La Shoah dans le Loir et Cher > Sommaire > La famille Strassburger
Les Strassburger : une famille juive allemande réfugiée à Blois.
( 1936-1942 )
L’histoire de la famille Strassburger est significative du sort que les derniers gouvernements de la IIIe République puis le gouvernement de Vichy réservèrent aux réfugiés des pays d’Europe tombés aux mains des forces fascistes, notamment ceux du Reich allemand et des pays annexés.
Parmi eux, on relève un nombre élevé de personnes de confession juive.
Hugo Strassburger, Karoline sa femme et leurs trois enfants, juifs allemands du monde du cirque, avaient fui le nazisme et trouvé refuge en France, auprès du cirque Amar à Blois, en 1936.
Ils vont être victimes des politiques répressives à égard des « étrangers indésirables » et connaitre les camps de détention français.
Puis, plusieurs d’entre eux seront livrés aux autorités occupantes, déportés et exterminés à Auschwitz.
Le tragique destin des Strassburger jète une lumière crue sur une page honteuse, encore trop peu connue ou délibérément voilée, de notre histoire nationale.
Une dynastie du cirque allemand.
Des dompteurs et des cavaliers :
La famille Strassburger est ancrée dans la tradition du cirque équestre en Allemagne depuis le début du XIXe.
Ils seraient originaires de la ville de Strasbourg.
Adolf et Léopold Strassburger dirigent au début du XXème siècle un des plus importants cirques en Allemagne. Ce sont les frères de Hugo, né le 27 mars 1880 à Gerbstedt.
ils sont, avec d’autres frères et soeurs, les enfants de Salomon Strassburger et Amelie Klara Koch.
La cavalerie Strassburger est particulièrement réputée.
Toute la famille y est employée.
Le monde du cirque, avec son mode de vie, ses codes et ses métiers spécifiques, favorise une forte endogamie. Ainsi les Strassburger s’allient, et parfois plusieurs fois, avec d’autres familles connues du cirque européen : les Blumenfeld, les Kossmayer, les Houcke, les Gontard, les Konyet, etc.
Ainsi, la mère de Karoline était une Blumenfeld.
Les arts forains et la culture juive :
Un très grand nombre d’artistes du cirque étaient alors d’origine juive.
Cette situation plonge ses racines dans l’histoire du peuple juif et sa migration notamment en Europe centrale et orientale.
Des artistes de plusieurs disciplines font la tournée des petites communautés juives pour les distraire et ainsi vont naitre une musique, un théâtre, un humour juifs qui se nourrissent aussi de la culture des pays où ces communautés sont installées avec un langage propre : le yiddish.
Ces artistes sont présents et se produisent dans les foires depuis le Moyen-Age.
Ils transforment leurs souffrances en situations burlesques. Les pogroms et les expulsions dont sont victimes périodiquement victimes les juifs, leur ont fait intégrer une « errance » que reproduit le rythme du cirque et ses déplacements.
On cantonnait souvent les juifs aux métiers du colportage, du commerce des bestiaux et des chevaux. Ils étaient parfois interdits d’habitat dans les villes ou parqués dans des ghettos.
Le cirque avec son mode de vie nomade, son sentiment de liberté, l’appartenance à une communauté solidaire, la place de l’équestre, le rôle des situations tragi-comiques, etc. prolongeait nombre des traditions de la culture juive et en retour les enrichissait.
Les persécutions en Allemagne
En 1926, Carl le fils d’Adolf prend la direction du cirque Strassburger dont frères, soeurs et cousins sont propriétaires mais ils ne régularisèrent pas ce transfert de propriété.
Ce vide juridique facilitera les rétorsions du gouvernement nazi à l’égard des entreprises juives dans le cadre de « l’aryanisation » de l’économie allemande.
Si une partie des Strassburger fut catégorisée comme des « juifs métissés » en raison d’un grand -parent non juifs ou d’alliances avec des catholiques, ils n’échappèrent pas pour autant aux mesures antisémites des nazis : boycott des cirques juifs, interdiction de toute publicité, etc.
En aout 1935, pour se prémunir d’une vraisemblable imminente spoliation, Carl vend le cirque Strassburger à son directeur général Emil Wacker (qui avait adhéré au parti nazi ! ) et à Paula Busch, propriétaire du célèbre cirque du même nom.
La presse allemande se félicita que le cirque Strassburger soit « désormais entre des mains aryennes pures ».
Hugo Strassburger travailla aves ses frères ainés dans le cirque familial.
Il y fut maître d’écurie, dompteur, puis un cavalier bouffon à succès sous le nom de « Hugoletty ».
En raison de son mariage en 1910 avec une juive, Karoline Janssen, la classification nazie le considéra comme « juif à part entière ».
Trois enfants sont nés : Henriette en 1912, Adolf en 1914 et Amalie Isabella en 1919.
ils seront aussi artistes de cirque.
Son neveu Carl fut contraint de le licencier en vertu des lois anti-juives sur l’emploi.
Mais, en 1934, Carl put obtenir pour son oncle et sa famille un contrat au cirque Stosch-Sarrasani qui entreprenait une tournée de deux ans dans plusieurs pays d’Amérique Latine.
Huit membres de l’ex-cirque Strassburger mirent à profit ce séjour pour émigrer au Brésil, en Uruguay ou Argentine.
Hugo Strassburger refusa de suivre leur exemple malgré les mises en garde. Il voulait revenir vivre en Allemagne.
De retour en 1936, il lui est interdit d’exercer une profession artistique.
Et en mai, lors d’un interrogatoire à la Gestapo, il doit s’engager à quitter l’Allemagne dès que possible.
C’est la période où les nazis s’emploient à créer les conditions d’une émigration forcée massive des juifs du Reich.
L’installation à Blois :
Le fils Adolf est donné entré en France le 1er mars 1936, les autres membres de la famille, le 31 mai de la même année.
En juillet 1936, les Strassburger peuvent venir s’installer à Blois grâce à un contrat obtenu auprès du cirque Amar.
Nous ne connaissons pas les conditions de leur installation mais on peut les imaginer.
Le cirque est une grande famille internationale où toutes ces dynasties se connaissent, où les nouvelles circulent oralement.
Les Strassburger jouissent d’une belle réputation et les animaux sont au centre de leur histoire.
Et les Amar ont forge forgé leur succès sur le dressage.
D’origine kabyle par leur père, ils savent ce que sont les comportements racistes et ils rejettent l’antisémitisme.
Autant de raisons d’accueillir les Strassburger à Blois.
Sans toutefois leur fille Isabelle dite Bella qui épouse le clown belge Eugène Babusiau ( ou Babusio ) et va le rejoindre en Belgique, se convertit au catholicisme et survivra à la guerre.
Ils vont donc vivre au rythme du cirque Amar en participant aux tournées et en se consacrant l’hiver au dressage de leur cavalerie et à leur propre entraînement physique.
Ainsi, en janvier 1939, c’est à Alger qu’une carte d’identité d’étranger est délivrée à Hugo et Karoline.
En mai 1939, Adolf s’en fait établir une à Nice. Il avait passé son permis de conduire à Nantes en juillet 1837.
Et celle d’Henriette avait été obtenue à Blois durant l’hiver 1938.
Le cirque Amar, un grand cirque français.
Le cirque Amar a été fondé par Ahmed Ben Amar El Gaid, né en Kabylie en 1860.
Il spécialise son cirque dans les numéros d’animaux, notamment après son mariage avec Marie-Gabrielle Bonnafoux, directrice de la « Ménagerie lozérienne ».
Il va faire de plusieurs de ses fils « les plus jeunes dompteurs du monde » qui à son décès en 1913, prennent sa suite.
Amar aîné, Mustapha, Ali et Chérif épaulent ainsi leur mère.
Dès 1924, « le Grand Cirque Ménagerie Amar, direction veuve Amar et fils » entreprend aussi des tournées en Belgique, Hollande puis Afrique du Nord, en Egypte, Moyen-Orient, Europe Centrale, etc.
Les frères Amar connaissent un immense succès et alternent tournées à l’étranger et séjours en France qu’ils mettent à profit pour acquérir du matériel, acheter de nouveaux animaux, diversifier leurs prestations.
Ils se dotent notamment d’un immense chapiteau.
Ils vont acquérir en 1936 le fameux Music-Hall Cirque « L’Empire », avenue de Wagram à Paris, où ils donneront de somptueux spectacles.
Le développement de leur établissement va vite rendre nécessaire l’acquisition d’un endroit de stockage et de résidence d’hiver pour les employés et les animaux.
Trois mois par an à Blois.
Leur choix se porte sur Blois. Vraisemblablement pour sa position centrale et accessible, qui plus est peu éloignée de Paris.
C’est dans le quartier appelé « Vienne », sur la rive gauche de la Loire, qu’ils acquièrent début 1930, de vastes terrains.
ils vont y faire construire des logements concentrés rue Sourderie, 2e impasse Sourderie et rue de la Croix Rouge. Les terrains sont aussi délimités par la rue des Métairies.
Sur les documents administratifs, l’adresse du domicile des Strassburger sera d’ailleurs soit rue des Métairies, soit rue Sourderie.
Ces logements qui sont des pavillons pour l’encadrement ou de petites maisons à un étage accolées pour le personnel, sont d’une architecture moderniste, élégante, fonctionnelle et à vocation de logement social, née en Allemagne-Autriche au début du XIXe siècle.
Ces logement disposaient du confort : eau courante, gaz, électricité, chauffage. Ce qui n’était pas le cas de toutes les maisons blésoises !
Les remises, les ateliers de peinture, de mécanique et de maintenance du matériel se trouvaient rue des Métairies.
Il y avait un bâtiment réservé au dressage des nombreux animaux.
Tout le quartier, pendant ces mois d’hiver, bruissait des bruits variés du Cirque Amar.
La guerre va mettre fin aux tournées et autres déplacements des cirques.
Aussi, les frères Amar vont installer des cirques fixes dans la Région Parisienne : « Le Grand Cirque » avec Mustapha, « Le cirque international » avec Ali et le « Nouveau Cirque de Paris » avec Ahmed et Chérif.
Un camp de détention peu commun.
Le grand chapiteau fut en effet reconverti…en centre de détention temporaire pour les étrangers !
Le 5 octobre 1939, le maire de Blois écrit au Préfet pour appeler son attention sur une situation qui pourrait « se révéler d’une extrême gravité, à bref délai. C’est celle des étrangers qui se trouvent dans le camp de concentration, à la gare électrique de Vienne, sous la tente Amar ».
Le maire dénonce les « conditions d’hygiène déplorables » et avec l’hiver qui approche « le séjour y sera intolérable » mais il réfute aussi l’idée émise par certains d’utiliser la Halle Louis XII pour y loger de nouveaux arrivants. On ne peut, souligne t’il, y installer ni WC ni feuillées et ce serait « une faute énorme de priver la ville d’un marché ».
Le 7 octobre, le Préfet saisit le Général commandant la Subdivision de Blois qui le lendemain 8 lui rétorque impérial « que les étrangers actuellement rassemblés en Vienne et logés sous une grande tente Amar, le sont dans d’excellentes conditions d’hygiène et d’installation générale ». Il l’assure qu’aucun étranger ne sera installé sous la Halle Louis XII.
Il informe d’ailleurs le Préfet que, dès le lendemain, « tous les étrangers quittent Blois pour être répartis dans différents villages prévus depuis longtemps, pour leur répartition définitive ».
Le chapiteau avait été réquisitionné du 29 septembre au 10 octobre.
Le chapiteau s’écroulera le 11 octobre ! Les internés partis le 9 octobre l’ont échappé belle.
La mémoire locale a aussi gardé le souvenir des animaux du Cirque Amar, notamment les éléphants, utilisés aux travaux des champs dans des fermes proches.
Des politiques contre les « étrangers indésirables »
L’internement dans des camps.
La crise économique en France, au début des années 1930, s’accompagne d’une inquiétante progression de la xénophobie et de l’antisémitisme. Le responsable, c’est l’étranger ou le naturalisé de fraîche date.
L’accession en 1933 de Hitler au pouvoir, suivie de l’extension du Reich par annexions, voit l’arrivée en France d’un grand nombre de réfugiés : juifs, opposants politiques, intellectuels, etc.
La victoire en 1939 de Franco en Espagne entraîne l’exil massif des républicains espagnols et de leurs familles.
En France, les reculs successifs du Front Populaire, la pression des forces réactionnaires et l’imminence de la guerre, vont faire des étrangers des boucs émissaires de politiques de plus en plus répressives mises en oeuvre par des gouvernements français.
Avec le gouvernement d’Edouard Daladier en avril 1938, on assiste à un durcissement des politiques migratoires sans toutefois remettre encore en cause la protection des réfugiés politiques.
La loi du 18 juillet 1938 sur « l’organisation générale de la Nation pour le temps de la guerre » est une étape marquante.
Elle sera étendue par le décret du 12 avril 1939 aux bénéficiaires du droit d’asile et prévoit que les étrangers de 20 à 48 ans devront fournir des prestations équivalentes à la durée du service national.
Le 12 novembre 1938, c’est la promulgation du décret-loi sur les « étrangers indésirables » : toute personne de nationalité étrangère susceptible de porter atteinte à la sécurité du pays pourrait être détenue dans des « centres d’internement », de « rassemblement », « spécialisés ». On appellera aussi ces lieux, « camps de concentration ».
En novembre 1939, une loi qui associe étrangers et français autorise les Préfets à procéder à des internements à titre préventif ! Elle va aussi s’appliquer aux communistes dont le parti a été interdit.
Le premier camp français pour étrangers ouvrira en janvier 1939, celui de Rieucros ( 09 ).
D’autres suivront. Beaucoup au sud de la Loire. Ils serviront d’abord à l’internement des républicains espagnols réfugiés.
L’entrée en guerre puis le gouvernement de Vichy vont conduire à un enchainement des mesures répressives et l’institutionnalisation dans la durée de ces camps.
Dès le 3 septembre 1939, les hommes adultes allemands et autrichiens doivent se rendre dans les centres de rassemblement.
En mai 1940, un nouveau décret impose l’internement des hommes et des femmes ressortissants des « nations ennemis ».
En octobre 1940, les Préfets reçoivent l’ordre d’interner tous ceux qui n’ont pas la nationalité française.
Ces mesures s’inscrivent dans l’ensemble de la législation du gouvernement de Vichy contre les juifs, les communistes, les francs-maçons, les homosexuels, les tziganes, etc.
Ces camps relevaient du gouvernement français. Ils étaient sous administration française.
Les conditions de vie, d’hygiène, d’alimentation y étaient lamentables générant une notable mortalité, soulagées un peu par l’action des Associations de Solidarité, dont la CIMADE.
Les camps du Loir et Cher :
Rappelons pour mémoire, car ce n’est pas le sujet direct de cette étude, que le Loir et Cher comptera 51 centres pour les réfugiés espagnols.
Des milliers de personnes ont été concernées.
Le sinistre sanatorium des Pins à Lamotte-Beuvron qui fonctionna jusqu’en juillet 1942 devint rapidement un camp de séjour puis de transit de juifs étrangers vers les camps d’internement du Loiret, Beaune la Rolande et Pithiviers, maillons du parcours vers les camps d’extermination
nazis.
Nous nous limiterons ici, mais rapidement, aux camps autour de Blois qui furent de typiques camps d’internement des « étrangers indésirables » :
Villemalard à Marolles, Marolles, Francillon à Villebarou, Villerbon.
Dès le 3 septembre 1939, à Paris où ils sont essentiellement concentrés, les ressortissants du Reich sont rassemblés ( volontairement ou sous la contrainte ) au stade Roland Garros, dans celui de Colombes, dans des casernes et transférés dans des camps en province.
On est comptera jusqu’à 1367 internés dans ces quatre camps du Loir et Cher.
Toutes les professions y sont représentées avec un taux élevé de catégories professionnelles supérieures et d’un certain âge.
Les internés étaient logés chez l’habitant dans des maisons, granges, locaux désaffectés qui avaient été réquisitionnés à cet effet.
Dès le
3 septembre 1939
, à Paris où ils sont essentiellement concentrés, les ressortissants du Reich sont rassemblés ( volontairement ou sous la contrainte ) au stade Roland Garros, dans celui de Colombes, dans des casernes et transférés dans des camps en province.
On est comptera jusqu’à 1367 internés dans ces quatre camps du Loir et Cher.
Toutes les professions y sont représentées avec un taux élevé de catégories professionnelles supérieures et d’un certain âge.
Les internés étaient logés chez l’habitant dans des maisons, granges, locaux désaffectés qui avaient été réquisitionnés à cet effet.
Ils étaient surveillés par les militaires du 52e Régiment régional, 2e bataillon.
Leurs conditions de vie étaient médiocres.
Mais, ils pouvaient obtenir des autorisations d’absence pour faire des démarches à Paris ou en province dans les consulats auprès desquels ils avaient déposées des demandes de visas d’émigration ( Etats-Unis, Argentine, Brésil, Nouvelle-Zélande, etc. ).
Des permis de visite étaient aussi délivrés à des membres de leur famille pour venir les voir.
Au début, les épouses et les filles avaient été laissées en liberté.
Certaines étaient venues carrément résider à Blois pour pouvoir visiter leurs proches.
A coté des internés âgés et souvent malades, on trouve la catégorie des « prestataires » regroupés d’abord en « compagnies de travailleurs étrangers » ( janvier 1940 ) puis en « groupements de travailleurs étrangers » ( septembre 1940 ) jusqu’à 55 ans.
Ils sont mis à disposition de la Défense nationale et des besoins de l’économie de guerre.
Ainsi les prestataires des quatre camps cités aident aux travaux agricoles.
Les Strassburger : d’abord des « indésirables » …
Le retour du Cirque Amar à Blois.
Sur une liste établie par la Préfecture de Loir et Cher à la date du 28 août 1939 des « Etrangers de nationalité allemande, réfugiés sarrois, juifs allemands et ex-autrichiens », seule figure Henriette Strassburger.
Sur « l’additif » rectificatif du 30 août, sont portés les noms de Hugo, Karoline et Adolf le fils.
En effet, le Cirque Amar était arrivé à Blois le 28 août au matin.
A 18 h, ce même jour, 37 employés tchèques du cirque « ont quitté furtivement la ville » en laissant toutes leurs affaires, pour se rendre au Consulat allemand à Paris obtenir des visas pour retourner chez eux ! Un des frères Amar se rend aussi au Consulat avec leurs passeports qu’il détenait pour tenter de conserver ses employés qui venaient de rompre abusivement leur contrat.
Le commissaire de police alerte sa hiérarchie qui fera mettre les postes frontières en alerte !
Il nous apprend aussi dans son rapport du 29 que « le personnel comprenait 60 étrangers voyageant avec le Cirque ».
Donc, le 30 août 1939, la famille Strassburger est à Blois.
Leur adresse est celle du Cirque Amar, 2 rue Sourderie.
Hugo et Adolf d’abord internés au camp de Villemalard.
Le 13 septembre 1939, le général de division, commandant la 5e Région militaire, écrit aux Préfets concernés pour leur indiquer que les ressortissants allemands « mobilisables » ( de 17 ans à 50 ans ) auquel ont été rajoutés ceux de 50 à 65 ans, doivent être groupés dans des Centres de Rassemblement ; que les non mobilisables et les femmes ne doivent pas quitter leur localité de résidence, ni sortir la nuit et ont obligation de se rendre à des contrôles fréquents dans les mairies.
La date de l’internement de Hugo et Adolf, en tant qu’étrangers indésirables, n’a pu être trouvée. Ont t’ils fait partie des étrangers parqués sous le fameux chapiteau Amar en Vienne en septembre 1939 ? On peut le penser.
Le 17 janvier 1940, Adolf remplit une notice relative « aux étrangers qui déclarent être réfugiés et demandent à bénéficier du droit d’asile » et reconnait être soumis en tant que prestataire aux dispositions du fameux décret du 12 avril 1939.
Il est alors au camp de Villemalard à Marolles.
Hugo doit y être aussi mais lui, en raison de son âge, n’est pas prestataire.
Car sur une liste d’internés au camp de Marolles du 20 février 1940, Hugo et Adolf y sont inscrits, chacun ayant pour profession :
« employé de cirque ».
Henriette internée elle au camp de Gurs.
Nous savons grâce à une note des services de la Préfecture sur une fiche la concernant qu’Henriette a été détenue au camp de Gurs en tant que femme allemande indésirable et qu’elle est « revenue à Blois début août 1940 ».
Sur des fiches de la Préfecture concernant les étrangers, il est précisé que depuis son arrivée en France le 31 mai 1936, elle a participé à toutes les tournées du cirque Amar et « qu’elle n’a séjourné en Allemagne qu’au hasard des tournées ». Cette note sera aussi portée sur la fiche d’Adolf.
Le directeur du camp de Gurs avait pris sur lui de libérer les détenues, après la défaite et à l’approche de l’arrivée des Allemands.
Le 24 juin, il fit brûler toutes les archives concernant la présence à Gurs de ces femmes.
Nous ignorons donc tout sur l’internement de Henriette à Gurs : où et à quelle date fut-elle interpellée ?
Les AD64 ont confirmé qu’il n’existe plus d’Archives sur la détention de ces femmes indésirables. de 1940.
Ces femmes internées par milliers au camp de Gurs avaient été raflées le 15 mai 1945 d’abord à Paris ( rassemblées au Veld’hiv …déjà ! ) puis envoyées à Gurs.
Ces rafles s’étaient étendues à toute la France. Cet évènement peu glorieux concernant autant de femmes est encore moins connu que le sort réservé aux indésirables hommes !
Les libérations de celles qu’on appelait « les Allemandes » se poursuivront jusqu’au mois d’août 1940.
Karoline est vraisemblablement restée à Blois.
On peut penser que son âge - elle aura soixante ans en juillet 1940 - l’a préservé d’un internement bien qu’étaient concernées par ces mesures les femmes allemandes de 17 à 65 ans.
Elle a par contre dû être soumise aux dispositions contraignantes, décrites ci-dessus, imposées aux étrangers indésirables laissés en liberté.,
Sur la fiche du Comité d’Histoire de la Seconde Guerre la concernant, elle est qualifiée de « cuisinière au dépôt du Cirque Amar ».
Adolf, transféré ensuite au Mans.
Le 23 mai 1940, en tant que prestataire, Adolf est envoyé au Dépôt 4 Artillerie au Mans.
Mis à disposition de l’armée, il a donc servi soit dans un service auxiliaire soit dans une unité de combat.
Les hostilités ont dispersé sur le territoire les compagnies en fuite devant l’armée allemande.
Dans le fichier établi par le Comité d’Histoire de la Seconde Guerre sur les personnes arrêtées et déportées, il aurait été prestataire jusqu’au 19 juin 1940.
Après l’Armistice, les prestataires démobilisés devaient être à nouveau internés.
Une note de l’Etat-Major souligne l’intérêt à ce que « les prestataires étrangers encore dispersés en zone Sud soient regroupés sans délai ».
Mais en août 1940, le général Weygand, Ministre de la Défense, estime que l’armée d’Armistice ne peut plus prendre en charge le système des prestataires.
Beaucoup connaitront le sort aggravé des internés sous le régime de Vichy.
Adolf est revenu à Blois puisque une carte de séjour d’étranger lui est délivrée par la Préfecture, valable du 28 octobre 1940 au 27 octobre 1941 et prorogée en décembre jusqu’au 27 octobre 1942.
Toutefois dans une note du Commissaire de Police de Blois du 5 septembre 1942 dressant la liste « des étrangers israélites qui ont quitté récemment la ville de Blois », il est mentionné que « Strassburger Adolf, n’a pas reparu à Blois depuis le mois de mai ».
Quant à la fiche du Comité d’Histoire de La seconde guerre, elle mentionne qu’Adolf « a disparu de Blois depuis qu’il a rejoint le Cirque Amar à Rennes le 5 mai 1942 ». ( ? ).
Hugo, transféré de camp en camp.
… D’abord au camp de Cepoy dans le Loiret.
Le 17 mai 1940, Hugo Strassburger, en tant « qu’étranger », est transféré au camp de Cepoy dans le Loiret.
Ce camp près de Montargis, qui avait d’abord accueilli des réfugiés espagnols avait été installé dans les anciennes verreries de Maintenon.
Le 10 juin, le commandant du camp reçoit l’ordre d’évacuer le camp et de « replier les internés sur un point du territoire à proximité de Marseille ».
Du 11 au 14 juin, Cepoy sert aussi de lieu de transit aux prisonniers évacués des prisons parisiennes du Cherche-Midi et de la Santé et qui vont être eux conduits à pied vers le camp de Gurs, dans des conditions inhumaines.
Mais, lesArchives départementales du Loiret n’ont trouvé aucun document nominatif sur les personnes incarcérées à Cepoy en 1940.
… Puis au camp des Milles dans les Bouches du Rhône ?
Ce lieu « à proximité de Marseille » était le camp des Milles.
Les internés indésirables de Cepoy y arrivent le 12 juin1940.
Nous savons avec certitude que le 26 octobre 1940, Hugo Strassburger est transféré du camp des Milles à celui de Gurs.
Mais les Archives Départementales des Bouches du Rhône n’ont trouvé aucune trace de son arrivée et séjour au camp des Milles ( ou à son annexe le camp des Garrigues-St. Nicolas ).
Où pouvait bien se trouver Hugo ?
Une hypothèse peut-être avancée.
Durant les derniers jours d’Octobre 1940, arrivent à Gurs en provenance des Milles, un groupe de 537 « indésirables » juifs allemands. Ce sont d’un contingent de malades en provenance d’un camp en Haute-Loire qui vont quasiment tous mourir et d’environ 400 hommes, femmes et enfants qui avaient durant des semaines fait des démarches pour pouvoir émigrer en Amérique.
Outre les Etats-Unis, plusieurs pays d’Amérique Latine notamment avaient alors un Consulat à Marseille.
Ce visa leur ayant été finalement refusé et ils avaient donc été contraints de rejoindre pour ordre le camp des Milles.
Les autorités de Vichy autorisaient certains « indésirables », sous réserve de contrôles, à résider en ville à Marseille pour leurs démarches d’émigration.
Des hôtels étaient spécialisés dans l’accueil de ces réfugiés en quête d’émigration.
Autant d’étrangers qui plu est juifs de moins en France !
Hugo faisait-il partie de ce groupe ?
…. Enfin au camp de Gurs :
Hugo est détenu dans l’ilot H baraque 14 du Camp.
La fiche établie après la guerre par le Comité d’Histoire de la Seconde Guerre est étonnante car elle indique que Hugo aurait été « arrêté à Gurs où le cirque donnait une représentation » ! Ce qui est,on l’a vu, faux.
Le 11 juillet 1941 ( la lettre arrive à Gurs le 22 ), Karoline écrit, en son nom et celui de sa fille, au directeur du Camp pour savoir si son mari « se trouve encore chez vous ou a été déplacé dans un autre camp ». en effet, elles sont « sans nouvelles de lui depuis quinze jours » et elles sont « très inquiètes ».
En ce mois de juillet 1941, une procédure de libération de Hugo Strassburger a été initiée avec la participation du Cirque Amar.
Sur papier à en tête du Cirque, Chériff Amar qui se trouve à Antibes, envoie le 29 juillet 1941, une lettre au directeur du Camp, attestant « qu’ayant eu Monsieur Hugo Strassburger ( ilot H baraque 14 ), plusieurs années à mon service, je suis prêt à le reprendre et à lui donner du travail » et il demande la marche à suivre.
Le 25 août, c’est au tour de Mlle. Beyer, directrice du Cirque, elle aussi se trouvant à Antibes, d’intervenir auprès du directeur du Camp : « Je reçois une lettre d’un de vos pensionnaires que monsieur Amar voudrait bien avoir pour l’entretien et le dressage de ses chevaux. Il manque un certificat d’hébergement au dossier». Mais elle souligne que l’existence des deux zones complique les démarches d’autant qu’il faudra obtenir pour Hugo l’autorisation de rejoindre Blois donc en zone occupée.
Le 30 août1941, le Commissaire Principal de 1ière classe, chef du Centre de Gurs, lui répond que le certificat d’hébergement qui était absolument nécessaire pour obtenir une libération « doit être établi sur papier timbré par la personne qui s’engage à subvenir à son entretien » !
Une ou des interventions ont du être présentées auprès des autorités de Vichy, car le 19 septembre 1941, les services de la Direction de la Police du Territoire et des Etrangers à Vichy informent le Préfet des Basses-Pyrénées que leur attention a été appelée sur le cas de Hugo « qui sollicite sa libération en vue de résider chez sa soeur madame Siniselly, 24 rue de Bercy à Nice » et lui demande donc des renseignements et s’il lui parait « opportun d’accueillir favorablement cette requête ». En marge, il est inscrit : « attendre certificat d’hébergement ».
Nous ignorons ce qui s’est passé ensuite ou pas passé.
Cette soeur n’a pas pu être identifiée.
Hugo est resté détenu au camp de Gurs.
….puis des « juifs déportables »
Les mois de mai et juin 1942 connaissent une accélération des persécutions des juifs : ils n’auront plus le droit d’aller chez le coiffeur ; ils doivent remettre aux autorités les vêtements dont ils n’ont plus besoin ; ils n’ont plus droit à une carte de tabac ; ils se voient confisqués appareils électriques, optiques, bicyclettes, machines à écrire ; etc.
Après le 1er convoi de déportation de juifs de France le 27 mars, plusieurs vont suivre : le 8 mai, le 5 juin, le 22 juin.
Le 29 mai, la 8e ordonnance allemande avait institué le port de l’étoile jaune. Obligatoire, dès le 7 juin.
Le 6 juin 1942, c’est Karoline qui est allée retirer au Commissariat de Blois « six étoiles des juifs ».
Le PV du Commissaire de Police de Blois sur les remises d’étoiles précise qu’elles sont destinées à Karoline, Henriette et Adolf. Normalement, trois étoiles étaient attribuées par personne contre « un point tissu » ( les juifs devaient ainsi payer leurs étoiles sur leur droits à habits ou tissus ! ).
Pourquoi seulement six étoiles ? 9 auraient donc dû être remises.
Le 25 juin, Les Allemands demandent la livraison de tous les juifs étrangers de zone libre et exigent qu’une action soit entreprise contre les juifs français et étrangers en zone occupée.
26 juin 1942 : Henriette arrêtée la première :
C‘est le 26 juin à 20 heures à son domicile que la Feldgendarmerie interpelle Henriette.
Trois autres jeunes gens sont arrêtés en même temps qu’elle : Baertig Hannelore, réfugiée allemande et Bonem Lotte, réfugiée sarroise, toutes deux nées en 1922 et le jeune Lion Georges né en 1924.
Ils ne sont pas incarcérés à la prison de Blois mais directement dirigés sur Orléans, puis Beaune la Rolande.
Henriette est déportée par le convoi N°5 du 28 juin, au départ de Beaune la Rolande.
Avec elle Lotte, Hannelore et Georges.
Dans ce convoi, se trouvent aussi le père du philosophe Alain Finkielkraut et l’oncle du physicien Robert Klapisch.
Ce convoi emporte vers Auschwitz 1 038 juifs : en majorité des hommes juifs étrangers raflés en mai 1941 lors de la « rafle des billets verts », auxquels ont été rajoutés 34 femmes, 74 hommes et 16 adolescents, raflés dans des départements de la Région Centre.
C’et le premier convoi de déportation qui comprend des femmes et des enfants.
Les estimations sur les survivants en 1945 oscillent de 35 à 86.
Le décès de Henriette sera établi au 3 juillet 1942 à Auschwitz et la mention « Morte en déportation » lui sera attribuée par un arrêté rectificatif du 30 juillet 2015 ( JO du 20 août 2015 ).
9 octobre 1942 : Caroline est arrêtée à son tour :
Son arrestation intervient dans une vague d’arrestations de juifs dans le département, les 9 et 10 octobre 1942.
Ces arrestations sont opérées par les Allemands et les personnes arrêtées sont incarcérées à la prison de Blois.
Sur sa fiche, Henriette est dite « sans profession ».
Le 13 octobre, ces détenus sont transférés ensemble à Orléans.
Nous ignorons si Karoline a transité par le camp de Beaune la Rolande ( celui de Pithiviers n’était plus utilisé pour la détention des juifs depuis septembre ) ou directement dirigée sur Drancy.
Elle est déportée par le convoi N°47 du 11 février 1943.
La liste des déportables de ce convoi précise qu’elle habite au cirque Amar à Blois.
Dans ce convoi partent pour Auschwitz avec elle, notamment : le grand-rabbin Ernest Ginsburger ; la mère de Dora Bruder, l’héroïne du roman de Patrick Modiano, prix Nobel de Littérature 2014 ; Isaac Krasucki, père de l’ancien secrétaire général de la CGT.
Son décès est acté au 16 février 1943 et la mention « Morte en déportation » lui est attribuée par arrêté du 28 juillet 2003 ( JO du 27 septembre 2003 ).
8 août 1942 : Hugo quitte Gurs pour Drancy :
Le 30 août, Karoline écrit au directeur du camp de Gurs.
« Excusez-moi de vous écrire ces mots mais je suis si inquiète au sujet de mon mari monsieur Strassburger. Toutes les cartes envoyées par moi me sont retournées. La dernière carte reçue de lui est datée du 4.8.42. Ainsi, Mr. le Directeur, s.v.p, pouvez-vous me dire où il serait parti ou me donner sa nouvelle adresse. Je suis ici toute seule. Ma fille est partie je ne sais où, depuis le terrible départ de tous les juifs. Quel malheur pour moi d’être seule et de n’avoir pas de nouvelles de mon mari. Ainsi, je compte sur votre bienveillance pour me donner quelques détails à ce sujet. Soyez assez aimable pour me dire où il serait. Avec tous mes remerciements à l’avance, recevez mes sincères salutations. Mme. Strassburger.
En marge de la lettre, il a été marqué « A classer ». Pour cause !
Le 8 août, Hugo a été transféré à Drancy.
il est déporté par le convoi n°18 du 12 août.
Son décès est donc pour lui établi au 17 août à Auschwitz et la mention « Mort en déportation » lui est attribuée par le même arrêté que celui concernant Karoline.
Avec le gouvernement de Vichy, le camp de Gurs était devenu un camp de détention de juifs de toutes nationalités, arrêtés dans tous les pays sous domination nazie que les Allemands faisaient transférer dans des camps français comme pour les Belges et les Hollandais notamment.
A partir du 6 août 1942 et jusqu’au 3 mars 1943, la déportation massive des juifs détenus à Gurs est organisée.
Six convois « pour une destination inconnue », acheminent près de 4000 juifs sur Drancy puis vers les camps d’extermination.
Dans le même convoi qu’Hugo et venant aussi de Gurs se trouvait Benny Strassburger, de nationalité allemande, mais sans parenté avec lui, un exportateur résidant en Belgique.
Dans le convoi N° 19 du 14 août, est déporté son neveu Alex Blumenfeld, propriétaire de cirque, qui avait été détenu d’abord au camp de St. Cyprien ( Pyrénées Orientales ) puis envoyé à Gurs.
Dans le convoi n° 26 du 31 août, sont déportés ses neveux Alfred, Alphonse et Wilhem Blumenfeld, venant du camp de Bram ( Aude ).
Dans le convoi N° 33 du 16 septembre est déportée sa nièce Olympia Konyet épouse de Alfonse, appartenant à une célèbre famille juive du cirque hongrois, en provenance du camp de Rivesaltes ( Pyrénées Orientales ).
Dans le convoi N°51 du 6 mars 1943, il y aura son neveu ( frère des précédents ) Erich Blumenfeld transféré par le dernier convoi parti de Gurs le 3 mars.
Plusieurs autres membres de sa famille seront exterminés : sa soeur Rosa Strassburger et son mari Simon Emmanuel Blumenfeld.
On relève aussi sa soeur Régina Strassburger mariée à Karl Kossmayer.
Tous étaient de célèbres artistes de cirque.
Adolf va échapper à la déportation..grâce à la solidarité des Amar :
Ce que nous savons sur Adolf pour la période qui va de mai-juin 1942 à la Libération vient d’articles parus dans les études de « Diverging Fates » qui est un programme de recherches coordonné avec l’Université d’Helsinki, en coopération pour la France avec le Mémorial de la Shoah, sur les artistes du cirque dans l’Europe nazie.
Certes précieux, ces courtes études sont toutefois très générales.
Adolf aurait ainsi échappé à une arrestation en juin 1942 ( où et dans quelles conditions ? ).
Chérif Amar l’aide alors à se cacher d’abord dans le dépôt de Blois ( ce qui laisse à penser que l’évènement s’est passé à Blois ) puis dans différents appartements à Paris et Aubervilliers.
Des employés et des membres de la famille Amar se relayèrent pour lui apporter des provisions et pourvoir à ses besoins.
Les frères Amar furent soupçonnés d’être juifs et durent d’ailleurs apporter les preuves de leur origine « aryenne » !
A la fin de la guerre, Adolf va travailler pendant plusieurs années avec le cirque Amar.
Il renoncera à percevoir son salaire en reconnaissance de l’aide et de la solidarité des frères Amar à son égard.
Adolf et Bella : la douloureuse et longue recherche de leurs parents
Les démarches de Bella Babusio et Adolf Strassburger pour faire la lumière sur ce qu’étaient devenus leurs parents et soeur est significative du douloureux chemin qu’on dû parcourir les familles des déportés.
Nous les reconstituons à partir des données recueillies essentiellement pour Hugo.
Bella intervient auprès des autorités françaises à partir de la Belgique où elle habite.
Adolf les mène en France puis à partir des Pays-Bas.
Le 17 mai 1946, Bella s’adresse au Préfet des Basses-Pyrénées de l’époque qui lui répondras le 22 mai que son père « a quitté le camps de Gurs le 8-8-1942 pour une destination inconnue » et lui conseille de s’adresser au Ministère des Prisonniers et Déportés.
Il est difficile de croire qu’à cette date le Préfet ignorait que la destination inconnue étai le camp de Drancy puis la déportation à Auschwitz !
Le 20 juillet, elle s’adresse au Ministère des Anciens Combattants. Elle lui indique qu’elle a reçu dés informations qui semblent confirmer que ses parents et sa soeur ont été déportés.
Elle demande des renseignements au Ministre.
Toute une série de réseaux s’étaient en effet créés et s’activaient pour recueillir des informations sur les déportés. Ils seront d’une grande utilité.
A son tour, le 21 mai 1947, Adolf intervient auprès du Préfet concerné pour demander un certificat attestant la déportation de son père, puis le 23, il réclame une fiche matricule de sa détention à Gurs.
Le 27 mai 1947, il remplit le dossier officiel pour obtenir la régularisation de l’état-civil d’un « non rentré ».
Le 29 mai, le Préfet de Loir et Cher ( c’est le 3e Bureau des Etrangers ) lui envoie les renseignements d’état-civil figurant sur ses fiches et qui ont tout l’air d’être les fiches des étrangers du fichier mis en place avant guerre mais délestées des références confessionnelles !
En mars1949, le service de l’état-civil du Ministère des ACVG établit l’acte de disparition de Hugo ( et de Caroline et Henriette ).
Et puis, plus rien…
Le 27 septembre 1956, un certain Maurice Kiek habitant Wassenaar aux Pays-Bas ( et intervenant sûrement pour Adolf ) demande les actes de décès de la famille Strassburger et les démarches à faire à cette fin.
De son coté, en décembre 1956, Bella avait déposée une requête auprès du Parquet du Tribunal de 1ère Instance de Blois pour obtenir une déclaration judiciaire du décès.
Compte tenu de leur nationalité étrangère, c’est au Tribunal d’apprécier l’application de la législation existante en la matière.
Ce que fera la Justice française qui prendra des jugements déclaratifs de décès pour presque toutes les situations de juifs étrangers déportés à partir du territoire français.
Mais le 7 octobre 1957, Bella intervient à nouveau auprès du Ministère des ACVG pour obtenir confirmation de la déportation et la mort de sa famille. Elle donne d’ailleurs des informations sur la déportation de Hugo et Karoline en précisant « que ces renseignements officieux me sont parvenus de diverses sources tant en France qu’en Allemagne et que de coreligionnaires »..
Par contre, c’est la confusion pour Henriette : Bella indique le 10 octobre pour son arrestation, or c’est celle de Karoline. Elle insiste sur le fait qu’elle est toujours « sans nouvelles depuis ».
Enfin, la réponse arrive : le Tribunal Civil de Blois a établi les Jugements déclaratifs de décès le 21 novembre 1957 pour Hugo, le 11 avril pour Karoline et celui d’Orléans, le 7 août pour Henriette.
Ces jugements ont été transcrits dans les Mairies correspondantes.
Mais entre temps, les instances internationales avaient poursuivi leurs recherches.
Elles se manifesteront après le règlement des dossiers des Strassburger.
Ainsi, le Comité International de la Croix-Rouge transmet en septembre 1958 des informations sur la famille Strassburger à la Mission Française de Liaison auprès du S.I.R à Arolsen.
A son tour, le 4 novembre, l’Ambassade de France en RFA dotée d’un service de recherche des victimes de la guerre qui assure la liaison avec le Service International de Recherche, transmet les renseignements recueillis par la Croix-Rouge qui portent sur l’identité et la date de départ des convois.
L’arrêté du 28 juillet 2003 attribuera la mention « Mort en déportation » à Hugo avec décès établi au 17 aôut 1942 et Karoline avec décès établi au 16 février 1943.
L’arrêté du 30 juillet 2015 l’attribuera à Henriette avec décès établi au 3 juillet 1942.
En 1951, Adolf ira s’installer aux Pays-Bas. Il obtiendra des contrats dans des cirques puis travaillera pour son cousin Carl, celui qui avait été contraint de se séparer de la famille de son oncle Hugo.
Adolf s’était marié à Lille en 1949 avec Marie Perez qui décèdera à 34 ans en 1952. Il se remariera aux Pays-Bas avec Corrie Schlumer.
Il décède le 21 juin 1974 à Vianen aux Pays-Bas. Il avait 60 ans.
Il ne semble pas avoir eu de descendance.
Bella Strassburger-Babusio a eu une fille Mariette, vivant en Belgique.
Carl, leur cousin, s’était à son tour exilé aux Pays-Bas après la vente du cirque familial avant la guerre.
Il y avait créé un nouveau cirque qui deviendra le symbole du cirque néerlandais.
Le cirque Amar a quitté définitivement Blois en 1974.
Les maisons et logements ont été vendus à des particuliers et sont classés « ensemble urbain remarquable ».
Mustapha Amar avait abandonné la direction du cirque en 1968.
L’enseigne connaitra plusieurs repreneurs dont les Bouglione.
Le prestigieux nom Amar n’est plus utilisé par un cirque de nos jours.
La descendance de Bella et Carl a perpétué les traditions foraines de la famille Strassburger qui, pendant des générations, avait fait rêver petits et grands dans l’enchantement renouvelé du monde du Cirque.
Le Monument aux morts de Blois (1939-1945 ) garde le souvenir de : Hugo, Karoline, Henriette Strassburger…à leurs cotés, les autres victimes blésoises de la Shoah.
Sources et Bibliographie :
Mes remerciements vont aux AD 41 qui m’ont donné l’opportunité de cette étude présentée lors de deux Conférences dans leurs locaux des Archives Contemporaines et Foncières, les 14 et 28 novembre 2019, ainsi qu’aux AD 13, 45 et 64 pour leur aide dans la recherche de documents.
Mes remerciements vont aussi à la Direction des Archives du Cirque Winkler à Berlin qui m’a autorisée à publier des photos concernant notamment la famille Strassburger.
La bibliographie autour du sujet traité est abondante ainsi que les sites WEB spécialisés sur l’histoire du cirque européen.
Aussi, je m’en tiendrai aux données auxquelles j’ai eu le plus recours.
Il convient de souligner l’apport des recherches de Divergingfates, programme international universitaire de recherches sur le monde du cirque pendant la seconde guerre.
Une difficulté rencontrée tient au fait que les quelques sources existantes sur les Strassburger sont en langue allemande ou néerlandaise que je ne maitrise pas !
Mes recherches complètent donc celles des chercheurs de Divergingfates car les miennes portent sur le parcours et la persécution en France de la famille Strassburger.
Sources :
Les AD 41 :
Série 1375 W 22 ( Commission de Criblage ) ; 30 à 33 ( Surveillance des Etrangers ) ; 64 ( Arrestations par les Allemands ) ; 65-66 ( Condamnations par les Allemands ) ; 67-74 ( dossiers individuels alphabétiques des arrestations/condamnations ) ; 85-89 ( affaires juives )
Série 1477 W 4 ( Commissariat de Romorantin)
Série 1692 W ( les dossiers des Renseignements Généraux )
Série 629 W 1 à 4 ( fiches d’identité des étrangers )
Série 55 J 5 ( Fichier des Déportés établi par le Comité d’Histoire de la Seconde Guerre Mondiale )
Les AD 13 : 142 W 33, 38.
Les AD 64 : 72 W 69, 310 et 97.
Les Archives de la ville de Blois : AD 813 ( le plan des terrains Amar est, hélas, d'un format impubliable sur ce site ).
L’ARESHVAL et notamment les travaux de Yvette Ferrand.
Le Mémorial de la Shoah ( recherche de personnes, archives, documents )
Le CERCIL pour les camps du Loiret.
Les travaux de l’auteure sur la Shoah dans le Loir et Cher, sur le site www.tharva.fr
Bibliographie :
BADIA Gilbert ( sous la dir. ), Les barbelés de l’exil, Etudes sur l’émigration allemande et autrichienne ( 1938-1940 ), Grenoble, P.U.G, 1979.
DENIS Dominique, Les cirques des frères Amar, Editions Arts des 2 Mondes, 2016.
FERRAND Gérard, Camps et lieux d’internement en Région Centre, Editions Alan Sutton, 2006.
GRANDJONC Jacques et GRUNDER Theresia, Zones d’ombre ( 1933-1944 ), exil et internement d’Allemands et autrichiens dans le Sud-Est de la France, Editeur Alinéa, 1990.
GRYNBERG Anne, Les Camps du Sud de la France : de l’internement à la déportation, Les Annales, 1993.
GUERRIER Alain, Histoire-Blois et le cirque, Blois Magazine N° 49/Janvier-Février 2001.
HOLLER Martin, La famille Hugo Strassburger ( 1880-1942 ), un retour fatal d’Amérique du Sud, Divergingfates, décembre 2018.
HOLLER Martin, Carl Strassburger ( 1899-1953)-D’un "cirque juif » boycotté à une entreprise néerlandaise florissante, DivergingFates, novembre 2018.
HOLLER Martin, Les frères Blumenfeld-La chute d’une dynastie du cirque juif équestre, Diverging Fates, janvier 2019.
LAHURIE Claude, Le Camp de Gurs ( 1939-1945 ), Editions Atlantica, 1993.
NEILZ Claire, Histoire des Logements des frères Amar à Blois, article rédigé pour la NR par le CAUE 41 ( 24 juillet 2016 ).
PESCHANSKI Denis, Les camps français d’internement (1938-1946 ), Thèse d’Etat, 2000, Université de Paris 1 ( publiée sur le site www.archives-ouvertes.fr ).
TRONEL Jacky, Le Camp de Cepoy en 1940, Histoire Pénitentiaire et Justice Militaire ( blog 2010 )
Les sites spécialisés qui font référence aux Amar, Strassburger et les familles alliées.
www.audeladesracinesblog.worldpress.com
Les sites très instructifs sur les camps d’internement :