Chapitre VII

Le courant électrique en alternance !

A partir de février 1918, durant plusieurs mois, l’approvisionnement en électricité de Romorantin et ses environs, Gièvres et Pruniers notamment, rencontre de grandes difficultés.

Les coupures de longues durées sont nombreuses.

Les causes sont multiples : le manque de houille, de main d’oeuvre, un réseau fatigué et surchargé qui ne peut assurer le service des clients habituels des compagnies électriques, et les services américains de Gièvres et Pruniers.

« La mine est la première des usines de guerre ».

Sans houille, pas de courant électrique, pas d’activité industrielle, pas de chauffage et d’eau potable pour les grandes villes du département.

La houille conditionne pour partie la vie collective, l’activité industrielle et le battage agricole.

C’est aussi un produit de consommation courante.

Dès décembre 1914, le gouvernement avait organisé l’approvisionnement des chemins de fer, des industries et des particuliers. Les systèmes adoptés pour cela, furent adaptés au fur et à mesure de l’évolution de la guerre.

L’approvisionnement en charbon était une des préoccupations majeures des pouvoirs publics et des élus territoriaux.

La guerre se continuant, le charbon devenait un enjeu stratégique.

En janvier 1917 Edouard Herriot, Ministre des Travaux Publics, déclarait devant des députés :

« … la question du charbon supporte toute la guerre, car celle-ci est une guerre industrielle…la mine est la première des usines de guerre ».

Le charbon fut controlé de sa production à sa répartition, par l’Etat.

En Septembre 1917, le contrôle devenait systématique.

La répartition décentralisée du charbon.

Le système « Loucheur », Sous - Secrétaire d’Etat aux fabrications de guerre, en charge de la répartition du charbon, institua un mode de répartition à deux niveaux, par Bureau National du Charbon : des « collectivités » et des groupements. Après les difficultés rencontrées les années précédentes, l’organisation « Loucheur » est considérée comme la plus aboutie.

Les différentes catégories de consommateurs sont rassemblées dans sept « collectivités ».

Elles constituent le premier niveau.

Elles sont des intermédiaires entre les consommateurs et le Bureau National des Charbons.

  • La première collectivité est chargés d’alimenter les foyers domestiques et les administrations publiques du département. Sont compris dans cette rubrique les mairies, les bureaux de bienfaisance, les écoles municipales, les hôpitaux ou hospices publics, les théâtres municipaux, les tramways urbains, ainsi que des établissements d’État comme les lycées, les prisons, les musées, les édifices culturels... Enfin, cette collectivité regroupe aussi les petits consommateurs, c’est-à-dire la petite et moyenne industrie, le petit et moyen commerce et les professions libérales. À partir du 1er mars 1918, elle est chargée également des charbons destinés aux battages. Elle est dirigée par le Préfet.
  • La deuxième collectivité rassemble les usines à gaz et d’électricité
  •  La troisième comprend les chemins de fer.
  • la quatrième regroupe les usines dépendant du ministère de l’Armement. Il s’agit des établissements d’artillerie et des poudres, ainsi que des Groupements des Industriels de l’Armement (GIA). Les GIA approvisionnent les industriels de la métallurgie, de l’automobile, de l’aéronautique,des poudres, de la marine, de la chimie et du Génie travaillant pour les services de Fabrications de Guerre.
  • La cinquième collectivité est formée des services de l’Intendance. Elle regroupe les besoins des armées combattantes et des dépôts, du service de Santé et des établissements qui les fournissent, réunis eux-mêmes au sein de Groupements des industriels de l’Intendance et du Service de Santé.
  • La sixième collectivité concerne les « Services de navigation ». Elle comprend en réalité les besoins en charbon de soute des services de navigation maritime, et les besoins de consommateurs contrôlés par le ministère des Travaux publics : grues des ports maritimes, remorqueurs pour la navigation intérieure, les routes militaires…
  • la septième, est composée par les Chambres de Commerce. Elles répartissent le charbon destiné à la grande industrie (entreprises consommant plus de vingt tonnes de charbon par mois) et à la moyenne industrie (dont la consommation mensuelle est comprise entre une et vingt tonnes).


Au deuxième niveau, chacune des sept collectivités est divisée en « groupements », qui rassemblent les consommateurs de chacune d’elle au sein d’une circonscription territoriale dont le nombre et les contours varient.

A titre d’exemple, le département constitue ainsi la circonscription au sein de laquelle est distribué le charbon destiné aux consommateurs de la première collectivité.

L’usine électrique de Boutet (Châtres) est, elle, approvisionnée par le groupement de Vierzon.

Un tel système permet un approvisionnement décentralisé.

Le charbon consommé dans le département provient des mines du Bourbonnais. Il est livré par train. Il est de moins bonne qualité que le charbon anglais bien plus cher. Il est d’ailleurs réservé aux industriels qui peuvent en payer le prix.

Le charbon anglais est livré par voies maritimes, puis par chemins de fer depuis les ports de Dieppe et de Bordeaux.

Les ports sont fortement encombrés, le déchargement est ralenti.

La crise des chemins de fer est aiguë. Le manque de wagons se fait cruellement sentir.

Les livraisons sont donc soumises aux aléas du transport en période de guerre.

Dans le Loir et Cher, si l’industrie dispose de 2 à 3 mois de stock pour fonctionner, il n’en est pas de même pour les particuliers.

Ils sont confrontés à la fois aux difficultés pour en trouver et à l’augmentation des prix.

Les difficultés du transport accentuent la rareté du produit et facilitent spéculations et hausses des prix.

Le charbon est un produit cher.
 « le charbon devient introuvable » indique le Préfet. « (…) « je vis au jour le jour, sans avoir un stock important devant moi, toujours à la merci d’un retard de train ou d’un manque de wagons dans les gares expéditrices » (…) « je n’ai pas jusqu’alors d’usine fermée, ce qui d’ailleurs peut se produire du jour au lendemain ».

La pénurie de charbon et son prix élevé seront des arguments mis en avant par les compagnies électriques et gazières pour demander aux collectivités territoriales une augmentation des prix de l’électricité et du gaz.

Les conseils municipaux de Blois et de Vendôme refuseront les augmentations de tarifs demandées !

Les restrictions de chauffage, d’eau, de gaz sont organisées tout au long de l’année 1917. Elles se poursuivront en 1918 et après.

L’organisation de la distribution électrique.

A la veille de la guerre, le réseau électrique était au début de son développement.

Au 31 décembre 1912, le réseau électrique qu’il soit sous le régime de la concession d’Etat ou sous celui de la permission de voirie est embryonnaire.

Le nombre de concessionnaires était de 14, 13 possédant des lignes en service, et sur les 53 concessions communales, seulement 33 fonctionnaient.

La longueur des canalisations d’exploitation était de 279 kilomètres.

Les grandes villes du département, Blois, Romorantin, Vendôme, étaient alimentées en électricité.

Le développement se faisait à partir de la ville, notamment Blois.

Montrichard, était alimenté par « l’Electrique de Loir et Cher ».

La délibération de son Conseil Municipal de juin 1918, nous renseigne sur le comportement des fournisseurs d’énergie électrique.

En effet, à l’occasion de cette réunion « le maire donne lecture d’une lettre de l’Electrique de Loir et Cher en date du 10 juin 1918 relative à l’éclairage électrique ». Il y est question d’ « échange de compteurs, de majoration du prix du courant pour hausse du charbon » Le Conseil « n’étant pas suffisamment éclairé par les termes même de la lettre, décide de renvoyer à une date ultérieure pour complément de renseignements ». Le Conseil Municipal « demande tout d’abord que la société soit tenue de rétablir immédiatement et partout le courant (abonnés et ville) et maintienne le prix qui a été payé jusqu’à présent pour les lampes municipales ».

« L’électrique de Loir et Cher », était une usine thermique installée aux Montlis. Elle produisait et vendait de l’électricité. La compagnie des Tramways de Loir et Cher était, aussi, l’un de ses clients.  

Montrichard connaissait donc la « Fée Electricité », mais pas Monthou sur Cher. Les communes environnantes étaient dans une situation similaires.

Amener la « Fée électricité » dans les 297 communes du département relève toujours du rêve.

Parmi les fournisseurs d’énergie électrique, La Compagnie Générale du Sud-Ouest joue un rôle central. Elle est installée à Blois, produit l’électricité. Elle alimente entre autres, Blois. Une autre usine, celle de Boutet (à proximité du Moulin de Boutet) à Châtres-sur-Cher concourt à l’alimentation électrique de la zone géographique proche de Romorantin.

La Cie du Gaz et des Eaux de Romorantin, « La Sologne » est à la fois cliente de l’usine de de La Cie générale, pour ses propres besoins, c’est-à-dire la fabrication et la distribution du Gaz. Elle alimente en électricité une partie de la Sologne.

Les Américains, sont branchés sur le transformateur de Gièvres, maillon du réseau de la Cie Générale. Ils disposent de leur propre système de distribution interne.

Mais en février 1918, un incident technique survient sur un des transformateurs de l’usine de production électrique située à Blois.

Il est nécessaire, de procéder à des réparations sur ce transformateur ainsi que sur la ligne qui transporte le courant de Blois jusqu’au transformateur de Gièvres .

Jusqu’à l’été 1918, le transport de l’électricité sera chaotique et les coupures seront fréquentes.

La solution envisagée était de faire la jonction entre le réseau de Cie Générale et celui de la compagnie « La Sologne ».

Pendant l’été 1918, les travaux sont en cours. Un nouvel incident sur le réseau les retarde à nouveau. Ils dureront plus longtemps que prévu.

C’est alors que les Américains amplifient leur consommation électrique.

Le réseau ne peut supporter la surcharge.

Il ne peut assurer le service des industriels, de la ville de Romorantin, des camps Américains, du camps de Prunier en particulier, ainsi que la Compagnie « La Sologne ».


Le Directeur de la Compagnie « La Sologne », Monsieur Buisson se positionne en intermédiaire entre la Cie Générale et les Américains. En effet, « La Sologne » est à la fois cliente et fournisseur.

Il contacte un certain Génicot, Directeur et Ingénieur de la Cie Générale du Sud-Ouest pour s’informer de la réalité de la situation.

Mr Génicot est un personnage très controversé. Il a une très mauvaise réputation dans le département et cela, depuis le début de la guerre.

Il fait l’objet de campagnes de presse malveillantes.

Il est soupçonné d’être un « espion » à la solde de l’ennemi.

Il a été l’objet d’une enquête des services du Commissaire Bauer qui ne prouvera rien.

Car il a eu la mauvaise idée de dire haut et fort qu’il avait fait ses études à Zurich et de vanter les mérites du matériel électrique allemand !

A cette époque, il n’en fallait pas plus pour être suspect.

La rumeur publique va bon train..

Ses relations avec les autorités civiles, notamment le Sous-Prefet de Romorantin sont tendues.

Donc, Monsieur Buisson, interroge Monsieur Génicot sur la situation et les remèdes qu’il convient d’apporter.

Le 5 aout 1918, Mr Génicot fournit trois éléments pour expliquer la situation :

- le premier, le manque de charbon. L’usine de Boutet, « dont les machines hydrauliques ne peuvent produire que 30 à 40 kilowatts », ne peut assurer le service. Il lui faut impérativement et immédiatement 20 tonnes de briquettes de charbon pour produire le courant électrique. Il laisse entendre que le Sous-Préfet de Romorantin a fait preuve de négligence dans l’organisation de l’approvisionnement et qu’il refuse d’intervenir pour que le charbon soit livré.

- deuxième élément, il indique que c’est « sur la demande des américains nous avons coupé le poste de Romorantin pour fournir les besoins du camp de Pruniers en ce moment ». Selon Mr Génicot, si les industriels ont été contraints d’arrêter la production, la responsabilité en incombe aux autorités militaires américaines.

- troisième élément, celui-ci est technique : « Samedi, quant nous avons mis le courant sur la ligne jusqu’au poste de Gièvres, l’armée américaine en branchant le courant sur ses lignes particulières, nous a fait disjoncter le réseau et a détérioré légèrement un des des deux transformateurs de notre poste principal de Blois, par suite d’un court circuit franc sur leur installation à eux ». 

Monsieur Buisson fait au Sous-Préfet de Romorantin, un compte rendu de sa discussion avec Génicot.

En technicien, il en est arrivé à la conclusion « qu’il est absolument impossible de fournir simultanément le courant nécessaire aux industries (…) et aux formations américaines avec les moyens que nous avons, tant que la jonction de notre réseau avec celui de Blois n’est pas un fait accompli ».

Dans une lettre qu’il adresse au Sous-Préfet de Romorantin il lui propose d’organiser la distribution du courant de la façon suivante :

  • Les usines de Romoratin, Monteux, Aubin, Vimont, Linzeler, Maillols, Reynaud, seront fournies le jour, de 7 h 30 à 18 h 30, avec arrêt habituel pendant les repas.
  • Les minotiers utiliseront le courant jour et nuit à l’exception des heures de déjeuner et du repas de 19 h à 22 h 30.
  • Les américains utiliseront la puissance électrique, déduction faite de celle nécessaire pour l’éclairage public et les boulangeries, toute la nuit.

Selon le Directeur Buisson, un délai de 15 jours est suffisant pour réaliser la jonction entre l’usine productrice et sa compagnie « La Sologne ».

Le Directeur Buisson précise que « l’Aviation Américaine consent à laisser utiliser la production totale de l’usine par les industriels pendant la journée ».

Mais dans l’immédiat, il y a une urgence.

Celle de fournir 20 tonnes de briquettes à l’usine de Boutet pour faire la jonction avec la prochaine livraison du « groupement charbonnier » de Vierzon, ou de réaliser le raccord avec le réseau des Montils.

Sans cela elle cessera de produire d’ici à 3 jours.


Les « chauffeurs » disjonctent

La compagnie de Monsieur Buisson, « La Sologne » fournit l’éclairage et le chauffage domestique et industriel, mais aussi l’eau potable.

Du jour au lendemain, elle est privée de ses 4 chauffeurs.

Sans chauffeurs, les chaudières ne sont plus alimentées, l’usine ne fonctionne pas.

Ce problème de main d’oeuvre intervient dans la deuxième quinzaine d’août.

Il fait chaud !

La distribution d’eau potable est un impérieux besoin de santé publique.

D’autant que tous les anciens puits ne sont plus en état de fonctionner et, le Sous-Préfet le précise, ils sont « contaminés ».

Le Sous-Préfet, toutes affaires cessantes s’adresse, via le Lieutenant Desouches, interprète près l’armée américaine, au Major Summer. Il lui demande la mise à disposition de la compagnie « La Sologne » de 2 chauffeurs. Avec les deux fournis par l’armée française, l’usine retrouvera ses 4 chauffeurs le temps, pour Monsieur Buisson d’embaucher du personnel.

Le Major américain répond positivement et met 4 hommes à la dispositions de l’usine. Il offre les salaires de ces soldats à la caisse de secours pour les prisonniers.

Le Lieutenant Desouches, conformément à la responsabilité qui a été confiée à l’armée française propose à Mr Buisson, un chauffeur et deux aides avec un contrat de travail pour les 3 hommes.

Buisson les refuse. Surprise du Lieutenant.

Le motif ? Les salaires demandés par les travailleurs sont trop élevés !

Le Lieutenant s’adresse au Sous-Préfet.

Il le presse de faire entendre raison au Directeur de « La Sologne ».

Car selon lui, il n’ y a « Rien d’exagéré dans la demande des ouvriers ».

Les salaires demandés par le chauffeur et ses aides sont respectivement de 300 et 250 fr mensuels plus un hectolitre de coke par semaine toute l’année.

Avant d’en accepter le montant, le Lieutenant Desouches s’est renseigné auprès des Etablissements Normant.

Chez Normant, les salaires des chauffeurs varient de 0,9O à 1,10 fr de l’heure, écrit -il au Sous-Préfet.

Le Directeur Buisson n’accepte de payer que 225 fr mensuels.

Le Lieutenant accuse « La Sologne » de ne pas payer suffisamment ses chauffeurs.

Une polémique s’engage entre le Directeur de « La Sologne » et le Lieutenant par Sous-Préfet interposé.

Le Directeur de la Sologne répond au Sou-Préfet :

« J’ai interrogé le comptable de Etablissement Normant. 4 chauffeurs y sont payés avec des salaires de 0,60 fr, soit 230 fr. mensuels et les 10 autres avec un salaire de 215 fr. mensuels. »

Donc il considère que son offre de 225 fr mensuels est une « bonne offre ».

Et, il rajoute, « nous considérons que la discussion des salaires et leur formation doit être réglée directement entre l’ouvrier et nous, en tenant compte du travail produit ; nous avons donc lieu d’être surpris de la méthode employée par le Lieutenant Desouches qui ne saurait donner de bons résultats ».

La remarque est savoureuse, car le patronat local avait refusé aux autorités américaines ce qu’il s’autorise, c’est -à-dire de régler directement le salaire avec les ouvriers. Il avait obtenu que le recrutement soit effectué par le biais de l’armée française et que les salaires soient fixés par comparaison avec les pratiques locales.

Ce que le Lieutenant Desouches affirme avoir fait.

Malgré les risques sanitaire encourus, le Directeur ne perd pas de vue les dividendes de sa compagnie.

Le Lieutenant Desouches fera d’autres propositions. Nous en ignorons le contenu et le résultat.

Mais, il se fait menaçant et renvoie une fois de plus la solution du problème au Sous-Préfet :

« Les services américains comptent sur vous pour obtenir par tous les moyens de droit que les services du gaz et de l’eau ne soient pas arrêtés, ce qui mettrait leur hôpital N° 37 dans une situation très critique ».

Pendant ces échanges épistolaires d’amabilités, les soldats américains et français travaillent pour « La Sologne ».

Et les difficultés d’alimentation électrique continuent :

Le 1er septembre, une délégation, composée de Mr. SONNIER, meunier du Moulin des Quatre - Roues, (c’est un moulin électrique), et de Messieurs Aubin et Maillols, présente au Sous-Préfet une pétition signée par les industriels.

Le texte de la pétition qualifie la situation de « sérieuse ».

Les difficultés durent depuis plusieurs semaines.

Les entreprises, faute d’énergie suffisante, sont contraintes à des arrêts de travail très fréquents.

Les journées de chômage s’ajoutent les unes aux autres. Les salariés sont mécontents.

Les 3 pétitionnaires exigent du Préfet une réunion dans son bureau le 14 septembre.

Pour résoudre les difficultés, ils proposent la réquisition du réseau ou que des changements radicaux dans l’administrations de la Cie Générale du Sud-Ouest qui, selon eux ne fait pas son travail.

Mr Génicot est à nouveau sur la sellette.

Pour les Américains, leur réseau est hors de cause.

Le 9 septembre, les Américains répondent aux affirmations de Buisson mettant en cause leur réseau.

Selon eux, « leur réseau » est en parfaite état. Les perturbations proviennent des isolateurs qui sont détériorés et que « La Sologne » n’a pas remplacé.

Et, péremptoires, ils affirment : « Il vous suffit donc pour éviter les ennuis dont vous avez à vous plaindre, que vous fassiez les réparations qui vous incombent. Il n’y a donc pas lieu d’incriminer en quoi que se soit les services américains ».

Le 10 septembre, le Directeur de « La Sologne » répond.

Il argumente sur le plan technique.

Il précise que sa Compagnie est une entreprise « permissionnaire de voirie ».

Elle s’alimente à la même source d’énergie que les camps américains.

Tous deux ont donc un intérêt commun, celui de remédier ensemble à une situation préjudiciable pour la Défense Nationale,.

Il est impératif de rétablir la continuité dans la fourniture d’électricité aux entreprises de Romorantin et aux formations américaines.

« La Sologne » a demandé a ses techniciens de procéder à une analyse technique de la situation.

L’analyse technique fait ressortir que, dans l’attente de la réparation des conséquences de l’incident survenu sur l’un de ses transformateurs de Blois, la Cie Générale du Sud-Ouest a fait le nécessaire pour amener le courant sur les lignes de « La Sologne ».  

Le courant arrive régulièrement au transformateur général de Gièvres.

Par contre, la distribution, depuis ce transformateur, est très mauvaise.

Lorsque le secteur américains est hors circuit, la tension sur les lignes de « La Sologne » est normale. Le changement est radical lorsque le secteur américain est branché.

Cette anomalie peut avoir deux causes : soit des court-circuits sur le réseau américain , soit la mise en parallèle de stations de secours avec une mauvaise synchronisation.

Les isolateurs cassés, ne sont pas la cause des ennuis. « Il suffit pour s’en rendre compte de mettre en service la ligne des Quatre-Roues jusqu’au moulin Sommier en coupant celle du camp », pour constater que le courant passe.

Autre constat, la formation d’un arc électrique important sur la ligne haute tension près du transformateur.

Enfin, les à-coups répétés de tension électrique ont grillé le transformateur qui alimente Villefranche et endommagé le poste principal de Gièvres.

Fort de cette analyse, le Directeur demande la tenue d’une conférence réunissant les parties intéressées.

Les Américains acceptent de participer à la conférence prévue pour le 21 septembre.

Ils désignent le Lieutenant Averbarch pour y participer. Celui-ci dirige le service de distribution de l’énergie du camp de Gièvres.

Implicitement, ils reconnaissent leur part de responsabilité dans les ennuis électriques.

Un coupable tout désigné : la Compagnie Générale du Sud-Ouest.

Les industriels accentuent leur pression sur le Sous-Préfet.

Ils lui remettent un nouveau document détaillant la gravité de la situation et insistant sur l’urgence de trouver des solutions.

Dans ce document, ils insistent à nouveau sur les idée de réquisition du réseau ou bien de changement dans la direction

Le 11 septembre, le Sous-Préfet s’adresse au Préfet de Loir et Cher. Il présente les exigences des industriels, qu’il semble partager et de plus propose de faire examiner le réseau par l’Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées.

Sa démarche ressemble, au delà de sa volonté de résoudre ces incidents dommageables pour tous, à un règlement de compte avec Génicot.

En effet, le même jour, il proteste auprès du Préfet contre les propos de Génicot qui l’avait désigné, lui, comme étant le responsable du manque de charbon, et les américains comme étant responsables des incidents techniques survenus sur le réseau.

Je n’ai pas trouvé trace des résultats de la conférence technique qui devait résoudre les questions techniques et rétablir le courant.

Ce qui est sûr, c’est que la situation n’est pas totalement rétablie.

En effet le 7 octobre, le Préfet s’inquiète auprès du Sous-Préfet de l’activité de « La Sologne ».

il s’interroge. Est-elle en activité ou non ? Assure -t-elle régulièrement son service?

Le Sous-Préfet répond clairement que l’entreprise est sur le point d’arrêter sa « faible activité », faute de charbon.

Pour l’instant, elle se contente de baisser la pression, ainsi les usines, elles, s’arrêtent !

Mais elle assume régulièrement l’approvisionnement de l’usine Labbé. Cette usine travaille pour l’armement.

Le 10 octobre, nouvelle lettre du Sous-Préfet, le courant est à nouveau interrompu à Romorantin depuis deux jours.

Les ouvriers sont en chômage et leur mécontentement croît.

La réquisition du réseau est à nouveau agitée.

Selon l’Ingénieur des Pont et Chaussées, la réquisition est possible en s’appuyant sur le fait que des entreprises travaillent directement pour la défense nationale.

Cette possibilité est présentée comme étant susceptible de faire agir la Cie électrique, car les sanctions sont lourdes.

Le Sous-Préfet invite les industriels à intervenir auprès de la sous-intendance de la 5 e Région pour aboutir à la réquisition du réseau pour ces entreprises. « En fait, comme tout le réseau se tient, si la Compagnie donne du courant à ces différents fournisseurs de l’armée, 

les autres consommateurs en auront ».

La blanchisserie de l’Hospice …à l’arrêt !

Le Maire de Romorantin, à son tour, s’inquiète. Il le fait savoir le 14 octobre,

Il préside la Commission Administrative de l’Hospice de Romorantin.

Le manque de courant a occasionné l’arrêt de la blanchisserie de l’Hospice depuis le 3 octobre.

Les différents moteurs ont été détériorés par les coupures successives.

Faute de main d’oeuvre compétente, il n’est pas possible d’assurer leurs réparations.

Le linge n’a pas été changé.

Et il n y a jamais eu autant de malades dans l’établissement !

L’éclairage de l’hôpital est aussi interrompu. L’armée, car il s’agit d’une hôpital mixte, ne manquera pas de porter de véhémentes réclamations.

Après l’Armistice, la situation n’est toujours pas totalement rétablie.

Au début de l’année1919, la Cie Générale du Sud-Ouest est encore en difficulté pour assurer son service, faute des quantités nécessaires de charbon.

L’armée américaines est dans l’obligation de lui fournir 10 tonnes par jour pour qu’elle assure ses besoins, l’alimentation en eau, l’éclairage des hôpitaux et des services américains.


Un Chômage « technique » aggravé :

Les baisses de la tension électrique et de la pression du gaz ont provoqué des arrêts successifs de l’activité industrielle.

Les usines textiles furent particulièrement concernées. Les chemiseries notamment.

Les chemiseries Vimont et Monteux ont fourni, au Sous-Préfet, des relevés du nombre d’heures chômées.

Dans les usines Monteux, pour la période du 22 au 31 août 1918, 37 heures par jour ont été chômées. Les salaires horaires perdus par les ouvriers varient entre 6, 60 f et 5, 50 fr.

Chez Vimont, pour la même période, ce sont 45 heures de chômage qui sont comptabilisées. Les pertes de salaires horaires varient entre 5, 50 f 

et 4, 90 fr.

Sur l’ensemble de la période, du 8 juillet au 31 décembre 1918, les ouvrières et ouvriers de l’usine Vimont ont chômé 381 heures, celles et ceux de Monteux, 417 heures.

Les pertes de salaires ont été conséquentes.

Ces périodes de « chômage technique » se poursuivent en 1919.


La situation du Réseau de Loir et Cher n’est pas exceptionnelle.

En 1918, 20% seulement des 38 104 communes de France étaient branchées.

Il faut attendre 1923, pour que le Conseil Général du département décide d’un plan d’électrification des communes rurales. La concrétisation de ce plan dura plusieurs années.

La guerre avait stoppé net son extension ainsi que le développement de ses potentialité techniques.

Le manque de main d’oeuvre et de matériel de rechange ont rendu difficile son entretien.

L’insuffisance de charbon, les coupures diverses, les variations de tension, l’ont usé.

En 1918, ce réseau est vraisemblablement « à la peine ».

Il ne peut répondre aux exigences industrielles de la guerre et dans le même temps accepter la surcharge Américaine.

Le réseau est en rupture à maintes reprises.

La Compagnie Générale du Sud-Ouest a-t-elle rempli toutes ses obligations ? Son comportement n’est certainement pas exempt de tous reproches mais il est impossible de répondre à cette interrogation.

Ce qui par contre est certain, c’est que les populations après avoir découvert le confort de la « Fée Electricité » ont été dans l’obligation de revenir souvent à l’utilisation de l’essence de pétrole, elle même rationnée.

Les lampadaires de la ville se sont éteints, la plongeant dans l’obscurité.

Les autorités civiles étaient au bord de la crise avec l’armée Américaine et les usines à l’arrêt débauchèrent leurs salariés.


Sources :  
  • Archives Départementales de Loir et Cher :
    • série 8 RV 3, les Américains.
    • série Z, 1 Z 431 Les américains, sous- préfecture Romorantin,

    Pierre CHANCEREL, Le Marché du charbon en France pendant la Première Guerre mondiale (1914-1921 UNIVERSITE PARIS OUEST, École doctorale Économie, Organisations, Société, Doctorat d’histoire.

    Sites Web :

    Chaumont au Fil du Temps http://chaumontaufildutemps.over-blog.com/article-le-tramway-electrique-63357724.html