26 décembre 1943…..

Juliette RUBY de Bourré : une victime oubliée de l’Occupation.

En rédigeant ce petit article, je n’ai cessé de penser à l’écrasante majorité des habitants de nos communes des siècles passés dont le passage en ce bas monde se résumait aux actes de naissance, de mariage et de décès sur les registres paroissiaux, car leur vie n’était faite que de labeur et de misère ne laissant que peu de traces dans les archives.

Juliette Ruby semble bien s’inscrire dans la poursuite de ce qu’étaient encore certaines caractéristiques sociales de nos communes en ce milieu de XXe siècle.

C’était la fille naturelle de Léocadie Ruby, une journalière de 37 ans.

Il y avait un nombre significatif d’enfants naturels, résultant des rapports de domination des employeurs sur les filles de fermes ou d’usines.

Sa grand-mère qui la déclare, Rose Jousset, veuve Ruby, âgée de 70 ans, est elle-même journalière. Elle ne sait pas signer son nom.

L’illettrisme, notamment chez les filles, était encore très présent.

Juliette épouse à Bourré, le 28 octobre 1913, François Marie Péron dont elle divorce le 10 juin 1921.

Ce qui, par contre, était loin d’être une pratique courante. D’autant que les règles très restrictives pour pouvoir divorcer signifient que le motif devait être grave.

Deux enfants naîtront dont l’un se trouvait dans une maison de santé.

Au moment des évènements, Juliette a donc 56 ans.

Juliette Ruby est elle aussi journalière, travaillant à l’usine de conserves de champignons « Lazeran », à Bourré.

On dirait de nos jours qu’elle appartenait à un milieu défavorisé.

Le soir du 26 décembre 1943, elle « revenait du lait » et s’était attardée dans une ferme voisine, chez des amis, pour prendre son repas.

Elle devait être à pied ou à vélo.

Vers 24 heures, « elle a été tuée par quatre balles de fusil par une sentinelle allemande alors qu’elle passait à proximité d’un dépôt d’essence situé dans la forêt de Montrichard, à l’intersection des routes 764 et 62 au lieu dit la Fosse Richoux ».

Car suivant la formule consacrée « elle n’aurait pas obtempéré aux sommations d’usage ».

Ainsi est rapportée au Préfet et au Directeur des Renseignements Généraux, l’exécution de Juliette Ruby, par le Commissaire de Police de Blois, chargé des Renseignements Généraux, le 27 décembre 1943.

Son rapport a été écrit sur la base d’un rapport sur site de la gendarmerie de Montrichard.

Une note manuscrite, mais hélas non datée, de la mairie de Bourré nous est parvenue.

Elle contient des précisions qui ont dû lui être données par les gendarmes locaux à qui elle avait dû communiquer les informations d’Etat-Civil.

Ainsi, il est indiqué qu’il s’agissait « d’un dimanche vers 23 h 45 » et que ce sont en fait cinq balles ( pas moins ! ) qui ont atteint Juliette Ruby : trois au bassin, une à la cuisse, une ( illisible ).

Aucune suite ne semble avoir été donnée après la guerre à cette victime civile des Allemands.

Ni par sa famille, ni par les pouvoirs publics.

Mais son nom figure parmi la liste des victimes civiles publiée dans le livre de Lucien Jardel et Raymond Casas.

Quant au dépôt d’essence, son existence avait été signalée à Londres, dès le printemps 1943, par les résistants du groupe Fermé de Montrichard, travaillant pour le SOE britannique.

Il sera bombardé le 11 août 1944 par l’aviation alliée.

Michel Delalande qui a rapporté un témoignage de son grand-père, Octave Delalande, pense lui que c’était un groupement de panzers allemands cachés dans la forêt de Montrichard qui était visé.

In Memoriam, Juliette Ruby…


Thérèse Gallo-Villa

(Octobre 2020)

Sources :

ADLC : Série sur les Renseignements Généraux : 1652 W 1061 ( 20 ) et 3399 ( 32 )

Etat-Civil de Bourré.

Travaux de Thérèse GALLO-VILLA dont « La Résistance Intérieure Française, dans la Vallée du Cher » sur le site : www.tharva.fr 

JARDEL Lucien et Raymond CASAS, La Résistance dans le Loir et Cher, PUF Vendôme, 1994.


Article publié dans le "Petit Bourrichon", année 2020.