Loir et Cher, 1938-1939 : quand « l’espionnite »

saisissait Pontlevoy…



Le professeur Edgar BYK (1883-1944)

Des milieux « expressionnistes » de Vienne et Berlin aux charniers de Lyon-Bron.

Edgar Pierre BYK va connaitre le tragique itinéraire de tant de ces intellectuels juifs et non juifs, comme de ces opposants politiques, qui seront contraints, à partir de l’arrivée des nazis au pouvoir en 1933, de prendre le chemin de l’exil.

Ils vont quitter l’Allemagne, l’Autriche, la Tchécoslovaquie, etc. par dizaines de milliers.

Beaucoup feront le choix de la France.

Ils n’y seront pas accueillis favorablement.

Les positions xénophobes et antisémites ont monté en puissance depuis la crise économique de 1929.

Des politiques de plus en plus contraignantes à l’égard des étrangers ont été mises en place. Après la phase du Front Populaire un peu plus bienveillante à leur égard, l’arrivée de Daladier au pouvoir, le 10 avril 1938, dans un contexte de plus en plus lourd de menaces de guerre, va intensifier les mesures anti-étrangers.

Elles vont prendre un caractère carrément répressif contre ceux qu’on appelle les étrangers « indésirables » (1).

Le gouvernement et une opinion publique majoritaire les considèrent en effet comme des partisans de la guerre et des nids d’espions.

C’est dans ce contexte qu’Edgar BYK arrive en France au printemps 1938, fuyant l’Anschluss.

Il est recruté comme professeur d’allemand au Collège de Pontlevoy.

L’ambiance à Pontlevoy est déjà à « l’espionnite » autour des propriétaires du château de la Belle Etoile, les Caspari, dont le mari est suisse et la gouvernante italienne, ainsi que d’une allemande Madame Pecqueret, épouse d’un ex-professeur du Collège.

A son tour, Edgar Byk et sa femme vont être soupçonnés d’espionnage au profit de l’Allemagne. Puis, comme les autres étrangers des pays du Grand Reich, il sera interné dans les camps de la IIIe République agonisante, à la déclaration de guerre.

Beaucoup d’entre eux seront ensuite livrés à l’Allemagne et exterminés.

Le couple BYK parviendra à rejoindre Lyon alors en zone dite « libre ».

Mais malgré son épouse « aryenne » et des doutes maintenus un temps sur son appartenance à la « race juive », il sera une des victimes, en grande majorité juives, des massacres perpétrés par les allemands sur l’aéroport de Lyon-Bron, en août 1944.

Quasiment à la fin de la présence des troupes d’Occupation à Lyon et à quelques jours de la Libération de Paris.

Une famille juive galicienne.

La Galicie, un territoire convoité

La famille Byk est originaire de Brody. C’est une famille de la bourgeoisie, dans le commerce de la laine.

Elle s’est aussi installée à Lemberg, la capitale de la Galicie, souvent comparée à une « petite Vienne », en raison de la richesse de sa vie culturelle.

Lemberg en allemand, Llow en polonais et Lviv en ukrainien.

La Galicie fait partie de ces territoires multi ethniques et confessionnels qui furent durant des siècles un enjeu entre des nations.

Polonais, juifs, ruthènes d’origine slave ukrainienne, constituent la majorité de la population avec aussi des autrichiens, des hongrois, etc.

Les polonais sont très majoritaires en Galicie occidentale, les ruthènes en Galicie orientale.

Ainsi, la Galicie devint une province de l’Empire d’Autriche après le premier partage de la Pologne en 1772, puis de l’Empire austro-hongrois.

En 1867, la constitution dualiste austro-hongroise accorde une large autonomie à la Galicie.

Durant la première guerre mondiale, elle fut l’objet d’âpres combats entre les armées austro-allemande, polonaise et russe.

En 1918, sa partie occidentale se rattache à la Pologne. Puis en 1921, la jeune Union Soviétique reconnait l’incorporation de la partie orientale de la Galicie à la Pologne, qui deviendra plus tard ukrainienne et soviétique.

La Galicie était une des régions les plus pauvres de l’Empire. Elle est essentiellement agricole, avec une petite industrie liée à l’exploitation du bois et de mines de sel.

Mais, elle connait un essor économique avec l’exploitation du pétrole dans sa partie orientale à partir de la moitié du XIXe siècle. Ce pétrole sera un des enjeux du devenir de la Galicie si disputée durant la première guerre mondiale, car il alimente l’Allemagne et ses alliés !

Beaucoup de galiciens devront s’exiler : pauvreté, guerres, antisémitisme, autant de motifs au départ.

On estime à environ 300 000, les juifs galiciens qui entre 1881 et 1910, s’exileront hors de l’Empire.

La population de confession juive représente à la fin du XIXe entre 7 et 10% des 4 500 000 galiciens .

Une partie est très pauvre mais un nombre important de juifs ont pu accéder à des professions libérales ou marchandes en raison de l’importance qu’ils accordent à l’enseignement comme levier de promotion sociale et d’émancipation.

Beaucoup de juifs galiciens des catégories aisées s’installent à Vienne.

Ils sont de culture germanophone.

Ils vont y constituer un authentique vivier de savants, d’artistes, d’intellectuels de toutes disciplines conférant à Vienne le statut de principale ville intellectuelle et artistique d’Europe.

Ainsi, la population juive de Vienne qui s’élevait à 6 000 personnes en 1867, passe à 99 000 en 1890 et à 175 000 en 1910, soit 8,6 % des viennois.

C’est la deuxième communauté juive d’Europe après Varsovie.


Une famille du judaïsme réformé et progressiste

Edgar Byk est né à Lemberg le 14 août 1883 (2).

Il est le fils de Oswald Byk et de Amalie Lothringer, née elle en Roumanie et disparue en 1911.

Son père est un médecin qui exercera à Vienne où il décède en 1930.

Mais il est surtout le neveu de Emil Byk.

Emil Byk (1845-1906) avocat, puis député de Brody au Parlement à Vienne, est représentatif avec sa famille de ce courant du judaïsme qui va se réclamer héritier du Siècle des Lumières, qui entend prendre ses distances avec les tenants du traditionalisme et oeuvre pour une intégration des juifs dans toutes les sphères de la vie de la cité.

D’où son nom de judaïsme réformé et/ou progressiste. La synagogue de Lemberg appartenait à ce courant (3).

Emil Byk est un des principaux fondateurs du mouvement Shomer Israel en 1869.

Shomer Israel est la première organisation juive en Galicie qui va s’inscrire dans le sillage de ce judaïsme d’essence libérale et moderne avec pour mission : instruire les jeunes juifs, promouvoir une éducation laïque, inciter à la réussite économique, accéder aux charges publiques, etc.

Il préside, en 1902, la communauté juive de Lemberg.

Les juifs de Galicie, seront dans le contexte de l’octroi des libertés de la Constitution de 1867, un fidèle soutien de la monarchie austro-hongroise.

Emil Byk, en raison de ses convictions sur l’impérative nécessité d’assimilation des juifs à leur environnement national, évoluera peu à peu vers des positions favorables à la « polonisation » de la société galicienne et au rattachement de la Galicie à la Pologne.

Un intellectuel de la Vienne de la Belle Epoque.


Un docteur ès-lettres

Nous ignorons où le jeune Edgar a fait ses études secondaires ou à quelle époque sa famille s’est installée à Vienne.

Par contre, nous savons qu’il a obtenu son doctorat ès-lettres à l’Université de Vienne en 1907.

Il a donc 24 ans.

A côté de l’allemand évidemment, il maîtrise parfaitement la langue française, comme on le verra. Peut-être d’autres langues aussi.

Officiellement en Autriche, il n’existait pas alors de numérus clausus pour l’accès des juifs à l’enseignement supérieur ou aux métiers de l’enseignement.

Mais un antisémitisme d’abord « rampant » puis de plus en plus affirmé se développe dans l’Empire et l’Europe orientale.

Il se manifeste particulièrement dans les domaines de l’éducation et, de facto, les juifs subissent des discriminations.

Ils sont accusés d’être trop nombreux dans les sphères économiques décisionnelles et d’y exercer une influence beaucoup trop importante.

Ce seront les mêmes thèmes qui seront développés en France dans les années trente.

L’antisémitisme du maire de Vienne, Karl Lueger (1844-1910) fut vanté par Hitler.

Un acteur du mouvement « expressionniste »

Ce courant artistique apparait au début du XXe siècle en Allemagne où il sera particulièrement vivace. Il aura un écho international.

Il traverse toutes les disciplines : peinture, architecture, littérature, théâtre, cinéma, etc. (4)

C’est un mouvement avant-gardiste.

Il s’inscrit en réaction contre l’académisme et un monde devenu déshumanisé au travers de ses grandes villes, du développement industriel, de la vogue du matérialisme, des affrontements nationaux et de l’imminence de la guerre.

L’expressionnisme entend non pas reproduire la réalité mais soumettre celle-ci à la vision et au ressenti de l’artiste.

L’artiste, au travers d’une oeuvre, veut susciter une réaction émotionnelle chez le spectateur ou le lecteur, revaloriser les valeurs morales.

Aussi, l’oeuvre expressionniste sera souvent violente avec dans la peintures des couleurs très vives, des traits de pinceau appuyés, des formes agressives ; dans la littérature, le lyrisme sera fortement utilisé.

L’expressionnisme sera condamné par les nazis comme un « art dégénéré ».

En 1910, Edgar Byk publie à Berlin une séquence de poèmes constituant « L’année de l’Amour » qui est considérée comme sa première publication lyrique.

En 1912 et 1913, on le trouve collaborateur de la revue expressionniste Der Sturm ( La Tempête ).

Il y écrit notamment un article sur une conférence de Arnold Schöenberg sur August Mahler.

En 1917, c’est la publication de sa poésie « L’heure pour toujours ».

En 1920, il écrit à nouveau sur Schöenberg.

Et, en 1921, c’est la publication à Berlin de sa traduction en allemand de Lucien Leuwen, qui est sa contribution littéraire la plus connue.

Comme aucune étude en Allemagne et/ou en Autriche n’a été consacrée à Edgar Byk, il est impossible pour l’heure de connaitre la totalité de ses créations et publications.

On sait qu’il était aussi correspondant occasionnel de journaux français (5).

L’Oeuvre en date du 6 avril 1932 et le Populaire du Centre du 7 avril, publient le même article de leur « correspondant particulier », Edgar Byk, sur une cérémonie à Berlin organisée à la mémoire d’Aristide Briand, décédé le 7 mars 1932, par la Société franco-allemande à laquelle ils ont assisté « sa femme et lui, profondément émus par la mort de cet homme de grand coeur ».

Il souligne qu’en sortant « un camelot vendait le VB ( cf. Völkischer Beobachter, L’Observateur Populaire), l’organe du nationalisme intégral allemand ».

Edgar Byk est donc un admirateur d’Aristide Briand, prix Nobel de la Paix ( avec l’allemand Gustav Stresemann, chancelier en 1923 et ministre des Affaires Etrangères de 1923 à 1929 ) et chantre du pacifisme français et du rapprochement franco-allemand.


Une épouse française mais sous quel statut matrimonial ?

Le 19 décembre 1914, il épouse à Vienne, Marie Henriette Bapt.

Elle est née à Clermont-Ferrand, le 22 juillet 1883.

Sa mère est Catherine Bapt, 25 ans, « native et habitante de Parot, commune de Anzat-le-Luguet » dans le Puy de Dôme. Son père est mentionné « inconnu ». Les deux témoins déclarants sont un ancien Trésorier âgé de 71 ans et un entrepreneur de serrurerie de 38 ans.

Pourtant, en marge, est inscrite la mention « fille légitime ».

Ils ont donc le même âge, 31 ans.

Que faisait Marie-Henriette Bapt à Vienne en 1914 ? Les familles de la bourgeoisie viennoise employaient souvent des françaises comme gouvernante, institutrice, professeur de français.

Parions que celle qui devient l’épouse d’un intellectuel autrichien devait avoir reçu une éducation soignée.

Mais sous quel statut matrimonial se sont-ils mariés ? (6)

Jusqu’en 1938, l’Etat-Civil était tenu en Autriche par les les institutions religieuses catholiques, protestantes et juives qui prononçaient les mariages selon les règles propres à chaque religion.

Mais la loi de 1868 ( adoptée dans la foulée de la Constitution de 1867 ), établissant la liberté de choix de culte, ouvrait la possibilité de se convertir à une autre religion et de se reconvertir ensuite à la précédente, si on le souhaitait.

Elle instituait aussi une nouvelle catégorie : ceux qui se déclaraient « sans religion ».

Un « mariage civil par défaut » fut donc créé pour les couples se déclarant sans religion, célébré devant le conseil municipal, puis à partir de 1892 devant un district pour la capitale Vienne.

Très vite, ce mariage civil par défaut servit de couverture légale aux couples mixtes qui ne souhaitaient pas se convertir à la religion de l’autre. Ou tout simplement n’étaient pas croyants ou pratiquants.

Ainsi, un couple appartenant à des religions différentes avait trois options : l’époux se convertissait à la religion de sa femme ; la femme prenait la religion de son mari ; ils choisissaient le mariage civil par défaut, à condition de se faire enregistrer officiellement comme des « sans religion ».

Les Byk avaient-ils opté pour le statut de « sans religion » ou l’un des deux s’était-il converti ?

Nous retrouverons ces interrogations sur l’appartenance religieuse des Byk par la suite.

Par contre, ce qui est certain, c’est que Henriette Bapt en épousant un étranger perdait sa nationalité française.

Il faudra, en effet, attendre la loi de 1927 sur la nationalité pour qu’une française épousant un étranger garde sa nationalité d’origine.

Henriette Bapt sera donc autrichienne, puis ex-autrichienne.


Un berlinois jusqu’en avril 1938

Nous ignorons quand le couple s’est installé à Berlin et tout de leurs activités et moyens de subsistance.

Toutefois, au moment de sa venue en France, Edgar Byk était enseignant.  

Le registre des professeurs du Collège de Pontlevoy indique qu’il était « professeur privé » (7). Formule qui peut s’entendre de deux façons : il était professeur dans un établissement privé ou il était professeur particulier à domicile.

Nous connaissons leur dernier passeport, établi en 1928, renouvelé en 1933 et valide jusqu’au 2 janvier 1939.

Ces passeports avait été retenus par la Préfecture de Lyon lors de leur installation dans cette ville en 1940.

Le couple a voyagé, parfois séparément, plusieurs fois en France évidemment, mais aussi en Suisse et en Italie.

On y constate par ailleurs des retraits ou dépôts de devises, visés par les banques concernées à Berlin ou à l’étranger.

A partir de 1934 ( est-ce le moment de leur installation berlinoise ? ), annuellement, les services allemands de police de Berlin apposent sur leurs passeports autrichiens, une autorisation de séjour.

Leur autorisation de séjour en cours se serait achevée le 2 mai 1938.


L’installation en France

On sait que beaucoup de ressortissants d’Allemagne puis des pays qui constitueront le Grand Reich ne souhaitaient pas prendre le chemin de l’exil. Il faudra l’intensification des exactions et des répressions nazies contre les juifs et les différentes formes d’opposition, puis les annexions, pour qu’ils s'y résignent.

Un nombre non négligeable d’entre eux se refuseront d’ailleurs à quitter des pays dans lesquels ils étaient intégrés et contribuaient à leur développement. Ils le paieront de leur vie.

Est-ce l’interdiction faite aux Juifs en 1937 d’exercer ( entre autres interdictions professionnelles ) le métier de professeur en Allemagne et à partir de 1936, l’inexorable marche vers l’Anschluss, qui vont décider le couple Byk à venir s’installer en France ?

Janvier-avril 1937 : Henriette vient préparer leur arrivée

Elle va venir seule à Paris.

Elle obtient le visa de traverser, sans arrêt, la Belgique le 12 janvier 1937, prélève des devises le 14 et passe la frontière franco-belge, le 15 janvier.

Son séjour doit durer quelque temps, car comme tous les étrangers dont le séjour sera supérieur à trois mois, elle sollicite et obtient une carte d’identité d’étranger.

Celle-ci est valable du 12 mars 1937 au 15 janvier 1940, délivrée par la Préfecture de Police de la Seine, N° 36EC13936.

Elle obtient le lendemain, 13 mars, et pour une validité de même durée, un récépissé de dépôt de dossier pour son mari, FF0016. Ce qui signifie que le dossier doit être complété.

Edgar devait-il la rejoindre rapidement ? Ce dossier restera sans suite.

En effet, Henriette fait viser son passeport au Consulat de Belgique le 16 avril. Elle a donc dû repasser la frontière franco-belge, pour l’Allemagne, quelques jours après.


10 avril 1938 : le couple quitte Berlin.

On relève sur le passeport d’Edgar plusieurs opérations de devises à l’été 1937 et surtout à l’automne.

Les troupes de la Wehrmacht sont entrées en Autriche à 5 h 30, le 12 mars 1938.

Dès le 11 au soir, la population soutient et participe aux brutalités contre les juifs à Vienne.

Le 28 mars, le consulat de France à Berlin leur octroie leur visa.

Mais notons un point qui intrigue.

Sur le visa d’Henriette, il est inscrit sans autre précision de date : « Pour retour en France ».

Celui d’Edgar est valable jusqu’au 28 mai. Comme si, par prudence, le couple voulait cacher un départ définitif d’Edgar.

Le 8 avril, c’est au tour de la Belgique de donner son feu vert.

Et c’est, le 10 avril 1938, qu’Henriette et Edgar passent la frontière belge à Menesthal   et entrent en France au poste frontière de Jeumont.

Ce 10 avril, est une date symbolique : c’est le jour du référendum en Autriche officialisant le rattachement de l’Autriche à l’Allemagne dans l’Anschluss.


Henriette et Edgar sont dorénavant des étrangers, réfugiés ex-autrichiens.

Le couple s’installe au 6 Bis, rue du Chevalier de la Barre, Paris (18ème), en plein Vieux Montmartre.


10 octobre 1938 : le recrutement au Collège de Pontlevoy

Dans une lettre du 14 juin 1939, dont nous reparlerons, l’ancien ambassadeur A.R. Conty, Président du Conseil d’Administration de la Société Anonyme de l’Abbaye de Pontlevoy, explique au Préfet de Loir et Cher dans quelles conditions, il a été amené à recruter Edgar Byk (8).

« L’année dernière, je recherchais, pour le Collège de Pontlevoy, un professeur d’Allemand. Je suis entré en relations avec un Viennois, M. Byk, docteur de l’Université de Vienne, qui jusqu’alors avait enseigné le français en Allemagne, connaissait très bien les deux langues et possédait une réelle expérience pédagogique.

Les renseignements pris à Berlin où ce professeur exerçait en dernier lieu, étaient très favorables. M. Byk avait épousé une française et il déclarait que l’Anschluss et la politique d’Hitler le déterminaient à s’établir en France ».

Il semble bien que l’ambassadeur Conty soit « entré en relations » avec lui à Paris, après son arrivée, par le canal d’intermédiaires que nous ignorons.

Edgar Byk prend ses fonctions au Collège, le 10 octobre 1938.

Sa rémunération est de 12 900 francs annuels.

Le couple bénéficie d’un logement situé « rue de la Poste » appartenant à l’Abbaye.

L’ambassadeur connait-il les origines juives d’Edgar Byk ? C’est peu probable.

Le Collège de Pontlevoy était un établissement catholique dont la clientèle de notables conservateurs n’aurait guère apprécié dans un contexte, rappelons-le, d’antisémitisme et de xénophobie croissants, la présence d’un professeur juif. Il était déjà étranger mais cela garantissait une compétence linguistique pour leurs enfants !

A ce stade, un constat s’impose : les Byk, à leur tour, ont dû donner des signes manifestes de catholicité.

Car, il paraît impensable que dans la petite commune de Pontlevoy où tout se voyait et se savait, où l’Abbaye et son Collège étaient au centre de la vie communale, un professeur de ce Collège et son épouse n’assistent pas aux messes et aux diverses initiatives religieuses.

Cela renvoie au questionnement sur les aléas de l’appartenance religieuse des Byk.

Il convient de souligner qu’il ne sera jamais fait mention ou sous-entendu, durant son séjour à Pontlevoy, d’une possible judéité d’Edgar Byk.

Pourtant les services de la Sureté Nationale vont beaucoup s’intéresser à lui !

Un Collège en difficulté

La situation du Collège de Pontlevoy, au début des années trente, s’était détériorée (9).

La crise de 1929 s’était fait sentir.  

Les ressources des familles aisées auxquelles appartiennent très majoritairement ses élèves, avaient diminué ; le nombre de nouveaux élèves s’était sensiblement réduit.

De plus, le Collège avait été secoué par un affrontement religieux ( mais aussi pour les postes de direction ) entre les prêtres-professeurs issus des Assomptionnistes d’Orléans et ceux de l’Evêché de Blois, sorte de débat entre « Modernes et Anciens » dans lequel s’engagèrent aussi les élèves.

Ce qui fit désordre !

Ces tensions se soldèrent par une méfiance des parents et donc une diminution des inscriptions.

Ce n’est qu’en 1937, que l’arrivée à la direction, du père Courtat ( que nous retrouverons ) va calmer les esprits et le Collège retrouver une situation plus favorable.

Le directeur Courtat s’efforce en effet de recruter des professeurs aux qualités pédagogiques affirmées.

Priorité aussi affichée, nous l’avons vu, par l’Ambassadeur Conty.  

L’approche de la guerre va conduire à un recrutement en hausse avec des élèves provenant des zones géographiques qui se sentent les plus menacées, en cas de conflit.

La direction s’oriente, par ailleurs, vers un recrutement plus local.

Quelques mois avant le début de la guerre, un hôpital militaire est installé dans l’Abbaye.

Les troupes allemandes occupent immédiatement le Collège à leur arrivée sur les bords du Cher, le 20 juin 1940.

La direction du Collège maintient la rentrée scolaire qui accueillera 75 élèves malgré la présence des Occupants et les restrictions de toutes natures.

Il n’y aura pas de rentrée 1942 : le collège ferme définitivement ses portes pendant l’été.

Pontlevoy déjà en proie à « l’espionnite »

Lorsque les Byk s’installent à Pontlevoy à l’automne 1938, la commune bruisse déjà des rumeurs d’espionnage concernant quelques uns de ses habitants (10).

Il faut avoir à l’esprit le contexte de la période.

Il existe alors en France un fort courant dit pacifiste qui désigne les étrangers, les juifs, les francs-maçons, les communistes comme des partisans de la guerre.

On assiste à la reproduction dans le département, comme ailleurs, des mêmes phénomènes de « l’espionnite » que l’on avait connus lors de la première guerre mondiale.

On voit des membres de la « Cinquième Colonne » partout ! Ils sont chargés de nous affaiblir de l’intérieur.

Il faut peu de choses pour être soupçonné d’espionnage : avoir un nom à consonance germanique ou italienne, recevoir du courrier de l’étranger ou en envoyer, parler des langues étrangères, avoir des pratiques de vie différentes de celles des autochtones, etc.

L’année 1938 avec l’Anschluss, les accords de Munich, la fin du Front Populaire, les mesures du gouvernement Daladier sur la défense nationale et les étrangers connaît une exacerbation de cette situation.

Et l’arrivée massive, début 1939, des réfugiés républicains espagnols ( il y en aura temporairement placés dans l’abbaye de Pontlevoy) fera encore monter les enchères sur les menaces que constituent ces étrangers pour la sécurité du pays ; sans parler de ce qu’ils coûtent aux contribuables.

Toutes ces personnes soupçonnées d’espionnage ont fait l’objet de rapports des Renseignements Généraux transmis aux services de la Sûreté Nationale départementaux et régionaux.

Ceux concernant les Byk furent transmis aussi aux services centraux à Paris.

Les Caspari et les Berizzi


Edmond Julien Caspari est né le 3 janvier 1881 à Avenches en Suisse dans le canton de Vaud, un des trois cantons suisses francophones. Il est le fils d’un pharmacien qui sera directeur du fameux Musée d’Archéologie Romaine d’Avenches.

La famille Caspari est d’origine allemande.


Affairisme et champs de courses

Il avait épousé à Paris, le 27 octobre 1923, Valentine Louise Bernard, née à Paris le 26 février 1897, dont le père était marchand de vins, boulevard de Strasbourg à Paris.

Ils auront deux enfants : Roland, né à Cannes en 1928 ; Gérard, né à Paris en 1934.

Edmond Caspari semble avoir été ce qu’on nomme communément : « un affairiste ».

On sait qu’il a été agent général de la maison Fix ( dans le commerce du vin ? ).

Il a aussi été employé par la maison Combe, Fils et Cie, spécialisée dans les produits de cuirs.

Mais surtout, il possède des chevaux de courses dont les victoires dans le début des années vingt lui rapportent des gains importants.

Il donnera d’ailleurs le nom de sa jument fétiche « Bachlyk » au château de la Belle Etoile qu’il achète à Pontlevoy.

Le parc immobilier du couple Caspari est alors conséquent : plusieurs appartements à Paris ; deux villas sur la Côte d’Azur dont l’une au Cap d’Ail sera vendue à l’artiste Yvonne Printemps ; un domaine à Etrechy (Essonne), etc.

En 1925, un contentieux oppose Edmond Caspari à la famille Augustin Thierry au sujet d’une maison qu’il leur a vendue à Maisons-Laffitte.

il convient de relever qu’une partie de ces biens fonciers, dont le château Bachlyk, ont été achetés au nom de sa femme.

Il créera aussi, en Italie, une entreprise de cuirs avec son neveu Jean Caspari.

Ainsi qu’une entreprise de travaux publics à Pontlevoy, avec Gino Berizzi, entrepreneur à Trieux ( Meurthe et Moselle ), frère de la gouvernante.


Un grand train de vie

Les Caspari vivent en alternance à Pontlevoy et sur la Côte d’Azur. il séjournent aussi à Paris, en Suisse, en Italie.

Durant les premières années de leur présence à Pontlevoy, ils mènent grand train de vie.

Le château est « richement garni de meubles anciens ».

Edmond Caspari avait fait installer une piscine dans le parc. Il y a aussi un court de tennis.

Il changeait très souvent de voitures « mais toujours de vieux modèles ».

Lui est décrit comme « un homme très intelligent, poli et même obséquieux, excessivement procédurier…il parle plusieurs langues dont l’allemand, l’italien, le russe, etc..il paraît sous l’ascendance de sa femme…il portait des vêtements de mauvaise coupe, fripés ne correspondant nullement à sa situation pécuniaire et à son genre de vie au château ».

Le portait de sa femme est à l’opposé : « portant bien toilette, richement habillée chez les grands couturiers et parée de bijoux précieux »;

Le couple invite beaucoup.

Ces invitations « faites généralement adroitement s’adressaient de préférence à des personnes occupant un rôle social plus ou moins important : médecins, hommes d’affaires, notaires, etc. » Le célèbre mage africain Diallo alias Lodia séjournera chez eux en 1938.

La rumeur s’amplifie peu à peu

Au départ, c’est la vie privée des Caspari qui interroge l’opinion locale.

La gouvernante Rachele Berizzi, de nationalité italienne, née à Caprino le 23 octobre 1904, est considérée comme « la concubine » de Edmond Caspari.

On susurre qu’elle est la vraie mère de ses deux enfants et que plusieurs autres seraient décédés. Ces affirmations se nourrissent de ragots et indices fantaisistes.

Au passage, il est attribué à Caspari, pas moins de seize frères et soeurs.

Rachele Berizzi, avec son frère, serait étroitement associée à ses affaires, aurait procuration et serait co-propriétaire de certains biens avec l’épouse.

Hormis le garde à demeure du château et sa famille, le personnel employé par les Caspari était étranger, dont les secrétaire, masseuse, nurse qui, bien évidemment, étaient les maîtresses de Caspari.

La rumeur va croitre lorsqu’il se saura, à l’occasion d’un problème de renouvellement de carte d’identité d’étranger vers 1935, que Caspari que tout le monde croyait français, était étranger. Une erreur administrative sur son année de naissance deviendra la volonté de sa part de l’avoir falsifiée en se rajeunissant de dix ans !

Mais ces soupçons sur « son attitude douteuse d’un point de vue national » qui est alors l’expression consacrée pour accuser quelqu’un d’espionnage, vont monter d’un cran autour de deux thèmes.

Celui récurrent à l’époque, dès que l’espionnite se saisissait des esprits, du courrier de Caspari : « à l’exception de quelques plis ouverts ou de peu d’importance…M. Caspari n’a déposé de lettres à la poste de Pontlevoy, ni fait aucune opération postale dans cette ville…(il) déposait son courrier dans les postes de villes environnantes, notamment Montrichard, Sambin et Vallières Les Grandes. Le courrier qui « arrivait au château émanait le plus souvent de Strasbourg, de Suisse, d’Allemagne et d’Italie ».

Celui, palpitant, de sa femme une supposée ancienne espionne au service des Allemands : « Mme. Caspari, à ce moment là Mlle. Bernard Valentine Louise, aurait été inculpée d’espionnage à cette époque et porterait une cicatrice à la tête contractée au service de l’étranger ».

Aussi, elle porterait une perruque pour la cacher  « mais seul un familier de la maison, digne de crédit, s’en est rendu compte et est affirmatif ». « Cette cicatrice serait masquée par une mèche décolorée....une tentative de suicide, avance t’on ».

Une situation financière dégradée.

Les affaires des Caspari, associés aux Berizzi, se dégradent peu à peu.

Caspari a recours à des expédients : vente des meubles du château, fabrication par lui-même de tapis-brosses.

Il est en «

quête de capitaux qui lui sont refusés à Pontlevoy où il était mésestimé ».

Il a des « ardoises » chez les commerçants et les artisans.

Les PTT ont coupé sa ligne téléphonique et opéré une saisie pour ses impayés.

Il sera même condamné par le Tribunal Correctionnel de Blois à trois mois de prison avec sursis et 500 francs d’amende, en mai 1939, « pour vol et complicité d’abattage d’arbres », vraisemblablement ceux du parc du château vendu.

En effet, les Caspari vendent le château Bachlyk en 1938 à un médecin algérois et quittent Pontlevoy fin juillet de la même année.

Ils ont loué, accompagnés de la gouvernante, un appartement au 2, quai des Célestins à Paris (4e), dans l’ensemble d’immeubles cossus qui abritent l’Hotel Fieubet et l’Ecole Massillon.

Des oeuvres d’art spoliées par les nazis.

La situation financière des Caspari n’était peut-être pas aussi en perte de vitesse que le pensait les Renseignements Généraux blésois ou bien l’affairiste avait su très vite rebondir.

Car Edmond Caspari fait partie de la liste officielle des personnes spoliées par les nazis.

Ils s’accaparèrent de plusieurs de ses tableaux et livres de valeur.

Edmond Caspari semblait habiter, après la guerre, à Nanteuil-sur-Marne.

Les Pecqueret 

Isidore Pecqueret, licencié en allemand, est recruté comme professeur d’anglais ( bizarre mais indiqué comme tel ) au Collège de Pontlevoy, le 1er avril 1934.

Né le 7 juin 1878 à Abbeville dans une famille de droguistes, il a donc 56 ans.

Veuf par deux fois, il est marié en troisième noces depuis 1921, avec Augusta Emma Moritz, née le 11 septembre 1879 à Spickendorf, dans le canton de Halle.

Ils se sont mariés à Bayonne.

Elle est donc allemande, ayant vraisemblablement opté pour la nationalité française car il n’y a pas traces d’une carte d’identité d’étranger la concernant et elle ne figure sur aucune liste d’étrangers résidant en Loir et Cher.

Ils ont un fils.

Le couple n’est pas logé par l’Abbaye et habite route de Blois…. en face du château des Caspari !

Le 18 avril 1935, Pecqueret est licencié pour « inconduite » car il s’adonne à la boisson.

Sa femme reste à Pontlevoy. Lui aurait été recruté au Collège libre de Strasbourg. Mais y est-il encore en 1938 ?

Les Renseignements Généraux rapportent les rumeurs qui le disent à Caen, Amiens, Paris.

Il revient à Pontlevoy, une fois par an, pour les vacances scolaires.

Il envoie des lettres à sa femme comme le 12 mars 1939 de Béziers, le 1er septembre d’Amélie-les-Bains.

Il aurait été vu à Orléans en avril 1939.


Un étrange « poilu »

Isidore Pecqueret fait son service militaire dans le 27e régiment de Dragons, à partir du 30 mars 1897.

il est nommé brigadier le 17 septembre 1898 mais il est remis dragon de 2e classe « à sa demande » le 26 mars 1900 ( ? ).
Il passera ensuite dans la Réserve .

Il est mobilisable en 1914. Il va d’abord être affecté dans les services auxiliaires de France à Madrid où il se trouve alors.

Puis, il est convoqué le 25 janvier 1916 au 12e RI à Landernau. Il obtient un congé pour maladie mais ordre lui est donné de se mettre en route le 21 mai 1916.

Il ne rejoint pas son régiment. Il est déclaré « insoumis » le 30 octobre 1916.

Il se « présentera volontairement » ….le 23 mai 1917 !

Il est affecté au 14e RI à Abbeville.

Il est condamné le 2 juillet 1917 par le Conseil de Guerre de la région Nord à six mois de prison mais sa peine est suspendue le 18 par le Général commandant la région Nord !

Il servira encore dans trois régiments jusqu’à la fin de la guerre.

Pecqueret doit bénéficier de solides soutiens.

Une peine bien légère pour fait d’insoumission de plusieurs mois et une peine non exécutée ! A moins que Pecqueret lui-même « droguiste », c’est à dire dans la terminologie de l’époque, spécialiste en produits chimiques, n’aie rendu des services à l’Armée française ?


 Mr. Pecqueret : une incessante « bougeotte »

Son livret militaire permet de suivre ses différentes localisations car il en informe régulièrement l’administration militaire.

Il est littéralement atteint de « bougeotte » .

1901, il est à Amiens ; 1902 à Paris ; 1903, à Abbeville ; de juin à mai 1904 à Pforzheim (Allemagne) ; 1904 au Tréport (il y est « droguiste » et s’y marie) ; 1912 à Wilmesdorf (quartier de Berlin et il s’est remarié en France en 1910) ; 1913 à Lisbonne ; 1914 à Malaga ; 1915 à Madrid (puis la période de guerre) et à San Sébastien (Espagne ) ; 1921 à Bayonne (où il épouse Emma, il est toujours à San Sébastien) ; 1922 à Sidi Bel Abbès ; etc.

On ne sait quand il est devenu enseignant. Mais il l’est à San Sébastien, à Sidi Bel Abbès et par la suite.

Toujours dans l’enseignement libre.

Cette « bougeotte » et une femme allemande ont nourri les soupçons d’espionnage.


Mme. Pecqueret : « douteuse du point de vue national »  

La Sureté Nationale commence à s’intéresser à elle dans le cadre de ses investigations sur les Caspari qu’elle fréquente.

Elle est citée dans les rapports des Renseignements généraux sur les Caspari.

Elle doit être l’objet de plus en plus de la rumeur publique car le 24 mai 1939, la directrice de l’Ecole de Filles de Pouillé, originaire de Pontlevoy et qui y passe ses vacances, envoie une lettre au Procureur de la République sur Mme. Pecqueret.

Cette Mle. G… qui demande, courageusement, au procureur que son nom ne soit pas publié, considère de son devoir « d’attirer l’attention sur la conduite plutôt louche d’une certaine personne ».

Elle dresse un portrait au vitriol de Mme. Pecqueret : « flatteuse, menteuse, capable d’inventer n’importe quoi » et autres amabilités.

Elle souligne que « tout est mystérieux » dans les rapports entre elle, son mari et son fils. « Il y a de l’espionnage là dedans ».

Et crime manifeste, elle « travaillait pour Mr. Caspari » et allait chercher les lettres de celui-ci à la poste de Montrichard.

Un rapport des Renseignements Généraux donne un autre son de cloche : « Le ménage Pecqueret vivait très modestement » dans un logement de « peu d’importance ». Après le départ de son mari, elle semblait « vivre des seuls revenus » de son « travail de lingerie et tricotage à la main ».

Elle est  « très méfiante », « parle peu » et « s’exprime difficilement en français ».

Pourtant «  elle pourrait très bien servir d’entremetteuse dans certaines affaires mais chose très difficile à établir en raison du silence dont elle se referme ». Ben voyons !

Elle sera astreinte à la résidence surveillée à la déclaration de la guerre et à se présenter quotidiennement à la gendarmerie.

Elle était toujours en résidence surveillée, le 13 octobre 1939.

Au moment de son mariage en 1921, Emma Moritz qui a 42 ans, habitait sur une des plus belles avenues de Barcelone. Elle y était « artiste peintre »…qui saura jamais qui était vraiment Mme. Pecqueret ?

Les Byk : ils ne peuvent être que des espions


Dans sa lettre du 10 juin 1939, mentionnée ci-dessus, l’Ambassadeur Conty, après avoir souligné que « depuis qu’il est à Pontlevoy, M. Byk a, tant du point de vue de son enseignement que de sa parfaite tenue, donné comme professeur toute satisfaction au directeur du Collège » en vient à l’objet véritable de sa missive au Préfet.

« L’attention du directeur a été attirée sur certaines précautions particulières qu’emploie cet étranger pour acheminer ou recevoir sa correspondance. Il aurait même demandé à l’un de ses élèves de lui servir à Blois d’intermédiaire pour la réception de certains documents ».

M. Conty prend la précaution de dire qu’il est possible que l’intéressé ait des motifs pour ne pas « compromettre aux yeux des autorités allemandes des compatriotes autrichiens demeurés sous la juridiction des hitlériens ».

Mais, c’est pour mieux enchaîner sur : « vous estimerez peut-être, cependant, qu’il y a lieu, de la part du Service de la Sûreté d’exercer une surveillance très discrète et très prudente...Si vous découvrez que M. Byk est affilié à un service allemand, je vous serais très reconnaissant de m’en avertir secrètement d’urgence car le directeur du Collège et moi tenons essentiellement à ce que l’Abbaye de Pontlevoy ne serve pas de repaire à un centre d’espionnage et nous prendrions les mesures que vous voudrez bien nous indiquer ».

Le 17 juin, le Préfet lui répond que « la situation que vous avez bien voulu me signaler n’avait pas échappé à mes services ».

En effet, les Byk avaient fait l’objet d’un premier rapport du Commissaire Spécial, le 1er Juin 1939 et d’autres suivront.

Les thèmes récurrents de « l’espionnite »

Celui du courrier :

Les services de police vont tenir à partir de mai 1939, la comptabilité des lettres reçues ou envoyées par Edgar BYK ainsi que des colis.

Il est accusé de « chercher à dissimuler l’acheminement de son courrier » ; « il a donné des instructions pour que son courrier lui soit remis en mains propres sans que sa femme en soit informée, sauf les imprimés, le journal « L’ordre » et les lettres adressées à Mme et Monsieur ».

Il a recours à des intermédiaires ; dans son cas, des élèves.

Il reçoit beaucoup de courrier de l’étranger ( Allemagne, Palestine, Italie, Angleterre, etc. ) et bien sûr d’Allemagne, notamment de Charlottenburg, quartier aujourd’hui de Berlin.

Et même de l’argent de la succursale d’une banque allemande en Turquie transmis par un Allemand.

Pour la police française, Edgar est un modeste professeur au Collège de Pontlevoy.

Ils ignorent de toute évidence qu’il s’agit d’un intellectuel connu, certes astreint à la prudence dans le contexte politique austro-allemand, mais qui comme ses semblables, a de nombreux contacts et échanges, y compris internationaux.

Ainsi, il sera relevé qu’Edgar a reçu des feuilles corrigées de ce que la police pense être un manuscrit qu’il est en train d’écrire mais c’est aussi une donnée suspecte à ses yeux !

Celui de la langue :

Ainsi, « nombreuses sont les lettres de Byk rédigées en allemand ».

Mais aussi, « les époux Byk ne pratiquent que cette langue dans leurs conversations » !

Comme encore, « le 31 mai, a reçu une lettre venant d’Angleterre, écrite en Allemand ».

Ces griefs sur la langue usitée par les Byk sont particulièrement significatifs de la paranoïa anti-espion de la Sûreté en ces mois précédant la guerre.

Elle en oublie que Byk est germanophone, sa femme l’est devenue et presque tous ses correspondants le sont !

Celui de leurs fréquentations :

Ces fréquentations sont passées au peigne fin pour y détecter de possibles signes d’un réseau organisé.

Aucun pontilivien ou français de souche n’y figure. Ce qui laisse à penser que les Byk ne fréquentaient pas grand monde ou ce qui doit être plus conforme à la situation, on ne les fréquentait pas !

Les Byk ont des relations avec un Walter Kanders et son épouse Hélène Schneider qui ont résidé quelque temps à Blois avant de s’installer dans la Région Parisienne : « Kanders serait libraire, éditeur d’art et suivrait les cours de l’Académie Jullian à Paris ». (11).

Ils voient des Simon qui résident un temps à Blois et vont devenir eux aussi des « indésirables » (12)

Ils échangent avec un Jason Franceskakis qui habitait à la même adresse qu’eux à Paris, lors de leur arrivée en France (13).

Ce « 6 Bis, rue du Chevalier de la Barre » servira aussi de boîte à lettres pour leurs amis Kanders et Simon, lors de leurs séjours parisiens. La Sûreté y voit un indice significatif.

Mme. Franceskakis séjournera chez les Byk à Pontlevoy, fin août 1939.

Ce qui alertera grandement les services de Sécurité, c’est qu’elle repart à Paris, le 2 septembre, jour de la déclaration de la guerre...et pour cause : son mari et son beau-frère s’engagent quelques jours après dans les bataillons des volontaires juifs étrangers pour se battre pour la France et la liberté !


Les mesures administratives à leur encontre

En août 1939, Edgar Byk est inscrit « au carnet B Spécial », qui était l’instrument administratif principal de surveillance des « suspects » français et étrangers.

Aussi, il ne sera pas immédiatement rassemblé avec les autres étrangers ressortissants des pays du Reich qui sont internés dans les camps spécifiques de détention installés dans le département.

En tant que « suspect », il est carrément arrêté le 2 septembre et incarcéré à la prison de Blois.

A la même date, Henriette ( comme Mme. Pecqueret ) est astreinte à une résidence surveillée.

Dans un rapport du 4 septembre, le Commissaire Spécial qui vient de se rendre à Pontlevoy pour examiner la situation des deux femmes, nous apprend que « les dames Byk et Pecqueret viennent de faire connaissance et se fréquentent à présent ».

Deux supposées espionnes au service de la même cause, habitant la même petite commune, et qui ne se connaissaient donc pas ! Ah, « espionnite » quand tu nous tiens !


Le sort réservé aux « étrangers indésirables »

La première détention d’Edgar...

De la prison de Blois, Edgar est transféré au camp de Marolles. Sur un des tableaux recensant les détenus, il est qualifié de « professeur » (14) 

Puis, il sera envoyé au camp de Villemalard. Là, il est recensé comme « docteur es lettres ».

Henriette reçoit un sauf conduit de un jour, le 13 octobre 1939, pour revenir de Villemalard à Pontlevoy.

Son cas, comme celui de tous les étrangers « indésirables » devait être examiné par une Commission Interministérielle de Criblage (instituée par nationalité) pour statuer sur leur sort : maintien en détention ou remise en liberté.

Le 30 novembre, cette Commission émet un avis positif à sa libération.

Rien n’a pu être retenu contre lui : dans un rapport du 9 novembre, le Commissaire Spécial doit concéder : « Certains de ses agissements l’avaient rendu suspect d’espionnage, sans toutefois que des preuves solides aient été apportées ».

Edgar est libéré du camp de Villemalard, le 15 décembre 1939.

....et les retombées sur Henriette :

En juillet 1939, pressentant vraisemblablement la proximité de la guerre, Henriette avait sollicité sa réintégration dans la nationalité française.

Il ne lui sera pas tenu compte de son origine française et la décision sera ajournée à 5 ans par une décision du Garde des Sceaux du 22 mars 1940.

On peut imaginer qu’un rapport défavorable des Renseignements Généraux avait dû être produit à l’encontre de l’épouse d’un suspect d’espionnage !

A la rentrée scolaire, Henriette avait été priée de quitter leur logement de fonction car « il est à noter - relève le Commissaire Spécial - que dès avant les événements de septembre 1939, ce ménage autrichien était suspecté par la direction qui avait décidé de se passer des services de Byk à la rentrée scolaire, mais l’avait laissé dans ses appartements, par charité sans doute ».

Nous apprenons ainsi que Edgar Byk allait se retrouver au chômage à la rentrée 1939-40.

Henriette sollicite auprès du Procureur de la République la faveur d’y demeurer. Le Procureur demande des renseignements.

Le Commissaire Leboutet signale à celui-ci que « plusieurs rapports émanant de diverses autorités ont signalé à l’Etat-Major de la 5e Région le danger qu’il pouvait y avoir à conserver Mme. Byk au Collège de Pontlevoy où logent des officiers du Corps de Santé. Rien ne saurait justifier le moindre sursis à son départ des lieux qu’elle occupe. ».

De plus, « elle ne peut être autorisée à résider dans la région de Montrichard » mais elle pourra « retirer quelques menues sommes....ses ressources étant supprimées depuis la concentration de son époux ».

On imagine mal Henriette en nouvelle Mata-Hari !


Le départ de Pontlevoy :

Pourtant, le couple se trouve toujours à Pontlevoy début 1940.

Le 11 janvier, Edgar se fait délivrer un certificat de travail par Mr. Courtat qui déclarera « ..qu’il a toujours montré dans son enseignement un dévouement et une compétence qui lui méritent beaucoup de considération. Les événements seuls l’obligent à se retirer ». Sans commentaires !

Le 20 janvier, le maire Laurentie fait signer à Edgar une demande à bénéficier du droit d’asile en tant que réfugié et une reconnaissance « d’être soumis aux prestations imposées par le décret-loi du 12 avril 1939 ». Les étrangers se voyaient astreints, suivant notamment leur âge, à des services soit pour l’armée ( Légion Etrangère, régiment, intendance ), soit pour l’économie ( travail agricole ou industriel ).

Edgar et Henriette se mettent aussi en règle pour le renouvellement de leur carte d’identité d’étranger. Elle, c’est la vielle carte de 1937, lui celle obtenue en juin 1939, mais pour une durée temporaire de 6 mois au lieu de trois ans. Conséquence, on peut le penser, des soupçons qui pèsent sur lui.


Il obtient un sauf-conduit de 3 jours, à partir du 8 janvier, de « Pontlevoy à Blois par autocar ou auto. Vient à Blois pour y chercher un appartement ».

Le 21 avril, les Byk obtiennent l’autorisation de s’installer le 23, à l’Hotel la Tour d’Argent, rue des 3 Clefs.

En fait, ils iront rapidement loger rue Henry Begon.

Puis, un mois plus tard, ils s’installeront rue Charbonneau.

Le 25 avril 1940, la Commission de Criblage confirme que Edgar peut rester en liberté....mais ce sera pour peu de temps.

3 juin 1940 : Edgar à nouveau interné 

L’invasion allemande le 10 mai 1940, déclenche une nouvelle vague d’internement des étrangers relevant des pays dépendant du Grand Reich.

Edgar est interné à nouveau au camp de Marolles.

Le 15 mai, c’est au tour des femmes étrangères de nationalité allemande à être rassemblées et internées. La plupart des « allemandes », comme on les appelait, seront envoyées au camp de Gurs.

Mais, en raison de sa nationalité française d’origine et de son âge, Henriette est dispensée d’internement, le 7 juin 1940.

Le 21 juin 1940, la veille de l’Armistice et quelques jours avant la mise en place de la Ligne de Démarcation en découlant, Henriette se réfugie dans la petite commune de St. Genou dans l’Indre, qui donc se trouvera en zone dite libre.


Le repli de l’armée et des « Rassemblés » :

Face à l’avancée de l’armée allemande, l’ordre est donné aux commandants des camps de détention de les évacuer et de se diriger vers le Sud.

Le 15 juin 1940, le camp de Marolles est évacué.

Le lieutenant Pelay, commandant la 313e Compagnie de Travailleurs Étrangers, doit les conduire à St. Sauveur en Haute-Vienne.

Il attestera que Edgar Byk a « été à sa garde du 15 juin au 18 juillet 1940 » et que « cet homme s’est conformé en tous points à la discipline de la Compagnie, en particulier dans les 10 étapes du repli de Marolles à St. Sauveur près Bellac »

Le 18 juillet, Edgar reçoit un ordre de mission pour se rendre en chemin de fer à Limoges au centre de rassemblement aux fins de sa libération par les services de la Sûreté Nationale.

Les retrouvailles avec Henriette :

Muni d’un sauf conduit, il rejoint sa femme à St. Genou, le 26 juillet.

Puis, ils se rendent à Châteauroux au Centre pour réfugiés de la Périgourdière où ils remplissent une nouvelle déclaration pour réclamer le droit d’asile sur le territoire français, le 29.

Et le 30 août 1940, avec un sauf-conduit valable 15 jours, ils quittent Châteauroux à destination de Lyon où ils souhaitent s’installer.


Les discrètes années lyonnaises :

Lyon, une place notable durant la guerre

Lyon va jouer un rôle important durant la seconde guerre mondiale.

La capitale des Gaules située en zone libre jusqu’en novembre 1942, proche de ligne de démarcation et sur les grands axes de transit vers la Suisse, la Méditerranée et l’Espagne, exerce une forte attraction pour les réfugiés de l’exode, pour les juifs traqués notamment ceux de Paris appartenant souvent à la vieille bourgeoisie des juifs français.

Elle va abriter les consulats des principaux pays en guerre contre le Reich et des pays neutres qui seront très sollicités pour des visas d’émigration.

Lyon sera un haut lieu de la Résistance où s’installent très vite ceux qui deviendront les principaux animateurs des mouvements de la Résistance en zone Sud, puis à dimension nationale ( Combat, Francs-Tireurs, Libération, groupes FTP et de la MOI, etc. )

La répression y sera à la mesure de ces foyers de luttes et d’espoir.

L’installation des Byk dans le Vieux Lyon   

Le 2 septembre 1940, le Préfet de l’Indre informe son collègue du Rhône que les Byk « sollicitent l’autorisation de se rendre dans votre département » et il lui demande s’il n’y voit pas d’inconvénient.

Ils y arrivent le 6 septembre.

Le 9 septembre, Edgar Byk demande au Préfet du Rhône l’autorisation de s’installer à Lyon en exposant sa situation et celle de sa femme. Il fait remarquer : « nos moyens d’existence nous épargnent d’avoir recours aux allocations ». Ils ne coûteront donc pas cher à l’Etat !    

Le Préfet ordonne une enquête à la Sûreté notamment sur leurs occupations et ressources et s’ils ont été recensés.

Le 9 octobre, le Commissaire Chef de la Sûreté l’informe « que les époux Byk ne travaillent pas ; ils vivent de leurs économies...depuis leur arrivée à Lyon, ils ne se font pas remarquer défavorablement sous le rapport de la conduite et de la moralité...à mon avis, leur requête peut être accueillie avec bienveillance ».

Comme ils n’ont pas encore été recensés parmi les ressortissants du Grand Reich, le Préfet écrit en marge à la main : « doivent être recensés ». Ce qui sera fait dans les semaines suivantes.

Le couple s’installe d’abord 6, rue de la Bombarde dans le Vieux Lyon.

Puis, toujours dans le Vieux Lyon, ils aménageront au 13, rue St. Jean, le 11 novembre 1940.

Ils semblent y avoir mené une vie discrète.

Edgar et peut-être aussi Henriette, donnent-ils des leçons ? Font-ils des traductions ?


Un permis de séjour régulièrement prorogé

Le processus de prorogation du permis de séjour des Byk va suivre le rythme bien huilé des mécanismes administratifs et cela sans problème, jusqu’en juillet 1944.

Leur permis de séjour est renouvelable trimestriellement.

Chaque fois, Edgar présente, pour lui et Henriette, une demande de renouvellement.

Le Préfet à son tour demande aux services de Police un rapport pour savoir si la situation des Byk a connu des changements.

Le permis prorogé est transmis au service de la Sûreté chargé de le remettre à Edgar qui signe un récépissé de réception.

Le Préfet informe ensuite les services du Ministère de l’Intérieur à Vichy.

Notons, à ce stade, une donnée qui a dû jouer un rôle par la suite : dans un de ces rapports de Police du 24 juin 1941, il est précisé que les Byk « reçoivent des secours attribués par le Comité Israélite, 12 rue Ste. Catherine ». C’est la seule référence, jusqu’en 1943, sur un lien entre les Byk et la communauté juive.

Sinon, les rapports de police, tous les trois mois, indiquent laconiquement que leur situation n’a connu aucun changement.


 1943 : le tournant dans la répression anti-juive à Lyon

Entre 1939 et 1942, le nombre de juifs a quadruplé à Lyon.

Le Consistoire Central quitte Paris et s’y installe.

L’aide aux juifs réfugiés s’organise notamment au sein de l’UGIF, la structure officielle de représentation des Israélites de France, créé par le gouvernement de Vichy en 1941.

A Lyon, le Comité Israélite de l’UGIF, loge au 12, rue Ste. Catherine.

Il est composé d’animateurs issus de deux structures qui existaient déjà avant guerre : le Comité d’aide aux réfugiés allemands et autrichiens et la Fédération des Sociétés juives de France. Le Comité fournissait à ceux qui en avaient besoin : un logement, un secours financier, des faux papiers, des mises en relation avec les filières d’évasion, etc.

En 1943, après l’occupation de toute la France, la montée en puissance de la Résistance et la perspective d’un prochain débarquement, la répression anti-juive s’intensifie à Lyon et durera jusqu’aux derniers jours de l’Occupation.

Klaus Barbie, chef de la Gestapo, en est le sinistre symbole.

Le 9 février 1943, une rafle a lieu au siège du Comité Israélite.

86 personnes sont raflées. Deux parviendront à s’échapper. Toutes les autres seront déportées.

Dans les semaines qui suivent, des milliers de juifs lyonnais seront envoyés vers les camps de la mort.


Les Allemands s’intéressent à Edgar : juif ou pas juif ?


Ont-ils trouvé son nom dans les listes des personnes aidées par le Comité de la rue Ste. Catherine ?

A t’il fait l’objet d’une dénonciation quant à la possibilité ou probabilité qu’il soit juif ?

Edgar a t’il reçu du courrier qui a attiré l’attention sur lui ?

Ou a t’il eu des contacts avec d’autres juifs repérés comme tels par les nazis ?

Il ne s’est pourtant pas fait recenser comme juif.

Il n’est donc pas inscrit sur le registre des Juifs tenu en préfecture (15).

Aussi, la police allemande de Lyon va s’adresser à ses collègues du Loir et Cher pour obtenir le renseignement souhaité puisque, le 29 juin 1943, la Sicherheitspolizei de Blois demande un rapport au Préfet du Loir et Cher pour savoir si Edgar Byk « était de race juive ou aryenne ».

Le 15 juillet 1943, l’Inspecteur des Renseignements Généraux, Jean Lagaillarde, rend son rapport. Après avoir rappelé les informations sur l’identité des Byk et les conditions de leur venue en France, il note « que les renseignements recueillis tant au point de vue conduite que moralité sont en tous points favorables ». L’inspecteur ne sait pas où ils se trouvent mais la rumeur publique les dit du côté de Lyon.

Mais surtout il précise bien qu’il n’a pu « obtenir de renseignements précis au point de vue confessionnel sur Mr. Byk mais il apparaît comme probable qu’il n’aurait pu entrer en fonction dans ce collège catholique s’il avait été de race juive ».

On peut en déduire que cette dernière observation de l’Inspecteur de Blois va donner un répit de quelques mois à Edgar.

Puisqu’il ne semble pas avoir été inquiété par les Allemands pendant environ un an.           

18 août 1944 : Edgar massacré sur l’aéroport de Lyon-Bron

 Le 14 août 1944, l’aviation américaine bombarde à tout va l’aéroport de Bron pour rendre impossible tout envol d’avions allemands car le lendemain, 15 août, s’effectuera le débarquement allié en Provence.

108 avions larguent 3500 bombes transformant l’aéroport de Bron en champ de ruines.

Les troupes alliées initient alors leur remontée de la vallée du Rhône vers Lyon.

Tout au long de ces dernières semaines, les Allemands avaient démultiplié dans la région massacres, exactions et arrestations de résistants et de juifs.

J’ignore dans quelles conditions est intervenue l’arrestation d’Edgar Byk ni à quelle date.

Il est toujours en liberté le 17 juillet puisqu’il va retirer son permis de séjour prorogé pour trois mois.

Il est inscrit sur les fiches des écrous de la Prison de Montluc mais sans précision de date, ce qui semblerait accréditer l’hypothèse d’une arrestation de dernière heure. On sait qu’il ne se trouvait pas parmi les prisonniers qui seront libérés.

Il a du être détenu dans la « baraque aux Juifs » de la prison de Montluc (16).

Historiens et chercheurs de cette période de l’histoire de Lyon s’accordent à considérer qu’il fait partie des victimes des massacres de l’aéroport de Bron. Son corps est un de ceux qui n’ont pu être identifiés avec certitude.


Entre le 17 et le 21 août, 109 prisonniers de Montluc dont 72 juifs y furent massacrés.

Ils étaient amenés le matin sur l’aéroport pour déblayer les gravats des pistes, désamorcer les bombes, reboucher les cratères.

Le matin, ils devaient quitter la prison « sans bagages ». Beaucoup savaient ce que cela signifiait.

Le soir, ils étaient amenés, un peu à l’écart, et fusillés. Leurs corps étaient alors jetés dans des trous de bombe, faisant office de charniers.

Ces charniers seront découverts en septembre 1944.

Le massacre d’Edgar est daté au 18 août 1944.


…Je n’ai, hélas, pas trouvé d’informations sur ce qu’est devenue Henriette après le décès d’Edgar.

Mme. Pecqueret, elle, est décédée à Pontlevoy, le 24 septembre 1941.

C’est son fils, alors radio-technicien à Montrichard, qui déclare son décès.

« L’espionne » est morte pauvre car sa succession n’a aucun actif.

Mr. Pecqueret a continué sa mobilité géographique et matrimoniale : chaque fois veuf, il se remarie à Perpignan en 1942, à St. Jean d’Angely en 1947 et enfin à Casablanca en 1954. Ouf ! Six fois.

Il décède à Montpellier, le 8 décembre 1958.

Quant aux Caspari, ils retrouveront leur chère Côte d’Azur, peut-être avec leur inséparable gouvernante. Ils décèdent à Nice : Edmond Caspari en 1956, son épouse quelques années plus tard.

Edgar BYK peut maintenant retourner à la poésie « expressionniste » de sa jeunesse : il aura été sorti de l’oubli ou de l’ignorance de ce que fut le destin d’une bonne partie des intellectuels anti-nazis du dit « Grand Reich » …le temps, lecteur, lectrice, de parcourir ces quelques pages.

Thérèse GALLO-VILLA

Monthou-sur-Cher, septembre 2020

NOTES :

  1. Je me permets de renvoyer à mes précédentes études sur la Shoah, notamment celles consacrées à la famille Strassburger et à la famille Eideliman qui répertorient et analysent les législations et règlementations à l’encontre des étrangers, prises par les derniers gouvernements de la IIIe République et le gouvernement de Vichy.

  2. On trouvera quelques données généalogiques sur la famille ByK, principalement sur le site www.geni.com

  3. sur le judaïsme réformé, la synagogue de Lemberg et le rôle d’Emil Byk, il y a de nombreux articles sur Wikipédia et les sites spécialisés consacrés à l’histoire religieuse juive.

  4. Parmi les peintres, on peut citer Edvard Munch, E.L. Kirchner, Vassily Kandinsky, Emil Nolde, Franz Marc, Marc Chagall, Paul Klee, etc. Ce courant fut marqué chez les musiciens avec notamment Arnold Schoenberg, Igor Stavinsky, Bela Bartok, Alexandre Scriabine, Théodor Adorno, etc. Dans la littérature, Friedrich Nietzsche eut une influence importante sur l’expressionnisme qui fut très répandu parmi les poètes allemands et autrichiens de la période.

  5. Généanet. Pour les quelques données sur l’oeuvre littéraire d’Edgar Byk, elles ont été « glanées » sur des sites Internet, la plupart allemands et autrichiens.

(6) On peut se référer à l’article : « Le mariage dans le droit autrichien actuel » de K. Wolff, 1-4, 1949, publié dans la Revue internationale de droit comparé ( sur www.persee.fr).

Comme je ne connais pas la localisation de la paroisse, du temple ou de la synagogue où ils se sont mariés, il n’a pas été possible aux organismes sollicités de faire des recherches utiles.

(7) Le dépôt des archives du Collège de Pontlevoy (voir les sources) contient très peu d’informations concernant les enseignants, les enseignements et la pédagogie.

(8) Alexandre-Robert Conty (1864-1947), issu de familles de la grande bourgeoisie industrielle et de la banque, est un diplomate ayant occupé de nombreux postes en ambassade dont en Chine, au Danemark, au Brésil, etc.

Deux de ses fils seront des résistants : l’un Michel Conty, chef d’un maquis, mourra sous la torture.

(9) Ces quelques données sur le Collège de Pontlevoy sont tirées de l’article de Georges-Marie Chenu, ancien ambassadeur : « L’Abbaye-Collège de Pontlevoy : les dernières années » (voir la bibliographie ).

(10) Les parties concernant « l’espionnite » des Caspari, Berizzi, Pecqueret et Byk découlent des informations contenues dans plusieurs séries des Archives Départementales de Loir et Cher (voir les sources ). Il s’agit de dossiers, hélas incomplets, relevant des services de la Sûreté, des Renseignements Généraux, des fichiers d’étrangers.

Je les ai croisés avec les renseignements d’Etat-Civil des uns et des autres, le recensement de 1936 à Pontlevoy ainsi que des informations trouvées, de ci-de là, dans des ouvrages, sur des sites Internet.

(11) Je n’ai pu identifier avec certitude ce personnage.

L’Académie Julian, fondée en 1866 par le peintre français Rodolphe Julian, fut une célèbre école privée de peinture et sculpture fréquentée par des artistes du monde entier.

(12) Ludwig Simon était un haut fonctionnaire allemand, conseiller d’Etat, né en 1890, ayant fui le nazisme, qui s’était installé à Blois.

Il sera détenu comme indésirable au camp de Villemalard et sa femme Emmy envoyée dans celui de Gurs. Il sera évacué avec le 313e GTE vers St. Sauveur, comme Edgar.

Il obtiendra pour lui et sa famille, via le Consulat des USA à Marseille, un visa d’émigration aux USA.

Il était le frère du pianiste et musicologue James Simon, déporté et exterminé à Terezin où il fut membre de l’orchestre du camp.

(13) La famille Franceskakis ( il y a plusieurs orthographes ) est originaire de La Canée en Crète. Elle fondera une célèbre galerie d’art à Athènes qu’elle possède toujours, depuis plusieurs générations.

Jason (1913-2003) et son frère Phocion (1910-1992) étaient venus faire leurs études à Paris. Ils seront volontaires en 1939 dans les régiments d’étrangers.

Jason sera fait prisonnier de guerre. Il s’installera ensuite en Suisse et fera une carrière de fonctionnaire international.

Phocion, qui demeurera en France, deviendra un des principaux spécialistes du droit international privé, directeur de recherche au CNRS et ancien professeur d’Université.

(14) Les parties portant sur la vie d’Edgar et Henriette en tant « qu’indésirables » et leur séjour à Lyon découlent elles du volumineux dossier fourni par les Archives du Rhône (voir les sources ).

Il s’agit de leur dossier en Préfecture ; elle avait confisqué nombre de documents comme leurs passeports autrichiens, leurs documents d’identité, des attestations et qui contenait les papiers concernant leur permis de séjour et ses renouvellements.

(15) Les AD 69 ont eu l’amabilité de vérifier le registre des juifs à Lyon, d’octobre 1941.

(16) Cette « baraque aux Juifs » n’existe plus mais son emplacement est marqué au sein de la prison de Montluc qui est devenue le Mémorial National de la Prison de Montluc.

La prison de Montluc, désaffectée, avait été réquisitionnée par les allemands en novembre 1942 pour y détenir résistants, juifs et otages.

Jean Moulin, Raymond Aubrac, le général de Lattre de Tassigny, Marcel Bloch-Dassault, les enfants d’Ysieu et tant d’autres, y furent détenus, torturés.


SOURCES :

Archives Départementales de Loir et Cher :

  Série :

    • 1375 W 31 ( Etrangers, 1939-40 )

    • 1375 W 33 ( Etrangers,1939-40 )

    • 4 M 351 ( Sureté, Dossier Caspari-Pecqueret ).

    • 651 W1 ( Cartes d’identités Etrangers, fiches de notification, sauf-conduits )

    • 629 W 3 et 4 ( Listes et fiches d’internement dans les camps )

    • 310 Q 19 ( Successions Pontlevoy )                

    • 6 M 578 ( Recensements Pontlevoy)

    • 1652 W 17/429 ( Renseignements Généraux, dossier Byk-Pecquere

    • Dépôt du Collège de Pontlevoy

      • 28 J-3P3/181, volume 16 ( recrutement des enseignants)

Archives Municipales de Blois :

- 15 Z 15 ( contentieux famille Augustin Thierry/Caspari )

Archives départementales du Rhône :

- 829 W 255 ( dossier de la Préfecture sur les Byk )

- 3335 W 11 et 22 ( fichier de la prison de Montluc

- 3460 W ( les massacrés de Bron )

Archives départementales de la Somme :

- Registre Matricule de Isidore Pecqueret

- Actes d’Etat Civil le concernant.

Mémorial de la Shoah :

- Fiche sur Edgar Byk

Mémoire des Hommes du SHD en coopération avec le Mémorial de la Shoah :

 - Dépôt de l’Union des engagés volontaires, anciens combattants juifs, leurs enfants et amis ( UEVACJ-EA ).

 - Fiches Jason et Phocion Franceskakis.

Le Maîtron : Dictionnaire bibliographique des fusillés, guillotinés, exécutés, massacrés 1940-1944 : fiche Byk Edgar ou Edgard.

L’Association « Renaissance du Vieux Lyon » : photo avant restauration du 13, rue St. Jean.

Le Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation à Lyon : fiches thématiques.

Les services de l’Etat-Civil des villes concernées par les différents personnages de cette étude.

Des sites internet comme : Wikipédia, Généanet, etc.

Les travaux de l’auteure sur la Shoah en Loir et Cher.


BIBLIOGRAPHIE

BADIA Gilbert, Les barbelés de l’exil, Etudes sur l’émigration allemande et autrichienne (1938-1940), Grenoble, PUG, 1979.

CARON Vicki, L’Asile Incertain : la crise des réfugiés juifs en France-1933-1942, Tallandier, 2008.

CDPA 41, Patrimoine dans votre commune : Pontlevoy, N°51/2017.

DOUZON Laurent ( sous la direction ), Lyon dans la Seconde Guerre Mondiale, PUF Rennes, 2016 ( un article porte sur les Juifs à Lyon ).

FERRAND Gérard, Camps et lieux d’internement en Région Centre, Editions Alan Sutton, 2006.

GOLDBERG Itzhak, L’expressionnisme, Editions Citadelles et Mazenod, 2017.

GUEDJ Jérémy, Les Juifs français face aux juifs étrangers dans la France de l’entre-deux guerres, Cahiers de la Méditerranée 2009/78, p. 43-73.

JOLY Alice, A Montluc : Prisonnier de la Gestapo, Souvenirs de Raymond Leculier du 25 novembre 1943 au 25 août 1944, Editeur Cartier, 1944.

LE RIDER Jacques, Les Juifs Viennois à la Belle Epoque, Albin Michel, 2013.

LINSLER Johanna, Les réfugiés en provenance du Reich allemand en France dans les années 30, Terre d’exil, terre d’asile, N° 210, p. 29-47.

MINIER Fabien, La vie quotidienne au Collège Pontlevoy (1644-1791), Editions Le Clairmirouère du Temps, 1993 ( à partir d’un mémoire de maîtrise) . Il n’existe pas à ma connaissance d’ouvrage général sur le Collège de Pontlevoy.

PESCHANSKI Denis, La France des camps : l’internement (1938-1946), Gallimard, 2002.

RÖSKAU-RYDEL Isabel : La société multiculturelle et multinationale de Galicie de 1772 à 1918 : Allemands, Polonais, Ukrainiens, Juifs. Conférence, Ecole pratique des Hautes Etudes, N°139/2008.

THALMANN Rita, Les minorités juives d’Allemagne et d’Autriche au XXe siècle, Matériaux pour l’Histoire de notre Temps, année 1994/N° 35, p; 14-20.