Le Loir et Cher et les « Sammies » :

AVERTISSEMENT.

Je publie sur cette page, le diaporama de la conférence que j'ai donnée le 18 avril 2018, aux Archives Départementales de Loir et Cher, sur le thème : "Le Loir et Cher et les Sammies."

Ce diaporama résume un dossier en construction, composé d'études détaillées sur le même thème. 

Elles feront l'objet, prochainement, de publications par étapes


En guise de propos liminaire ...

Le sens de cet exposé est de poursuivre, cette fois au niveau de la Vallée du Cher, l’interrogation qui avait émergé de notre exposition en novembre 2014, sur la guerre de 14-18 et donc la présence américaine, dans notre commune de Monthou-sur-Cher.

Dans quel contexte local est-elle intervenue et avec quelles conséquences sur la population ?

Pourquoi cette présence a t’elle laissé si peu de souvenirs dans notre mémoire collective ?

Cet exposé se propose donc de vous donner des éléments pour mieux appréhender une situation qui fut d’une complexité sous-estimée que, par contre, l’exposition des AD a le mérite de bien restituer.

Les sources principales consultées : les archives des Préfectures et Sous-Préfectures ; la presse ; les ouvrages marquants sur le sujet ( peu nombreux ) ; les graffiti et témoignages.

Mes remerciements vont : à madame la Directrice des Archives Départementales et ses collaborateurs, particulièrement Mickael Fauvinet et à Mlle. Leclert de l’Association de Romorantin pour leur aide.. 

Quelques dates qui « bornent » le sujet....

6 avril 1917 : les E.U déclarent la guerre à l’Allemagne.

13 juin : Pershing et son Etat-Major ( 177 officiers ) débarquent à Boulogne-sur-Mer, 

Eté 1917 : Les préliminaires de l’installation du CEA, (contacts, recherche des sites, inventaires etc)

18 août 1917 Choix définitif de Gièvres

1 septembre, début des travaux d’installation sur le site

Janviers 18, installation de l’aviation et de la 41e DIUS,

20 novembre 18 : début du retour…..

Automne 19 : FIN 

I) Une arrivée dans un département sinistré :

Une lettre du Préfet du 21 décembre 1916, plante le décor :

« ... les poilus invitent leur famille à ne pas souscrire à l’emprunt pour terminer la guerre au plus vite ...».

« ...le charbon devient introuvable... »

« ...le sucre se raréfie tous les jours... »

« ...l’on parle de deux jours sans viande...les magasins ferment tôt, à 6 heures »

Et surtout « le moral des populations s’est encore aggravé ... ».

Le conflit est dans l’impasse ; rien ne semble pouvoir arrêter la guerre.

1) Le terrible hiver 17 :

Il gèle à pierre fendre en janvier et février avec sur plusieurs jours des températures de moins 11/15°.

L’agriculture est gravement touchée. 

Les produits de base comme les patates deviennent inconsommable.

Se procurer bois et charbon, déjà rares, devient très difficile et leurs prix flambent.

Blois connaît des queues interminables devant les magasins de charbon.

Le prix de la corde de bois ( 3 stères ) coûte 20/30 f. en 14 mais grimpe à 80/100 f. en 17.

L’administration des Forêts fait savoir par presse « qu’elle sera indulgente pour l’abattage et la  sortie du bois mort ».

Il est même proposé que les « prisonniers de guerre soient utilisés pour couper du bois, à distribuer aux nécessiteux ».

L’hiver 17-18 sera aussi un hiver froi

2) L’agriculture est en crise :

50 000 hommes ont été mobilisés.

Le préfet : « les campagnes sont désertes , la main d’œuvre y est tous les jours, plus rare ».

Les femmes, les enfants et les anciens ont pris le relais.

Le Service de la main d’œuvre agricole doit organiser une aide concrète : près de 5000 hommes, plus les permissionnaires agricoles :

  • des militaires appartenant aux tranches d’âge âgées.
  • des travailleurs tunisiens sous contrat d’un an avec l’armée, répartis en 32 équipés.
  • des prisonniers de guerre en détachement de 5 à 10 hommes.

Les conséquences : diminution régulière des surfaces  cultivées des céréales et un rendement faible ; une production viticole en dents de scie en quantité et qualité.

Le moral de la paysannerie est en berne.

Le découragement gagne du terrain d’autant que les femmes ont des difficultés « à conduire seules leurs exploitations ».


 La contribution du Loir et Cher pour le ravitaillement des armées :

Etat au 31/12/1916 Travaux du Conseil Général

100 100 quintaux de blé

18 000 quintaux de farine

124 000 quintaux de pommes de terre

500 000 quintaux d’avoine

44 300 têtes de bétail ( 20 000 moutons et 18 700 vaches ).

Le département a aussi assuré le ravitaillement des populations civiles.

Ces données permettent de mesurer la contribution des femmes de l’agriculture à l’effort de guerre.

3) L’industrie et l’artisanat sont en panne :

Les études de la Chambre de Commerce de Blois, pour la période de guerre sont sans appel : seuls les secteurs qui travaillent pour les industries de guerre s’en sortent : draps, chaussures, chemises, conserves, chocolats ainsi que tanneries, fonderies, minoteries, commerce du bois.

Les autres activités sont à l’arrêt ou en crise profonde.

La mobilisation a dégarni des métiers liés particulièrement au monde rural : charrons, maréchaux-ferrants sont introuvables.

La pénurie de matières premières aggrave ces manques ( comme le cuir, les métaux, etc. )

La demande de professionnels « sursitaires » se développe mais elle est très encadrée par l’autorité militaire.

Le préfet : le maire de Contres « lui signale l’état de souffrance » de la dernière charcuterie ouverte de son pays qui fermera si on n’y affecte pas un charcutier sursitaire.

4) Les transports sont immobilisés :

Les produits fabriqués ( y compris pour l’armée ) et les marchandises ne peuvent être transportés faute de moyens disponibles, avec des retombées sur l’emploi.

Le préfet : « la Chocolaterie Poulain a dû congédier en temps une partie de son personnel » ou encore « les biscuiteries sont bondées de biscuits ...que faire alors, en plein hiver, du personnel qui entrant en chômage, manquera de tout ».

On recherche des solutions alternatives :

  • à Montrichard, les bateaux « bourrichon » transportent le vin, sur le Cher canalisé à destination de Paris.
  • l’entreprise Poulain organise la livraison du sucre par transport fluvial jusqu’à à Blois et fait rembarquer au retour du chocolat.

5) Les conditions de vie sont très dégradées :


A) La cherté de la vie :

La proximité de Paris pénalise le Loir et Cher car les intermédiaires « y font leur marché », pour revendre à Paris, fort cher

Les prélèvements souvent gonflés de l’intendance militaire raréfient les denrées  disponibles.

Accaparement et spéculations vont bon train.

Le gouvernement devra à partir de 1917, procéder à la taxation successive d’une série de produits de base ( comme beurre, haricots, pommes de terre, allumettes, chocolat, etc. )

Des cartes pour le pain ( 1917 ), puis pour le sucre 1918) devront être instaurées.

Les mercuriales font apparaître des différences notables pour un même produit entre les communes du Département.


Mercuriales du marché de Contres

Produits

1914

1916

1917

(décembre)

1918

(décembre)

Pain (1kg)

0,40

0,42

0,42

0,42

Boeuf (1kg)

1,90

2,20

3,6

5,30

Veau (1 kg)

2,20

2,80

4

4,40

Mouton (1kg)

2,70

2,80

4,4

6,05

Porc (1kg)

2,20

3

6

5,45

Lait (1litre)

0,25

0,4

0,50

Oeufs (douzaine)

1,50

1,82

4,10

3,80

Beurre (1 kg)

2,80

4,97

7

8,30

B) Les « salaires de guerre » :

Malgré de légères hausses de salaires en 1915 et 16, l’écart s’est fortement creusé entre hausse des prix et niveau salarial.

Il faut noter, après les effets de l’Union Sacrée à laquelle ont participé les syndicats, à une reprise des actions syndicales pour les augmentations de salaires  notamment à Blois et à Romorantin.

Ce phénomène n’échappe pas au sous-préfet de Romorantin qui en fin d’un rapport, indique en parlant d’une action en préparation : « ...le projet s’étendrait à toutes les corporations. Il serait question d’une réunion pour laquelle on demanderait une salle de l’Hotel de Ville ».


.

C) Le fossé s’accroît entre catégories sociales :

C’est une des dimensions de la guerre 14-18 qui va durablement imprégner les esprits et les rapports sociaux, notamment ouvriers/paysans.

Le préfet : « les industriels qui travaillent presque tous pour l’armée réalisent des fortunes ».

26 entreprises du Département seront soumises à la contribution extraordinaire sur les bénéfices, en juillet 1916.

Les agriculteurs eux ont le sentiment d’être les principales victimes civiles de la guerre.

Le préfet souligne qu’ils sont persuadés que « seuls les agriculteurs ou leurs fils occupent en ce moment les tranchées, alors que tous les ouvriers des villes sont dans des usines à l’abri des dangers et pourvus de salaires plus élevés qu’ils ne le furent jamais ».

Il est vrai que l’industrie d’armement accaparait pour partie la main d’œuvre ouvrière qualifiée.

De plus, sur les marchés ils sont accusés d’être des « accapareurs » et de pratiquer des prix exorbitants. 

Le préfet considère que l’agriculteur « trouve dans la vente de ses produits une rémunération assez large pour lui faire oublier les petites vexations de la réquisition et même un peu sa jalousie contre l’ouvrier ».


6) Une atmosphère pesante :


B) Une misère qui s’étend :

Dans les témoignages recueillis, le mot « pauvreté » est très présent.

Le préfet : « les petits rentiers, les employés, les petits fonctionnaires souffrent cruellement de la guerre ».

Les familles de mobilisés n’ont souvent pour vivre que l’allocation journalière de 1,25 f. et 0,50 f. par enfant. De quoi ne pas mourir de faim 

Un témoignage ( idem ) : « surtout, les économies disparues, il ne restait pour vivre que les maigres revenus du grand-père et l’allocation militaire. Ma mère, comme les autres, allait à pied à Pontlevoy toucher cette maigre ressource chez le percepteur... ».

Tout le monde n’a pas un potager, des poules, etc, ou il est trop petit au regard des besoins.

C) Une « dépression morale » collective :

Tel est le constat que dresse le préfet au moment où les troupes américaines arrivent à Blois.

Tel est le contexte dans lequel elles vont s’installer.... 

..... et pour certains, avec un espoir fondé sur les ingrédients du mythe américain :

Un commerçant de Blois qui pense qu’elles vont revitaliser le commerce : « car les Américains amateurs de belles choses, de beaux paysages, épris de nos châteaux et de nos campagnes, feraient une fois rentrés chez eux une réclame intense en notre faveur ».

...... et pour d’autres , avec une crainte de voir amplifiés les maux de la guerre :

Le maire de Blois a rencontré le major américain : « au cours de l’entretien, la municipalité a fait part au major des craintes exprimées par les habitants  de voir augmenter sensiblement le prix des denrées et des objets de toutes sortes ». Le major répond « qu’il n’y a rien à craindre...les autorités  américaines ayant pris toutes les dispositions utiles pour éviter le renchérissement ».

Mais pour l’heure, les Américains « arrivent » dans une guerre qui dure depuis 41 mois pour les loir-et-chériens.

II) L’installation des Américains dans la Vallée du Cher :

1) Les E.U en 1917 : un « nain militaire » :

A) L’armée 

compte 130 000 hommes. Leur marine de guerre  50 000 avec des navires peu performants.

Le plan Wilson en novembre 1916 portera l’armée de terre régulière à 140 000, avec une réserve de 400 000 et décide la construction de 157 navires de guerre.

C’était une armée de métier fondée sur le volontariat.

La conscription sera adoptée en mai 1917 avec un système interne de tirage au sort.

C’est une armée ségrégationniste : les noirs et la majorité des « latinos » sont cantonnés dans des unités non combattantes. 

Une exception : la fameuse 92e division où étaient regroupés les « jazzmen ».

Ce sont les bateaux de guerre britanniques qui vont assurer l’essentiel des troupes vers la France. 

B) L’équipement lourd américain :

Il a été quasi intégralement fourni par la France.

1871 canons de 75 ; 762 obusiers ; 224 canons de 105 ; 10 millions d’obus ; 57 000 mitrailleuses ; 206 millions de cartouches ; 227 tanks légers ; 44 tanks lourds.

Sur leurs 6287 avions, 4791 sont de fabrication française.

Cela représente 100% de leur artillerie, près de 100% des munitions, 100% des tanks et 57% de leur aviation.

Ce qui a représenté plusieurs mois de travail de nos usines de guerre.

A cela doit s’ajouter la mise à dispositions de milliers de locomotives et de wagons, de chevaux et l’utilisation massive de bois prélevé sur place.

Le charbon sera lui anglais.

2) Les Accords Joffre-Becker :

La France au départ souhaitait que le E.U fournissent non des soldats mais des hommes pour de la main d’œuvre libérant ainsi la sienne pour mettre plus de soldats sur le front.

L’entrée en guerre des E.U change la donne. Ce seront le 14 mai 1917, les accords Joffre-Becker.

Les E.U assureront une première phase de formation chez eux avec l’aide d’instructeurs français.

Les soldats américains devaient être ensuite formés sur le terrain des opérations  avec les unités françaises.

Mais deux conceptions vont s’affronter : celle de l’armée française qui promeut une formation adaptée à la guerre de tranchées : celle de Pershing qui prône une stratégie de l’offensive permanente.

Celle de Pershing prévaudra. L’armée américaine formera elle-même ses soldats en France.

Elle se battra « à côté » des troupes alliées, conservant très largement son autonomie de commandement, tout en participant au comité inter-alliés.

3) Une arrivée échelonnée :

Les convois américains vont arriver d’abord à un rythme lent puis de plus en plus accéléré à St.Nazaire et à Nantes.

Le premier convoi débarque le 25 juin 1917, avec 14750 hommes dont 103 infirmières.

Le 1-1-1918, 161 000 hommes ont débarqué.

Le 30 mars, ils sont 284 000.

Le 29 Juillet, on est décompte 1 102 000 dont 796 000 combattants.

Au total, répartis  dans les 3 armées d’opérations, les dépôts et unités à l’instruction :

1 894 000 hommes dont 1 038 000 dans les zones d’opérations et 856 000 dans les zones de l’intérieur.

Au moment de l’armistice, 42 divisions américaines sont sur le front ( 27 000 h chacune avec les services, soit le double d’une division française ).

4) Une installation en trois temps :

A) Les services de stockage ( le SOS ) :

a) Le problème du stockage est la priorité .

Les américains doivent débarquer matériel et approvisionnements à Nantes-St.Nazaire, les acheminer par des voies de communications fixes et limitées ( Bourges, Chaumont ) vers le front ( la Lorraine ).

Ils vont donc opter pour l’organisation suivante : 

  • la  construction d’immenses  « dépôts de base » dans les ports de débarquement
  • qui alimenteront de grands « dépôts intermédiaires » 

-  qui achemineront matériel et approvisionnements vers des « dépôts avancés »

-  qui  eux répondent aux besoins urgents des troupes, près des zones d’opérations.

La station-magasin de Gievres est un de ces « dépôts intermédiaires ».

b) La construction de Gievres : une ville-logistique de l’armée américaine :

6 septembre 1917, le préfet : « j’apprends par des réclamations qu’il y a des troupes américaines dans mon département, n’ayant été avisé par personne .. »

Pourtant durant l’été, experts militaires français et américains sillonnent la région à la recherche de sites appropriés.

Le 18 août, le site de Gievres est adopté pour l’installation de la station magasin. Le 15, Méhun l’avait été pour le dépôt de munitions.

C’est le 15e régiment du Génie qui supervise la réalisation.

Le 1e décembre, la voie ferrée est posée et les entrepôts achevés.

Une ville logistique sur un losange de 9 Km sur 3 avec : une immense usine frigorifique, des ateliers d’aviation, 600 000 tonnes stockés.

Son fonctionnement est assuré par 15 000 soldats, 500 officiers, 7200 civils logés dans 400 baraquements.

c )  La recherche des terrains ou « main basse sur .. » :

Le préfet : « les américains prennent possession des bois, des vignes, ils coupent et arrachent...le tout sans expertise, sans autorisation des propriétaires, sans avoir avisé aucune autorité militaire ou civile ».

L’armée américaine a besoin de beaucoup de terrains.

En théorie, ceux qui appartient à l’Etat et au département sont mis gratuitement à disposition.

Les terrains communaux sont loués.

Pour les particuliers, la réquisition n’intervient que si il n’y a pas entente. Il faut l’accord des autorités françaises.

Les occupations de terrains devaient donner lieu à indemnités... elles furent souvent très tardives.

Les témoignages sont nombreux sur les méthodes expéditives de l’armée américaine.

d) Une déforestation massive et spéculative

Les besoins en bois de l’armée américaine sont énormes.

C’est le Service Français du Bois qui va approvisionner l’armée américaine soit en cédant au plus juste prix des coupes dans les forêts domaniales ou communales, soit en achetant ou en réquisitionnant des forêts privées.

4 détachements de militaires américains spécialisés dits «  Forestiers » s’installeront dans les forêts de  Marchenoir, Russy, Maslives, Chaumont-sur-Tharonnre, Pruniers, Montrichard, etc.

Des centaines d’hectares de chênes furent abattues. Une partie des coupes était toujours sur place, non utilisée, à leur départ.

Le domaine forestier privé de la Sologne fut l’objet d’une intense spéculation avec des propriétés entières morcelées et vendues par lots.


e) La main d’œuvre : halte aux sur-salaires américains.

Les besoins des Américains en main d’œuvre civile sont d’autant plus importants qu’ils leur faut construire très vite leurs équipements.

Les entreprises françaises qui travaillent pour eux sont conduites à employer de plus en plus de salariés étrangers dont beaucoup de nos colonies, sous contrat avec l’autorité militaire française.

La Vallée du Cher devient ainsi terre d’immigration avec la présence, à Gievres, la présence de près de 2000 étrangers de plus de 10 nationalités parmi lesquels chinois et espagnols sont les plus nombreux.

Les américains payent nettement mieux les salariés pour se les attacher. Ceux-ci quittent donc les entreprises et vont travailler pour eux.

Le patronat local dénonce un débauchage et une concurrence déloyale !

Ses doléances répétées décideront le gouvernement à confier à l’autorité militaire française le recrutement et le niveau des rémunérations....qu’elle alignera par le bas sur les barèmes locaux !


f ) Une féminisation croissante d’emplois réputés masculins.

Ce fut un phénomène social majeur de la guerre14-18.

Il fut important dans notre zone durant la présence américaine.

Leurs besoins en main d’œuvre pousse à la féminisation du recrutement.

Il sera fait appel en particulier aux femmes réfugiées françaises et belges, à des femmes de la région parisienne : vernisseuses, polisseuses, ouvrières pour démonter des avions, etc.

Elles seront plusieurs centaines à la fin de la guerre.

Ces femmes sont payées aux tarifs locaux et inférieurs à ceux de leurs homologues hommes. Elles participent aux frais de leur nourriture et logement au camp.

Un règlement intérieur établi par l’armée française leur impose une austère vie de caserne !

Deux jours après l’Armistice, elles seront toutes licenciées.


B) Le service de Santé américain :

Il est imposant. Le projet global de l’armée américaine était une montée en charge pour une capacité de un million de lits.

Le système de santé est structuré sur des « Hôpitaux centraux » (Tours et Orléans); des «  Bases Hôpital  » et des « camps Hôpital », qui seront complétés au niveau de certains cantonnements par des sortes d’infirmeries régimentaires.

Ces hôpitaux sont plus modernes que les nôtres.

Ils bénéficient de technologies novatrices comme en radiologie et utilisent des traitements nouveaux.

Les médecins américains, très bien formés, acquièrent vite une réputation de compétence.

Ils soignent aussi la population civile avec une disponibilité appréciée.

Un généraliste de Montrichard fera signer une pétition pour faire interdire le recours aux médecins américains ! 

Il avait perdu sa clientèle ! Interdiction édictée.... et vite abandonnée !


a) Blois : la Base Hopital 43.

Il est organisé en janvier 1918. Ce fut d’abord le Camp Hopital 25.

Sa capacité est de 500 lits pour la maladie et 1000 pour la chirurgie, pouvant être doublée en cas d’urgence ou triplée si urgence absolue.

Les bâtiments sont dispersés dans toute la ville, fonctionnant de manière autonome.

Trois fois par semaine des cours sont  organisés pour les malades et blessés ( Histoire, Agriculture, etc). Le personnel visite la ville et les environs lors de ses repos.

Il y a une équipe de Base-Ball.

L’hôpital ferme le 20 janvier 1919 et rembarque le 21.

Il a soigné 9037 patients et compte 102 décès.

Cet hôpital se distingue par ses recherches sur les soins pour les victimes de gaz chimiques.

b) Pruniers : la base hopital 94.

Elle est installée  assez tard, le 7 novembre 1918.

Il a une capacité de 1000 lits, dans des baraquements en bois.

Une semaine après son ouverture, 539 patients sont déjà arrivés.

Le 10 février 1919, c’est le retour aux USA.

c / Montoire : la base Hopital inachevée.

En août 1918, prend corps un ambitieux projet à Montoire au nord de vendôme

Cette base hopital regrouperait en effet 10 hôpitaux, d’une capacité chacun de 1000 lits, dotés des technologies les plus récentes.

Les travaux démarrent  début septembre, avec un nombre croissant d’ouvriers en majorité étrangers.... 1200 en octobre.

L’armistice met un point final à la construction.

Rapport de gendarmerie : « les fondations en ciment armé commencent à sortir de terre ».


d ) Les camps hôpitaux :

A Gievres ( n° 43 ) : il est installé en novembre 1017.

Il comptera 24 baraques et 10 tentes, une salle de radiographie.

A Cour-Cheverny ( n°87 ) : il est installé le 1e octobre 1918 au Château de Chantreuil.

Il a une capacité de 100 lits.

& Romorantin ( n°37 ) : il est installé le 15 mars 1918. Il était logé dans une aile de l’école des filles. Des baraques accueillaient les malades contagieux.

2279 malades y furent soignés et 152 actes chirurgicaux pratiqués. Il sera transformé en infirmerie le 28 février 1918.

& Noyers : il est installé le 26 avril 1918. Il est constitué de 15 baraques et 480 lits. Il aura deux succursales : une à St.Aignan de 200 lits et une à Pontlevoy de 500 lits.


e) Les infirmeries régimentaires :

Elles sont installées dans un certain nombre de communes.

Elles sont des structures pour des soins légers, des maisons de convalescence et repos.

Citons à titre d’exemples celles installées : au Château de La Croix ( Villa Ariane ) à Monthou-sur-Cher, au Château de Vallagon à Bourré, dans l’Hospice à Montrichard, etc.

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f) La lutte contre la tuberculose : le Loir et Cher, un département expérimental :

C’est une dimension très positive de la présence de l’armée américaine.

La tuberculose faisait des ravages dans les tranchées et aussi à l’arrière.

C’est la Croix-Rouge américaine et la Fondation Rockefeller qui en seront les maîtres d’œuvre, avec l’accord du gouvernement français, à partir de 1916.

La Fondation fait du Loir et Cher un département d’expérimentation.

Le 22 novembre 1917, un dispensaire ouvre à Blois, puis deux autres le seront à Romorantin et Vendôme.

La Fondation imposera une méthode de lutte contre la maladie ( statistiques, prévention, suivi, information, etc ).

Des souscriptions sont organisées : la Croix-Rouge finançait au prorata du résultat ! 

La Fondation consacrera plus de 100 000 f pour 1918-19.

La Croix Rouge donne 150 000 f pour financer un pavillon pour les malades et les enfants tuberculeux.


C) Le cantonnement de la 41e Division ( 41e DIUS ) :

Le 27 novembre, Clemenceau autorise le cantonnement d’une division de dépôt américaine.

Pershing exigeait que la formation des recrues américaines se fasse sous commandement américain, dans des centres d’instructions divisionnaires.

Clemenceau choisit le site de Noyers.

La double mission de la 41e Division : après leurs évaluations au Centre de Sélection de Blois, assurer la formation des  nouvelles recrues et compléter divisions et régiments en soldats pour le front.

L’Etat-Major s’installe au Château de St. Aignan.

Des cantonnements sont établis dans la plupart des communes.

Les officiers logent dans les belles demeures locales.

La troupe chez l’habitant.

Les services d’intendance sont regroupés soit dans des baraquements, soit de grandes fermes.

Des associations américaines assurent les loisirs culturels des soldats.


III) Pour la population : les conséquences de la présence d’une armée étrangère, même amie.

A / L’armée américaine : un autre monde :

Les témoignages ( peu nombreux) convergent.

Dans nos communes, il y eut peu de rapports entre habitants et soldats, en dehors des enfants. ( chocolat, chewing-gum, etc ).

La langue et les différences culturelles, voire religieuses, furent des obstacles.

Les noirs faisaient peur.

L’armée américaine avait son organisation propre dans tous les domaines et sa Police.

Il y eut quelques mariages.

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B) Des activités générant des nuisances :

Il y a le bruit résultant du matériel, des chevaux, des tirs d’entraînement.

Les chemins sont défoncés : les comptes-rendus de conseil municipal, peu bavards sur la présence américaine portent, par contre, trace des doléances sur l’état des chemins en liaison avec leurs activités.

Les « trous à m... », indisposent par les odeurs dégagées.

La circulation est interdite dans leurs zones de tir et d’entraînement.

L’alimentation électrique des particuliers et des entreprises civiles est compromise.

Les américains utilisent l’essentiel du courant pour leurs besoins !

À Romorantin, la situation vire à la crise avec de graves conséquences ( pour l’hôpital, les moulins à farine, etc. ). Des ouvriers se retrouvent au chômage.

Un compromis sera trouvé dans une alimentation en courant à tour de rôle.


C) Un sentiment de « dépossession » foncière et immobilière :

Ce sera une quête incessante de locaux, terrains, matières premières.

Après les premières attributions, l’armée américaine en redemande.

En juin-Juillet 1918, le Préfet lance un vaste recensement des locaux publics, privés, commerciaux et industriels, encore disponibles.

Sont aussi recensés les locaux des ordres religieux contemplatifs.

Les réponses des maires indiquent qu’il en reste peu, notamment pour les écoles. 

Certains sont inutilisables, inchauffables,


a) Pour le service de santé :

La commission de  répartition peut encore proposer : le château de Ménard, le groupe scolaire de Ménard, l’école supérieure de filles, la Villa Montigny, une école primaire à Blois, le collège de jeunes filles de Vendôme, un hôpital complémentaire.

Tous les locaux publics on été attribués. 

Les Américains réclament les Haras de Blois : refus maintenu du ministère de l’Agriculture !

Le préfet  : « ... l’armée américaine a une tendance marquée à négliger les établissements d’enseignement privé ». Qui eux devaient être indemnisés !

Puis, à nouveau : «.. pour loger leurs blessés, j’ai dû partout donner des établissements scolaires au risque de compromettre leur prospérité ; pour loger leurs soldats, j’ai comprimé tous les services..pour leur en céder un maximum ».

Ce « pressing » américain s’inscrivait dans leur objectif de 1 million de lits cité plus haut.


b) pour les stockages :

Le 20 août 1918, le chef du SOS stationné à Tours, demande instamment au Préfet de prier les maires de recenser à nouveau tous les locaux qui peuvent accueillir des effets militaires, des vivres, du matériel ainsi que pour assurer le logement des soldats américains chargés de leur surveillance.

Le chef du SOS : « la nécessité pour la France... d’une armée américaine d’au moins 3 millions d’hommes. Or quand l’armée américaine en France aura été portée à ce chiffre, il lui faudra des dépôts pour garer tout ce qui est nécessaire à son bon fonctionnement ».

Le 2 septembre, le préfet : « donc tout mon département va être occupé : au Sud de la Loire, par les troupes actives ; au Nord de la Loire, par les dépôts de vivres, de munitions et d’effets ... que fait-on des réfugiés ? Ceux déjà arrivés, ceux qui vont arriver ? .... »


c ) pour le logement des soldats :

Ce sujet est très présent dans les témoignages.

Le maire de Busloup : «  ...peu d’habitants ont des chambres d’amis ou de réserve...presque tous les habitants n’ont qu’une seule pièce pour toute leur famille et n’ont pas de lits  disponibles ».

Aussi, ce sont souvent les granges, les hangars, les remises qui sont réquisitionnés.

On dénombre souvent 8 à 10 soldats américains logés dans ces chambrées improvisées.

Ces présence à domicile et promiscuité quotidiennes ne sont pas toujours bien vécues dans les communes concernées.


d ) pour les les défrichements et occupation des sols :

Les exemples abondent de comportements cavaliers de l’armée américaine.

Les officiers de base ignorent souvent les prescriptions de nos législations.

Ils passent à l’acte sans se soucier des procédures à suivre et pratiquent la politique du fait accompli.

Le mécontentement des ruraux est d’autant plus vif que les dédommagements financiers tarderont.

C’est notamment le cas pour les défrichements, l’arrachage des vignes et les déforestations nécessaires à la construction de leurs bâtiments.

C’est l’immobilisation des prairies, pacages, etc. et les dégâts dans les zones où ils s’entraînent ou travaillent.

Ainsi les polissoirs du néolithique à Monthou seront concassés en graviers !


D) La ponction sur la consommation locale : raréfaction et hausse des prix :

La présence de l’armée américaine va sensiblement aggraver la disponibilité de produits notamment alimentaires. 

Les prix vont flamber et pénaliser durement une population qui connaissait déjà une situation bien dégradée en 1917.

a) Les américains : un fort pouvoir d’achat :

La solde mensuelle d’un soldat est de 30 dollars, et de 105 pour grade le plus élevé dans le Génie.

Ils sont payés en dollars or ( 1 dollar = 5,60 f ) ou argent ( 1 dollar = 5,40 f ).

De plus, ils sont nourris, logés, habillés, cigarettes, 

etc.

Comparé aux salaires locaux, il dispose d’un pouvoir d’achat quasi illimité !

Le 3 mars 1918, le préfet : « je ne puis cependant vous dissimuler l’inquiétude que me cause l’alimentation américaine et ses répercussions sur la vie économique ...le pain, le lait, les œufs, les pommes de terre et en général les légumes disparaissent à vue d’œil .. »

Aussi, le préfet suggère au Général Alexander de créer pour ses soldats « des jardins potagers et élever des porcs avec leurs résidus ordinaires ... » !

b) Une vertigineuse hausse des prix :

Ces hausses de prix frappent aussi bien les américains  que la population.

Les autorités américaines protestent.

Le ministère de l’Intérieur diligente une enquête, et estime : «  que les hausses peuvent être attribuées pour partie à l’excédent de la demande sur l’offre et pour partie à la spéculation ».

Il donne consigne au préfet : « de maintenir à un taux normal les conditions économiques de la France.... et de faciliter le séjour des américains « .

Des mesures  sont prises notamment la fixation d’un prix plafond et des sanctions sont prévues.

Dans les faits, un commerce parallèle s’est installé notamment sur les marchés.

L’étude comparée des mercuriales et des PV de la Gendarmerie est édifiante.

Le décalitre de petits-pois est fixé à 2,25 f : il est vendu 6,25 f.

Le décalitre de pommes de terre est lui fixé à 2,50 f et vendu ....14,40 f.

Des mercanti déboulent sur le département pour vendre de tout aux américains à prix d’or !

Face à leur nombre, les maires devront réglementer leur stationnement.

En cet été 1918, l’exaspération de la population au regard des hausses de prix s’accentue.

Un PV de gendarmerie, parlant des commerçants : «  si vous continuez de travailler comme ça, les civils seront bientôt tous morts de faim ».


E) La prolifération des débits de boisson :

a ) Les débits officiels :

Les autorités militaires américaines ont prohibé la consommation d’alcool.

Il est donc interdit d’en vendre aux soldats. Mais cette interdiction ne porte pas sur le vin et la bière. 

La Vallée du Cher et ses coteaux est un pays viticole. Les débits de boisson vont proliférer.

En plus des existants, 183 débits sont ouverts dont 20 à Noyers, 13 à Pruniers, 8 à Thésée, 48 à Gievres, etc. 

Les dates d’ouverture sont concomitantes avec celles d’arrivée des soldats en cantonnement !

b) Les débits « officieux » :

Il y a les caves qui deviennent des débits officieux.

Il y a aussi la consommation chez l’habitant : les soldats faisaient « le plein » le soir chez leur logeur pour occuper leur soirée.

c) Le marché noir des alcools forts :

Il sera d’importance. 

Il porte essentiellement sur le cognac et le rhum.

Les tarifs sont usuraires : une bouteille de cognac se vend 18 f, une demi-bouteille de rhum 11 f.

Un PV de gendarmerie révèle qu’une commerçante en vend, suivant les mois, de 100 à 300 bouteilles !

Les cas d’ivresse se multiplient.

d)  Une méthode répressive bien rodée :

Le soldat pris en état d’ivresse est sommé de dire le lieu .

Un membre de la MP anonyme s’y rend pour acheter rhum ou cognac.

Si ça marche, il revient avec un responsable MP et un gendarme.

Si le commerçant nie avoir vendu de l’alcool, on lui ramène sous le nez le soldat acheteur !

Pour une vente illicite sanctionnée, le plus grand nombre ne le sera pas.

Pour le soldat, il relevait alors de la compétence de la Prévôté américaine.

F ) L’explosion de la prostitution : 

L’arrivée des soldats américains va mettre à mal l’institution provinciale des maisons closes symbolisées par « Le Vert Galant » à Blois et le « 42, Rue des Limousins » à Romorantin.

Le gouvernement s’alarme du développement des maladies vénériennes sur le front mais aussi dans les zones de l’arrière.

La lutte contre les maladies vénériennes devient crucial.

a) Deux conceptions différentes :

La française : le gouvernement veut relancer l’organisation des Bordels Militaires Contrôlés, notamment là où cantonnent les troupes américaines, pour juguler la progression.

L’américaine : Pershing considère que le moyen le plus sûr est d’interdire la prostitution. Des maisons closes ou des BMC ne constituent pas une garantie.


b) Une situation ubuesque :

Les autorités américaines prônent l’abstinence : un soldat contaminé est passible du Conseil de Guerre, l’officier qui aurait manqué de vigilance est lui démis de ses fonctions et renvoyé aux E.U.

La demande d’ouverture de maisons closes explose : 14 pour la Vallée du Cher en quelques semaines dont les candidats tenanciers s’engagent à financer régulièrement les œuvres sociales des communes.

Une maison ouverte est immédiatement consignée aux soldats américains.

Les maires protestent : ils pensaient lutter contre les maladies et recevoir de l’argent mais les maisons n’ont pas la clientèle espérée.

Les autorités civiles ne maîtrisent plus la pandémie car la prostitution clandestine est en plein essor.


c) Une prostitution multiforme :

Les PV de gendarmerie en dresse le tableau.

Prostituées professionnelles qui débarquent de toutes parts : font le tour des hôtels, des bars et s’installent pour des séjours.

Des femmes  se spécialisent dans le rabattage pour une prostitution chez les particuliers.

Il y a la prostitution familiale : les maris ou pères par rapport à épouses et filles.

Il y a une prostitution « sauvage » : rues sombres, bords de rivières, bois, maisons isolées, etc.

On trouvera même une ambulance aménagée pour le job !

Chaque cantonnement à son lieu spécialisé.

Le préfet « ....les prostituées pullulent... » 


d) Une coopération conflictuelle :

Les deux polices vont coopérer mais de manière conflictuelle.

Les enquêtes, les rafles se mènent de concert.

Devant chaque lieu « louche » stationne l’ambulance-désinfection pour soldats américains.

Devant chaque maison close, a été mis un planton américain pour surveiller les entrées.

Les Français refusent en effet d’accéder aux exigences des autorités américaines considérées comme attentatoires aux libertés individuelles et commerciales, comme :

-les visites domiciliaires de femmes soupçonnées de recevoir des américains chez elles.

-les entraves mises à l’activité des maisons closes pour les autres clients.


e) Une ambiance délétère :

Même si la prostitution n’est pas aussi étendue que l’apprécie le préfet, elle crée un climat délétère.

Les protestations de la population sont nombreuses.

Les dénonciations n’améliorent pas le climat général.

Les rapports de gendarmerie pointent une triste réalité : une bonne partie de la prostitution occasionnelle est le résultat de la pauvreté et du renchérissement de la vie.

Comme toujours dans ces situations, on assistera à des connivences entre officiers français et américains pour une pratique « en douce » de la prostitution comme au célèbre hôtel de l’Hermitage à Romorantin.

Un point mérite d’être souligné : les pouvoirs publics français ont initié à l’occasion une politique nationale de prévention des maladies vénériennes qui aura des suites.


G) Le renforcement de la surveillance :

 

La surveillance de l’opinion publique et la sécurité civile font l’objet d’une attention soutenue des pouvoirs publics depuis le début de la guerre.

a) Des raisons supplémentaires d’inquiétude :

Les événements de l’année 1917 décuplent les causes d’inquiétude :

Les mutineries des Poilus sur le Front qui s’ébruitent.

La révolution russe qui soulève des espoirs

Le syndicalisme qui se réactive.

La lassitude morale des populations face à  conflit sans fin.

Les mécontentements générés par les conditions de vie et les pénuries.

Et donc, en plus, la présence des troupes américaines avec son cortège de difficultés accrues.


b) Des risques accrus d’espionnage :

14 décembre 1917, le préfet : il analyse les opportunités d’espionnage qui s’offrent à l’ennemi dans « l’envahissement heureux de son département par l’armée américaine ».

Le Loir et Cher occupe de ce fait une place stratégique nouvelle dans le dispositif de guerre.

Les Allemands vont être preneurs de renseignement concernant le nombre et les mouvements,  des troupes américaines ainsi que la nature, la quantité et la qualité de leurs équipements notamment Gievres et Pruniers.

Des catégories sont jugées comme des viviers potentiels d’espions.

La main d’œuvre nombreuse d’origine étrangère, notamment les espagnols.

Les prostituées et tenanciers de maisons closes, voire d’hôtels, fraîchement débarqués.

Les mercanti et autres colporteurs.

Quant aux syndicalistes, ils sont eux suspects comme fauteurs de troubles de l’ordre public et comme responsables du défaitisme des travailleurs.


c) La lutte de compétence entre entre autorités françaises :

Le préfet multiplie les demandes de renforcement de ses moyens.

Il obtiendra enfin le 15 février 1918, la nomination du commissaire spécial Bauer qui sera affecté à Strasbourg après l’Armistice. Il abattra un travail colossal dans ce cours laps de temp.

Mais une féroce lutte de compétence oppose autorités civiles et militaires françaises. 

En effet, l’Armée avait perdu ses missions de contre-espionnage après l’Affaire Dreyfus, au bénéfice du ministère de l’Intérieur, donc des préfets dans les départements.

L’armée est en train de reconstituer ses services de renseignements.

Le commissaire Bauer reçoit donc des instructions aussi du Bureau Central de Renseignement de la 5e Région Militaire. Le BCR entend en faire un simple exécutant de ses seules décisions.

Les conflits seront si forts, et la résistance du commissaire si affirmée, que l’Armée réclamera le départ de Bauer.

30 septembre 1918, le préfet répond : «  occupez-vous de ce qui vous regarde ... je ne sacrifierai jamais Bauer ».

d) La lutte de compétence entre autorités civiles françaises et militaires américaines :

Pour l’armée américaine, c’est l’Intelligence Service ( I.S ) qui est compétent.

Ils sont installés à Tours, avec des services  à Blois.

L’attelage des deux services du BCR et de l’IC fonctionne assez bien car unis sur une conviction : les militaires doivent s’occuper des renseignements et du contre-espionnage et non les civils.

Les heurts avec Bauer seront fréquents et houleux, et les doléances américaines relayées par le BCR.

Septembre1918, le BCR sur Bauer : « il s’est départi dans ses rapports avec les autorités  américaines de la courtoisie qui aurait convenu ».

En effet, dans ses rapports, Bauer dénonce le non respect par l’IS des règles françaises.

Ils se comportent comme chez eux, transplantant leur contexte national.

Il souligne leur précipitation, leur excès de zèle à la limite de la brutalité.

Les pratiques de l’IS heurtent la déontologie professionnelle de Bauer, formé aux conceptions de la Direction Générale de la Sûreté Nationale, de l’après période Dreyfus et Boulanger, sorte de « police politique républicaine »


CONCLUSION :

Je n’ai pas évoquer tous les sujets : hygiènes, accidents, rixes, vols, espionnage et notamment la liquidation des différents camps. etc…..

Serge Brunet, professeur d’histoire moderne à l’université de Montpellier a écrit : « Comme à la suite de toute guerre civile, amnistie et amnésie suivent le devoir d’oubli inscrit dans la paix ». 

Certes il ne s’agit pas de guerre de religion, mais …

Pendant un temps court,  16 mois environ, un petit territoire a vu passer 500 000 homes en armes, plusieurs milliers de travailleuses et de travailleurs représentant plus de 10 nationalités, 5000 réfugiés sur les 12500 que compte le Loir et Cher, comparé aux 271 231 habitants recensés en 1911.

Pendant un temps court, la Vallée du Cher a vécu au rythme de la vie des casernements et elle fut une immense ville de garnison.

Ce fut un choc de culture, technologique et social.

Certaines et certains, parmi la population en ont tiré des profits plus ou moins importants, d’autres, ont vu leur quotidien difficile, surchargé par la présence envahissante de l’armée américaine. 

Ils ont, tant bien que mal cohabité avec les « hommes venus d’Amérique »;

Dans ces conditions ont peut comprendre que l’amnésie ait suivi le devoir d’oubli.