrée de l’usine à gaz, deux cents personnes au moins attendaient. Dans cette foule stoïque, dans la morsure du froid, il y avaient des femmes, des enfants en grand nombre. Plusieurs sont restés là des heures entières pour avoir un hectolitre de coke. Il va sans dire que la plupart de ces malheureux rentrèrent, le véhicule vide, à leur domicile ». 

Dans son rapport au ministre du mois de février, le Préfet témoigne :

« …pour la population, je lui consacre l’intégralité des charbons français qui me sont alloués par le bureau des charbons ne donnant à l’industrie qui a les moyens de les payer que des charbons anglais dont la prix de revient est de plus du double. L’extrême rigueur de la température et la prolongation inusitée de cette période de froids intenses ont évidemment compliqué la situation, mais le bois est abondant dans tout le Loir et Cher et grâce à l’usage abondant qui a pu en être fait, nos populations n’ont pas eu trop à souffrir du froid que nous subissons depuis trois semaines,… ».

Le manque de charbon va conduire le Préfet à limiter la consommation de gaz, la pression est diminuée pour les particuliers à partir d’un certain seuil de consommation, le courant électrique est interrompu dans Blois du samedi au mardi matin. Il interdira les enseignes lumineuses, imposera la fermeture des débits de boissons tôt dans la soirée.

Dans la ville de Blois, l’usine élévatoire, par manque de charbon, ne fonctionne qu’à de rares moment de la journée et l’eau manque.

Les coupures d’électricité sont courantes dans la journée, l’activité des ateliers, est interrompue.


Ce sont les mines de la Bouble, Meissex, Saint-Eloy en Auvergne, de Saint Hilaire et de Bert plus précisément dans le département de l’Allier, qui alimentent le Loir et Cher en charbon. Son prix de vente, fixé par le Préfet, varie en fonction de sa provenance.


…. Et le bois devient très cher :

Le bois : un produit recherché. Il est difficile de s’en procurer.

Pourtant le département est boisé. Les bois et forêts couvrent 137 795 hectares de sa surface.

Mais pour une grande partie, ces forêts sont des propriétés privées dont l’accès est interdit.

Quant aux forêts domaniales, elles sont exploitées et surveillées par l’administration des Eaux et Forêts. Celle-ci doit assurer la protection des massifs et répondre aux besoins de l’armée. Les ventes de bois organisées par l’État sont arrêtées.

La guerre est une formidable consommatrice de bois.

Le bois deviendra pour certains propriétaires un produit de spéculation ( Cf. article sur Boisgenceau publié sur le site.).

Son prix est en hausse constante.

Avant la guerre, la « corde » - c’est l’unité de mesure en usage en Sologne cubant 3 stères - était vendue 20 à 30 francs. En 1917, la « corde » est vendue entre 80 à 100 francs.

La Chambre de Commerce de Blois précise qu’à Montrichard, le prix du bois a augmenté de plus de 50 %, à Marchenoir il a doublé, à Vendôme le stère coûte 25 francs.

Alors, le 9 février, l’Administration des Forêts, communique par voie de presse :

« en raison de la température rigoureuse et de la pénurie du combustible, l’administration des Forêts sera indulgente pour l’abattage et la sortie du bois mort ».

Des particuliers s’adressent au Préfet, via le journal l’Echo du Centre du 13 janvier 1917, pour qu’il autorise la glanée de bois mort : ils proposent que les militaires dans les dépôts soient utilisés pour aller en forêt ramasser du bois mort pour les nécessiteux… Ou bien les prisonniers : « Utilisons les prisonniers de guerre pour couper du bois mort » (…) Qu’on ne voit plus les petits blésois grelotter de froid à deux pas des forêts de Blois, de Russy et de Chambord », écrit l’un d’eux.

La presse locale rapporte des plaintes déposées par les propriétaires pour vols de bois dans les forêts.


La rigueur du froid aggrave les conditions de vie précaires des Poilus et sape leur moral.

Dans les lettres qu’ils adressent à leurs familles, ils disent leur découragement, leur tristesse à l’idée de passer un nouvel hiver dans l’eau, la boue, l’humidité, le froid.

C’est le troisième hiver de souffrances.

Des températures de - 26 ° sont enregistrées dans le pays.

Le froid alourdit le fardeau des difficultés quotidiennes.

UNE SITUATION ECONOMIQUE DIFFICILE :

Janvier 1917, 29e mois de guerre !

Le département, dans ses composantes économiques et sociales, est durement touché.


L’agriculture manque de tout, de main d’oeuvre d’abord :

« Les campagnes sont désertes, la main d’œuvre y est tous les jours plus rare » écrit le Préfet.

En 1917, selon les travaux du Conseil Général, ce sont 50 000 hommes, qui ont été ou seront mobilisés avec la classe 18.

Les paysans en constituent l’immense majorité. Le Cercle Généalogique de Loir et Cher, a évalué à 62 000 le nombre d’hommes mobilisés.

Malgré tout, l’activité agricole va se poursuivre tant bien que mal.


Le problème de la main d’oeuvre agricole « est toujours le plus urgent », pour les Conseillers Généraux du département, représentatifs de la population rurale et particulièrement agricole.

Il fait l’objet de revendications pressantes de leur part.

Le niveau de la production agricole est fondamental pour l’approvisionnement de la population locale, mais aussi pour le ravitaillement de l’armée. L’intendance opère des prélèvements importants sur la production locale.

Il est aussi un enjeu pour le commerce extérieur de la France. En s’approvisionnant sur les marchés mondiaux, le pays était confronté à la hausse spéculative des cours.

La mobilisation générale a placé l’activités des petites et moyennes entreprises agricoles, majoritaires dans le département, dans de grandes difficultés dès 1915.


Pour en souligner la gravité, le Conseiller Général Pichery, lors de la session ordinaire d’avril 1916, présente une étude réalisée sur l’arrondissement de Romorantin. Dans cet arrondissement, 1050 agriculteurs exploitent une superficie supérieure ou égale à 30 hectares. Parmi eux, 430 sont mobilisés et 620 ne le sont pas.

Les exploitants d’une superficie inférieure à 30 hectares, sont au nombre de 3094, 1440 d’entre eux sont mobilisés, 1654 ne le sont pas.

Sur l’ensemble des exploitations, le nombre de patrons et d’ouvriers agricoles mobilisés est de 6815, contre 5579 qui ne le sont pas.

La poursuite de la guerre aggravera ce déficit de main d’oeuvre. Le Préfet en 1917, estimera à 40 000 le nombre d’agriculteurs mobilisés, classes appelées en 1918 comprises.

Les femmes, les enfants et les vieillards ne peuvent combler un tel vide.

Le Conseiller Pichery, dans son intervention sur « la situation économique du département » lors de cette session, résume le sens de l’exigence des élus :

« Dans l’interêt de la défense il faut, dit-il, rendre à la terre pendant les moissons, les vendanges et les semailles, les hommes dont la présence n’est pas réellement indispensable au corps ». 

Les élus se montreront exigeants avec le Service de la Main d’Oeuvre Agricole.

L’aide du Service de la main-d’œuvre agricole.

L'Office de la main-d’œuvre agricole, crée en 1915, organise, une aide concrète aux agricultrices et agriculteurs.

Les limites de cette aide sont celles imposées par les besoins en hommes de la guerre.

Du 1er janvier au 31 août 1916, 2860 permissionnaires ont été affectés aux travaux agricoles.

33 équipes de 9 hommes dont un gradé ont travaillé pendant 15 jours minimum dans des communes des arrondissements de Blois, Vendôme et Romorantin.

Chaque équipe couvrant deux, trois, voire quatre communes : Monthou et Thenay ; ou Contres, Fresnes, Feings ; Billy, Rougeou et Selles sur Cher, pour ne citer que ces exemples

Le nombre des permissionnaires est notoirement insuffisant au regard des communes qui réclament des bras pour les travaux des champs.

Et, quelquefois, la compétence des permissionnaires ne correspond pas toujours aux travaux à effectuer.

Ainsi, telle commune de Sologne a « reçu comme laboureurs un dessinateur de dentelles et un employé de magasin », telle autre pour « traiter la vigne se vit attribuer, un mécanicien dentiste et un dessinateur caricaturiste ».

Les élus dénoncent cette pratique et réclament plus de permissions et un choix des permissionnaires en adéquation avec le travail de la terre. 

Ils demandent « d’aller chercher au fond des administrations et des hôpitaux des auxiliaires », pour constituer des équipes volantes, les distraire momentanément, pour quelques semaines de leurs tâches et les affecter aux travaux agricoles.

Une circulaire de Justin Godart va dans ce sens puisqu’elle préconise que les infirmiers cultivateurs, les blessés et convalescents contribuent aux travaux dans les fermes.

Sur les 482 infirmiers des 7 hôpitaux du département, 248 y participeront.

Proportionnellement, c’est hôpital de Pontlevoy qui en a donné le plus, 44 sur 51 infirmiers affectés dans cet hôpital.

Pour le Conseiller Pichet, il « faut faire une minutieuse sélection » dont les limites ne sont pas celles « de la bienveillance à l’égard des permissionnaires mais d’une juste appréciation de l’interêt agricole ».


De leur côté, les pouvoirs publics locaux cherchent des solutions :

Les prisonniers de guerre.

C’est une des solutions.

Même si le paysan « rechigne » à employer le « boche ».

740 prisonniers le seront dans le département depuis les premiers jours de juin, début de la saison, jusqu’à la fenaison.

Ils forment 35 équipes de 35 à 40 hommes

A Pontlevoy, l’équipe n° 14 occupe 20 prisonniers allemands.  

Sur la totalité des prisonniers, 230 sont employés dans les bois du département.

L’organisation de leur gardiennage n’est pas d’une grande souplesse. Ils sont rassemblés par groupement de 5 et obligatoirement accompagnés de gardiens.

Le recours à l’immigration.

Pour faire face à la pénurie de main d’oeuvre, le Syndicat des Agriculteurs de Loir et Cher envisage le recours à l’immigration de la main d’oeuvre.

Le bureau départemental du Service de la Main d’Oeuvre Agricole, installé 11 rue Franciade à Blois, apportera son concours à cette tentative.

Plusieurs pistes sont examinées.

Tout d’abord, celle de la main d’oeuvre espagnole.

Elle est particulièrement recherchée.

Elle apparait, « la seule à laquelle nous pouvions nous adresser », selon l’ingénieur du Service de la Main d’Oeuvre Agricole.

En 1916, un premier effort était resté sans résultat.

En 1917, il renouvelle l’expérience. Une enquête préalable est conduite auprès des agriculteurs du département pour déterminer les conditions auxquelles les ouvriers agricoles espagnols pouvaient leur être procurés.

Ensuite, un délégué du syndicat se rend à la frontière espagnole pour étudier les procédés à employer pour obtenir des ouvriers « choisis ».  

Les travailleurs espagnols réclament entre 600 et 700 francs plus le remboursement du coût du voyage.

Un certain nombre d’ouvriers espagnols ont été placés dans les fermes et donnent pleinement satisfaction selon le Service de la Main d’Oeuvre.

Encouragé par ces premiers résultats, le Service envisage la poursuite de l’opération « dès que le nombre de demandes sera suffisant », ce qui ne sembla pas être le cas.

Ensuite, faire venir des Kabyle.

C’est une solution envisagée et tentée.

Les Kabyles, sont considérés comme étant « une population active, robuste, assez sobre et dont le transport en France est facile et peu onéreux ».

Une enquête a été réalisée auprès des agriculteurs mais le résultat n’est pas probant.

Enfin, une autre piste est envisageable, celle qui consiste à employer les mutilés de guerre comme bergers. L’objectif recherché est d'enrayer la diminution du nombre de troupeaux.

Mais, aucune de ces pistes ne semble avoir l’assentiment des agriculteurs, ou bien elles se heurtent à des difficultés d’ordre structurel, l’insuffisance des lieux de formation pour les bergers par exemple.

Les élus revendiquent aussi l’augmentation du nombre de sursitaires dans les métiers de la machine agricole, les maréchaux-ferrants notamment.

Les impératifs de la guerre s’imposent.

Les permissions agricoles qui dans un premier temps sont accordées « largement » aux hommes qui ne sont pas sur le front, les territoriaux notamment, sont limitées voire suspendues. Les sursis sont accordés avec parcimonie et après un contrôle sévère.

L’aide du Service de la Main d’Oeuvre Agricole est concrète mais jugée, à juste raison, insuffisante en nombre et quelques fois en qualité.

Les dirigeants comptent avant tout sur les capacités familiales d’adaptation des exploitations agricoles.

Justin Godart qui fut Sous-secrétaire d'Etat au service de santé militaire, écrira : « la terre de France a continué à donner ses fruits parce qu’elle est demeurée possession familiale ».

Le Conseil Général, dans sa session d’Août 1917, dresse le bilan pour l’année 1916 de l’aide fournie par le Service de la Main d’Oeuvre agricole.

Elle s’était concrétisée par une mise à disposition, d’une main-d’œuvre militaire composée des cultivateurs des classes 88 à 90, environ 718 hommes, et des auxiliaires des classes 91 à 95, des spécialistes du battage, des chauffeurs, du ferrage des chevaux, de la réparation de harnais, soit un effectif de 1 000 hommes.

Les travailleurs coloniaux, eux, seront employés dès 1916 et pendant toute la durée de la guerre, notamment les mobilisés Tunisiens.

Ils sont 164 conscrits Tunisiens, de la 2e portion du contingent tunisien mis à la disposition du Préfet par le gouvernement ( la première portion a été incorporée aux tirailleurs). Dans le civil, ce sont des ouvriers agricoles, des laboureurs, des domestiques de fermes, des bergers.

Ils sont rassemblés dans 6 groupements installés, à Contres, Autainville, Cheverny, Ménars, Onzain, et Loreux, qui constituent autant de centres de regroupement.

Chaque groupement est placé sous le contrôle et la surveillance de l’armée coloniale française. Il comprend de 25 hommes qui travaillent dans un rayon de 10 km du centre, sous la surveillance d’un gradé, interprète, de l’armée française.

Ils ont un contrat d’une année et perçoivent un salaire de 3 F par jour, nourriture comprise, 3, 50 à fr pour le chef d’équipe, ou 5 F sans nourriture. Dans ce cas, ils perçoivent 2 fr. supplémentaires les jours fériés pour la nourriture. Ils logent à la ferme par groupe de deux..

Aucune des 32 équipes reparties en 5 groupes ne semble avoir été affectée dans l’arrondissement de Romorantin.

De même, des soldats russes seront employés aux travaux forestiers en Loir et Cher.

Le 17 décembre 1919, la Préfecture de la Nièvre informe celle de Loir et Cher de l’arrivée d’un détachement de 25 travailleurs russes dans le département. Ils seront employés dans une exploitation forestière située sur la commune de la Ville aux Clercs, à la demande de son propriétaire, un certain Louis Bonnichon, entrepreneur à Nevers. Ils sont encadrés par le Lieutenant interprète Guerry.

Ces « russes », en fait des soldats de l’armée du Tsar, ont une histoire particulière. J'y reviendrai. 

Il est évident que l’aide ne peut pallier les vides laissés par la mobilisation.


Les démonstrations de motoculture.

Les démonstrations de l’utilisation de la motoculture pour les travaux de labourages, sont organisées en Beauce et en Sologne

Des essais de « culture mécanique » sont présentés à Oucques les 1,2, 4 juillet 1916.

Ils sont financés par le Département, les Comices Agricoles de Blois et Vendôme, et la ville de Oucques

Ils avaient pour objectif de présenter des labourages mécaniques des terres de la prochaine sole de blé et du battage des céréales.

C’est aussi l’occasion de mettre en lumière les capacités de ces engins ainsi que le gain de productivité par rapport aux labourages traditionnels avec des chevaux percherons ou des boeufs.

La Compagnie d’Orléans avait pris à sa charge le transport aller-retour du matériel et des personnels servants.

La Cie des Tramways à vapeur avait consenti un demi tarif.

6 tracteurs assurent la démonstration.

Un tracteur « Case » de la « Maison Case de France », attelé d’une charrue trois soc ; un tracteur « Passe-Partout » de la « Société Dubois de Blois » attelé d’une charrue bisoc ; un tracteur « Emerson » de la « Société Américan Tractor » attelé d’une charrue trisoc à siège ; un tracteur « Bull » de la « Société Schweitze » attelé à une charrue bisoc automatique ; un tracteur « Mogul » de la « Société Internationale des Machines Agricoles » et enfin un tracteur « Amenco » avec une charrue trisoc automatique.

Ce sont tous des tracteurs américains, à l’exception du « Passe-Partout » fabriqué à Blois.

Chacun de ces tracteurs peut « creuser profond et droit 10 sillons dans le même temps que mettent les boeufs de Pierre Dupont à en faire un seul ».

Attelés à une charrue trisoc, ces tracteurs sont capables dans une journée de 10 heures, de labourer de 2 à 4 hectares.. C'est un gain de temps considérable.

Le 20 juillet, plus de 4000 personnes assistent à la démonstration.

Dans le bilan présenté à l’issue de cette démonstration, le Directeur des Services Agricoles du département conclut avec emphase :

« A la fin de cette seconde journée, le père du fermier de Marcon, vieux fermier beauceron attaché aux anciennes méthodes, revenu à l’activité pour remplacer son fils mobilisé et qui, au matin du premier jour, regardait toutes ces machines d’un air un peu sceptique et railleur en pensant aux beaux sillons bien droits et pas trop profonds que traçait sa veille charrue de Beauce attelée de trois solides percherons, nous déclara en se tournant vers les appareils remisés : « on ne peut plus se passer de cela ». Par sa bouche, toute la Beauce déclarait qu’une charrue mécanique nouvelle était apparue et qu’elle devait remplacer l’ancienne. Une ère nouvelle était née qui apportait plus de prospérité au « Grenier de la France ».

D’autres expériences de motoculture sont réalisées les 27 et 28 octobre à la ferme des Touches dans la commune de Rocé, chez le maire.

Ce sont des tracteurs « Neverslip » de la Maison « AW Pidwell, Paris et Vierzon ».

Ce tracteur de type Tank, c’est à dire à chenilles « comme les chars d’assaut qui nous donnent la victoire » permet le labour par tous les temps, dans tous les terrains.

Ce nouveau matériel est cher à l’achat et d’un prix de revient à l’hectare incompatible avec les nombreuses petites exploitations du département.

Il ne peut, dans l’immédiat résoudre les difficultés que rencontre l’agriculture en Loir et Cher.

Le dernier mot reste aux paysans et a leur famille :

« Mais si nos champs, mes chers collègues, sont cultivés, disons le bien haut, si les blés, l’avoine ont germé et végètent, si le pampre verdoie, si la moisson se prépare et se fait, comme si les raisins murissent pour la vendange ce sera au courage des vieux cultivateurs, des femmes, des enfants que le pays le devra », affirmera Pichery dans son rapport devant le Conseil général.

Femmes, enfants et anciens prennent le relais :

En effet, les femmes, les anciens, les enfants ont pris dans les champs, le relais des hommes.

Dès le 7 août, le Président du Conseil, René Viviani, lance un appel aux femmes françaises, en fait aux femmes des campagnes, pour les appeler à remplacer maris, pères et frères : " préparez-vous à leur montrer demain la terre cultivée, les récoltes rentrées, les champs ensemencés.."

Cet engagement des femmes va se prolonger quatre ans jusqu’à la démobilisation.

Certes, elles participaient déjà aux travaux des champs ; certes elles en connaissent les gestes ; mais maintenant, elles doivent tout faire avec l'aide des anciens et des enfants.

C'est un engagement physique total qui leur est imposé.

Les chevaux réquisitionnés, il faut souvent tirer la charrue à l'épaule.

Si, il y a encore un vieux cheval, "passer le collier à chabines sur le garrot du cheval" est difficile, disaient ces femmes à Monthou.

Il leur faut assumer toutes les phases de la vendange, manipuler pressoir, cuves et muids.

Ce sont aussi toutes ces femmes infirmières et bénévoles qui assument un rôle irremplaçable pour les soins aux blessés. Et tout autant pour leur apporter un réconfort moral et affectif.

Elles seront aussi "marraines de guerre", correspondant avec les Poilus au front et les blessés dans les hôpitaux.

A Monthou, elles aideront les médecins américains à la Villa Ariane, transformée en maison de soins et de convalescence.

Ce sont toutes ces femmes qui vont investir bien des métiers.

Le recul de la scolarisation des enfants:

La participation des enfants aux travaux agricoles est la principale cause du recul de la scolarisation des élèves les plus « grands ».

La fréquentation a été normale de la rentrée 1914 à mars 1915, puis avec la reprise des travaux agricoles, les élèves « les plus grands » rejoignent les champs.

L’inspecteur d’académie révèle que « …dans certains milieux ruraux un certain nombre d’enfants ont cessé de fréquenter l’école un peu prématurément pour rendre de petits services dans les exploitations agricoles ». La présence d’enfants de réfugiés de la zone des armées ou du camp retranché de Paris, placés chez des parents, a compensé la baisse des effectifs. Ils ont été recueillis en grand nombre dans les écoles du département.

Toutefois la tendance à la baisse de la fréquentation par les enfants des paysans est confirmée par l’Inspecteur d’Académie,« En général la fréquentation scolaire a été normale jusqu’en mars, mais la reprise des travaux agricoles a provoqué la disparition d’un certain nombre de grands élèves qui, en temps ordinaire, fréquentaient l’école plus longtemps.»

Ce sont les milieux sociaux les plus modestes qui sont concernés.

D’autres facteurs, la mobilisation des enseignants et la dégradation des conditions d’accueil des élèves ont contribué au recul de la scolarisation.

La mobilisation tout d’abord, 188 instituteurs ont été mobilisés sur les 865 enseignants et enseignantes en activité.

Ils ont été remplacés par des instituteurs en retraite, des normaliens, des réfugiés étrangers ; 111 postes furent assurés, 63 postes sont restés vacants. Les classes furent donc regroupées.

La dégradation des conditions d’hébergement et la désorganisation des locaux scolaires ensuite. Les écoles, pour beaucoup d’entre elles, ont été transformées en dépôts militaires le temps du regroupement des soldats, ou en hôpital militaire temporaire comme ce fut le cas à Blois.

Les locaux de l’Ecole Normale de garçons sont affectés, dès la mobilisation, à un hôpital militaire de l’armée française.

Les cours de cette école sont dispensés à l’extérieur, répartis dans les locaux de l’Ecole Normale de filles et dans ceux du Laboratoire Agricole départemental.

Les enseignants mobilisés sont remplacés par les professeurs de l’école normale d’institutrices et un professeur de collège.

Les locaux de l’Ecole Primaire Supérieure de Blois, école de filles, ont été utilisés comme casernement au moment de la mobilisation, puis transformés en hôpital temporaire où une centaine de blessés sont soignés.

Les effectifs sont conséquents, 143 en 1914 et 140 en 1915. Les enseignements sont dispensés dans les 3 salles de la Chambre de Commerce et dans la salle à manger de la directrice.

Les élèves internes sont logés dans un vaste local loué par la directrice et aussi dans son salon.

A Pontlevoy, l’installation scolaire des élèves reste correcte.

A Onzain, les cours sont dispensés dans l’école primaire de garçon avec l’accord de la municipalité.

A Saint-Aignan, l’école primaire supérieure est transformée en hôpital temporaire. Les cours sont dispensés dans 2 salles de l’école communale. Les internes sont placés chez « des familles honorables ».

Les cours complémentaires bénéficient d’une bonne installation.

Les locaux scolaires de Romorantin sont eux aussi réquisitionnés par le service médical de l’armée. Les effectifs ont diminués de 39 unités en 1915 par rapport à l’année 1914.

Le recul de la fréquentation des enfants s’amplifiera au fil de la guerre.

Lors de la session ordinaire du Conseil Général en août 1917, l’inspecteur de l’Académie, souligne dans son rapport le recul des enfants scolarisés dans les écoles élémentaires en 1916.

445 filles et 490 garçons ne sont plus scolarisés ou le sont par intermittence pour travailler soit dans les champs, ou les vignes, soit remplacer la mère à la maison.

Ce phénomène est particulièrement marqué dans la Vallée du Cher et en Sologne.

Le journal « Les Échos du Centre » évoque le cas d’une enfant de 12 ans qui laboure les terres de son père.

La contraction des surfaces cultivées.

La superficie cultivée en céréales diminue régulièrement : 77 100 ha en 1914, 64 016 ha en 1916, elle est estimée à 35 000 ha en 1917.

Ce sont les surfaces de cultures de blés qui sont le plus comprimées.

De 70 950 hectares en 1916, elles passent à 34 400 hectares soit une diminution de 36 000 hectares.

Les hectares consacrés au seigle et au méteil se contractent, mais dans une bien moindre mesure, 264 hectares pour la première, 300 pour la seconde céréale.

Par contre, les hectares consacrés à l’orge et à l’avoine augmentent très sensiblement,

16 350 pour la première et 13 930 pour la seconde.

Le prix de la réquisition pratiqué par l’Intendance, semble avoir été un facteur important. La production agricole, le blé en particulier, s’infléchit en conséquence : 1 407 000 quintaux en 1914, 680 250 quintaux en 1916, 400 000 quintaux en 1917 selon les estimations.

Le rendement à l’hectare est plus faible.

La production de vin, elle, a été « bonne » en 1916, 552 003 hectolitres contre 483 684 hectolitres en 1915.

Elle sera moyenne dans le canton de Montrichard, en 1917 et difficile à vendre, selon la Chambre de Commerce, car les prix du vin sont très élevés.

Chez le marchand, le prix de la barrique de 250 litres varie entre 260 et 280 fr. pour les rouges et pour les blancs, entre 280 et 300 fr.

Parallèlement, les tarifs de réquisition sont notoirement inférieurs à ceux du vin de Touraine. Il faudra l’énergique intervention du député Legros, par ailleurs conseiller général de Loir et Cher, pour que le Ministre accorde une hausse conséquente du prix du degré.

Le moral de la paysannerie est à la baisse.

La moral de la paysannerie loir-et-chérienne est à la baisse.

Les paysans, confrontés à de multiples difficultés, affichent leur mécontentement devant le Préfet qui visite les fermes pour l’Intendance. Les sujets sont ceux du quotidien de la paysannerie :


  • la cherté de la vie : la paire de sabot était vendue 2 fr avant guerre, en 1916 de 6 à 8 fr ; la paire de souliers, 30 fr avant guerre, 40 fr en 1916 ; le prix des vêtements a été multiplié par 2.
  • le cours des engrais qui ne cesse d’augmenter, parfois de façon considérable : le nitrate de soude passe de 28 fr en 1914 à 46 fr au 7 juillet 1916 ; le sulfate d’ammoniaque de 34,75 à 56,50 fr ; le sulfate de potasse de 26 à 85,50 fr ; le sulfate de cuivre de 70 à 200 fr les 100 kg. Certains de ces engrais sont importés d’Italie. Leur prix a des conséquences sur leur utilisation. Ils le sont moins, voire plus du tout. Le rendement décroît.
  • le prix du ferrage d’un cheval était de 0,90 fr par pied, 2 fr. par pied en 1916, le prix demandé par un charron ou un bourrelier est multiplié par 3,
  • le coût de la main d’oeuvre, aussi, augmente : un « domestique de ferme », avant la guerre était payé de 600 à 900 fr, 1500 fr plus la nourriture en 1916 ; le journalier « touchait » 3 fr plus la nourriture, en 1916 entre 7 et 8 fr nourri.

- les prix fixés par l’Intendance ne sont pas assez rémunérateurs. Et certains agriculteurs « cachent » la réalité de leur production pour satisfaire la demande commerciale qui en offre un prix plus élevé.

Pour 1917 et 1918, le décret du 13/7/1917 fixe le prix des céréales.

Les céréales qui seront récoltées en France en 1917 et 1918 ne pourront être mises en vente ou vendues à des prix supérieurs, par 100 kg, à ceux qui suivent :

le blé : 50 fr ; l’orge, le maïs, le seigle, le sarrasin, l’avoine 42 fr ; le méteil, les fèves 45 fr ; le sorgho 35 fr.

Les céréales qui ne seront pas déclarées seront réquisitionnées, à qualité égale, aux prix qui précèdent avec une réduction de 7 francs.

L’agriculteur prélève sur sa déclaration de récolte les quantités nécessaires à l’ensemencement et aux besoins familiaux.  

Néanmoins, dans son rapport de juin 1917, le Préfet de Loir et Cher tempère, cyniquement, la situation du paysan et les raisons de son mécontentement, : « Chez le paysan, qui est la grande masse en Loir et Cher, en dehors du manque de main d’oeuvre, dont il souffre cruellement, il n’a pas trop à se plaindre en ce moment et trouve dans la vente de ses produits une rémunération assez large pour lui faire oublier les petites vexations de la réquisition et même un peu sa jalousie contre l’ouvrier des villes, dont les fils sont restés à l’usine, pendant que les siens sont à la tranchée. »

Le découragement gagne les campagnes.

Le fossé se creuse entre paysans et ouvriers.

Ce qui inquiète les pouvoirs publics, c’est qu’entre la paysannerie et les ouvriers, « le fossé se creuse », comme le précise le Sous-préfet de Romorantin.

L’agriculteur a le sentiment d’être la seule et principale victime civile de la guerre.

Il est persuadé que « seuls les agriculteurs ou leur fils occupent en ce moment les tranchées, alors que tous les ouvriers des villes sont dans les usines à l’abri des dangers et pourvus de salaires plus élevés qu’ils ne le furent jamais ».

Sur les marchés, le paysan est accusé d’être un « accapareur » et de pratiquer des prix exorbitants.

Malgré tout…..

Le Loir et Cher a apporté dans ce contexte, une contribution non négligeable au ravitaillement des armées et du camp retranché de Paris.

Au 31 décembre 1916, il a fourni :

  • plus de 100 000 quintaux de blé,
  • plus de 18 000 quintaux de farine,
  • plus de 124 000 quintaux de pommes de terre
  • près de 500 000 quintaux d’avoine,
  • 44 300 têtes de bétail, dont notamment :
    • 20 000 moutons,
    • 18 170 vaches

Et, ils et elles, ont aussi assuré le ravitaillement de la population.

Ces résultats permettent de mieux mesurer aujourd’hui, ce que fut le travail et la contribution des femmes, des enfants et des anciens dans les champs.

L’artisanat et le commerce dévitalisés :

Ils sont bien implantés dans les villes et les bourgs.

La dévitalisation des bourgs, conséquence de la mobilisation générale, ira croissante avec le prolongement de la guerre.

Les commerces sont soit fermés, soit « tenus » par l’épouse.

Dans tous les cas, ils sont difficilement approvisionnés.

« Le commerce, lui aussi, pris entre les difficultés de transport et la raréfaction de la production s’anémie peu à peu. On vend les vieux stocks, on les vend même fort cher ; mais après la liquidation des fonds de magasins, certains commerçants, n’auront plus rien à vendre. »

Les maréchaux-ferrants et les bourreliers, tous les artisans qui travaillent pour l’agriculture, sont rares. La matière première manque.

Le matériel agricole n’est plus entretenu et réparé.

Les boulangers, charcutiers, bouchers, sont aux armées. Pour les artisans-commerçants, les sursitaires et les femmes assurent la continuité.

Le maire de Contres, s’adresse au Préfet pour « lui signaler l’état de souffrance où se trouve actuellement la charcuterie de son pays ».

Il n’ y a plus personne pour tuer le cochon. La dernière charcuterie va fermer . le maire demande un sursitaire.

A Monthou, le marchand photographe ambulant, qui stationne sur la place de la Mairie, est mobilisé : sa femme le remplace et en voiture à cheval, visite villages et bourgs pour que les femmes puissent envoyer une photo de la famille à leurs hommes dans les tranchées.

La boulangerie un exemple significatif de la désorganisation qui règne dans les villes et les bourgs.

Le pain reste le « repas du pauvre ». Il est l’aliment de base.

Comment approvisionner la population des villes et villages alors que l’artisan boulanger est aux armées ?`

Les autorités militaires et civiles appliqueront le principe du sursis d’incorporation.

Le militaire, boulanger de métier, est mis à la disposition d’une boulangerie.

Les demandes de sursis sont déposées soit par les mairies soit par les militaires boulangers.

L’armée doit tenir l’équilibre entre la réponse aux besoins des populations civiles et ravitaillement des troupes.

Devant l’augmentation des demandes de sursis déposées par les maires ou les militaires, le Général Commandant la 5eme Région adresse au Préfet une circulaire en date du 11 août 1916, dans laquelle il rappelle qu’il ne peut satisfaire ces demandes sans compromettre le ravitaillement de l’armée.

Il invite fermement le Préfet à faire preuve d’imagination pour satisfaire aux besoins de la population tout en limitant le nombre de boulangers en sursis.

Pour cela il lui propose d’agir dans deux directions :

  • inviter les maires à surveiller les boulangeries de leur commune afin de réduire le nombre de boulangers sursitaires,
  • partager les heures de travail du boulanger sursitaire entre plusieurs boulangeries.

Le Préfet de Loir et Cher, lui, prend une mesure drastique : « j’ai décidé pour ma part de ne plus faire appel à de nouveaux militaires ouvriers boulangers. 

Lorsque dans une commune la situation deviendra trop difficile, je proposerai à l’autorité miliaire d’y envoyer l’un des militaires actuellement à la disposition l’autorité miliaire d’y envoyer l’un des militaires actuellement à la disposition d’une des boulangerie du Loir et Cher ». Elles ont « à leur disposition un ouvrier qui aurait eu tout le temps de dresser des apprentis ».

Il demande à la gendarmerie de procéder à une enquête pour connaître la réalité du terrain.

Sont recensés les noms et prénoms des propriétaires de boulangeries, des personnes qui participent à l’activité de la boulangerie, la nature du pétrin, mécanique ou à bras, la population globale à alimenter.

Il résulte de l’enquête réalisée dans la ville de Montoire, par exemple, qu’il reste 6 boulangeries en activité ( 2 ont été fermées depuis la mobilisation ) qui doivent alimenter 4500 habitants, que 5 boulangers sont âgés de 50 à 64 ans, 4 apprentis seulement de 14 à 17 ans sont disponibles et 2 femmes de 26 à 30 ans tiennent une boulangerie.

La situation devait être assez similaire dans les autres villes du département.

A Monthou, le boulanger est au front. Sa femme fait venir de Saint Georges sur Cher son frère réformé. Il apprend en quelques jours à faire le pain ; et elle s'en va faire les tournées en carriole.

La boulangerie de Gault fonctionne depuis août avec un sursitaire. Il est payé 100 fr par mois et logé.

Le maire de St Amand demande un sursitaire supplémentaire, le Préfet lui répond que les trois boulangers sursitaires peuvent assurer les besoins de 2000 habitants.

Les industries naufragées sauf celles pour l’effort de guerre :

De nombreux secteurs industriels sont naufragés.

Les données de la Chambre de Commerce de Blois, au 31 décembre 1916, révèlent que seuls les secteurs qui travaillent pour la guerre s'en sortent : les fabriques de draps, de chaussures, de chocolat, de conserves, de chemises et de confection. Il en est de même pour les tanneries, les fonderies, les minoteries ainsi que le commerce du bois destiné aux armées.

A la fin de 1917, le constat est le même.

Depuis le début de la guerre leur prospérité va croissante. « Les industriels qui travaillent presque tous pour l’armée réalisent des fortunes » dira le Préfet.


Les entreprises qui travaillent pour la Défense Nationale.

Dès le mois de juillet 1916, le Ministère de l’Intérieur, est informé du « commencement d’agitations dans les usines qui travaillent pour la Défense Nationale ». 

Par une démarche conjointe avec le Sous-secrétaire d’état de l’Artillerie et des Munitions, ils s’adressent aux Préfets et les invitent à contacter le « Contrôle de la main d’oeuvre » particulièrement chargé de toutes les questions concernant la situation des ouvriers dans ces établissements.

Ils leur demandent d’informer les commissaires spéciaux, les commissaires de police et les maires, de saisir d’urgence s’ils en ont connaissance d’un début « d’agitation », « les contrôleurs de la main d’oeuvre ». Pour la région, c’est Mr. Costes, Place Saint Thomas d’Aquin, à Paris qui est compétent.

Cette « invitation » du Ministère de l’Intérieur est une saisine discrète des commissaires spéciaux et des commissaire de police, afin qu’ils organisent une surveillance suivie et stricte des salariés et des syndicalistes qui travaillent dans ces entreprises.

Cette surveillance sera « occulte » tout au long du conflit.

Elle prendra fin le 31 août 1919.

En effet, le Ministre de l’Intérieur s’adresse aux Préfets, par une circulaire chiffrée classée « secret : vous prie de faire savoir fonctionnaire Sureté Nationale que service surveillance occulte dans usines ou établissements travaillant pour la défense nationale doit prendre fin le 31 août 1919.

ils n’auront plus à fournir états spéciaux numéro 2 après cette date. »


Les Sous-préfets procéderont au recensement des ces entreprises en demandants aux maires de dresser la liste des établissements qui, dans leur commune, travaillent pour la Défense Nationale et de préciser le nombre d’ouvriers français et étrangers et la nature de leur production.

Ces établissements sont répartis dans les trois arrondissements.

Dans celui de Romorantin, 12 établissements sont déclarés travaillant pour la Défense Nationale.

 Dans la ville de Romorantin :

      • Normant et frères : une importante fabrique de draps. Elle emploie 1035 ouvriers dont 438 hommes, 437 femmes, 160 enfants et 9 belges. Elle déclare une production de 100 000 mètres de draps par mois.
      • Aubin : c’est à la fois une fabrique de tan et une tannerie. 17 hommes dont un enfant y travaillent. Sa production est de : 50 à 60 000 kg de tan par mois et de 8 à 900 kg mensuels de cuirs.
      • Cornemin : Fabrique de galoches. Elle en réalise 200 paires par jour, et emploie 10 hommes, 7 femmes , 1 enfant et 4 ouvriers belges dont 2 femmes.
      • Monteux : atelier de chaussures militaires et civiles.  44 hommes, 114 femmes, 63 enfants; 16 belges, 2 italiens, 1 suisse, réalisent  800 paires par jour.
      • Loyauté, Scierie : 3 ouvriers traitent 1 m3 tous les jours.

A Salbris :

      • Gaulier Paul . C’est une scierie mécanique. Elle assure la fourniture au Génie du bois de débit. Elle emploie 68 ouvriers, dont 4 femmes et 4 Belges. Sa production est de 12 m3 par jour.

A Mur de Sologne :

      • Jules Petit. C’est une scierie avec 5 ouvriers, qui traitent 35 à 50 m3 par mois.

A Souesmes :  L’entreprise Jules Petit et le Legarff. C’est une scierie.


A Pruniers : 
- Saumier Jules, il s’agit du minotier du Moulin des Quatre Roues. Il emploie 10 à 12 ouvriers, tous des hommes. Ils broient 130 à 150 quintaux métriques par jour.

- Barboux, Dedion J. Baptiste : C’est une scierie qui façonne 1 m3

            par jour de planches de madriers en sapin. Elle emploie 6 ouvriers.

- Labbé, Léon : 54 ouvriers, tous des hommes, produisent des boulons et des rivets pour l’Artillerie, le Génie, les Poudres et l’Aviation.

Elle fait aussi opérations thermiques pour les obus de 75.

Sa production est importante : boulons et rivets 2700 kg par jour,

et les obus, 460 pièces/jours.

Dans l’arrondissement de Vendôme, ce sont notamment les établissements Gebevee et Cie dans l’industrie de l’armement ; Bergerault-Gillet ; 

Vade Léon ; Plessier-Hamart ; Rousset, dans l’industrie du cuir et de la chaussure.

Enfin, dans l’arrondissent de Blois, ce sont notamment les établissements Chrétien Vve; Paulmier père et fils à Contres, dans l’industrie de l’armement ; Hervet, Rousset, Gueritte, Cheron, dans l’industrie du cuir et de la chaussure et enfin Poulain.

Ces établissements font donc l’objet d’une surveillance stricte y compris pour détecter les tentatives de débauches des travailleurs. Certains employeurs, et ce sera particulièrement vrai pendant la présence américaine, utiliseront les services de rabatteurs qui devant les portes de l’usine à l’heure de l’embauche, distribueront des « prospectus » faisant miroiter des salaires supérieurs pour attirer à eux les ouvriers.

Le patronat local et le gouvernement prirent des décisions pour y remédier. Nous les examinerons dans un autre chapitre.

Autre secteur d'activité en expansion, celui du bois.

Les marchands de bois et les propriétaires forestiers réalisent aussi de substantiels profits.

Le reste de l’activité est à l’arrêt ou en crise profonde.

Ainsi, dans le canton de Montrichard, qui avant guerre, connaissait une activité économique et un artisanat dynamiques, sont à l’arrêt l’usine de carrosserie Raguin, les carrières de Pontlevoy et Bourré, les champignonnières, les tuileries. Les fours à chaux ont répondu avec beaucoup de difficulté aux besoins des périodes de sulfatage. Les meuneries, la conserverie de Bourré, travaillent pour l’armée. Il en est de même dans les autres cantons.

Les embauches de réfugiés, belges notamment, ne peuvent combler le déficit de main d’oeuvre provoqué par la mobilisation.

Une appréciation de la Chambre de Commerce résume bien la situation : les travaux du bâtiment ne reprennent pas. Avec le moratoire sur les loyers, les propriétaires ne perçoivent pas de loyers. Ils ne font donc pas de travaux, « et il faut dire aussi que s’il y avait reprise des travaux, on se demande comment on ferait pour les faire exécuter, puisqu’il n’y a pas d’ouvriers » !

De plus, les produits comme l’huile de lin, les verres à vitres, sont hors de prix et introuvables

Au manque de main d’oeuvre, s’ajoute la crise des transports.

Dans la chocolaterie, la biscuiterie, la clientèle habituelle est réduite. Les commandes des coopératives de l’armée sont de plus en plus pressantes et importantes.

La chocolaterie Poulain produit d’énormes quantités. Elles ne peuvent être livrées faute de transports. « La Chocolaterie a dû congédier un temps une partie de son personnel ».

Les biscuiteries connaissent une situation analogue « les magasins sont bondés de biscuits » qui ne peuvent être livrés et la fermeture menace. « que faire alors, en plein hiver, du personnel qui entrant en chômage, manquera de tout ».

Dans ce contexte de désorganisation quasi générale, il faut trouver des solutions de transports.

Poulain organise les transports fluviaux pour se faire livrer le sucre.

Le port de Blois connait un regain d’activité :

  • « l’Eden » arrive le 15 mars avec 35 tonnes de sucre et repart le lendemain avec un chargement complet de caisses de chocolats,
  • « Le Verton » arrive au port de Blois avec 40 tonnes de sucre, il repartira avec 40 tonnes de chocolat,
  • le 24 mars, le « Franc » accoste au port de Blois avec 150 tonnes de sucre et repartira avec un chargement équivalent de chocolat;

A Montrichard, des bateaux « bourrichon » descendent le Cher canalisé, embarquent du vin sur le port, pour le livrer dans le Centre et à Paris. Cette activité de cabotage se poursuivra en 1918.

Dans l’industrie aussi les femmes remplacent les hommes

Il va être fait massivement appel aux femmes notamment dans les industries d’armement. En 1917, elles seront plus de 420 000 dans les usines d’armement au niveau national.

Ainsi, les fameuses " munitionnettes" construiront 300 millions d'obus et 4 milliards de cartouches.


Les conditions de travail y sont très difficiles, dangereuses et insalubres.

Des grèves importantes de ces femmes auront lieu.

Outre leur sens patriotique, ces femmes ont besoin de travailler pour survivre, elles et leur famille.

Les salaires y sont plus élevés que dans les métiers traditionnellement féminins, mais elles demeurent moins payées que les hommes.

La Pyrotechnique située à Bourges recrute jusque dans le Loir et Cher.

Le Sous-préfet souligne que les ouvrières sont nombreuses à Romorantin.

Chez Normant, à Romorantin, sur 106 ouvriers et ouvrières fileurs, 70 sont des femmes.

Cette situation va être amplifiée avec l’installation des américains et l’embauche d’ouvrières de la Région Parisienne pour travailler dans leurs ateliers de Gièvres, Salbris, Romorantin.

Dès le 17 juin 1917, elles sont 18 ouvrières à Pruniers avec un contrat de travail de trois mois renouvelable.

Le 26 juin, l'armée US en recrute 81, toujours à Pruniers.

Puis, le 4 juillet, ce seront 46 ouvrières recrutées à Romorantin, etc.

Mais, après l'Armistice, les Américains préparent leur départ : le 21 novembre 1918, 179 ouvrières sont licenciées.


Une inégale répartition des richesses :

Les profits exorbitants des entreprises qui travaillent pour l’armée révoltent l’opinion publique.

En effet, une partie grandissante de la population, supporte de plus en plus difficilement l’inégale répartition des sacrifices, aggravée par l’inégalité de répartition des richesses.

Le 1er Juillet 1916, le Parlement vote une loi visant à l’imposition, sous la forme d’une contribution extraordinaire, des bénéfices exceptionnels ou supplémentaires réalisés pendant la guerre, entre le 1er août 1914 et la fin du 12ème mois suivant la fin des hostilités.

25 entreprises du département de Loir et Cher, sont concernées par cette contribution extraordinaire ( la liste de ces entreprises figure en annexe 2 ).

Cette loi était justifiée, aussi, par l’état des finances publiques. Son rendement au niveau national fut faible.

UNE ATMOSPHÈRE PESANTE

Parmi la population l’angoisse, la peur dominent.

C’est l’angoisse du télégramme bleu.  

L’angoisse quotidienne, de la venue du maire ou du porteur de dépêche, pour remettre la dépêche de couleur bleue du ministère de la guerre. Elle annonçait la mort « héroïque » du mari, d’un fils.

Ce sont de durs moments pour les maires ruraux dont la fréquence et la répétition de l’annonce des décès ébranlèrent le moral.

Et elles furent nombreuses les démarches des maires dans les premiers jours de l’année 1917.

Le 113e RI, avec le 5e Corps d’Armée a, en avril 1916, « fait le chemin des Dames » au sein de la Ve Armée. 49526 de ses soldats, dont de nombreux « loir-et-chériens », tombèrent lors de cette offensive dirigée par Nivelle.

Plus de 6359 soldats loir-et-chériens ont été tués ou sont disparus de 1914 au mois de décembre 1916, sans compter les blessés.

Malgré la censure exercée par l’Etat-Major, l’information circule péniblement, mais circule tout de même.

Le témoignage d’un Montholien nous dit :« …l’absence du père, à certaines heures nous inquiétait, en particulier quand nos mères en parlaient entre elles et quelquefois pleuraient après avoir appris la mort d’un soldat de la commune ». 

Il y a les lettres des soldats du front.

Certains demandent à leur famille de ne pas souscrire à l’emprunt pour en finir avec la guerre.

Il y a les permissionnaires.

Il parlent peu, mais suffisamment, et quelques fois leur silence en dit long.

Il y a les blessés qui rentrent chez eux.

La population entrevoie l’effroyable bilan humain de la guerre.

Elle doute.

Ce climat angoissé est alourdi par les restrictions, les difficultés d’approvisionnement, les privations, la cherté de la vie.

« Mes parents étaient pauvres !». Cette affirmation revient souvent dans les témoignages des anciens que nous avons recueillis.

En février 1917, le Préfet, précise au Ministre dans son rapport de début d’année, que : « les petits rentiers, les employés, les petits fonctionnaires souffrent cruellement de la guerre ». Il a oublié d’évoquer les familles de mobilisés. Pour beaucoup d’entre elles, le revenu est constitué de la seule allocation versée aux familles nécessiteuses des mobilisés : 1,25 fr, plus 0,75 f par enfant à charge et par jour.

De quoi ne pas mourrir de faim.

Toutes les familles ne disposent pas d’un potager ou d’un potager suffisamment grand pour assurer l’auto-subsistance d’un famille souvent nombreuse.

Très vite, la pénurie va s’installer et les prix flamber.

Même à la campagne la vie devient très difficile. " On manquait de tout. Bien des produits de première nécessité avaient disparu de l’épicerie" ont rapporté des grands-mères de Monthou à leur petites-filles.

La solidarité s’exprime, mais c’est à la boutique ou sur le marché qu’il faut s’approvisionner.

La population civile dans sa grande majorité, paye un lourd tribut à la guerre.

Il n’est certes pas comparable aux souffrances endurées par le peuple allemand.

Les difficultés de ravitaillement en matières premières et denrées alimentaires de l’Allemagne, furent considérablement aggravées par le blocus maritime des Alliés, installé en 1914 et renforcé en 1915.

Churchill avait déclaré « le blocus vise directement à réduire toute la population par la faim, hommes, femmes, enfants, vieux et jeunes, blessés ou bien portants».

Les Allemands connaissent la faim et les queues interminables.

Erich Maria Remarque, journaliste allemand, mobilisé, en fait une description sobre, réaliste et désabusée dans son roman « A l’ouest rien de nouveau» : « j’accompagnais ma soeur (iI s’agit d'un permissionnaire ), elle va à l’abattoir chercher quelques livres d’os. C’est une grande faveur d’en recevoir et, dès le matin, les gens font la queue. Plus d’un tombe de défaillance. Nous n’avons pas de chance : après avoir attendu trois heures, l’un relayant l’autre, le rassemblement se disperse, il n’y a plus rien».

En janvier 1915, parce qu’ils sont des concurrents alimentaires de l’homme, 9 millions de cochons avaient été abattus.

Les aliments et la viande étaient rationnés.

Berlin a connu les manifestations de la faim dès le 10 octobre 1915.

Plusieurs dizaines de milliers d’allemands sont morts de faim.

Ce ne fut pas le cas en France, même si, pénuries de denrées et hausse des prix se cumulèrent.


LES CONDITIONS DE VIE SONT TRÈS DÉGRADÉES 

La cherté de la vie : contenir le mécontentement.

La cherté de la vie provoque le mécontentement de la population.

Il est patent. Il s’exprime, quelquefois, bruyamment sur les marchés. La presse locale en rend compte.

Il est diversifié, mais globalement résigné.

Il reste contraint par le poids de la guerre, les nouvelles de la situation du front, ainsi que par la politique d’Union Sacrée.

La hausse des prix fut un des facteurs déclencheurs des conflits sociaux qui prennent un nouvel essor dès 1917. Ces conflits prendront une dimension nouvelle en 1920 sur l’ensemble du territoire ainsi que dans le département de Loir et Cher.

Le gouvernement avec la loi du 16 avril 1916 sur la taxation des denrées essentielles, avait tenté et tentera jusqu’à la fin de la guerre, d’instituer un contrôle du mouvement des prix tout en assurant l’approvisionnement des populations civiles.

Le moral des populations à l’arrière, détermine pour une part non négligeable celui des soldats sur le front.

Le gouvernement doit maintenir un consensus social dans une guerre qui dure.

Il le fera sans remettre en cause les fondements libéraux de l’économie dont il est porteur.

Il affirme comme intangible le sacro-saint principe de la liberté du commerce. Pas question de lui substituer un système même embryonnaire d'économie administrée.

Mais, il tentera, au coup par coup, en fonction de l’évolution des événements, de répondre, par diverses mesures, à la pression sociale.

L’élaboration, puis le vote de la loi portant taxation des denrées essentielles pour la nourriture et le chauffage, donna lieu à des débats importants au Parlement mais aussi, à un niveau infra, dans les départements, le Loir et Cher en particulier.

Le 6/4/1916, alors que la discussion au Sénat bat son plein, le Ministre de l'Intérieur s’adresse aux Préfets.

Il leur demande « de prendre d’ores et déjà toutes les mesures destinées à faciliter l’exercice des droits qui leurs seront confiés par cette loi ».

Dès réception de la note ministérielle, le Préfet de Loir et Cher, invita les Sous-préfets de Vendôme et de Romorantin à étudier minutieusement la formation des prix dans leur arrondissement, le niveau des prix de détail et les différentes étapes de la hausse des prix. Si la hausse s'avérait injustifiée, il souhaite que les intermédiaires qui en sont responsables, soient identifiés.

Elle devait également aborder les avantages et les inconvénients de la taxation : sujet en débat au Sénat.

Les objectifs étaient de préparer les esprits, les milieux économiques, au principe de la taxation, et d’éviter la spéculation et les profits inconsidérés.

Une commission est mise en place par le Sous-préfet de Vendôme.

On ne trouve pas trace d’une étude similaire dans l’arrondissement de Romorantin.

La discussion dans le département révélera la place particulière que le Loir et Cher occupe dans le processus de la formation des prix.

Il ressort des travaux de la commission, que globalement « l’opinion n’est pas opposée à la taxation », mais elle doute de ses effets sur les prix du fait même de facteurs externes sur lesquels la taxation n’a pas de prise.

Notamment sur les agissements des intermédiaires. ils font leurs « courses » en Loir et Cher. Ils achètent, directement aux producteurs, des produits alimentaires à des prix très supérieurs à ceux pratiqués sur les marchés du département, pour revendre à Paris, en gonflant les prix.

La proximité de Paris pénalise le Loir et Cher. Elle attire les coquetiers de toutes sortes. Leurs pratiques sont facilitées par l’antériorité des relations commerciales entre les producteurs et intermédiaires du département et ceux des marchés aux bestiaux et des halles centrales de Paris. En effet, les statistiques disponibles révèlent que, en 1912, 34 703 têtes de bétails dont 25 617 moutons du département, ont été vendues sur le marché à bestiaux de la Villette. Cette année là, les réseaux ferrés d’Orléans et de l’Etat ont transporté, pour les halles centrales de Paris 1 504 248 kilogrammes de viande de boucherie (1 136 297 par le réseau d’Orléans) et 688 980 kilogrammes de fruits et légumes (632 150 kg de légumes).

La guerre modifie la donne des relations commerciales entre le département et les intermédiaires parisiens. Ce sont eux qui se déplacent pour spéculer sur les prix.

Un autre facteur externe, que la taxation n’influencera pas, c’est celui du rôle de l’Intendance militaire. Elle affiche une tendance forte à surévaluer ses prélèvements pour éviter la pénurie des denrées sur le front. Cette pratique a pour effet d'accroître la rareté des produits et de faire augmenter leurs prix.

Dans l’argumentaire adressé à son ministre, le Préfet reprendra à son compte l’argumentation des milieux « économiques » : la taxe doit être considérée comme une arme, tout en insistant sur la nécessité de mettre en œuvre une taxation à Paris,  « la région est spéciale, car c’est Paris qui est le grand régulateur des cours ».


Taxation du prix des produits alimentaires de première nécessité et réglementation de la consommation .

La réglementation de la consommation et la taxation du prix des produits de première nécessité commencées en 1916, prendront de l’ampleur tout au long de l’année 1917.

Le premier trimestre de l’année 1917, est caractérisé par plusieurs mesures préfectorales, prolongeant les décisions ministérielles, visant à réglementer, rationner la consommation des produits de première nécessité et à taxer leur prix de vente.

Le sucre.

La consommation du sucre avait fait l’objet de mesures de rationnement en 1916.

En octobre 1916, la consommation départementale, avait été évaluée à 200 000 kg sur la base de 750 grammes mensuels et par habitant.

En novembre de la même année, seulement 75 000 kg de sucre raffiné avait été attribué au département.

125 000 kg de sucre cristallisé furent demandés. En deux distributions, ce ne sont que 50 000 kg qui furent attribués. Soit un manque de 75 000 kg, rien que pour l’alimentation.

Pour les industriels, le manque est du même ordre de grandeur. Pour la biscuiterie, 12 500 kg sur les 60 000 demandés furent attribués, pour la pharmacie 200 kg furent attribués sur les 6000 demandés.

Ces chiffres sont indicatifs du niveau de la pénurie de sucre.

Il est un produit rare, dont il faut rationner la distribution et par conséquence la consommation.

L’arrêté du 29 janvier 1917 institue le « carnet de sucre ».

Composé de trois tickets mensuels d’une valeur de 250 grammes chacun, il est nominatif, intransmissible, signé par son titulaire et délivré en mairie.

La ration mensuelle est fixée à 750 grammes par personne.

Pour la fabrication des confitures, elle ne peut excéder annuellement 3 kilogrammes par personnes.

Par voie de presse, il est rappelé aux commerçants qu’ils ne peuvent délivrer du sucre que sur présentation du carnet duquel ils détachent le ticket correspondant.

Pour éviter que des commerçants ne vendent au détail la ration déterminée et majorent les prix, il leur est interdit de casser, scier, le pain de sucre ; de même, ils ne peuvent subordonner la délivrance de la ration à l’achat d’autres denrées. Malgré ces prescriptions, les récriminations des clients témoignent de ce type de pratiques.

Les quantités de sucre disponibles ne cesseront de se réduire.

Le 18 octobre 1917, un nouvel arrêté préfectoral taxe le prix du sucre :

  • le kg de granulé et cristallisé, est fixé à 1,65 fr.
  • le kg de roux à 1,55 fr.
  • mécanique, en pain, irréguliers, en poudre ou en semoule, à 1,85 fr. la boite de 1 kilo.

La ration mensuelle fut réduite à 500 grammes par personne pour les mois d’octobre, novembre et décembre 1917.  

Sa consommation fut interdite dans les restaurants et la dotation des industriels réduite de 50 %.


Le beurre :

Le beurre est un produit de grande consommation. Il est très demandé.

La réduction du nombre des vaches du fait des prélèvements de l’armée, réduit de façon automatique la quantité de beurre produite.

Les difficultés d’approvisionnement accentuent la raréfaction du produit.

Tout concourt à l’envolée du prix du beurre et donc d’en faire un produit de spéculation.

Son prix augmente fortement.

Avant la guerre, il était vendu sur les marchés de Vendôme, entre 2 fr. et 2,90 fr. le kilogramme selon sa qualité. En avril 1916, le kilogramme de beurre est vendu entre 4 fr. et 4, 20 fr.

Dans la ville de Contres de 2,80 fr en janvier 1914, il passe à 4,97 en janvier 1916.

La taxation du prix du beurre visait à assurer l’approvisionnement des populations à un prix abordable et de limiter la spéculation.

C’est l’objectif de l’arrêté préfectoral du 8 décembre 1916. Il fixait un prix uniforme de 4,50 fr. le kg, à la ferme, sur les marchés et chez le détaillant.

Cet arrêté suscita de violentes réactions de la part des fermiers producteurs. Ils retirent le beurre de la vente sur les marchés de l’arrondissement de Blois.

Le beurre était devenu introuvable.

Inquiet, le Préfet s’adresse aux Sous-préfets de Romorantin et Vendôme. Il souhaite connaître si, sur ces deux arrondissements, les réactions ont été identiques et dans ce cas, il envisage de modifier, voire de rapporter son arrêté.

Le Sous-préfet de Vendôme aussi, avait été avisé par les maires des villages que le beurre était introuvable sur les marchés : « les fermiers préfèrent le céder à ce prix ou à un prix plus élevé aux intermédiaires qui parcourent la campagne et qui vont le revendre sur les marchés des départements voisins ou mieux encore à Paris où ils retirent de plus grands bénéfices ».

« Hier la population n’a pas pu s’en procurer. Tout le beurre disponible a paraît-il été dirigé sur Paris après avoir été acheté dans les fermes par les intermédiaires »

Les producteurs refusent de vendre sur les marchés à un prix inférieur à 5,50 fr. le kilogramme.

Les maires de l’arrondissement et la Commission de la Vie Chère de la ville de Vendôme sont consultés sur les mesures à prendre.

Il ressort de cette consultation, que le prix de 4, 50 fr. pourrait être maintenu pour les marchands en gros, mais qu’une marge de 19 à 20 centimes devrait être consentie pour la vente au détail.

La conclusion est que si le prix uniforme de 4,50 fr. le kilogramme est maintenu, le beurre sera introuvable.

Le Préfet se rangera à cette recommandation.

Son arrêté du 22 janvier 1917 fixe les prix plafonds. Il est applicable a compter du 1er février. Le préambule de l’arrêté est explicite :

« Considérant qu’il y a lieu de prendre des mesures en vue d’enrayer la hausse exagérée des cours pratiqués sur les beurres, tout en tenant compte à la production et au commerce de l’augmentation justifiée des frais résultants des circonstances actuelles ;

considérant la nécessité d’établir une corrélation entre le prix de vente du lait et de ses dérivés, beurres, en vue de maintenir à un taux acceptable pour la consommation les prix de vente du lait, aliment par excellence des malades, des vieillards et des enfants ».

Selon le texte de l’arrêté « le prix du beurre, ne pourra jamais dépasser : 4,50 le kilo chez le grossiste à la ferme, et 4,80 au détail sur les marchés, et 5 francs chez le marchand ».

Il affirme la possibilité de réquisition « pour assurer l’alimentation des centres qui manqueront momentanément de beurres ».

Cet arrêté ne sera pas appliqué. L’administration préfectorale n’a pas les moyens de le faire respecter.

Le prix du beurre ne cessera de fluctuer à la hausse.

Sur le marché de Blois, selon les mercuriales, il oscillera entre 9 et 9,50 le kilo, le 2 mars, pour baisser ensuite et se stabiliser entre 5 fr et 7 fr.

Sur le marché de Contres son prix évoluera entre 5, 40 et 7 fr.

Soit plus d’une journée de travail d’un fileur chez le drapier Normant.

Des correspondants écrivent dans la presse pour dénoncer cette situation et disent refuser le prix exigé.

Ils protestent contre la spéculation sur le beurre.

Un marchand blésois s’exprime dans l’Echo du Centre du 13 janvier 1917 : il évoque « la grève de la baratte ». S’adressant au Directeur du journal, il écrit : « Vous savez qu’un arrêté préfectoral fixe le prix du beurre à 4,50 le kilo en Loir et Cher. Or, le lendemain même de l’application de ce nouveau règlement, le beurre sur le marché du samedi à Blois se faisait presque introuvable »…..il invite les lecteurs « à roder entre la Belle Jardinière et la rue du Commerce, ils verront de bonnes femmes de campagne, leur panier sous le bras processionner mystérieusement autour des pyramides de corbeilles de deux ou trois courtiers…….le beurre glisse silencieusement et prestement des paniers des villageoises dans les vastes corbeilles des courtiers. »

Dans un journal local, un correspondant écrit que « jeudi sur le marché de Bracieux, le beurre se faisait rare, que samedi il était impossible d’en trouver à Blois » (..) il dénonce le « va et vient des courtiers en gros qui sillonnent en automobiles les campagnes de Beauce et de Sologne, vont de ferme en ferme, enlever tout ce qu’ils trouvent au détriment des populations des villes de Loir et Cher ». (…) « Dans le département, il y a des oeufs, des pommes de terre, du beurre. Ils partent vers les Halles parisiennes » (…) « samedi soir, le panier des blésoises était vide; elles n’avaient rien trouvé au marché rue Denis Papin, rien sur celui de la Place St Honoré ».  

Les paysans sont clairement désignés comme responsables de la hausse du prix du lait et du beurre. Par presse interposée, ils se défendent en arguant de l’augmentation du prix d’une vache : il est passé de 300 à 900 fr. et de la cherté des compléments de son alimentation.

Mais il n’en reste pas moins vrai qu’une manoeuvre, mère de famille, doit travailler une heure dans une usine de guerre pour acheter un litre de lait !

Le manque de lait.

Dans ce contexte de pénurie, le rationnement de certains produits de consommation courante prend une valeur symbolique plus forte que les autres.

La pénurie du lait et son prix vont susciter de fortes protestations dans la presse.

Les laitiers ne sont approvisionnés que deux fois par jour.

Le lait est réservé aux femmes qui ont de jeunes enfants.

Devant le laitier, les queues sont interminables. Dans l’Echo du Centre du 13 janvier 1917, un particulier décrit la situation dans une tribune libre :

« Si vous passez vers six heures, le soir, rue des Orfèvres, vous pouvez voir de nombreuses personnes attendant un récipient à la main qu’on veuille bien leur vendre du lait ».

Les oeufs.

Le jeu de l’offre et de la demande aura aussi des effets pervers sur les prix de la douzaine d’oeufs.  

Ils varient à la hausse en fonction de la quantité des prélèvements opérés par les coquetiers qui achètent directement dans les fermes. Selon les semaines, les prix de la douzaine d’oeufs oscilleront entre 3, 50 fr et 3,75 fr pour atteindre 4,10 fr sur le marché de Contres.

La réglementation de la pâtisserie.

Concomitamment à la taxation du prix du beurre, le Préfet va tenter de réduire son utilisation dans la réalisation de produits pâtissiers en réglementant et la fabrication et la vente de ces derniers.

Un arrêté préfectoral du 9 février 1917, interdit la fabrication et la vente des produits pâtissiers les mardi et mercredi, jours de fermeture obligatoire des pâtisseries.

Ces jours là, la vente des pâtisseries sera également interdite sur les rayons des autres types de magasins, dans les hôtels, les cafés, les restaurants.

Les glaciers et les glaciers-confiseurs sont concernés.

Ces dispositions, seront aggravées par arrêté préfectoral, le 21 avril 1917.

En effet, outre la fermeture de deux jours consécutifs par semaine déjà décrétée, la fermeture de tous les rayons de pâtisserie confiserie, chocolaterie, biscuiterie et confiserie dans tous les autres commerces de distribution est imposée.

Les pâtes en croûte sont concernées.  

Dans les hôtels, restaurants, cafés, sauf si les jours de foires ou de marchés coïncident avec ces jours là, la consommation des pâtisseries est interdite.

Du 1er juin au 31 juillet, la fabrication et la vente est totalement interdite : les établissements sont fermés.

Lorsque la vente est autorisée, les pâtisseries nécessitant de la farine sont prohibées.

Pendant les jours de fermetures des pâtisseries, il est également fait interdiction aux boulangers de vendre du pain garni de confiture ou de tous autres aliments sucrés.

Les glaciers et les glaciers-confiseurs sont concernés.

Les pâtissiers devront déclarer avant le 1er mai les quantités de farine qu’ils détiennent et la céder au boulanger au prix de 44 Fr. le quintal avant le 17 mai.  

En février 1918, le Préfet rappelle par voie de presse l’interdiction de fabriquer et de vendre de la pâtisserie fraîche ou sèche, des pâtes en croûte, de la biscuiterie, de la confiserie ou des fruits confits préparés avec du sucre ou du miel, des entremets et des glaces préparés avec du lait frais ou condensé, de la crème, des oeufs, du sucre ou de la farine.

Ce n’est que le 22 décembre 1918, que les interdictions touchant les pâtisseries seront levées.

Les bonbons et le chocolat frappés par les restrictions.

Le 16 février 1917, les mesures concernant les pâtisseries sont étendues aux bonbons et aux chocolats.

Le 24 août 1917, le prix de « tout chocolat d’une teneur supérieure à 36% de cacao »est taxé. Le prix de la tablette de 250 grammes, ne pourra excéder 1,15 Fr. et 0,60 Fr, celle de 125 grammes..

Réglementation de la fabrication du pain.

Toujours le 9 février, un décret ministériel réglemente la fabrication du pain.

Il doit être fabriqué avec de la farine entière de froment, mesurer 80 cm de long et peser 700 grammes.

La fabrication de tous les autres types de pain notamment dits de luxe ou de fantaisie est interdite. Dans la liste des pains interdits figurent aussi les « petits pains » et les croissants.

Il sera vendu au poids, entier ou en morceaux.

Il ne peut être vendu que 12 heures après sa cuisson. En interdisant la vente du pain frais, les pouvoirs publics espèrent en limiter la consommation.

La chambre syndicale de la boulangerie de Blois en tirera argument pour augmenter le prix fixé à 2,30 fr., les 5 kilogrammes.

« la légère augmentation du prix du pain sera compensée chez le consommateur, par une diminution dans la consommation 

du pain rassis ».-


Le Carnet de pain.

Le carnet de pain, selon les termes du décret du 3 août 1917, est mis en usage seulement dans les communes de plus de 5000 habitants.

Chaque consommateur ou chef de famille devait faire, sur un carnet, la déclaration des quantités de pain correspondant à sa consommation et à celle des membres de sa famille.

Cette déclaration était faite sur un carnet.

Les déclarations devront être déposées le 29 octobre en mairie à Blois.

Le 18 septembre 1917, le Préfet de Loir et Cher prend un arrêté, dont les considérants attestent de la gravité de la crise agricole et notamment de la production du blé.

« Considérant que la production du blé est très déficitaire ;

Qu’il y a lieu de conserver le plus longtemps possible les quantités de blé pouvant exister en Loir et Cher ;

Qu’il convient donc dans ce but d’élever le pourcentage de mélange ;

Le pourcentage de farine de seigle ou d’orge devant entrer dans le mélange à la farine de froment est fixé à 50 % ».

En décembre 1917 : le ministre du ravitaillement prend un décret de « rationnement du pain, alloué à chaque consommateur suivant son âge et sa condition sociale ».

Les taux maximum par tête et par jour sont pour :

  • les travailleurs de forces disposant de ressources très médiocres
      • hommes de plus de 16 ans : 600grammes,
      • femmes de plus de 16 ans : 500 grammes,

  • les travailleurs de petits métiers disposant de ressources modestes
      • hommes de plus de 16 ans : 400 grammes,
      • femmes de plus de 16 ans 300 grammes,

  • tous les consommateurs non compris dans les deux catégories précédentes :
      • hommes de plus de 16 ans : 200 grammes,
      • femmes de plus de 16 ans : 200 grammes,
      • enfants de moins de 16 ans : 200 grammes,

Le carnet de pain sera, sous forme de tickets, incorporé dans la carte d’alimentation décrite dans la circulaire du Préfet en date du 28 mars 1918, pour application effective au 15 avril.

Les restrictions sont nombreuses.

Le Préfet constate que les populations « supportent les restrictions » sauf « celle du pain qui continue à être accueillie diversement ».

Les articles sur le « mauvais pain » fleurissent dans la presse locale.

Ce sont les meuniers qui sont montrés du doigt.

Ils sont accusés de ne pas nettoyer la farine et de fournir une

« mauvaise » farine.

L’équilibre que les autorités publiques tentent de maintenir, c’est-à-dire une qualité en baisse pour un prix en légère hausse qui égale une économie substantielle de blé importé, s'accompagne de l'insatisfaction de la population.


Les jours sans viandes.

A partir du 25 avril et jusqu’au 1er Juin, les jeudi et vendredi sont décrétés journées sans viandes.

La consommation et la vente sont interdites.

Les abattages sont interdits dès le mardi dans un rayon de 200 km de Paris.

Dans les établissements publics, restaurants, hôtels, la viande est supprimée à tous les repas servis après 18 heures.

A compter du 30 avril, les boucheries, les triperies, les charcuteries ferment à 13 heures,

Ces dispositions du décret du Ministre du Ravitaillement avaient pour objectif de restreindre la consommation de viande.

Un nouvel arrêté amplifie les restrictions.

Du 20 mai au 15 octobre 1917, la vente ou la mise en vente de toute viande fraîche, congelée, salée ou en conserves est interdite les lundis et mardi de chaque semaine. Les viandes rouges et blanches et le gibier, ainsi que la charcuterie et les abats sont concernées.


Seulement deux plats au menu dans les restaurants

Un arrêté préfectoral réglemente la consommation des denrées alimentaire dans les établissements ouverts au public.

A compter du 17 février 1917, dans les hôtels, pensions, restaurants, buffets, wagon-restaurants, cafés-restaurants, cantines, brasseries, crémeries, dans tous les établissements où il est possible de se restaurer, il est interdit de servir plus de deux plats dont un de viande de boucherie, de charcuterie ou triperie.

Bien entendu, en dehors de ces deux plats, le consommateur peut demander un hors d’oeuvre ( limité à quatre sortes ) ou un potage, ou des escargots ou des huitres !!!.

Il peut aussi commander un fromage et un dessert. Les légumes en garniture ne sont pas considérés comme un plat.

On peut douter de l’efficacité réelle de cet arrêté. Il ne concerne qu’une infime partie de la population, celle qui fréquente assidûment les restaurants.

Par contre, son effet psychologique est certain, elle vise à démontrer la volonté des pouvoirs publics de traiter de manière « égalitaire » les différentes catégories sociales. Mais surtout, elle traduit le niveau de pénurie des denrées alimentaires.


Le contrôle du prix des haricots et des pommes de terre.

Un arrêté du 13 septembre 1917 organise un contrôle et une limitation du prix d’achat à la culture des haricots et des pommes de terre.

Il s’adresse donc aux grossistes et expéditeurs de légumes.

L’objectif recherché étant que ce contrôle, le plus en amont possible, limite les hausses éventuelles à la vente au détail.

1° Les haricots : du 15 septembre au 15 novembre 1917, les expéditeurs « devront affirmer » que le prix d’achat à la culture ne dépasse pas 140 fr le quintal pour les haricots blancs, petits ou pour les variétés similaires et 160 fr le quintal pour les variétés extra, « lingots » par exemple, ou pour des variétés similaires.

2° Les pommes de terre : pour la même période, les expéditeurs devront affirmer que les prix d’achat à la culture ne sont pas supérieurs aux taux suivants:

 - pour les département de Seine, de Seine et Oise, Seine et Marne, Oise, Aisne, Eure et Loir, Loiret et l’Eure, que le prix des pommes de terre de première qualité -à chair jaune, les « hollandes » - ne dépasse pas les 22 fr le quintal ; que le prix des pommes de terre de deuxième qualité -« early », « fin de siècle » ou similaires- ne dépasse pas 18 fr. le quintal.

 - pour tous les autres départements, le prix au quintal ne doit pas dépasser pour les pommes de terre de première catégorie, 20 fr ; 18 fr, pour la deuxième catégorie et 16 fr pour la troisième.

On peut penser que le département de Loir et Cher fut impacté par ces dispositions. C’est en effet un département producteur de pommes de terre et de haricots.

La comparaison avec les prix pratiqués sur les marchés du département est difficile.

Le prix de la pomme de terre est fixé au décalitre et celui des haricots au litre.

Les mercuriales du marché de Blois pour le mois d’octobre 1917 indique un prix de 2 fr le décalitre de pommes de terre, soit 0,20 fr. le litre.

Essence et pétrole

La presse locale, périodiquement, publiait des communiqués du Préfet rappelant que « l’essence était réservée à la défense nationale et à l’interêt public », et que par conséquences, des bons d’essence étaient distribués en mairie pour les médecins, les sages-femmes, les vétérinaires, les oeuvres d’assistances, les pétrins, les tracteurs, les machines agricoles, etc.

En octobre 1917, l’essence ou pétrole Il faut choisir.

Le ravitaillement et l’approvisionnement en pétrole sont difficiles car les stocks sont réduits. Les personnes qui, ne disposant pas d’autre moyen d’éclairage, utilisent le pétrole, devront renoncer à l’essence et inversement. Des bons d’un demi-litre d’essence et d’un litre de pétrole par mois, nominatifs et intransmissibles, sont mis en circulation.

L’éclairage à la lampe à pétrole était le seul possible dans les fermes et maisons rurales du département.

L’électrification totale du département fut décidée après la guerre.

La restriction de la consommation du pétrole avait donc un impact direct sur la vie quotidienne des familles.


Les Prix et les Salaires :

Les prix.

L’examen des mercuriales des différents marchés du département nous permet d’apprécier la hausse « officielle » des prix des denrées de première nécessité.

Seule la série des mercuriales du marché de Contres est complète sur toute la durée de la guerre.

Les autres, celles des marchés de Blois, de Saint Aignan, de Romorantin, de Contres sont suffisamment nombreuses pour nous permettre de comparer les évolutions des prix et d’en tirer quelques enseignements.

Tout d’abord, la ville de Blois est sans conteste la ville la « plus chère » du département.

Ensuite, ce qui ressort, ce sont les amplitudes, importantes, entre le prix minimum et le prix maximum d’un même produit sur les marchés.

Enfin, c’est l’envolée des prix.

Le prix de certains produits est resté relativement stable, celui du pain par exemple, parce que taxé. Mais, certains prix taxés ont fortement augmenté, le beurre notamment.

Le prix du pain

Il variera peu, mais sa qualité se dégradera beaucoup.

- En 1914, au 2ème semestre, la ville de Blois compte 31 boulangeries.

Elles fabriquent et vendent 3 qualités différentes de pain.

Le pain de 1ère catégorie est vendu 0,50 fr, le pain de 2ème catégorie 0,40 fr et enfin celui de 3ème catégorie 0,333 fr.

Le prix de vente en boulangerie est supérieur au prix indiqué par « la taxe officieuse » en vigueur dans le département.

La taxe officieuse, prise en application d’une loi de 1791, dite « loi du Maximum », n’est autre que le prix de vente que le « préfet estime convenable » et qu’il communique à la population ( en principe ).

Cette taxe officieuse est respectivement de 0,427 fr ; 0,342 fr ; 0,285 fr pour les 3 catégories.

A Montrichard, qui compte 7 boulangeries à la même époque, le prix de vente du pain de 1 kilo en boulangerie est identique à celui de la taxe officieuse soit 0,35 fr.

C’est le prix le plus bas du département et il n’existe qu’une seule catégorie de pain, la première.

A Contres, 6 boulangeries vendent le pain de 1ère catégorie 0,38 fr, et celui de 2ème catégorie 0,36 fr.

En 1917, l’édition du 5 janvier du journal "L’Indépendant de Loir et Cher" indique que le pain est vendu à Contres 0,42 fr le kilo le pain de 1ère catégorie, et 0,40 fr celui de 2ème catégorie.

Soit une augmentation sensible de 0,6 et 0,4 centimes par rapport à 1914.

Le 20 mai 1917, le prix du pain est augmenté de 0,25 fr. Le pain sera vendu 0,48 fr le kilogramme et 1,20 fr les 5 kilogrammes.

Le prix du beurre.

Durant l’année 1917, le prix du kilogramme de beurre ne sera jamais inférieur à 4,50 fr. pour atteindre un maximum 9,50 fr. Les prix couramment pratiqués oscillent entre 4,50 et 7,50 fr. à Blois.

En 1914, Il était de 3 fr. à Blois et 2,80 fr. à Contres..

Le prix de la douzaine d’oeufs.

Il n’a jamais été inférieur à 2,20 fr pour atteindre un pic de 8 fr. Les prix couramment pratiqués oscillent entre 4 fr et 4,75 fr.

La viande, l’autre baromètre du moral alimentaire des populations :

Comme pour le pain, le Service des Subsistances de l’armée a fait procéder à des enquêtes sur les prix de la viande dans le département :

En le 1914, au 2ème semestre, les 23 boucheries de la ville de Blois, vendent :

    • le kg de boeuf 2,10 fr,
    • le kg de vache 2,10 fr,
    • le kg de veau 2,20 fr,
    • le kg de mouton 2,30 fr,
    • le kg de porc 1,80 fr.  

Les 5 bouchers de Montrichard, pratiquent des prix assez similaires :

  • le kg de boeuf 1,80 fr,
  • le kg de vache 1,70 fr,
  • le kg de veau 2,20 fr,
  • le kg de mouton 2,40,
  • le kg de porc 1,80 fr.

Au 1er décembre 1916, la viande de boeuf de « qualité la moins chère » est vendue 2,8O fr le kg, et « de qualité la plus chère » 6,80 le kg.

La viande de porc « de qualité la moins chère » est vendue 5,00 fr le kg, « de qualité la plus chère » 5,20 le kg.

Le tableau ci-dessous, extrait des mercuriales du marché de Contres traduit l’évolution des prix de quelques produits essentiels vendus sur ce marché.

Il convient d’apporter un correctif important.

Les mercuriales donnent une indication de prix que l’on peut qualifier d’« officielle ».

Mais il y a la réalité.

Les PV de gendarmerie constatent des prix pratiqués, très au-dessus.

La hausse réelle fut supérieure à celle traduite par les mercuriales.

La hausse des prix provoque mécontentement et sentiment d’injustice.

Mr Lemoine témoigne : « Les prix avaient terriblement augmenté. On ne parlait que de « la vie chère » mais on constatait que de nombreuses exploitations agricoles fleurissaient du fait du prix des denrées. C’était vrai, pour les exploitants non mobilisés pour une raison physique ou du fait de l’âge. Jalousie peut-être…mais combien compréhensible. »

Très vite, la pénurie va s’installer et les prix flamber.

Même à la campagne la vie devient très difficile. On manquait de tout. Bien des produits de première nécessité avaient disparu de l’épicerie ont rapporté des grands-mères de Monthou à leur petites-filles.

Le sous-préfet de Romorantin confirme : « un renchérissement très marqué du beurre , des oeufs et autres denrées d’alimentation dans les derniers marchés : les ouvriers en peuvent arguer pour revendiquer une augmentation de salaires. Je parle des ouvriers de Normant. Ceux de la chaussure et de la chemise gagnent davantage ».


Allocations et Salaires

L’allocation aux familles nécessiteuses.

La loi du 5 août crée une allocation versée aux familles nécessiteuses des mobilisés.

Son montant journalier est de 1,25 augmentée, de 0,50 fr par enfant à charge de moins de 16 ans.

Elle concerne aussi les réfugié s, mais sous conditions de ressources. L’indemnité journalière pour enfant à charge de moins de 16 ans passe de 0,50 à 0,75 fr. à compter du 1er avril 1917.

Une indemnité de 0,75 fr pour chaque ascendant qui était à charge du mobilisé est créée.

Par contre, l’indemnité allouée à l’épouse du mobilisé reste fixée à 1, 25 par jour.

Elle sera augmentée le 4 août 1917. Elle passe à 1,50 fr et à 1 fr pour les enfants à charge de moins de 16 ans. `

En novembre 1918, elle sera portée à 1,50 fr.

Elle était versée par période de 30 jours.

Guy Lemoine qui fut maire de Onzain et Conseiller Général, dans son livre sur son enfance, nous a laissé un témoignage poignant «…on se ravitaillait au bourg … et  quelquefois Thésée. Les femmes étaient toujours plusieurs et les gamins suivaient. Surtout les économies disparues, il ne restait pour vivre que les maigres revenus du grand-père et l’allocation militaire. Ma mère, comme les autres, allait, à pied, à Pontlevoy toucher cette maigre ressource chez le percepteur. Je l’accompagnais….Cela prenait une demi - journée. »


Les salaires

L’évolution des salaires est loin de suivre le mouvement ascendant des prix.

Le chômage total ou partiel provoqué par la mobilisation générale est accompagné par une crise des salaires tout aussi importante.

Le chômage est utilisé par les patrons dont les usines sont encore en activité pour imposer des salaires à la baisse.

Ils justifient cette baisse par l’effort patriotique que chacun doit consentir en cette période de guerre.

La Fédération CGT des Métaux a listé les nombreux cas de fortes réductions pouvant atteindre 50 % du salaire journalier des ouvriers travaillant dans les usines.

A titre d’exemple, à Vierzon, dans le Cher, les salaires de tous furent amputés de 10 %, dans la Société Vierzonnaise.

C’est ce que l’on a appelé « les salaires de guerre ».

Le taux des salaires n’est pas uniforme.

Il varie pour une même profession, d’une région à l’autre et d’une localité à une autre.

Les salaires de Paris et de la Région Parisienne sont plus élevés que ceux de province.

Entre 1915 et 1916, il est constaté une hausse légère des salaires, pour deux raisons essentielles :

  • l’augmentation générale des prix, très souvent compensée, en partie, par des indemnités de vie chère. Les délibérations du Conseil Général témoignent des demandes des personnels confrontés au mouvement ascendant et continu des prix et des décisions positives souvent, sont prises pour les personnels, les agents de voiries par exemple,
  • la diminution de l’offre de la main d’oeuvre alors que la demande augmente dans tous les secteurs en activité. C’est particulièrement vrai dans l’agriculture et dans les activités forestières.

Il est intéressant de rapprocher les salaires pratiqués dans le département des niveaux des prix, pour apprécier les conditions de vie des salariés.

Dans les usines Normant, les ouvriers et ouvrières sont classés en bons, moyens, médiocres. Les salaires horaires des fileurs varient selon ces critères sur une échelle de 0,602 fr. le plus élevé à 0,590 fr. le plus bas. Il faut ajouter l’indemnité de vie chère de 1 f. par jour, soit un salaire journalier de 7,62 fr à 7,50 Fr. pour les hommes.

Les salaires des fileuses varient sur une échelle de 0,596 fr. le plus haut à 0,496. le plus bas, plus l’indemnité de 1 f par jour, soit un salaire journalier de 6,90 à 5,96 fr pour les femmes.

Dans « la chemise » chez « Monteux » le salaire moyen est de 5,33 fr. à la date du 8 juillet 1918 ; chez « Vimont », il est de 4,50 fr.

La durée journalière de travail est de 10 h pour les femmes et 11 heures pour les hommes.

Dans les usines de guerre du département le salaire le plus bas est celui de l’ouvrier manœuvre fixé 0, 40 fr. pour un homme ; le salaire horaire le plus élevé est celui d’ouvrier professionnel « mouleur sur plan » fixé à 0,80 fr.

La durée du travail journalier est la même que dans les usines Normant.

Dans l’agriculture, le salaire d’un journalier varie de 2 à 3 fr. par jour, et il n’est pas nourri.

Un cantonnier ordinaire de 5ieme Catégorie, employé par le Conseil Général, perçoit un salaire mensuel de 69 fr., un cantonnier de 1er catégorie 81 fr .

Dans les papiers du Sous-préfet de Romorantin, on trouve une note préparatoires à son rapport de fin d’année sur l’état de l’opinion dans sa sous-préfecture qui souligne :

«ouvriers d’usine : doivent payer plus cher les denrées et le vêtement, mais gagnent davantage : relèvement des salaires, indemnité de vie chère, allocation pour les femmes et pour certains ascendants, moratoire des loyers.. »

PS : au moment de clore ce rapport, j’apprends que le mouvement syndicaliste….ne serait pas limité aux ouvriers drapiers : le projet s’étendrait à toutes les corporations. Il serait question d’une réunion pour laquelle on demanderait une salle de l’Hôtel de Ville. »


Si, la CGT affaiblie par l’état de guerre, la politique de l’Union Sacrée et la mobilisation de nombreux militants, arrive dans ce contexte, à reconstituer le syndicat des drapiers et à fédérer des salariés au delà de cette profession, c’est que le mécontentement est fort et qu’il ne tardera pas à s’exprimer. Le Sous-préfet est bien informé, le syndicat des drapiers sera reconstitué en avril 1918.

Je reviendrai sur la problématique de l’activité et de l’action syndicale durant les années 1917-1918, ainsi que sur les grèves salariales qui marquèrent le département, dans une prochaine étude.


Les mairies, notamment celles des villes de Blois, de Vendôme et de Romorantin vont tenter d’apporter des remèdes à ces difficultés.


Le rôle des Mairies

Les mairies s’organisent pour surveiller les prix des denrées nécessaires à la vie quotidienne.

Elles tentent d’organiser les marchés.

Une première initiative avait été prise à Blois et à Vendôme, le 23 juin 1916.

Elle consistait d’une part, à afficher sur les marchés, à la vue des clients, les prix des produits vendus et d’autre part à fixer des heures précises d’ouverture des marchés pour la population afin qu’elle puisse acheter avant les mercanti qui raflent les marchandises sur les marchés pour approvisionner Paris.

L’objectif est de maintenir l’approvisionnement local et d’obtenir l’unification des prix dans les grandes villes.

Les " coquetiers", les intermédiaires, les " mercanti " vont alors organiser des marchés parallèles sur les routes, bien que seul l'approvisionnement à la ferme soit autorisé !

Les collectivités créent, aussi, des commissions permanentes contre la vie chère. Elles sont chargées des approvisionnements et viennent en aide aux plus démunis.

La ville de Blois crée un « fourneau »  municipal .

Il est installé 5, rue des Jacobins, ouvert tous les jours à l’exception des dimanches et jours fériés.

Les prix pratiqués sont bas :

  • la portion de viande cuisinée est vendue 0,35 fr, la demi-portion 0,20 fr,
  • les légumes d’accompagnement 0,25 fr la portion, 0,15 fr. la demi-portion,
  • le litre de bouillon, 0,25 fr et le demi-litre 0,15 fr.

Le Préfet le visite le samedi 26 janvier, et l’entreprise Poulain fait un don de 100 fr, le 18 février.

Pour en bénéficier, il faut être inscrit et remplir certaines conditions.

Un correspondant qui signe « un passant », écrit dans la presse « Et pourquoi n’étendrait-on pas à une plus large partie de la population blésoise le droit de venir puiser aux chaudières municipales. L’on soulagerait ce faisant bien des misères cachées, car la guerre pèse lourdement sur quantités d’épaules, et plonge dans la gêne des familles jadis florissantes et cataloguées encore comme telles ».

Parallèlement à la cantine municipale, « les fourneaux économiques libres », oeuvres charitables des « Servantes de Marie » distribuent 900 rations de nourriture par jour pour 0,15 fr.

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*       *

Le 4 novembre, le ministre de l’Agriculture répond à la demande de Mr Treigner, député de la première circonscription de Blois.

Il autorise les cultivateurs, les horticulteurs, les maraîchers voisins des forêts domaniales de Blois, de Russy, Boulogne et Citeaux à récolter les feuilles mortes et les herbes sèches pour remplacer la paille qui leur fait défaut cette année.

C’est tout le Loir et Cher, qui est sur la « paille » !

Le préfet évoque une « dépression morale ».

Le 25 octobre 1917, les Américains sont à Blois.

C’est dans ce contexte que les soldats américains vont s’installer.

Le 2 juin 1917, un commerçant avait dans une tribune libre demandé à la municipalité de réclamer un 1/2 bataillon de soldats américains, pour revitaliser le commerce et faire la publicité du département pour l’après guerre, « car les américains amateurs de belles choses, de beaux paysages, épris de nos châteaux et de nos campagnes feraient une fois rentrés chez eux une réclame intense en notre faveur ».

Le mythe américain avait atteint les rives de la Loire.

Lors de la session du Conseil Municipal de Blois du 19 octobre 1917, après avoir examiné la constitution d’un stock de charbon municipal, pour pallier aux difficultés d’approvisionnement des populations, le maire informe le Conseil « qu’un assez fort contingent de troupes américaines va tenir garnison dans notre ville. Un major est venu, ces jours derniers, se mettre en rapport avec la municipalité pour régler certaines différentes questions de détail se rapportant à l’installation des troupes alliées qui viendraient à Blois et dont l’effectif serait environ de 100 officiers ou médecins et de 1000 hommes.

Au cours de l’entretien, la municipalité a fait part au major américain des craintes exprimées par les habitants de voir augmenter sensiblement le prix des denrées et objets de toutes sortes en notre ville. Cet officier a alors fait connaître que rien n’était à craindre sous ce rapport, les autorités américaines ayant pris toutes dispositions utiles pour éviter le renchérissement du fait de la présence des militaires dans les villes où il séjourneront ».

L’avenir confirmera les craintes des élus et ruinera les candides promesses du major !

Mais pour l’heure, les officiers sont logés à l’Hotel de Blois, Porte Côté. Les soldats cantonnent avenue du Champs de Mars.


… Les Américains sont « arrivés » dans la guerre.

Les loir-et-chériens, y sont depuis 41 mois.

Armand VILLA
1er Juillet 2019


Bibliographie.

DUPEUX Georges, « Aspects de l'histoire sociale et politique du Loir-et-Cher 1848-1914 » 

Les Bulletins de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Sologne.

CROUBOIS Claude  (sous la direction de), « Le Loir et Cher de la Préhistoire à nos jours », Ed. Bordessoules, 1985.

LOIR ET CHER, ouvrage collectif Ed. Bonneton 1995


Sources.

  • Archives Départementales de Loir et Cher :
    • série 8 RV 3, les Américains
    • série, Z
      • 1 Z 431 Les américains, sous- préfecture Romorantin,
      • 2 Z XXI 69 sous-sous-préfecture Vendôme
    • série R, Affaires militaires et organismes en temps de guerre,
      • Vrac
    • série M, Rapports de police, population, affaires économiques, mercuriales, maladies vénériennes, tuberculose,
    • Presse PER 130, 126, 107, 104, 108,
    • Conseil Général, délibérations, série 1 N 100 à 1 N 105