Chronique du quotidien…
Cette rubrique, alimentée par des documents d’archives concernant des cas concrets, est consacrée à ce que furent les brimades, humiliations et persécutions à l’encontre des juifs, en applications des textes législatifs et réglementaires du gouvernement de Vichy et des ordonnances allemandes pour les territoires occupés.
C’est une terrifiante leçon de choses sur le vécu d’êtres humains dont le seul crime était d’être ou supposés être juif, sur le degré de déshumanisation et bureaucratisation de l’administration de Vichy, sur la domination des Occupants sur cette administration soumise ou passive pour la plus grande partie de ses membres. Certains fonctionnaires sauveront l’honneur des leurs par leur attitude et leur engagement dans la Résistance. Ils le paieront souvent au prix de leur vie.
Un rapide rappel du contexte et des mesures anti-juives est nécessaire.
Après les pleins pouvoirs, les premières mesures anti « naturalisés » :
A peine les pleins pouvoirs attribués à Pétain le 10 juillet 1940, les premières mesures contre les « naturalisés » sont prises.
Sous ce vocable, sont visés les étrangers dont une majorité sont des juifs ayant émigré en France, certains depuis de très nombreuses années.
C’est la chasse « aux métèques », mot symbole de l’antisémitisme des années 1930.
L’objectif est de lutter contre les catégories jugées responsables de la défaite et de les éloigner des emplois et carrières où leur influence est considérée comme pouvant nuire aux objectifs du relèvement national de Vichy.
La loi du 16 juillet : elle décrète qu’un Français naturalisé pourra être déchu de sa nationalité.
La loi du 17 juillet : elle exclue des cabinets ministériels les Français non nés de père français.
La loi du 22 juillet : elle prévoit la révision des naturalisations postérieures à la loi sur ce sujet de 1927.
La loi du 16 août : elle retire aux médecins, aux chirurgiens-dentistes, aux pharmaciens, aux sages-femmes naturalisés, le droit d’exercer leur profession.
La loi du 27 août : elle abroge du décret Marchandeau du 21 avril 1939 punissant le délit d’injure ou de diffamation raciale et elle amnistie les faits commis depuis cette date.
La loi du 10 septembre : elle concerne les avocats sur le même sujet.
Et aussi, la loi du 4 octobre 1940 qui autorise les Préfets à procéder à des internements administratifs des juifs étrangers.
Le premier Statut des Juifs du 3 octobre 1940 :
Il n’est pas inutile de souligner que cette initiative n’a pas été imposée au gouvernement de Vichy par les Allemands qui eux entendaient appliquer leur propre législation en la matière dans la zone occupée ! Elle s’inscrivait « naturellement » dans les gènes antisémites de l’idéologie des forces dont était issu le gouvernement de Vichy.
Une exclusion planifiée des emplois publics :
Le statut est publié au JO du 18 en même temps que la loi du 4 octobre sur « les ressortissants étrangers de race juive ».
Il organise l’exclusion des juifs des principales fonctions publiques.
Ils sont aussi exclus de la presse, du cinéma, de la radiodiffusion, du théâtre.
Ils peuvent continuer à exercer des professions libérales dans la limite de quotas pour assurer « l’élimination des juifs en surnombre ».
Pour continuer à exercer les fonctions publiques non mentionnées, ils devront prouver qu’ils ont été anciens combattants de 14-18, cités aux armées ou décorés.
Ceux qui ont rendu « des services exceptionnels à l’Etat français », dans certains domaines prestigieux, pourront être relevés de ces interdictions !
Une définition de qui est juif :
C’est le fameux article 1 du Statut.
« Est regardé comme juif, pour l’application de la présente loi, toute personne issue de trois grands-parents de race juive ou de deux grands-parents de la même race, si son conjoint lui-même est juif ».
Le statut français a repris les dispositions de la législation anti-juive allemande des lois de Nuremberg de 1935 sur le nombre de grands-parents, mais avec une différence non négligeable : le statut du 3 octobre est fondé sur le concept de « race », la législation allemande utilisant seulement l’expression « du point de vue racial » car les nazis estiment que les juifs ne constituent pas « une race ».
Ce concept de « race » va d’ailleurs s’avérer indéfinissable en droit français pour les idéologues de Vichy !
Et la question devenait inextricable sur la question des demi-juifs, c’est à dire ceux dont un des deux parents n’est pas juif.
La législation allemande avait retenu la notion de « métis ».
Ce « métis » est juif si à la date de promulgation de la loi, il appartient à la communauté religieuse juive ou y sera admis ; s’il était marié avec un juif ou bien se marie ultérieurement avec un juif ; s’il était issu d’une union libre avec un juif et s’il est né après le 31 juillet 1936 ».
Donc un « métis » n’est pas juif si malgré ses deux grands parents juifs, il n’appartient pas à la communauté religieuse juive, s’il n’est pas marié avec un juif, s’il n’a qu’un seul grand parent juif.
Le statut français ne mentionne pas la référence à la communauté religieuse.
Ainsi, en droit de Vichy, un demi-juif pratiquant la religion juive, ne serait pas considéré comme juif si son conjoint n’est pas juif.
L’ordonnance allemande du 27 septembre 1940 :
Une semaine donc avant le statut de Vichy, les autorités d’Occupation publient leur première ordonnance pour la zone occupée, relative « aux mesures contre les juifs ».
Elle comporte une définition du juif : « Ceux qui appartiennent ou appartenaient à la religion juive ou qui ont plus de deux grands-parents juifs. Les grands-parents qui appartiennent à la religion juive sont considérés comme juifs. »
Elle ne fait pas état de « race juive », de la condition demi-juif, ni des effets du mariage.
A ce stade, l’ordonnance allemande est moins contraignante que le statut de Vichy !
Mais elle interdit aux juifs qui ont fui la zone occupée d’y retourner.
Elle prescrit l’inscription des juifs sur un registre spécial auprès des sous-préfectures ( délai : 20 octobre 1940 ).
Mais, elle contient aussi un premier train de mesures économiques sur les entreprises juives qui sont significatives de l’enjeu que celles-ci vont constituer entre Vichy et les Allemands pour s’approprier ces entreprises et biens juifs.
Ce sera la politique « d’aryanisation de l’économie », anti-chambre de la politique d’extermination des juifs (cf. l’article sur la famille Jankelovitch à Contres).
…..Le 26 avril 1941, une nouvelle ordonnance allemande reprend les termes du statut du 3 octobre quant à la définition du juif…petite récompense à l’inclinaison grandissante de Vichy pour la politique de collaboration avec les Occupants.
Le second statut du 2 juin 1941 :
La loi du 29 mars 1941 crée le Commissariat Général aux Questions Juives ( CGQJ ), structure vivement réclamée par les allemands pour impulser et suivre la politique anti-juive du gouvernement.
C’est l’antisémite confirmé, Xavier Vallat, qui en prend la direction.
Il réclamera haut et fort la paternité de la loi du 2 juin 1941.
Le nouveau statut reprend la définition de juif en fonction de trois grands-parents juifs, mais dorénavant un demi-juif sera considéré comme juif si son conjoint est aussi demi-juif ( avant il devait être juif).
Mais, et c’est un aspect majeur du nouveau statut, la race dont le concept est maintenu, est dorénavant définie par la religion.
Ainsi est considéré de race juive, le grand-parent ayant appartenu à la religion juive.
Ainsi, et c’est une disposition nouvelle, le fameux paragraphe 2 stipule : « Est juif celui ou celle qui appartient à la religion juive, ou y appartenait le 25 juin 1940 (cf. date d’entrée en vigueur de l’armistice), et qui est issu de deux grands parents de race juive. La non appartenance à la religion juive est établie par la preuve de l’adhésion à l’une des autres confessions reconnues par l’Etat avant la loi du 9 décembre 1905 ».
Les généalogistes font florès pour la recherche d’ascendants aryens.
Les certificats de baptême vont donner lieu bien évidemment à des trafics.
A défaut de certificat de baptême, les hommes peuvent faire établir par un médecin un certificat de non circoncision.
il faut demander des certificats de non appartenance à la race juive pour ceux qui en ont fait la preuve ou un certificat d’aryanité.
Pour l’accès à certains emplois publics, il sera exigé et le certificat de baptême de l’intéressé et celui des grands-parents.
Le nouveau statut en profite pour édicter une nouvelle liste très étendue d’emplois publics dont sont exclus les juifs.
…et le jour même, une autre loi prescrit le recensement des juifs dans toute la France, les colonies et les protectorats, instrument avec le précédent registre, pour l’organisation des futures arrestations et déportations. Il décrète aussi le recensement des biens juifs dans le cadre de ce qui va être la politique d’aryanisation de Vichy.
Et il y aura bien d’autres fichages des juifs : les postes de TSF, les comptes postaux, les étoiles jaunes, etc.
Les mesures de discriminations, d’exclusions et d’interdits vont s’abattre sur les juifs dans tous les domaines du quotidien. Comme :
Le 13 août 1941, ordonnance allemande sur la confiscation des postes de TSF.
Le 7 février 1942, ordonnance allemande sur l’interdiction de sortie entre 20 h et 6 h et sur l’interdiction de changement de résidence.
Le 10 février 1942, ordonnance allemande sur l’interdiction aux juifs de changer de nom.
Le 29 avril 1942, ordonnance allemande sur le port de l’étoile jaune.
Le 8 juillet 1942, ordonnance allemande sur l’interdiction de fréquenter les établissements de spectacle et autres établissements ouverts au public. Ils ne peuvent entrer dans les magasins qu’entre 15 h et 16 h.
Le 9 novembre 1942, ordonnance allemande sur les juifs étrangers astreints à résidence et devant demander une autorisation des autorités de police pour se déplacer.
La loi du 11 décembre 1942 impose aux juifs de faire apposer la mention « juif » sur leurs papiers d’identité ( ceux de la zone occupée étaient déjà estampillés « juif » sur leur carte d’identité depuis 1940 ).
Dans le cadre des textes généraux, des instructions sont édictées : en juin 1942, les juifs doivent voyager dans le métro en seconde classe et dans la dernière voiture des trains ; en juillet, leurs abonnements à des lignes téléphoniques seront coupés et ils auront interdiction d’utiliser les cabines téléphoniques publiques.
Etc.
De 1940 à 1944, ce seront quelques 143 lois et actes règlementaires qui seront édictés contre les juifs de France.
Paulette MOOCK de Noyers-sur-Cher …
Juive ou pas juive ?
Paulette MOOCK est née le 4 juillet 1915 à Paris (19e).
Elle est la fille de Georges Moock, employé à la Bourse, et de Eva Eugénie Lombrage, modiste, qui s’étaient mariés à Paris au début de 1915.
Son père était né à Paris, le 5 novembre 1886, d’une famille juive originaire d’Alsace. Ses parents étaient bouchers.
Sa mère, née le 7octobre 1886, était originaire, de St. Aignan dans la Loir et Cher. Son père y était tuilier.
En 1928, le couple achète une propriété à Noyers, sur la route qui mène de la gare à St. Aignan.
Durant l’Occupation, ils viennent s’installer à Noyers.
Le nom de Georges Moock ne figure sur aucun des documents de la Préfecture répertoriant les juifs français et étrangers résidant dans le département.
Comme beaucoup de juifs, notamment français, il n’avait peut-être pas jugé opportun ou nécessaire de se déclarer ? L’avait-il fait à Paris ?
14 novembre 1942 : première arrestation de Paulette Moock… elle doit être considérée comme juive.
Dans un rapport du 13 avril 1956, établi par le Commissaire des Renseignements Généraux du Loir et Cher pour le dossier d’attribution de la carte d’Interné Politique, celui-ci indique que Paulette a été arrêtée à St. Aignan « lors du passage de la Ligne de Démarcation avec d’autres personnes dont sa mère. Toutes ont été libérées sauf Mlle. Moock considérée comme étant de race juive et dirigée sur Vierzon ».
Il convient de noter qu’aucun autre document concernant Paulette ne fait état de cette tentative avortée de passer la Ligne de Démarcation et que c’est bien la question de savoir si elle avait la qualité de juive ou pas, qui sera au coeur des motivations de ses détentions.
Son oncle maternel précise lui que Paulette et sa mère ont été arrêtées le 14 novembre dans leur propriété de Noyers et que la mère de Paulette a été libérée le 21 novembre.
Le motif de l’arrestation de sa nièce était celui de « la vérification de papiers ».
Signalée par la Police allemande : elle n’est pas en règle….
Par contre, dans ce qui semble être une petite note manuscrite interne de la Préfecture du 19 novembre 1942, il est indiqué « que la Sureté allemande signale la présence à Noyers d’une demi-juive qui doit être considérée comme juive car ne justifiant pas de l’adhésion à une religion reconnue par l’Etat ».
Ce sont donc les services allemands qui ont soulevé la question de la « race » de Paulette.
Dès le lendemain 20, le bureau des Questions Juives de la Préfecture s’adresse au Président de la Délégation Spéciale de Noyers et l’informe de la présence dans sa commune de Paulette : « cette personne dont le père est juif et la mère aryenne ne pouvant apporter la preuve de son adhésion avant le 25 juin 1940 à une des confessions reconnues par la loi du 9 décembre 1905, doit en application de l’Art 1 de la loi du 4 juin1941, être considérée comme étant de race juive ».
La Préfecture l’invite donc à demander à Paulette de régulariser sa situation et à venir en Préfecture souscrire la déclaration règlementaire et recevoir « l’insigne spécial des Israélites ».
La Préfecture en profite pour rappeler au maire « qu’il n’a pas qualité pour délivrer à (ses) administrés des certificats attestant qu’ils sont de
race aryenne ».
Intéressante mise au point qui suggère que des maires apportaient bien cette forme d’aide à leurs administrés !
Pour la Préfecture en 1942 : elle est bien juive….
Le 21 novembre, le chef du service des Questions Juives à la Préfecture (cf. Gérard Graveau, résistant, qui à la Libération sera nommé Sous-préfet à Vendôme) rédige une note à l’attention du Préfet : il a eu un contact avec le maire de Noyers. Paulette est « incarcérée à Orléans. Elle est accusée de ne pas avoir souscrit la déclaration règlementaire. Elle aurait cependant souscrit cette déclaration mais en juillet 1941. La préfecture la lui aurait retournée en précisant qu’elle n’était pas juive (déclaration du maire de Noyers).
Mais Gérard Graveau conclut sa note ainsi : « au regard de la loi du 4 juin 1941, Mlle. Moock doit être considérée comme juive ».
Le 28 novembre une certaine Mlle. Claude établit un compte rendu des démarches qu’elle a entreprises la veille au sujet de Paulette Moock, auprès du spécialiste des questions juives de la Sicherheitspolizei à Orléans.
Je n’ai pu établir qui était cette Mlle. Claude et au nom de qui elle intervenait auprès des autorités allemandes. Son compte rendu, qui est une traduction de cet entretien, semble rédigé par une personne germanophone.
C’est la Préfecture qui s’était trompé en 1940 en la considérant non-juive.
Elle y explique que la confusion sur la situation de Paulette résulte d’une part, du fait qu’il n’y avait pas de trace écrite des contacts qu’elle avait eus avec le maire de Noyers et le fonctionnaire de la Préfecture et d’autre part, juste au moment de la parution du statut du 2 juin, la Préfecture avait connu des dysfonctionnements de personnel qui avait conduit à une fausse interprétation de la situation de Paulette.
Elle souligne que jusqu’à la parution du Statut du 2 juin « tout était tranché conformément à la loi allemande sur les juifs, ceci en constant accord avec la Feldkommandantur d’alors ». Ce qui tendrait à confirmer que la législation allemande primait la législation établie par le statut pétainiste du 3 octobre 1940 !
Puis, Mlle Claude va user d’une rhétorique hypocrite et accusatrice.
Comme la responsabilité de Paulette Moock ne semblait pas engagée quand elle s’est renseignée sur sa situation juste au moment où le nouveau statut allait être promulgué « il ne serait que juste de suspendre la mesure d’internement, ainsi qu’il l’avait été promis au maire de Noyers ».
C’est le chef de la police allemande d’Orléans qui avait fait fait cette promesse.
Mais le Chef du Service des Questions juives de cette même police a fait, lui, observer « que le moment où elle a posé la question à la mairie coïncide avec la publication la loi française sur les juifs, loi dont elle n’ignorait sûrement pas les dispositions, et son désir même d’obtenir un certificat du maire, attestant qu’elle n’était pas juive, pour se couvrir à l’avenir, prouve qu’elle connaissait sa situation fausse et voulait la camoufler ».
Et de conclure sans appel : « toute intervention de la part des autorités françaises en faveur de Mlle. Moock est de ce fait considérée comme inutile ».
Municipalité et parents ne se laissent pas faire.
Le maire de Noyers a connaissance de ce compte-rendu.
Il est indigné.
Il rédige une «Note pour Mlle. Claude », de « mise au point de l’affaire Moock », le 1er décembre 1942.
Il lui fait observer que son compte-rendu « contient des inexactitudes involontaires dues sans doute à (sa) connaissance incomplète de l’affaire ».
Il précise donc les faits.
Mlle. Moock ne s’est pas adressée à la mairie « mais a bien transmis directement à la Préfecture par lette recommandée le 10 juillet 1941, la déclaration prévue par la loi française du 4 juin 1941 ».
Cette déclaration portait bien le cachet d’arrivée de la Préfecture.
Cette déclaration avait été rendue au maire, lors d’un passage à la Préfecture, par l’employé qui s’occupait du dossier car « cette déclaration ne lui paraissait pas nécessaire ».
Le maire avait alors pris soin de convoquer Mlle. Moock qui lui avait précisé « que ce document avait été fait pour satisfaire à la loi du 4 juin 1941. »
Le maire a alors rapporté la déclaration en Préfecture qui a maintenu son point de vue (donc non juive ) mais en précisant qu’il ne lui appartenait pas de délivrer un certificat racial (Cf. cela relevait effectivement de la compétence du CGQJ).
Courageusement, le maire de Noyers affirme : « Je ne me rallie nullement au sentiment des autorités allemandes qui voient dans Mlle. Moock une personne ayant voulu se soustraire à la loi. Elle est, j’estime, victime d’une erreur et d’une injustice.
Elle a dès la publication de la loi, fait une déclaration qui par la suite d’une interprétation sans doute erronée de la loi, n’a pas été retenue.
Que pouvait-elle de plus, sinon que se croire en règle et à l’abri des incidents regrettables dont elle est victime ».
Sa famille va aussi la soutenir et entreprendre des démarches pour la faire libérer.
Sa mère saisit le Commissariat Général aux Affaires Juives.
Le Commissariat Général aux questions juives demande sa libération
Par deux lettres des 2 et 18 février 1943 ( cf. archives du CGQJ conservées au Centre de Documentation du Mémorial de la Shoah ) adressées au Préfet du Loiret (cf. Paulette a été transférée au camp de Beaune La Rolande dans le 45), le CGQJ considère que l’internement de
Paulette est « injustifié ». Car « elle est sans religion et sa mère a fourni toutes les justifications de l’aryanité de sa branche familiale maternelle ».
De son coté son oncle, intervient à deux reprises auprès du Préfet de LoIr et Cher.
Le 3 février 1943, le Préfet Régional d’Orléans transmet à son collègue d’Orléans la lettre du Kommandeur de la Sicherheitspolizei d’Orléans. Pour les Allemands, « la nommée Paulette Moock est juive à 100% et il est établi qu’elle s’en rendait parfaitement compte (?) … c’est à tort que la Préfecture l’avait considérée comme non juive ».
Mais les Allemands cèdent à la demande du CGQJ : « il est envisagé de la remettre en liberté après trois mois de détention » mais exigent une stricte application de la réglementation : elle doit se faire inscrire sur le registre des juifs et, si « elle contrevenait à nouveau aux ordonnances contre les juifs, il s’ensuivrait un internement définitif ».
Les allemands cèdent mais exigent son inscription comme juive
Le 19 février, le Préfet du Loiret informe celui du Loir et Cher de la libération de Paulette du camp de Beaune la Rolande et lui demande « de veiller en ce qui vous concerne l’exécution des prescriptions des autorités allemandes ».
….Le 27 février 1943, le Préfet de Loir et Cher informe la Police allemande d’Orléans que Paulette a été inscrite sur le Registre des Juifs tenu à la Préfecture. Elle a reçu en outre les trois exemplaires de l’insigne spécial ».
Je n’ai plus trouvé trace dans les archives de cette inscription.
Par contre, sur une liste des juifs français du département ( non datée ), on y trouve bien Paulette Moock, modiste, demeurant à Noyers-sur-Cher.
Si l’on résume la situation de Paulette Moock : tant les autorités de Vichy que les autorités d’Occupation considèrent qu’elle est de « race juive », sur la base du Statut du 2 juin 1941.
Certes, ses grands parents maternels sont aryens.
Certes, elle ne se revendique pas de la religion juive.
Mais elle n’a pu produire la preuve de son appartenance à la religion chrétienne, catholique ou protestante sous la forme d’un certificat de baptême.
Le Commissariat Général aux Questions Juives reconnait qu’elle est « sans religion » et ce constat fonde la demande de sa mise en liberté sans remettre en cause sur le fond son appartenance à la race juive et la nécessité qu’elle satisfasse aux obligations du Statut.
En définissant la race par la religion, il ne saurait y avoir de place pour les athées, agnostiques ou autres non croyants !
5 mai 1944 : seconde arrestation de Paulette Moock … elle ne doit plus être considérée comme juive :
L’année 1944 va connaître encore environ 15 000 arrestations et déportations de Juifs.
Une grande partie en province.
Il s’agit de juifs en règle avec la législation anti-juive.
Il se sont déclarés ; ils portent l’étoile ; ils vivent très discrètement.
Le convoi N° 77 du 31 juillet 1944, de Drancy à Auschwitz, sera le dernier grand convoi de déportation des juifs de France. Mais les ultimes convois jusqu’à la fin août 1944 comprendront aussi des juifs déportés avec les résistants.
Les Allemands l’arrêtent à nouveau comme juive…
Je ne sais rien de Paulette Moock et sa famille jusqu’au 5 mai, date de sa nouvelle arrestation.
Son père et elle sont emprisonnés à la prison de Blois.
Georges Moock, en tant que juif est transféré au camp de Drancy.
Paulette adresse une requête au CGQJ pour faire préciser sa situation au regard de la loi du 2 juin 1941.
…mais le CGQJ ne la tient plus pour juive !
Le CGQJ acte que : « Votre ascendance maternelle est entièrement aryenne et votre mère a bénéficié du certificat de non appartenance à la race juive (N° 3452).
Quoique non baptisée, vous avez rapporté différents témoignages de personnes dignes de foi qui ont précisé que vous n’aviez jamais appartenu à la religion juive.
Dans ces conditions, j’accepte de considérer que vous n’aviez pas à vous faire recenser comme juive.
J’avise le Préfet de Blois de mon plein accord pour que vous ne soyez pas tenue pour juive au sens de la loi française en vigueur ».
Et, le CGQJ enfonce le clou auprès de la Préfecture dans sa lettre du 13 juin 1944 : « Je sais que vos services avaient répondu au début de l’application de la loi sur les juifs que Mlle. Moock, issue de deux grands-parents maternels aryens ne devait pas être considérée comme juive puisqu’elle n’avait pas adhéré à la confession juive avant le 25 juin 1940. Par la suite en 42 ou 43, bien que sa situation raciale fut admirablement claire aux yeux de vos services, elle avait fait l’objet d’une arrestation ».
Et bien sûr la Préfecture aussi …
Du coup, le Préfet se fend d’une lettre à la Police allemande à Orléans en appuyant la position du CGQJ !
Les Allemands s’exécutent : le 22 juin la Sicherheitspolizei d’Orléans informe le Préfet du Loir et Cher que l’ordre a été donné de remettre Paulette en liberté et « de la rayer des listes de ressortissants juifs »
Et oui, nous sommes au printemps 1944 !
Le rapport des forces a évolué. Le débarquement des Alliés se profile.
Les troupes allemandes sont en déroute à l’Est et l’Armée rouge avance.
Les Alliés viennent de remporter la bataille de Monte Cassino en Italie.
La Résistance en France est chaque jour plus présente et active.
Bien des « rats » s’apprêtent à quitter le navire du gouvernement de Vichy !
Le lecteur appréciera le revirement des autorités françaises et leur nouvelle interprétation de la loi du 2 juin puisque la preuve de non appartenance à la race juive qui devait se concrétiser dans l’appartenance au catholicisme ou au protestantisme avec certificat de baptême à l’appui, devient la simple « non adhésion à la confession juive » avant le 25 juin 1940 !
Le 26 juin 1944, Paulette est libérée.
Ce même 4 mai 1944 : arrestation de son père Georges Moock :
Le 17 juillet, Madame Moock qui réside avec sa fille à Noyers, intervient après du Préfet pour exposer la situation de son mari Gorges, qui lui réside à St. Aignan ( cf. Noyers est sur la rive droite du Cher et, en face, St. Aignan est sur la rive gauche ) et lui demander des renseignements car elle ne sait pas où il se trouve.
Elle souligne : « Mon mari a toujours été un bon Français n’ayant absolument rien se reprocher tant dans sa vie privée que publique. Marié et père d’une fille, je suis sa femme de famille pure aryenne, née à St. Aignan. Mon mari a été arrêté par les autorités allemandes ….sans motif puisque très calmement il ne sortait jamais de la maison ».
Georges Moock a d’abord été détenu du 5 mai au 4 juillet à la Maison de Correction de Blois puis transféré à la Maison d’Arrêt où il ne se trouvait plus le 13 juillet lors de la visite de sa femme à qui il fut répondu « qu’il avait été dirigé sur Paris ».
Georges Moock avait été envoyé au camp de Drancy.
Il ne sera pas déporté.
Son statut de mari d’une aryenne avait dû le faire classer dans une des catégories de non déportables ( cf. bien que beaucoup furent déportés notamment lorsqu’il fallait compléter un convoi au départ ).
Il sera libéré le 18 août 1944, lors de la libération du camp.
Paulette Moock, résistante avec LibéNord :
On ne connait pas la date de son adhésion au réseau de Résistance LibéNord.
Sa « marraine » est Jeannette Gouny qui deviendra Mme. Ménard.
Son « parrain » est Armel Jourdain.
Ce sont deux résistants connus de la région de Noyers/St.Aignan.
Armel Jourdain a été le second de André Gatignon, l’initiateur d’un groupe de résistants sur plusieurs communes autour de Noyers/St. Aignan qui rejoindra début 1943 le réseau Adolphe de Pierre Culioli, rattaché au Réseau Prosper/SOE.
A la chute du réseau Adolphe en juin 1943, des membres rejoindront LibéNord.
Le 18 février 1945, Paulette Moock et une Mme. Lesage transportent au Château du Plessis-Kaër, du vin et des lainages pour les FFI de Loir et Cher, envoyés sur le Front de Lorient.
En effet, le 22 Novembre 1944, les FFI de Loir et Cher avaient constitué le 4e Régiment de l’Infanterie de l’Air ou Corps Franc de l’Air Valin de la Vaissière ( CFAVV ). Il était composé de quatre bataillons.
Il participait aux combats pour reprendre la « poche » de Lorient.
Le bataillon des services sous le commandement du Ct. Bourgoin était installé au Château du Plessis.
En mars 1956, Paulette et son père déposent, auprès des services des Anciens Combattants et Victimes de Guerre, une demande d’attribution de la carte d’Interné Politique.
Comme c’est la règle, les autorités demandent une enquête aux Renseignements Généraux.
Le Commissaire indique, dans son rapport du 13 avril, qu’ils n’ont pas été arrêtés et détenus pour un motif de droit commun mais parce « qu’ils étaient considérés de race juive ».
La carte leur sera attribuée.
Père et fille décèderont à Paris où ils demeuraient ensemble : Georges Moock, le 24 octobre 1970 et Paulette Moock, le 27 janvier 1997.
Les familles DOBOIN et MARCU à Monthou-sur-Cher…..
Remise des étoiles jaunes …. mais où sont passées ces deux familles ?
Le 6 novembre 1941, le Préfet de Police de Paris saisit le Préfet du Loir et Cher : un nommé Doboin Michel Una et sa femme Clara Rozen, tous deux juifs français par naturalisation, « sollicitent l’autorisation de quitter le département de la Seine, pour aller résider définitivement à Monthou-sur-Cher où ils ont loué une propriété ».
Il demande à son collègue s’il voit des objections à ce que l’autorisation demandée soit accordée.
Novembre 1941 : une première famille de juifs roumains s’installe.
Dobion Huna-Michal est né le 21 janvier 1880 à Targ-Stefanesti en Roumanie, tout comme son épouse, née le 22 mars 1889.
Ils sont arrivés en France, avec leurs parents, fin 1899.
Tous deux ont été naturalisés, le 3 mars 1913.
Huna-Michal sera d’ailleurs incorporé en 1913.
Affecté dans le service auxiliaire pour raison de santé en août 1914, puis réformé en septembre.
Il sera rappelé au service armé en avril 1915 mais aussitôt réformé en mai, toujours pour raison de santé.
Il est libéré des obligations militaires en juillet 1930.
il est tailleur de formation et Clara couturière.
Ils sont commerçants en bonneterie, avenue de l’Opéra à Paris.
Ils ont cinq enfants : Itzic né en 1911, courtier ; Léon en 1913 qui est prisonnier de guerre ; Bella Rachel en 1915, sans profession ; David Marcel, électricien ; et Anna Jacqueline en 1920, elle aussi sans profession.
Tous leurs enfants sont français de naissance.
Procédure administrative oblige, le Préfet a dû saisir à son tour le Maire de Monthou qui lui répond le 17 novembre : « je ne vois aucune objection à autoriser…à résider définitivement en notre commune où ils ont loué une petite propriété, attendu que leur attitude ici est très correcte et paisible ».
Dans un hameau isolé
La petite propriété est une modeste ferme avec jardin dans un hameau isolé sur les hauteurs de Monthou, comportant une poignée d’habitants, la Morcière.
Le maire de Monthou avertit le Préfet, le 16 mars 1942, de l’arrivée de leur fils David Marcel, qui est soldat réformé de la classe 1938. Il souffre de néphrite chronique et d’autres maladies.
Il demande à pouvoir résider avec ses parents ; le maire « n’y fait pas d’objection tant que sa conduite ne donnera lieu à aucune objection ».
Le docteur Phélebon, médecin à Montrichard, fournit à l’appui un certificat médical motivé : « L’état pulmonaire et l’état général exigent un séjour à la campagne d’une durée indéterminée ».
Roger Phélebon est un résistant qui sera membre du Comité local de Libération de Montrichard et futur maire.
Février 1942 : une deuxième famille parente vient s’installer
A son tour, Marcu Sloin, qui est par sa femme, le beau-frère de Huna-Michal, demande le 27 mars 1942 au Préfet, l’autorisation pour lui, sa femme Doboi Golda et leur fils Samy de résider à Monthou de manière permanente, en prolongation de l’autorisation de deux mois obtenue auparavant.
Ils sont donc à Monthou depuis le début de l’année.
Ils habitent avec les Doboin.
Ils justifient leur demande pour « raison de santé et retour à la terre » et produisent un certificat médical.
La famille Marcu est, elle aussi, originaire de Targ-Stefanesti.
Lui est né le 16 avril 1886 et Golda le 1er octobre 1887.
Ils sont arrivés en France « avant 1910 » et naturalisés français tous les deux, le 6 juillet 1924.
Ils ont cinq enfants : Rachel née en 1911, sans profession ; Edouard en 1913, clerc de notaire ; Suzanne en 1917, sans profession ; Raymonde en 1920, opticien ; Samy en 1921, étudiant.
Comme leurs cousins, ce sont des juifs français de naissance.
Et, comme son beau-frère, Sloin est tailleur de formation et commerçant en bonneterie, avenue de Villiers dans le 17e arrondissement à Paris.
L’autorisation lui a été donnée puisque le maire de Monthou informe le Préfet, le 16 avril, que la famille Marcu est arrivée dans la commune, le 25 février 1942.
Deux de leurs enfants, Suzanne et Raymonde, vont venir les rejoindre à Monthou.
L’imminente remise des étoiles jaunes
Le 8 juin, les deux familles remplissent les fiches de renseignements exigées par les autorités allemandes.
Comme ils ont du être inscrits sur les registres des juifs des autorités françaises à Paris, on ne les trouve pas sur les fichiers de la Préfecture.
Mais la situation va s’accélérer.
Le 7 juin, c’était la date limite pour le port de l’étoile jaune.
Rappelons que dans les campagnes, ce sont les gendarmes qui remettent les étoiles.
Dans ce cadre, les gendarmes établissent une liste « des Israelites découverts sur le territoire de la Compagnie et ne figurant pas sur la liste communiquée », mais « tous ces juifs avaient été identifiés par la brigade de gendarmerie à leur arrivée à Monthou ».
Le 12 juin, la Préfecture transmet au commandant de gendarmerie du département « 30 insignes destinés aux personnes de race juive ». Il convient d’en remettre deux par personne (cf. normalement c’était 3 ?).
Les deux familles, soit 8 personnes, figurent évidemment sur la liste.
Ils sont partis précipitamment …
Le 20 juin, la Gendarmerie retourne à la Préfecture les 16 insignes qui n’ont pu être remis aux Doboin-Marcu.
Une enquête des gendarmes de Montrichard avait été diligentée dès le 14 juin.
Une voisine témoigne : « … celles-ci sont parties hier 13 courant dans la soirée pour une destination que j’ignore…elles ne m’ont pas dit où elles allaient mais je crois à Paris. A leur départ, elles m’ont dit qu’elles reviendraient, mais sans me donner de date. En partant, elles ont emporté simplement du linge de corps et ont laissé leur mobilier ».
Le maire rajoute qu’il ignore si ces familles ont quitté le hameau de la Morcière et « qu’elles ne lui en ont pas demandé l’autorisation », comme les y obligeait la loi.
Le maire ( cf. René Paris était connu pour ses convictions pro Révolution Nationale ), confirme le 19 juin au Préfet que les familles Doboin-Marcu « n’ont pas reparues..et qu’elles ont emporté vêtements et linge ».
Monthou borde le Cher et la Ligne de Démarcation
Nul suspense : les familles Doboin-Marcu ont tout simplement passé la Ligne de Démarcation vers la zone sud, dite « zone libre ».
Monthou-sur Cher se situe sur la rive droite du Cher qui délimite les deux zones et fait office de Ligne de Démarcation. Les passeurs y furent nombreux parmi les habitants (cf. l’article sur Monthou et la ligne de Démarcation).
On peut penser que le port obligatoire de l’étoile jaune et son imminente distribution ont précipité une décision que ces familles avaient peut-être en perspective en venant s’installer à Monthou, en raison des possibilités de franchissement rapide de le ligne qu’offrait la commune, si besoin était.
Le 29 décembre 1942, Georges Bertrand, propriétaire de la maison, demande au Préfet de pouvoir rouvrir sa maison puisque les Parisiens auxquels il l’avait louée pour six mois sont partis « dans la zone non occupée ». Donc, c’était une évidence pour tous les voisins !
Prudent, Georges Bertrand prend soin de souligner : « J’ai appris que depuis leur départ que c’étaient des juifs » !
Le propriétaire devra intervenir à nouveau auprès du Préfet le 4 mars 1943 pour pouvoir récupérer l’usage de sa maison. Le Préfet a, d’évidence, d’autres chats à fouetter !
Une trace : celle de Itzic Doboin.
J’ai trouvé trace de Itzic Doboin.
Marié en 1940, il résidera d’abord à Cerilly dans l’Allier où la famille de sa femme a des attaches. Puis, il se rend à Marseille et revient à Cerilly en 1943.
Itzic participera à la Résistance dans l’Allier au sein du groupe des FFI de Bourbon l’Archambault. Il assume des fonctions de liaison avec l’Etat-Major de l’Allier.
Le commandant FFI Franck dit Fabre dira de lui : « Officier distingué et bien élevé, intelligent et courageux, fera un excellent commandant d’unité (chef de section) ».
Une fois franchie la Ligne, j’ignore ce que sont devenus les autres membres des familles Doboin et Marcu.
Aucun d’entre eux ne semble avoir été déporté.
Alice LEVY, Vve. HOULMANN à Romorantin.
André WEIDENBACH à Vendôme….
….Deux demandes d’exemption du port de l’étoile jaune.
La 8e ordonnance allemande datée du 29 mai 1942, publiée le 1er juin, rend obligatoire à compter du 7 juin, le port d’une étoile jaune pour tous les juifs de la zone occupée à partir de l’âge de 6 ans.
Cette étoile doit être bien visible, cousue en haut, à gauche, sur le vêtement.
Elle est « payante » car chaque juif concerné doit rétrocéder un point-tissu en contrepartie.
Un comble !
Ces étoiles, souvent nommées dans les textes, « insignes des juifs », doivent être retirées dans les commissariats de police ; dans les bourgs ruraux, elles peuvent être distribuées par les gendarmes.
Deux lettres conservées aux AD41 traduisent ce que furent les réactions et les sentiments des juifs notamment des juifs français de naissance, parfois depuis plusieurs générations.
En cette année 1942, lourde déjà de menaces et en ce mois de mai, si proche des vagues de rafles de l’été 1942, peu d’entre eux oseront exprimer publiquement leur ressenti aux autorités.
Ces deux lettres en ont d’autant plus de poids et de charge mémorielle.
Alice HOULMANN : « …la si pénible blessure imposée à notre amour-propre…
Elle est née Alice Lévy à Paris le 7 mai 1869.
Elle était commerçante en vêtements à Romorantin.
Sa cousine Renée Kahn, née à Paris le 14 août 1881, travaillait et vivait avec Alice.
Sur le cahier d’enregistrement des juifs à la Préfecture, elles portent les numéros 64 et 65.
Et il est précisé qu’elles sont « sans confession ».
Elle écrit au Préfet en son nom et aussi pour sa cousine.
Romorantin, le 9 juin 1942.
"Monsieur le Préfet,
J’ai l’honneur de vous soumettre le cas de deux dames parentes et israélites, habitant Romorantin. De ce fait, nous avons été à Blois, le 28 août 1940, nous faire inscrire comme il avait été prescrit et il nous a été donné les numéros 855 et 856.
Depuis, les nouvelles lues nous ont été encore plus cruelles et le 7 courant nous avons dû porter l’insigne imposé.
Or, monsieur le Préfet, nous avons toutes deux et de beaucoup, passé la soixantaine. Notre ascendance est essentiellement française mari, père, frères ont accompli leur devoir militaire ; ils sont hélas décédés mais j’ai leur carnet militaire.
Nous habitons depuis 42 ans le même appartement et vivons de très modiques restes du passé mais vivons indépendantes.
Je vous fais pour nous deux serment que notre honorabilité est parfaite, celle de nos familles également comme du reste il vous sera prouvé s’il vous plaisait de faire une enquête.
Alors, vous plairait-il, Monsieur le Préfet, comme il y a paraît-il des exceptions prévues à cette loi de nous mettre à même d’en profiter et nous éviter la si pénible blessure imposée à notre amour-propre.
S’il en était ainsi et que vous puissiez avoir la bonté de nous prendre sous votre haute protection nous vous en aurions, je vous le promets, une gratitude infinie.
Veillez bien recevoir, monsieur le Préfet, avec tous mes remerciements, l’assurance de notre parfaite considération".
Mr. André WEIDENBACH : "une vexation morale très pénible …"
Il est né à Paris le 6 juillet 1904.
C’est un industriel qui demeure à Vendôme.
Il est marié et a deux enfants.
Il porte le numéro 1 sur le cahier d’enregistrement des juifs.
Et il est inscrit la mention « catholique ».
Ses biens meubles, une somme d’argent, ont été déposés et bloqués chez un notaire de Vendôme, conformément à la loi du 2 juin 1941.
Vendôme le 7 juin 1942
"Monsieur le Préfet,
Ayant retiré il y a quelques jours au Commissariat de police, les insignes qu’il m’a été imposé de porter par la dernière ordonnance allemande, j’ai appris qu’il pouvait être fait des exceptions pour des cas particuliers.
Je me permets donc de vous exposer à nouveau le mien, dans l’espoir d’obtenir cette exemption. L’obligation du port de cet insigne ne me contrarie pas au point de vue physique ( tout le monde à Vendôme que je ne quitte jamais connaissait ma situation ) ; mais c‘est pour moi une vexation morale très pénible de me sentir ainsi marqué et montré du doigt comme ayant une tare, alors que ma vie et celle de mes parents n’a toujours été que droiture.
J’ai, comme le prouve mon arbre généalogique, près d’un siècle et demi d’ancêtres nés français.
Un arrière-grand oncle, chevalier de la Légion d’honneur comme sergent du 2e Zouave en 1854, ce dont je possède copie.
Mon père en février 1915 a été tué à Vaugeois à l’âge de 41 ans comme lieutenant au 89e RI, avec Légion d’Honneur, Croix de Guerre et deux citations.
Je suis Pupille de la Nation.
A cette guerre, je suis parti comme le brigadier-chef dans une section de ravitaillement de munitions d’Infanterie à la frontière luxembourgeoise.
Ma femme née en Périgord est aryenne. Mes deux enfants de religion catholique, le sont aussi et je n’ai moi-même jamais opté pour la religion juive.
C’est pour eux aussi un gros souci moral de me voir ainsi marqué ; de plus, je n’ai jamais affiché aucune opinion politique.
Vu les raisons exposées ci-dessus, je vous demande d’intervenir avec avis favorable auprès des autorités compétentes pour prendre une décision à mon égard.
Croyez, Monsieur le Préfet, à l’assurance de ma parfaite considération".
Le 26 juin, le Préfet du Loir et Cher, transmet ces deux lettres au Ministre de l’Intérieur qui le 13 juillet lui répond sèchement :
« Il n’appartient pas au Ministère d’accorder de telles dispenses, ni même de les transmettre aux autorités allemandes.
Il convient en conséquence d’inviter les juifs qui présenteraient des demandes de cet ordre à s’adresser à la Kommandantur dont ils dépendent ».
Alice Houlmann est arrêtée le 22 septembre 1942 et déportée à Auschwitz par le convoi N° 58 du 31 juillet 1943.
Renée Kahn est arrêtée le même jour et déportée à Sobibor par le convoi N°53 du 25 mars 1943.
André Weidenbach décèdera à Châtenay-Malabry (92), le 12 avril 1995.
Denis MEYER à Bourré ….
…. votre nom est à consonance juive !
Depuis l’automne 1940, les autorités françaises et allemandes mettent en place une règlementation parallèle, très semblable et en partie concurrente, sur ce qu’on nomme l’aryanisation de l’économie.
S’approprier les biens des juifs.
En clair, faire main basse sur les biens juifs.
Pour les Allemands, cette politique s’inscrit dans le pillage global des richesses et productions françaises au bénéfice du Reich (cf. l’article sur la famille Jankelovitch).
La loi du 2 juin 1941 accompagne le recensement des juifs par celui de leurs biens.
Avec celle du 22 juillet, il s’agit
« d’éliminer toute influence juive dans l’économie nationale ».
Le Commissaire Général aux Questions Juives peut nommer un administrateur provisoire à toute entreprise, tout immeuble, tout bien meuble «
lorsque ceux à qui ils appartiennent, ou les dirigent, ou certains d’entre eux, sont juifs ».
Elle avait été précédée par une loi du 10 septembre 1940 qui prévoyait déjà la nomination d’administrateurs provisoires si les entreprises juives étaient privées de leurs dirigeants
« absents
», c’est à dire passés en zone Sud !
Dans le département, sur la base des archives mais qui sont incomplètes, il semble que la priorité ait d’abord été donnée à la reprise des entreprises par des « aryens »
La consonance des noms
C’est un certain Bernard G. , déjà administrateur provisoire d’entreprises juives dans le département, qui est chargé d'établir cet inventaire des biens immobiliers des juifs.
Il établit une « Liste (d’après les annuaires) des personnes juives ou pouvant être présumées telles, possédant immeubles ou propriétés en Loir et cher ».
Il en note seize d’une part et et trente deux d’autre part, en précisant : « Sur cette liste, il en est qui semblent indiscutables surtout dans la première liste. Pour les autres, j’ai été guidé par la consonance du nom et certains renseignements obtenus de différents côtés » !
Ainsi à Bourré, « Denis Mayer, Agriculteur, Château de Valagnon » ( cf. c’est Vallagon ) a été porté sur la liste.
Il transmet sa liste à la Préfecture le 10 novembre 1941.
Est-ce l’intervention du 12 juillet 1943 auprès du Préfet d’un investisseur de Rouen qui le questionne pour connaître « la liste des propriétés rurales, fermes ou propriétés avec fermes appartenant à des juifs et encore à vendre dans votre département » ou celle du même jour du CGQJ demandant quelles propriétés sont encore à vendre, qui conduit le Préfet à s’adresser au maire de Bourré, le 30 juillet 1943 :
« Il m’est signalé que Mr. Denis Meyer, propriétaire du Château de Valagnon, situé sur votre commune, serait de race juive.
J’ai l’honneur de vous prier en conséquence de vouloir bien me faire connaître si les renseignements qui m’ont été donnés sont exacts.
Vous m’indiquerez en outre la composition de cette propriété, en m’indiquant l’état civil complet et l’adresse actuelle du susnommé ».
Un catholique pur sucre
Le 10 août, le maire envoie au Préfet « les renseignements fournis par cette famille ».
Denis Meyer est issu :
Par sa mère « d’une très ancienne famille d’agriculteurs et d’officiers catholiques du nord du département de Loir et Cher. On retrouve sur les registres de baptêmes du Vendômois le nom de la famille Ouzilleau depuis le XVe siècle ».
Par son père « également catholique, d’une vieille famille d’industriels alsaciens et francs-comtois. Une branche de cette famille est de confession protestante comme beaucoup de familles de l’Est et le pasteur Louis Meyer d’Etupes près Montbéliard, illustre suffisamment par son autorité et son austérité les ascendances chrétiennes de Mr. Dénis Meyer…(qui) compte actuellement dans sa famille huit prêtres catholiques et plusieurs religieuses dont l’une est au couvent des Ursulines de Blois.
Denis Meyer est né le 14 mars 1909 à Paris (16e).
Il a fait ses études secondaires à l’Institution Sainte Marie de Monceau à Paris et ses études d’agriculture à l’Institut Catholique de Paris, dirigé par les Frères des Ecoles Chrétiennes.
Il avait épousé le 27 décembre 1935 à Paris, Hélène Renée Laurence Dupré de la Tour, fille de Felix Dupré de la Tour, avocat puis directeur du contentieux aux Pompes Funèbres.
Ils n’auront pas d’enfants.
Un notable local
Denis Meyer est Lieutenant de Cavalerie de réserve.
Il avait été mobilisé en août 1939, affecté au 3e groupe de reconnaissance du 5e corps d’Armée.
Il est titulaire de la Croix de guerre 1939-1940.
et « actuellement Mr. Denis Meyer est syndic de la corporation paysanne de Bourré. Il est agriculteur et partage son activité entre l’exploitation de champignonnières, d’un vignoble et de terres de culture ».
La corporation paysanne était la structure unique mise en place par Vichy.
Elle avait remplacé les organisations paysannes d’avant-guerre. Tous les professionnels de l’agriculture y étaient obligatoirement affiliés.
Le syndic était généralement désigné parmi les plus gros agriculteurs et souvent le plus gros, comme ici à Bourré !
Un champignonniste connu
La propriété de Vallagon avait été acquise en 1912 par le père Lucien Meyer , décédé en 1931.
Elle appartenait en indivision à ses trois enfants Denis, Etienne et Mme. Madeleine Daufresne.
La propriété se composait de 50 hectares environ :
Terres labourables et près 16 ha
Vignes 8 ha
Bois 20 ha
Jardins, bâtiments, jardins 6 ha
Il y avait deux champignonnières situées sur les terres de la propriété.
( Ce sont dans les fameuses « caves » de Vallagon, qui sur des dizaines et des dizaines de kilomètres joignent Montrichard, que les Allemands installèrent un très important dépôt d’armements lourds et de munitions pour ravitailler la Côte Atlantique. Il les feront sauter en partie au moment de leur départ en août 1944).
A la Libération, le 23 novembre 1945, le Préfet communique au Service des Restitutions à Paris, la liste des dossiers ouverts par l’ex- CGQJ pour son département, au titre de la politique d’aryanisation :
9 pour les entreprises
16 pour les immeubles
6 pour les biens mobiliers.
Bernard G. avait été désigné administrateur provisoire d’une bonne moitié de ces biens !
Après le décès de Denis Meyer le 3 février 1993 à Blois, la famille vendra le domaine de Vallagon à la fin des années 1990.
Comme tant de ses pareils, le château de Vallagon a été transformé en hôtel-restaurant.
Bien évidement, l’enquête du Préfet n’a eu aucune suite.
Je parierais même que le Préfet, face à de telles généalogie et carte de visite, a dû passer un coup de téléphone à Denis Meyer, pour s’excuser d’avoir eu l’outrecuidance de penser qu’il était juif…la faute à la négligence de ses services !
Jacqueline JUSTER, Paris et Autainville…
…authentification d’un acte de baptême.
Jacqueline Juster est née le 20 juin 1912 mais je ne sais où.
Elle habitait rue des Acacias à Paris (17e).
Des origines roumaines :
Elle est la fille de Marc Juster et de Rachel David, tous deux d’origine roumaine moldave.
Marc est né en 1876 à Bacau, son père est « propriétaire » à Jassy. Rachel, elle, est née en 1884 à Falticeni où son père est « commerçant ».
Il a dû, comme tant d’autres étudiants roumains de bonne famille, venir poursuivre ses études en France.
Le 3 mai 1900, à la Faculté de Droit de Paris, il soutient sa thèse de doctorat sur « la représentation du mineur par son tuteur ».
En décembre 1906, il est avocat à la Cour d’Appel de Paris et fait annoncer dans la presse parisienne, son mariage avec Rachel David.
Il y a tout lieu de penser, compte tenu de sa fonction, qu’il a été naturalisé.
Le mariage civil est célébré à Falticeni, le 7 février 1907, et transcrit sur le registre des mariages du 9e arrondissement de Paris, le 23 avril 1907.
En mars 1938, Jacqueline est étudiante en médecine et affectée à l’hôpital municipal de Neuilly sur Seine.
Elle fait l’objet d’une information dans la presse car elle s’est faite agressée, la nuit en quittant son travail, par deux individus qui l’ont rouée de coups et lui ont volé son sac.
Elle du être reconduite à l’hôpital où suivant la formule consacrée, « son état n’inspirait pas d’inquiétude ».
Un baptême tardif à authentifier mais insuffisant pour la déclarer non juive ….
Le 13 février 1942, le Préfet de Loir et Cher s’adresse au maire d’Autainville pour lui demander de « vouloir bien légaliser la signature apposée par Mr. le Curé d’Autainville sur la lettre que je vous communique ci-joint ». Sans plus de précision !
Parions, une nouvelle fois, que le maire d’Autainville a deviné le motif d’une telle demande.
La lettre au Préfet de son collègue de Mer, en date du 10 octobre 1941 en dit long sur les situations inédites auxquelles étaient confrontés les édiles locaux pour appliquer la règlementation sur les juifs.
« J’ai l’honneur de vous prier de bien vouloir me donner les moyens de reconnaître si une personne est juive.
En effet, les administrations demandent de joindre à chaque déclaration une attestation du Maire constatant que l’intéressé est bien d’origine aryenne.
Or, quand il s’agit d’un descendant de vieux habitants du pays le risque d’erreur n’est pas grand, mais pour les autres, la question est bien plus délicate, et le maire risque d’attester à faux.
L’ordonnance du 26 avril 1941 dit bien qui doit être considéré comme juif, mais comment savoir si les parents ou grands-parents étaient juifs, si la personne appartenait à une communauté juive, ou si son conjoint est juif ».
On relèvera que le maire de Mer ne fait pas référence au statut des juifs de Vichy d’octobre 1940 mais à l’ordonnance allemande. Il sait d‘expérience au quotidien qui décide vraiment !
Après avoir fait vérifier la signature du curé, le 27 avril 1942, le Préfet envoie le dossier de Jacqueline Juster que lui a transmis le CGQJ au Commissaire des Renseignements Généraux.
Elle a demandé sa « radiation des listes de contrôle des Juifs » en joignant à l’appui un certificat de baptême.
Jacqueline Juster a été baptisée le 24 décembre 1939.
….Si elle a plus de deux grands-parents juifs :
Baptême de conviction ou de précaution, face à la montée des périls avec la guerre déclarée ? C’est une autre question.
Juridiquement, Jacqueline remplit une des conditions de l’article 2 du Statut du 2 juin 1941, puisqu’elle peut produire la preuve qu’elle avait adhéré avant le 25 juin 1940, à une des deux autres religions reconnues.
Mais il faut qu’elle fasse aussi la preuve qu’elle avait seulement deux grands-parents juifs.
L’ordonnance allemande du 26 avril 1941 a repris la même définition du juif que le statut vichyssois.
Le commissaire se transporte à Autainville et informe le Préfet le 9 Mai qu’elle « a bien été baptisée le 24 décembre 1939 en l’église de la paroisse d’Autainville, comme en fait foi le registre sur lequel figure son acte de baptême qui présente un caractère d’authenticité indiscutable ».
L’aide des curés de paroisses :
Durant l’Occupation, si le nombre de baptêmes sera modeste, par contre les curés des paroisses ( et non la hiérarchie catholique acquise très majoritairement à l’idéologie de Vichy) fourniront aux juifs des milliers de faux certificats de baptême. Ce sont ces mêmes curés qui, dans notre zone, seront souvent des passeurs de la Ligne de Démarcation et des résistants.
Le CGQJ finit par s’en émouvoir.
Le 6 avril 1943, il précise la situation. Un enfants né après le 25 juins 1940, issu de deux grands parents juifs seulement, ne peut être considérée comme juif, à condition toutefois que son baptême ait lieu dans les délais normaux et raisonnables.
« Il faut entendre par :
-les délais normaux : les baptêmes effectués quelques jours après la naissance et dans un délai relativement rapproché ;
-raisonnables : dans des conditions telles que l’on ne puisse pas supposer qu’il s’agisse d’une complaisance ou d’une opération permettant d’utiliser les certificats de baptême pour des raisons autres qu’une justification d’origine confessionnelle ».
Je n’ai pas trouvé dans les archives locales d’autres éléments concernant la suite donnée au dossier de Juliette Juster ni sur ce qu’elle est devenue.
Avait t’elle pu clarifier la situation de ses grands-parents ?
Son père fut arrêté par les Allemands et interné à Drancy, le 13 octobre 1943.
Il habitait alors Avenue Victor Hugo à Paris (16e).
Il fut remis en liberté le 17 novembre de la même année.
Maurice CAHN de Vendôme ….
… Ni poste TSF, ni activité professionnelle.
L’ordonnance du 13 août 1941 avait organisé la confiscation des postes de TSF possédés par des juifs.
Ils devaient les déposer en mairie, dans un commissariat de police ou à la Préfecture, suivant leur lieu de résidence.
Le 4 septembre, le Préfet s’adresse aux Sous-Préfets, maires et commissaires de police pour leur donner ses instructions et précise que s’il y a doute sur l’appartenance à le race juive, il se tient à leur disposition pour les renseigner mais leur rappelle que toute personne juive qui s’est déclarée porte la mention à l’encre rouge de « juif » ou « juive » sur ses papiers d’identité.
Dans le Loir et Cher, sept juifs possesseurs de poste TSF (dont Georges Moock ) les ramèneront aux autorités.
Une arrestation pour non respect de la législation des autorités d’occupation :
Maurice CAHN , demeurant à Vendôme, est arrêté par les autorités allemandes, le 7 juillet 1942 pour détention illégale d’un poste TSF, interdit donc aux juifs depuis près d’un an.
Un ancien combattant de la guerre 14-18 :
Maurice Cahn est né le 7 mars 1876 à Paris (4e), d’un père colporteur et d’une mère couturière.
Il s’y est marié en 1908 avec Eugénie Michel Salomon, née elle aussi à Paris, le 27 février 1887.
Elle est orpheline de mère et son père est mégissier, c’est à dire tanneur de petites peaux d’ovins et caprins.
D’ascendants juifs, ils sont tous deux des français de naissance.
Appartenant à la classe 1896, Maurice qui avait été versé dans l’armée territoriale, sera rappelé sous les drapeaux pour la Grande Guerre et combattra du 5 août 1914 au 11 février 1919.
Il est blessé au meurtrier combat de Transloy.
Il sera cité à l’ordre de son régiment : « excellent sous-officier énergique et courageux, d’une belle tenue au feu ». Cette citation lui vaudra l’attribution de la Croix de Guerre.
Comme nous le verrons ci-dessous, Maurice Cahn exerce son activité professionnelle dans l’immobilier.
Un Vendômois d’adoption :
Il habite à Paris mais vient souvent à Vendôme, notamment pour y passer ses vacances chez un ami, Charles Brésil.
Charles Brésil est aussi domicilié à Paris et exerce la profession de pharmacien à Suresnes.
D’après l’arrière petit-fils de Maurice Cahn, ils se seraient connus durant la guerre lorsque Maurice Cahn exerçait les fonctions d’Officier d’Administration du Service de Santé.
Depuis le début de la guerre, Maurice Cahn s’est installé avec sa femme, chez son ami.
Le couple a une fille, Denise Désirée, mariée depuis 1931.
Alerté sur son arrestation, le Sous-Préfet de Vendôme demande, le 8 juillet, un rapport à l’Inspecteur des RG qui le lui adresse le jour même.
Le 7 juillet à 9 h, deux gendarmes allemands ont perquisitionné au domicile de Mr. Brésil qui loge les Cahn. Ils y ont découvert un poste TSF qui appartient à Mr. Brésil et qui est situé dans la salle à manger, pièce contiguë à l’alcôve où couche Mr. Cahn.
Une notion extensive du propriétaire du poste :
Mme. Cahn et Mr. Brésil attesteront sur l’honneur « que l’appareil était débranché et isolé du courant électrique depuis l’interdiction d’écouter certaines émissions étrangères et que seul subsistait le raccordement d’antenne et de terre qui a pu être confondu avec un contact ».
Les allemands confisquent l’appareil et amènent Mr. Brésil dans leur locaux pour l’interroger.
Il sera mis hors de cause et libéré vers 18 h… Mais les Allemands reviennent, mettent Maurice Cahn en état d’arrestation et l’incarcèrent à la prison de Vendôme.
Les proches voisins interrogés n’ont jamais entendu un poste de radio fonctionner.
De plus, un cantonnement de l’armée d’Occupation se trouve près du domicile des Cahn !
Le 17 juillet 1942, Maurice Cahn fut condamné à un mois de prison et mille francs d’amende par la Feldkommandantur 641.
Le Préfet intervient auprès des Allemands, le 22 juillet : « Mr. Cahn est un ancien combattant de la guerre 1914-18 et, à ce titre, s’est vu décerner la Légion d’Honneur et la Croix de Guerre.
…étant donné ses titres militaires, de bien vouloir envisager la possibilité d’une mesure de clémence en sa faveur ».
Démarche demeurée sans effet puisque Maurice Cahn ne sera libéré que le 12 août 1942…une « chance » en raison des évènements de l’année précédente.
Une précédente arrestation pour non respect ici de la législation de Vichy
Maurice Cahn avait déjà été arrêté le 11 octobre 1941, soupçonné de violer les prescriptions du Statut des Juifs du 2 juin 1941 qui avait inclues les activités immobilières dans les professions interdites aux juifs.
C’est le Sous-préfet de Vendôme qui demande une enquête à l’inspecteur des Renseignements Généraux.
1er Septembre 1941, un rapport de police antisémite
Ce rapport, en date du 1er septembre 1941, suinte l’antisémitisme.
Son auteur caractérise Maurice Cahn « de juif » ou « d’origine juive » plusieurs fois dans son rapport, au cas où le lecteur l’oublierait entre deux paragraphes !
Il transforme son nom en Kahn, orthographe qu’il doit penser faisant plus hébraïque ! voire la déforme.
Il l’accuse de continuer « à exercer comme par le passé sous le nom de Canne, sa profession de marchands de biens, mais il travaille avec plus de discrétion ».
« Il est notoire à Vendôme et dans les environs que cet homme est très actif dans son commerce. Il réalise des affaires importantes, surtout dans la région parisienne, où il est plus connu… dans la région sa dernière affaire remonte au 8 août 1941 ».
En général Khan se présente chez les officiers ministériels avec ses acquéreurs mais prenant ses précautions n’assiste jamais à la vente ».
L’inspecteur explique « qu’ayant exercé une surveillance discrète », il a surpris Maurice Cahn se rendre avec deux personnes chez un notaire qui lui a confirmé qu’il venait y traiter une affaire.
Et de conclure « ayant acquis la certitude que l’intéressé exerçait comme par le passé sa profession de marchand de biens, je n’ai pas cru devoir pousser plus avant cette enquête » !
Il concède toutefois : « en dehors de cette question, Kahn fait l’objet de bons renseignements en général ».
Le 30 septembre, le commissaire spécial transmet le rapport de son inspecteur au Procureur.
18 Novembre 1941 : le Tribunal ordonne un supplément d’enquête :
Le Procureur initie une information sur Maurice CAHN.
Le 6 octobre 1941, Maurice Cahn est entendu par le même Inspecteur des Renseignements Généraux qui continue à le nommer Kahn.
Il rappelle qu’étant israélite, il n’exerce plus sa profession « depuis la loi du 2 juin 1941 et la loi du 3 octobre 1940 portant statuts des juifs lui interdisant toute activité commerciale ».
Il précise : « Toutefois, si ce que je viens de dire est vrai en ce qui concerne l’administration d’immeubles, je dois dire qu’avant la parution de ce texte légal (cf. c’est le statut de 1941 qui interdit les activités commerciales immobilières), j’étais titulaire d’options sur les ventes dans le Loir et Cher seulement. J’ai réalisé ou tenter de réaliser ces opérations pour ne pas perdre les fonds que j’avais engagés qui représentent environ une dizaine de mille francs ».
Il énumère ces affaires et réaffirme qu’il n’a plus aucune option et qu’il « a cessé toutes opérations interdites par la dite loi ».
Le Procureur avait saisi le Tribunal Civil.
Le 28 octobre 1941, après avoir entendu les parties, le Tribunal Civil de Vendôme met l’affaire en délibéré.
Le 18 novembre, il ordonne un supplément d’enquête et en charge le procureur.
Il estime en effet qu’au vu des éléments fournis, il lui est impossible de déterminer si Maurice Cahn a poursuivi ses activités immobilières au-delà du 15 septembre, date butoir pour l’application en ce domaine de la loi du 2 juin.
27 novembre 1941 : ouverture d’un supplément d’information :
Le Procureur donne donc suite à ce supplément d’enquête « pour savoir si le sieur Cahn a accompli quelque acte de sa profession soit comme acheteur ou vendeur, agissant soit en son nom propre (c’est à dire achetant ou vendant en son nom propre) soit comme intermédiaire et dans ce cas, sans paraître en son nom, et cela depuis le 15 septembre 1941; si encore, il a pu servir d’intermédiaire comme agent de location d’immeubles, soit que son nom ait été connu, soit qu’il ne l’ait pas été ». Ouf !
On devine que ce qui intéresse aussi la Justice, c’est d’apprécier le rôle qu’aurait pu jouer Maurice Cahn dans les tentatives de contourner les mesures d’aryanisation de l’économie en aidant des amis ou clients à se trouver des « hommes de pailles » lors de ventes ou locations pour mettre à l’abri leurs biens.
Aucune preuve à charge :
Trois rapports des Renseignements Généraux des 6, 10 et 12 décembre 1941 confirmeront les propos de Maurice Cahn.
Il n’y aucune trace chez les notaires de la région de Vendôme, ni dans les agences immobilières, ni dans les journaux locaux, ni dans les agences de petites annonces, d’une quelconque opération commerciale où il serait intervenu d’une manière ou d’une autre.
De même, les recherches menées sur Blois et Romorantin « sont demeurées infructueuses ».
En détention administrative durant 7 mois :
Maurice Kahn avait été placé en détention administrative au camp de Pithiviers, à partir du 18 octobre 1941.
J’ignore s’il a fait l’objet d’un jugement et d’une condamnation la part de la justice de Vichy.
Le 22 avril 1942, Théodor Danneker, un des principaux chefs de la Gestapo en France, avait informé le Préfet Régional de la transformation du camp de prisonniers de Pithiviers en camp d’internement pour juifs.
Pithiviers va alors interner les juifs arrêtés notamment dans les rafles comme celle dite du « billet vert » le 14 mai et celles du Val d’Hiv, les 16 et 17 juillet 1942.
Le premier convoi de déportation des juifs au départ de Pithiviers a lieu le 25 juin. Il y en aura six de juin à septembre.
Maurice Cahn est libéré le 11 mai 1942.
Il revient habiter à Vendôme et y sera arrêté à nouveau quelques mois plus tard comme on l’a vu.
Il décède le 18 août 1963, à Vendôme et a été inhumé au Cimetière du Montparnasse à Paris.
Début juillet 1942….
…..Ni téléphone ni accès aux cabines publiques !
Le 6 juillet 1942, le général allemand des Transmissions Kersten transmet au Secrétariat Général des PTT une note officielle du 3 Juillet, lui demandant de prendre toutes les mesures utiles pour interdire aux juifs résidant en zone occupée l’usage du téléphone.
L’objectif est double : d’une part, poursuivre la privation de droits et libertés des juifs et accentuer leur humiliation sociale ; d’autre part, les priver de moyens de donner l’alerte quand une rafle est organisée ou de faire circuler des informations sur des dangers imminents, des arrestations, etc.
Il s’agit donc de couper les abonnements souscrits par des juifs et de leur interdire l’accès à des cabines publiques.
Le directeur des Postes et télégraphes de Loir et Cher s’adresse le 20 juillet 1942 au Préfet pour lui faire connaître que son administration « demande de procéder d’urgence, après consultation des services de police, au recensement :
1/ de tous les juifs abonnés au téléphone.
2/ des maisons juives abonnées au téléphone et dotées d’un administrateur aryen »
Mais comment procéder ?
Le directeur des PTT a trouvé une méthode bien pratique : faire faire le travail par la Préfecture qui elle détient les registres d’enregistrement des juifs et autres fichiers et par la même occasion, se mettre ainsi à l’abri, si il a des erreurs !
Donc, « ce recensement pourrait être établi par un pointage effectué par vos services sur l’exemplaire de l’Annuaire ci-joint.
Les abonnés juifs seraient pointés en rouge, par exemple, et les maisons juives, en bleu. Mon service établirait ensuite les listes récapitulatives ».
Pour faire bon poids, il envoie aussi au Préfet des listes complémentaires d’abonnés non inscrits encore dans l’annuaire, pour les contrôler.
Il ne restera plus au directeur qu’à faire couper les lignes de téléphone !
Quant aux cabines, une affiche était apposée dessus avec la mention « Accès interdit aux Juifs » et les contrevenants étaient passibles de sanctions.
SOURCES :
La série 1375 W 85-89 qui conserve ce qu’il subsiste des archives du bureau de la Préfecture de Loir et Cher chargé des « Affaires juives ».
La série 1652 W qui rassemble des enquêtes des Commissaires des Renseignements Généraux : dossier Moock 20/1198-99 ; dossier Cahn 17/681 ; dossier Marcou 19/804.
Les travaux de Thérèse GALLO-VILLA sur la Shoah, publiés sur le site www.tharva.fr
Je remercie très cordialement :
- Mr. Maurice Bleicher, qui avec l’autorisation de publier la photo de Juliette Moock, m’a communiqué les informations concernant sa participation au mouvement de résistance LibéNord.
- Mr. Jean-Sébastien Cruz-Luypaert, arrière-petit-fils de Maurice Cahn, pour les documents qu’il a portés à ma connaissance.