Accueil >1939-1945 Sommaire > "Mona la blonde"


« L’éminence grise » de la Gestapo de Blois…  

« MONA LA BLONDE » :

Marie Delphine REIMERINGER, veuve BLAVOT ( 1906-1986 )


L’ombre de « Mona la Blonde » plane toujours sur l’histoire de la Seconde Guerre Mondiale dans le Loir et Cher.

Son nom est omniprésent dans les témoignages de résistants et de victimes de la répression nazie.

Elle a inspiré la crainte, le mépris et la colère, voire une certaine fascination, que l’expression populaire de « la » Mona résume bien.

Qui fut vraiment cette femme aux multiples facettes ?

Une simple interprète au service du chef de la Gestapo de Blois ou une tortionnaire au même titre que d’autres membres de cette Gestapo ?

Une mosellane se vivant allemande, méprisant la France et les français ou un agent double au service de la Résistance et des Alliés ?


Une aventurière de haut vol ou une femme meurtrie à la recherche de revanches sur la vie ?

Cet article, malgré ses très nombreux apports nouveaux au regard de ce qui a été écrit sur Mona jusqu’à présent, ne permettra pas de répondre à toutes les questions soulevées par cette personnalité peu commune.

Car des sources essentielles n’ont pu être consultées comme son dossier devant la Cour de Justice d’Orléans qui a disparu, ceux des services secrets français et surtout américains, ceux non encore consultables en raison des délais de communicabilité.

Les sources concernant Mona sont donc éparses. Heureusement, certaines pièces de ses procès avaient été opportunément recopiées.

Parfois, certains documents ne sont ni datés, ni localisés et l’auteur n’est pas précisé.

Les deux confinements de 2020 et la fermeture corrélative des Archives ont compliqué la collation des sources.

Mais en les recoupant, ces sources, dans leur diversité et leurs limites, constituent d’ores et déjà, un ensemble qui dessine clairement le rôle de premier plan de Mona la Blonde au sein de la Gestapo de Blois et autorisent à la considérer comme le personnage le plus influent au sein de ce rouage essentiel de la machine répressive allemande dans la France occupée.


Cette étude sera composée de deux parties.

Une première, qui ira de sa naissance en 1906 à sa remise à l’Armée américaine en septembre 1944 et relatera son parcours à la Gestapo de Blois.

Une seconde qui sera consacrée aux procès de Mona : les siens en 1946 et 1947 ; son rôle dans celui de Pierre Culioli, chef du groupe Adolphe au sein du réseau Prosper du SOE qu’elle dénonça comme responsable de la chute de la « French Section » ; celui de Roger Hardy qu’elle tenta de disculper de l’accusation de trahison de Jean Moulin ; celui de l’ex-Préfet Picard, accusé d’intelligence avec l'ennemi, qui la fit comparaître comme témoin.

Ces deux parties seront publiées successivement.


Première Partie. 


De sa Moselle natale à sa remise à l’Armée américaine.

Une jeunesse agitée.

Une adolescente fille-mère  

Marie-Delphine Reimeringer est née à Metz le 8 février 1906.(1)

Elle naît donc avec la nationalité allemande dans cette Alsace-Lorraine, perdue en 1870. Elle sera réintégrée de droit dans la nationalité française en 1918, avec le retour à la France de ces territoires. Elle est de confession catholique.

Elle est la fille de François Reimeringer, d’origine sarroise et germanophone, et alors « serre-frein » à la gare de Metz et de Marie Agathe Hesse, mosellane et francophone, sans profession.

Son père deviendra chef de train puis de gare.

Elle a une sœur aînée Anne-Odile née en 1901 et un frère plus jeune né en 1910, François ou Francis, dont nous reparlerons car il se mettra lui aussi au service de la Gestapo à Orléans.

On lui donnera le même prénom que celui d’une soeur, morte à la naissance, en 1903.

A l’Armistice en 1918, elle ne parle que l’allemand.

Ses parents l’envoient dans un pensionnat à Chimay en Belgique pour y apprendre le français. 

Elle y séjourne, nous dit-elle, jusqu’en 1926. Mais durant son séjour, elle aurait été violée et se retrouvera enceinte. A 13 ans, à 14 ans, selon la presse.

En fait, elle vient d’avoir 17 ans, lorsqu’elle donnera naissance à un enfant, en France, en mars 1923. Elle reconnaîtra l’enfant en 1927, à sa majorité. Ce que fera ultérieurement son mari Marcel Blavot en 1937(2).

Le père biologique de l’enfant le fait élever. Mais la mère de Mona, bouleversée par les conséquences de ce drame, se suicidera en se jetant sous un train.

L’existence de cet enfant est mentionnée sur des registres d’écrou des prisons où elle sera détenue.

Puis, nous indique-t-elle, elle rejoindra en 1926, l’Ecole Supérieure de Filles de Sarrebruck.

De 1929 à 1932, elle affirme avoir continué ses études à l’Université de Bonn, puis de Duisbourg et avoir obtenu un doctorat ès lettres.

Mais il n’y a aucune trace de son séjour à l’Université de Bonn et celle de Duisbourg semble ne plus exister à l’époque, fondue dans celle de Bonn(3).

Quoi qu’il en soit, ceux qui l’ont connue, y compris certaines de ses victimes, s’accordent pour souligner que Mona était une femme cultivée, lisant « grec et latin dans le texte »(4), maîtrisant parfaitement à l’écrit et l’oral le français, l’allemand et l’anglais.

Toutefois, Mona avait conservé un léger accent de l’Est de la France.

Une jeune femme délinquante

Selon elle, à la fin de ses études, elle revint chez son père et y demeura jusqu’en 1935, « sans occuper d’emploi ».

La réalité est moins lisse !

Des traits de la personnalité de Mona se précisent, en premier lieu, son goût pour la belle vie, facile et luxueuse.

Avec son niveau de formation, non négligeable pour une femme dans ces années là, elle aurait pu trouver une fort honorable activité professionnelle.

Ce qui faillît être le cas : elle est recrutée en qualité d’inspectrice dans une compagnie d’assurances.

Mais elle rencontre, au début des années trente, un certain Hubert Janssens, un Belge démarcheur en titres de capitalisations. Elle devient sa maitresse.

Le couple va escroquer de très nombreuses victimes.

Mona est arrêtée en janvier 1934 (5). Elle habite alors Dijon, après avoir résidé à Toul, et elle est déjà recherchée par le Parquet de Thionville pour des méfaits similaires.

Avec son compagnon ( elle se faisait appeler Delphine Janssens ), ils écumaient la petite épargne.

Ils alléchaient leurs victimes par des promesses mirifiques sur de futurs gains, signaient de faux reçus d’acomptes de manière illisible !

Très élégante, séductrice, cette grande femme blonde de belle prestance, voyageant dans une superbe voiture « Voisin », avec toujours un petit chien blanc à ses côtés, en imposait et inspirait confiance.

Mona opérait principalement auprès des ecclésiastiques et des petits artisans et commerçants.

Licenciée par ses employeurs, elle sera condamnée à une peine de prison de six mois par le Tribunal de Dijon, puis à une même peine par celui de Metz qui sera « confondue » avec la première.

Par contre, le Parquet du Tribunal de Thionville avait fait appel d’un jugement d’acquittement pour les escroqueries commises dans cette région. Cet acquittement sera confirmé en appel en mai 1934, mais Mona restera en prison pour purger les peines déjà prononcées.

Pour sa défense, Mona prétendra avoir été victime elle-même d’une bande d’escrocs !

Un mariage chaotique

Le 10 mai 1935, elle épouse à Fixin, une des communes du vignoble de la Côte de Nuit en Côte d’Or « où nous avions des amis », dira-t-elle, Marcel Jean Camille Blavot, « ingénieur de la maison d’automobiles UNIC » qui construisait aussi des camions et dont les usines se trouvaient à Suresnes.

Il était né le 18 octobre 1907 à Vierzon, fils de Camille Blavot, ajusteur, et de Gabrielle Clémentine Bondonneau, sans profession. Son grand-père paternel était cheminot.

Marcel entreprend une formation technique de bon niveau à l’époque : il est reçu au concours d’entrée de l’Ecole Professionnelle de Vierzon, porte d’entrée pour l’Ecole des Arts et Métiers.

Lors de son service militaire, il est déclaré « tourneur » et fait profession « d’agent-technique-voyageur ».

Il accomplit son service dans l’aviation de chasse et y passe son permis de conduire. Il est rendu à la vie civile en mai 1929 (6).

 Nous ignorons comment et où le couple s’est connu mais Marcel semble avoir été un « commercial » pour son entreprise, comme nous dirions maintenant. Ce qui peut expliquer sa présence à Dijon.

Mais nous savons que le couple « menait grand train de vie ».

Il est mobilisé le 2 septembre 1939 au 8e BOA ( bataillon d’ouvriers d’artillerie) à Dijon.

Il séjournera, durant presque toute la « drôle de guerre » à l’hôpital où il sera démobilisé, le 24 juillet 1940 et il se retire alors à Narbonne.

En effet, à la suite « de difficultés pécuniaires provoquées par des spéculations financières malheureuses de mon mari » ( ? ) ,Mona achète à son nom, un commerce de vins à Narbonne qui sera revendu fin 1940. Elle réside dans cette ville, dit-elle, de septembre 1939 à août 1940.

A la démobilisation de son mari, « ne voulant plus continuer à vivre avec lui », elle retourne habiter à Metz.

Son mari achètera alors, dans une autre ville du Sud-Ouest, un nouveau magasin de « commerce de vins en gros », précise-t-elle.

Marcel Blavot est arrêté en juillet 1941, dans un vaste coup de filet de gros trafiquants et receleurs du marché noir qui opéraient dans les plus grandes villes de la zone libre, notamment dans tout le Sud. Leurs trafics portaient sur d’énormes quantités de biens.

L’affaire eut un retentissement national (7).

En effet, face à l’exaspération de la population confrontée aux privations et rationnements, le gouvernement de Vichy s’était décidé à sévir ! J’ignore si Marcel Blavot a été condamné.

Un certain Ludwig Bauer.

Pendant plusieurs mois « sans occupation et désireuse de travailler », Mona devient interprète à la Kommandantur de Metz à la fin de 1941.

Son travail consistait à « traduire la correspondance générale » et Mona tient à se justifier : pendant les deux mois que dura cet emploi, elle n’eut « aucun rapport personnel avec un service de police ou un service militaire allemand ».

Durant sa présence à la Kommandantur de Metz, elle fait la connaissance de Ludwig Bauer.

Malade, elle quitte son emploi, mais reprend contact avec Bauer car elle a besoin d’une autorisation pour se rendre auprès de son mari dans le Sud. Elle souhaite y demander le divorce devant les tribunaux français.

Arrivée sur place, elle apprend que son mari est parti, a tenté de franchir la Ligne de Démarcation, s’est fait prendre. Il est détenu à Vierzon ( où résident ses parents ) .

Blavot essaye-t-il de se faire « oublier » dans le Sud et prépare t’il sa reconversion auprès des Allemands ? La suite incite à le penser.

Elle rejoint Vierzon pour intercéder en sa faveur auprès des autorités allemandes.

Elle y « rencontre tout à fait par hasard Bauer Ludwig » qui y a été muté.

Son mari est libéré.

Elle demande à Bauer de l’appuyer pour retrouver un emploi dans l’administration d’Occupation et de l’aider dans ses démarches pour divorcer devant les tribunaux allemands, sur la base des règles applicables aux Alsaciens-Lorrains.

Son divorce sera prononcé, toujours selon elle, peu de temps après, par le Tribunal de Stuttgart : jugement qui n’aura évidemment aucun effet ultérieur en France.

De toute évidence, Mona joue dorénavant la carte « je suis allemande » pour assoir sa situation.

Elle va attendre presque un an une réponse à sa demande d’emploi, en faisant de temps en temps, des voyages dans le Sud-Ouest.

Fin 1942, les services régionaux de la Gestapo d’Orléans décident de mettre en place à Blois un « Aussendienststelle », sorte d’antenne départementale déconcentrée.

Ludwig Bauer est nommé chef de ce que tout le monde appellera la Gestapo de Blois.

Mona y est recrutée comme interprète.

Elle prend ses fonctions le 1er Mars 1943.

Elle devient la maîtresse de Ludwig Bauer ou l’était déjà.

Son frère Frantz travaille depuis plusieurs mois pour la Gestapo d’Orléans. Il y est apprécié comme un élément « exceptionnel » (8).

La Gestapo de Blois

Les français désignent sous le nom de « Gestapo » aussi bien les services de la « Geheime StaatsPolizei », la police secrète d’Etat, que ceux du Service de Renseignements de la SS, le « Sicherheitsdients », dit le SD et la Sicherheitspolizei, la Sureté d’Etat, dite SIPO, formant le SD-SIPO.

Ces services avaient été regroupés depuis 1939, au sein du « Reichssicherheitshauptamt », le RSHA.

Mona nous précise donc que le service auquel elle appartenait était le : « Sicherheitspolizei und Kommando Orléans- Aussenkommando Blois », le SD-SIPO.

Ludwig Bauer en est le « Dienstellleiter ».

La Gestapo s’installe à Blois dans plusieurs villas, près de la Butte des Capucins, non loin de la gare, sur le coteau qui domine la Loire.

Deux de ces villas qui se font face, l’une 28, rue Augustin Thierry, l’autre au 55 de la même rue, sont les plus mémorables des lieux d’implantation de la Gestapo à Blois (9).

La Villa « Le Cavalier » : le lieu des interrogatoires.

La Villa « Le Cavalier » est le siège administratif du SD.

Les bureaux occupaient le rez-de-chaussée et le 1er étage. Une partie du personnel y était logée. A son arrivée, Mona, occupait un logement au 3e étage tandis que le reste du personnel était logé aux « Tilleuls » ou dans une résidence proche.

« Le Cavalier » abritait ce que les résistants appelleront le « tribunal de la police allemande ».

En zone occupée, c’est le « Commandement militaire en France, MBF »  qui est chargé de la répression. Les tribunaux militaires des Feldkommandanturen la mettent en oeuvre.

A Blois c’est le FK 589, qui sera transféré à celui d’Orléans fin 1942.

Le 1er juin 1942, le général SS Oberg est nommé chef de la SS et de la police en France.

La Gestapo va développer alors de plus en plus ses propres mesures répressives, beaucoup plus expéditives pour les déportations et les exécutions, en parallèle avec la justice militaire qui continue à sévir.

Les personnes arrêtées, quel qu’en soit le motif, étaient emprisonnées à la prison de Blois.

A la vieille prison de la Tour Beauvoir, puis à partir d’août 1943 dans la nouvelle prison neuve, près du Lycée Dessaigne.

Celles soupçonnées d’appartenir à la Résistance, d’avoir aidé des aviateurs alliés, d’être des « terroristes » ou leurs complices, etc... étaient soit tirées de prison, soit directement conduites, après leur arrestation,

au « Cavalier », pour y être interrogées.

Elles y étaient soumises durant des heures à des interrogatoires musclés : insultes, menaces pour elles et leur famille des peines les plus sévères, brutalités.

On les reconduisait ensuite en prison dans l’attente d’un autre interrogatoire, mais souvent on leur faisait traverser la rue et descendre quelques marches.

La Villa « Les Tilleuls » : le lieu des tortures


La Gestapo « torturait », au sens propre du terme, aux « Tilleuls ».

Dans la cave, elle avait fait bâtir trois cachots.

Deux de ces cachots, longs de 1m70 environ, larges de 1 m à peine, étaient construits en ciment. Aucune ouverture pour laisser passer un peu de lumière : l’obscurité était totale, l’air irrespirable.

Le troisième, un peu plus grand, était « la chambre de torture ».

« C’est là que dans l’espoir de leur arracher un aveu, un nom, une adresse, on frappait les patriotes avec la dernière brutalité à coups de bâton, de schlague, de botte...on leur jetait la tête contre les parois du cachot, on leur piquait le corps avec la pointe d’une épée, on leur cassait les membres ou encore on lâchait sur eux un molosse qui surexcité par les bourreaux les mordaient jusqu’au sang ».

On pourrait y rajouter les brûlures de cigarettes, les suspensions, etc.

Ces torturés étaient alors enfermés dans un des deux autres cachots, pendant des heures, des jours, sans soins, sans nourriture ni eau, sans lumière.

On ne les sortait de leur geôle que pour une nouvelle séance de tortures pour qu’ils craquent ou pour retourner en prison.

C’est le docteur Meunier de la prison de Blois qui tentait alors de soulager leurs souffrances (10).

La Résistance, unanime, rendra hommage au dévouement de ce médecin.

Beaucoup de ceux et celles qui passaient par « Le Cavalier » et les « Tilleuls » étaient ensuite dirigés vers la prison allemande d’Orléans puis détenus à Compiègne ou Romainville, véritables sas pour la déportation vers les camps de concentration.

A Blois, il n’y avait pas de prison allemande, c’est à dire administrée directement par l’occupant.

La prison de Blois servait pour la détention des détenus de droit commun relevant de la justice française et pour ceux des allemands, qui lui payaient ( du moins théoriquement ) un tarif-journée par détenu.


Les membres de la Gestapo de Blois


Ludwig Bauer

Nous ne savons pas grand chose sur Ludwig Bauer, sinon qu’avant d’être affecté en France ( Metz et Vierzon ), il avait appartenu au SIPO-SD de Munich (11).

 Mona donne une précision supplémentaire : « avant-guerre, il avait été Reichssicherheitshauptmann à Berlin ».


Selon elle, il n’était pas membre du Parti National Socialiste « et pour cette raison n’était jamais monté en grade ».

Lorsqu’elle le retrouve à Vierzon, il venait « d’être nommé à ce poste par sanction disciplinaire » car il avait voulu démissionner à Metz où il s’occupait de dossiers d’expulsion « du fait des actes arbitraires qu’il avait pu constater ».

Elle tente de démontrer que Bauer n’avait pas de responsabilités, ou quasiment pas, dans les décisions des mesures répressives.

Qu’on en juge : « Je le considère comme un homme très sévère et très juste. Il n’agissait que sur la pression des Kommandos d’Orléans et de Paris. Il ne demandait que la tranquillité pour son département. Il a toujours minimisé l’action policière de son service et était en perpétuel conflit avec le Feldkommandant et l’Oberleutnant de la Feldgendarmerie....Bauer ne décidait pas d’opérations contre le maquis, celles-ci étaient toujours décidées par le Kommando d’Orleans...évidemment, il était obligé d’obéir aux ordres du Kommando ».

Résumons : Ludwig Bauer était un simple policier soucieux de justice, qui se contentait d’obéir aux ordres de ses supérieurs !


Raach Max dit Toni :

Il sera l’adjoint de Bauer jusqu’en décembre 1943.

Marié, un enfant.

Il se faisait appeler « le docteur Berger ». Originaire de Trèves, il avait été professeur de français à l’Université de Kassel. Officier, il avait été reversé dans la police après une blessure sur le Front.

Il parlait très bien le français et l’anglais. Il recherchait les contacts avec « les personnalités de la ville ».

Il n’appartenait pas au Parti nazi « n’ayant pas voulu abjurer la religion catholique. Il suivait d’ailleurs les offices religieux à Blois ».

Il interrogeait les « prisonniers anglais, américains, parachutistes... Il a participé à des arrestations ». Son travail consistait aussi « à recevoir les agents ( cf. les indicateurs ! ) et les informations ».

Raach est muté au SD-SIPO d’Orléans.


Retz Fritz (ou Otto) :

Il prend ses fonctions d’adjoint en janvier 1944.

Marié, sans enfant.

Retz était « presque toujours en costume du SD...Il déploya davantage de zèle et de brutalité ». C’était « un prussien d’origine et de mentalité qui ne voulait montrer aucune compréhension pour tout ce qui était français ».

Avant-guerre, il était commissaire à la KRIPO, la Police criminelle, à Berlin.

Il appartenait au Parti Nazi depuis 1939.

« Ne parlant pas français, il n’avait aucune relation à Blois ».

Et surtout : « Il dirigeait toutes les arrestations et opérations de Police ».


Heintz-Heinson Karl :

C’était le numéro 3 : il pouvait commander les autres membres du SD.

Marié, un enfant.

Il utilisait le pseudo de « Henri ».

Souffrant de varices, il avait été réformé de la Wehrmacht et affecté à la Police.

Avant la guerre, il avait été « garagiste et marchand d’essence à Gohingen (Prusse),sa ville natale ».

« Il appartenait au Parti National Socialiste depuis plusieurs années et était SS dans l’âme ».

Il s’occupait « des réfractaires et des interrogatoires en général...il était acharné à la répression du maquis. Il menait ses interrogatoires de façon brutale...je suppose qu’il frappait ses victimes pour avoir vu des personnes aux visages tuméfiés qui étaient passées dans son bureau.. »

Et Mona de préciser « Cependant, je n’ai assisté à aucun de ses interrogatoires. Il m’aurait d’ailleurs mise à la porte...tous les interrogatoires pratiqués en matière de réfractaires, de maquisards ont été fait par Heintz-Heinson ».


Pleikner ( ou Plaikner ) Joseph :

Il était originaire d’Innsbruck où il demeurait.

Il se faisait appeler « Mr. Martin ».

Il appartenait au Parti nazi depuis sa création et il « était dans les SS spéciaux » (cf. ceux qui étaient formés et habilités pour tuer notamment dans les camps de concentration ).

Il fut le « premier à Blois à être décoré de la Croix de Guerre ».

Avant-guerre, il avait travaillé comme valet de chambre d’abord chez un américain, puis un français. Il appartenait déjà à « la Geheimestaatspolitzei ».

Il parlait couramment le français.

« Il montrait une haine farouche et une rancoeur pour tout ce qui était français. Il montrait une grande brutalité lors des interrogatoires ».

Il était chargé de la surveillance interne des membres du SD et faisaient des rapports sur eux.

Ainsi, il dénonça Raach et ses messes. Mona indique qu’à cause de lui : elle « faillit être renvoyée dans un camp de concentration en Allemagne », à la suite de l’affaire des parachutistes de Vendôme, dont nous reparlerons lors du procès de Mona.

Pleikner travaillait généralement avec Heintz-Heinson.


Widauer Joseph

Né à Insbruck, il appartenait avant-guerre à la KRIPO de Vienne.

Il n’était pas membre du Parti nazi

Il ne parlait pas le français, « il marquait d’ailleurs de la sympathie pour la France...Il ne manifestait aucune activité. Il n’arrivait pas à faire le moindre rapport »

Il s’occupait des enquêtes sur les sabotages de voies ferrées, usines, transmissions et les questions relatives aux pigeons voyageurs.

Par contre, tout ce qui concernait « la radiodiffusion était du ressort du Kommando d’Orléans »


Eppel Heinrich :

Il était autrichien. Il ne parlait pas français.

Il avait adhéré au Parti nazi en 1938 et était déjà employé au SD avant guerre.

Il travaillait généralement avec Widauer. « Il ne déployait pas grande activité et semblait se désintéresser totalement du sort des inculpés ».


Dornieden Wilhem :

Il avait été instituteur dans le Hanovre.

Il était « toujours en uniforme ». Il exerçait des tâches de secrétariat : travaux de classement, d’archives, de mises en fiches, etc.

Il « déployait dans sa tâche un esprit « Feldwebel » ; nous dirions en français de « petit chef ».(traduction de Feldwebel : "caporal, capo")


Kuhn Hans :

Il tenait un magasin de machines à coudre à Leipzig en Saxe.

Il n’appartenait pas au Parti nazi et ne parlait pas le français.

Il travaillait avec Dornieden mais « contrairement à ce dernier, il prenait part parfois aux interrogatoires ».


Leupen Karl :

C’était un des chauffeurs.

Il ne parlait pas le français.

Il était membre du Parti nazi et avait appartenu à une formation SS.

Blessé dans une mission, il avait perdu trois doigts et avait été affecté à la Police.

En tant que chauffeur, « il prenait part à toutes les arrestations … C’était un ami de Pleikner ».


Scharmer Wilhem :

C’est le second chauffeur.

Avant-guerre, il avait tenu une auberge sur le port de Hambourg : « il aimait surtout boire et manger ».

Marié, trois enfants.

Il ne parlait pas français. « Peu loquace, il ne fréquentait personne et ne manifestait jamais une opinion ».


Tesch Anne-Marie :

C’était une étudiante, originaire de Düren en Rhénanie, qui avait précédemment travaillé à la Gestapo d’Orléans.

Elle parlait couramment le français et l’anglais.

Elle était la secrétaire de Raach et de Retz ; elle assistait aux interrogatoires de ce dernier.

Mona, qui en dresse une description physique valorisante, considère « qu’elle tentait de marquer de la compréhension dans son travail ».


Heintz Louise :

Elle était originaire de Hanovre.

En Allemagne, elle avait exercé le métier de secrétaire à la Police et à la Wehrmacht.

Elle était membre du Parti nazi. « Elle assistait à presque tous les interrogatoires. Elle était prise lors des interrogatoires en raison de sa froideur et de son indifférence ».

Mona en dessine un portrait physique fort peu flatteur !


 Le personnel français  

Il s’agissait des emplois comme femme de chambre, cuisinière, etc.

Les indicateurs, les femmes et hommes de main, défilaient tous les jours dans les locaux de la Gestapo pour livrer leurs renseignements, prendre les ordres...et se faire payer leurs trahisons.

Parmi eux, une mention particulière pour :

- d’une part pour, un mulâtre nommé Michel, véritable colosse et tueur professionnel, qui avait été un temps garde du corps de Marcel Bucard, chef du parti franciste, et participait aux opérations de la Gestapo.

- d’autre part, le sinistre couple Calame-Danelle dont nous reparlerons.

Les autres organes de la répression allemande  

Le SD-SIPO de Blois était, nous l’avons vu, une des composantes du Kommando d’Orleans dirigé par Fritz Merstche.  

Celui-ci venait à Blois « tous les huit ou quinze jours ». Il avait été procureur à Francfort. Il était assisté par Fritz Woldbrandt, docteur es-lettres, parlant bien le français et qui avait déjà travaillé au SD avant-guerre.

Les rapports de la Gestapo d’Orleans étaient excellents avec le Préfet Régional Chiappe, fervent tenant de la collaboration avec l’Allemagne nazie.

La Feldkommandantur de Blois fut dirigée jusqu’à la fin 1943 par le prussien Von Hippe « qui avait la manie des rafles, barrages routiers et aimait les déploiements de troupes. Généralement, il ne mettait pas au courant la Sicherheitspolizei, faisant agir la Feldgendarmerie et la Luftwaffe ».

Début 1944, il est remplacé par Heuting, lui aussi prussien, grand blessé 14-18, puis officier sur le Front de l’Est et honoré des plus hautes décorations. « Comme son prédécesseur, il utilisait la force armée et s’occupait beaucoup de répression, utilisant surtout la Feldgendarmerie. Dans les derniers temps, il utilisa beaucoup la Milice qui d’ailleurs ne travaillait pas avec le SD ».

La Feldkommandantur avait des structures déconcentrées dans les villes d’arrondissement et les communes.

La Feldgendarmerie était présente aussi à Vendôme et Romorantin.

Selon Mona, la Feldkommandantur ne travaillait donc pas avec le SD-SIPO, mais directement avec les services de la Geheime Feldpolizei où GFP, la police secrète militaire, chargée spécialement de la lutte contre la Résistance intérieure et extérieure.

La GFP était installée à l’Hôtel Lutetia à Paris, auprès des services de renseignements de l’Abwehr et utilisait, entre autres, les services du groupe d’Action pour la Justice Sociale, officine émanant du PPF, Parti Populaire Français, de Jacques Doriot.

La GFP payait fort bien ses indicateurs !

C’était le cas à Blois : « Le lieutenant Niburg de l’Hôtel Lutetia de Paris venait tous les 8 jours à Blois » pour recueillir les renseignements de ses indicateurs du PPF qui bien évidemment en fournissaient aussi à la Gestapo.

Comme pour la personne de Ludwig Bauer, Mona tente aussi de minorer le rôle de la Gestapo de Blois dans la répression allemande. C’est la faute des autres organes nazis !

Mona : un statut à part  

Dans la partie consacrée aux procès de Mona nous approfondirons son rôle au sein de la Gestapo de Blois, en nous basant sur nombre de témoignages, et nous donnerons des éléments pour tenter d’y voir plus clair au regard des deux questions essentielles qui seront au centre de son procès en 1946 :

Mona a t’elle participé aux tortures sur des patriotes ?

Mona a t’elle aidé la Résistance et secouru des résistants en danger ? (12)

Pour l’heure, observons que tout au long de ses déclarations Mona poursuivra sur la même ligne de défense : continuer à minorer au maximum les fonctions qu’elle exerçait.

« Comme je l’ai déjà dit, j’étais plus spécialement chargée des traductions de correspondance et du secrétariat du Chef et des relations avec les autorités de la Ville.

Pas plus que les autres femmes du Service, je ne prenais part aux arrestations. Cela était d’ailleurs formellement interdit par un arrêté du SS/ReichsFührer Himmler en date de Mai 1943.

Je n’accompagnais Bauer que pour ses enquêtes personnelles ce qui était d’ailleurs très rare.

Je n’ai jamais assisté à aucun interrogatoire sur le fond de l’affaire ».

Les nombreux témoignages de Résistants et autres personnes ayant eu affaire à elle, donnent une toute autre version des fonctions de Mona.

Mona était omniprésente.

Elle accompagnait Bauer partout dans ses visites locales et se mêlait de tout.

Elle participait aux interrogatoires, ne se limitait pas à traduire les questions de Bauer.

C’est elle qui avait la main et était la plupart du temps à l’initiative du contenu de l’interrogatoire.

Si elle ne participait pas aux arrestations, c’est elle qui le lendemain ou peu après, participait et dirigeait les perquisitions chez ceux qui avaient été arrêtés et raflait bijoux et objets de valeur.

Elle ne rendait compte à personne au sein du SD-SIPO. Vraisemblablement, même pas ou peu à Bauer !

Les observateurs s’accordent pour constater le puissant ascendant qu’elle exerçait sur lui.

Le 16 juillet 1943, Mona s’installe dans une belle villa 2, Boulevard Daniel Dupuy, près du siège de la Gestapo, réquisitionnée pour son usage. Le directeur de la Banque Régionale de l’Ouest y demeurait alors.

Elle va y tenir table ouverte. Elle avait forcé la cuisinière qui venait de quitter la Gestapo à travailler pour elle car celle-ci craignait des représailles de sa part si elle avait refusé.

Elle y reçoit toutes les personnalités de la ville : le Préfet Aucourt, le Secrétaire Général de la Préfecture Vignon, le Procureur de la République Wagner, le Commissaire de Police de Blois Blandin, etc. (13)

Aucun n’osera refuser de partager la table de la maîtresse du chef de la Gestapo car tout le monde connaissait son influence déterminante sur Bauer.

Elle a, de fait, un statut de « favorite ».

Nous retrouverons ces personnages plus avant.

Mona est une femme prudente. C’est à la Gestapo, et non chez elle, qu’elle reçoit ses propres indicateurs à qui elle fixe des missions contre des résistants et qu’elles payent grassement, comme le jeune Paul Massicot.

Dans les relations de Mona, une intrigue particulièrement (14).

Une veuve quinquagénaire, Léger Renée Eugénie née Turlet, tenait une « maison de rendez-vous » au 1, place Wagram à Paris. Elle se rendait fréquemment à Blois sur télégramme ou appel téléphonique émanant du numéro de la villa de Mona. Elle séjournait chez Mona une huitaine de jours et Mona « lui payait outre son voyage de retour, la somme de 500 francs mensuels de la chambre de location 1, place Wagram...il n’a pas été permis d’établir si la dame Leger avait perçu d’autres sommes de la part de Mona ni pour quel motif ».

Peut-être approvisionnait-elle la coquette Mona en nouveautés de la mode parisienne ou autres produits de luxe ?

On apprend ainsi que Mona louait une chambre dans un des beaux quartiers parisiens, chez une tenancière de bordel de luxe sûrement fréquenté par de hauts dignitaires allemands et des membres du milieu. Ces lieux faisaient souvent office de clubs de jeu privés. Et les relations de la pègre parisienne avec les Occupants sont connues.

Or, nous savons que Mona se rendait parfois à Paris.

En d’autres termes, Mme. Leger blanchissait-t-elle le produit des rapines de la Gestapo de Blois au bénéfice de Mona et Bauer ? La question se devait d’être posée.

D’autant qu’un autre circuit d’argent retient aussi l’attention.

Marcel Blavot, aussi au service de la Gestapo.

Nous ne saurions dire avec précision quand Marcel Blavot s’est mis à travailler pour la Gestapo de Blois, ni s’il a résidé en permanence à Vierzon après ses déboires à la Ligne de Démarcation ou continué à faire des séjours plus ou moins fréquents dans le Sud-Ouest, notamment après le 11 novembre 1942 lorsque toute la France sera occupée.

Par contre, nous savons qu’une dizaine de créatures du SD détenaient sur Blois de fausses cartes d’alimentation dont Marcel Blavot ( N°1575 À ). Ils bénéficiaient aussi d’une inscription au Dépôt de Tabac « Le Wabic », place de la République où « un membre de la Gestapo venait chercher les rations des 10 individus » ! (15)

Depuis le début de 1944 ( peut-être avant ? ), Blavot se rendait tous les mercredi à la Villa du Boulevard Daniel Dupuy.

Il y rencontrait Bauer qui lui « remettait certaines sommes d’argent dont on ignore le montant. Il n’y séjournait jamais plus d’une journée et on ignore le motif exact de ses visites ». (16)

Blavot était-il chargé lui aussi de blanchir de l’argent volé, de mettre à l’ombre de l’argent pour les temps d’après-guerre ?

Ou bien, était-il rémunéré ou remboursé pour des opérations commerciales en faveur des Allemands ?

Car Blavot était membre du « Cercle Européen, cercle français de collaboration économique et culturelle européenne » dans le Cher. Sa carte portait le N° 2033. (17)

Il s’agissait d’une sorte de club où hommes d’affaires allemands et français se livraient au commerce et aux échanges juteux.

La collaboration économique fut très marquée dans la viticulture.

On peut penser que Blavot a poursuivi des activités, plus ou moins licites, de trafics de vins du Sud-Ouest avec les Allemands.

Ceux-ci s’intéressaient certes aux grands crus de Bourgogne et du Beaujolais pour les dignitaires nazis en France et en Allemagne, mais aussi aux vignobles plus modestes pour l’approvisionnement de l’armée allemande. Ils recherchaient et achetaient à bon prix des quantités de vins au-delà des volumes des réquisitions obligatoires.

Ils désignaient dans les régions viticoles des « weinfûhrer ».

Et Vierzon était une des gares de transit pour les vins tant du Bordelais que du Sud-Ouest.

Enfin, Blavot officiera aussi, nous le verrons, comme receleur de Mona.

Ses dernières semaines à la Gestapo


La vie « aux Châteaux » à Cellettes

Léopold Robin, confectionneur en lingerie de luxe pour femmes, né à Paris en 1897, installé à Gracay dans le Cher, est en relation de travail avec Camille Blavot, le père de Marcel, devenu confectionneur de lingerie à Vierzon. (18)

L’atelier des Blavot se trouve au fond de la cour de leur maison au 8, rue de la Gaucherie.

Ce Leopold Robin est un petit profiteur de guerre : il a traficoté sur l’or en 1941 et connu de ce fait des problèmes à la Ligne de Démarcation.

Il a par ailleurs fait passer la Ligne à des Juifs au statut social élevé et parions qu’il a dû se faire rémunérer en conséquence.

Il est membre de Légion Française des Combattants ( LFC ), issue de la fusion voulue par Pétain de toutes les Associations d’Anciens Combattants, mais pour lui : « mon activité en tant que légionnaire a été nulle ».

Il connaît donc les Blavot et il fait la connaissance de Mona en 1943, en lui livrant de la lingerie fine chez ses beaux parents, pour son usage personnel.

Monique Fermé de Montrichard se souvient encore du jupon mauve de Mona lorsqu’elle descendait de la voiture Traction Avant Citroën aux roues jaunes de la Gestapo, lors des tournées de Bauer.

Robin affirmera qu’il la croyait interprète auprès du Ministère de l’Intérieur !

En mars 1944, il est requis pour partir au STO en Allemagne. Contrarié par cette perspective, il est conduit à en parler à Mona qui lui dit : « Je possède une propriété, voulez-vous vous en occuper ? ». Robin accepte et sera dispensé de STO.

Le 20 avril 1944, il se rend avec Mona à Cellettes, une coquette commune à la lisière des forêts avoisinant Blois.

Au Château de Vaugelay :

La propriété en question est le Château de Vaugelay, appelé aussi la « Maison Verte ».

Elle appartenait à la famille Silz, de confession juive.

Le père Georges et sa fille Marie seront dénoncés par le couple Calame-Danelle, arrêtés le 24 septembre 1943 et déportés.

Marie Silz mourra en déportation.

A la porte d’entrée, Robin découvre une pancarte : « Propriété réquisitionnée par l’Administration allemande » ! Il en fait l’observation à Mona qui le rassure en affirmant qu’il n’aurait à faire qu’à elle.

Mona ne réside pas à Vaugelay. C’est pour elle avant tout une source de revenus : location des terres, exploitation d’une ferme, produits frais pour sa table.

Elle fait nommer Robin gérant du domaine dans le cadre de la réglementation sur l’administration des biens juifs et « l’aryanisation » de l’économie.

Robin vient exercer ses fonctions à Cellettes, environ deux ou trois jours par semaine.

Il y observera la présence d’allemands. Certains viennent s’approvisionner en produits de la ferme. Et il y verra plusieurs fois Mortier, industriel avionneur à Vendôme, collaborateur notoire qui livre chaque semaine à Mona essence et huile pour sa voiture. C’est un ami intime de Mona...et du Préfet Aucourt !

Au Château de l’Archerie :

Le Château de l’Archerie, se situe à quelque centaines de mètres de Vaugelay, lui aussi donc sur la commune de Cellettes.

Il appartenait à un certain Max Fischer qui en était parti au début de la guerre et résidait en Égypte.

La propriété avait été réquisitionnée dès le début de la guerre pour les besoins de logement des Allemands, comme cela se pratiquait dans toutes les communes. Mr. Fischer recevait les dédommagements financiers prévus à cet effet.(19)

Début mai 1944, Mona accompagnée de Bauer et Robin annonce aux gardiens que dorénavant le domaine est réquisitionné comme bien juif et l’administration confiée à Robin.(20)

Ce dernier leur interdit de vendre les produits agricoles de la propriété dont le lait qui servira à fabriquer du beurre revendu par ses soins. Il emportera des objets chez lui à Graçay.

Mona va meubler l’Archerie, qui était quasiment vide, en puisant allègrement dans les meubles et objets de décoration des Silz à Vaugelay dans lesquels les Calame s’étaient déjà servis ! (21)

A partir du 8 mai 1944, Mona et Bauer viennent tous les soirs dormir à l’Archerie qui devient ainsi une résidence de la Gestapo.

Car, Mona se sent insécurisée à Blois, avec la menace de bombardements alliés et les actions de la Résistance.

Nous sommes à un mois du Débarquement.

Le couple y recevra le week-end, notamment des responsables allemands venant de Paris.

Le départ de la Gestapo de Blois

En ce début août 1944, l’insurrection nationale se prépare.

Les actions tant de la Résistance que des Alliés se multiplient depuis le débarquement, en particulier sur Blois et ses environs.

Les bombardements s’intensifient comme celui du 14 juin sur le Pont Gabriel. Il y a de nombreuses victimes civiles.

Les groupes de FFI sabotent les lignes ferroviaires en particulier celles qui acheminent armement et soldats allemands vers le Mur de l’Atlantique ; ils font sauter ponts et viaducs et détruisent les pylônes électriques ; etc.

La répression allemande y répond comme l’exécution de 10 otages le 12 juin à Maves-Pontijou ; le 17, lors de la prise du maquis de Souesmes.

Le 6 août, les armes parachutées ces dernières semaines sont distribuées aux groupes de résistants.

Dans la nuit du 9 au 10, le groupe dirigé par Roger Godineau libère les 183 détenus de la Prison de Blois.

La Gestapo a quitté Blois les 7 et 8 août et se replie sur Cellettes où des soldats Allemands demeureront à l’Archerie jusqu’au 31 août, jour de libération de la rive gauche de Blois après la rive droite libérée ce mémorable 16 août qui vit l’installation du nouveau Préfet Louis Keller.

Le 8, le Kommando d’Orléans avait donné l’ordre, par téléphone, de rassembler toutes les femmes de la Gestapo de Blois pour les conduire à Orléans, avec la perspective de leur départ sur l’Allemagne. (23)

Le 8 aussi, Mona quitte l’Archerie en compagnie de Robin.

         

La fuite de Mona         

Où aller ?

Pour la période qui court du 8 au 15 août, nous avons trois versions des événements qui s’y déroulèrent.

La version de Mona :

« Je ne voulais pas quitter Bauer, je suis partie à Vierzon pour chercher mes affaires qui se trouvaient chez mes beaux-parents, industriels dans cette ville. J’ai revu mon mari qui m’a demandé de ne pas partir. Je suis revenue ensuite à Blois juste à temps pour voir partir les fonctionnaires lesquels me laissèrent. Je suis revenue à Vierzon où j’ai rencontré M. Robin auquel j’ai demandé l’hospitalité en attendant que Bauer vînt me chercher ».(24)

La version de Robin :

« Je suis allé à Cellettes pour la dernière fois le 9 ou le 10 août....le 12 août, à la suite des bombardements de Vierzon, je me suis rendu dans cette ville pour prendre des nouvelles de mes parents qui y habitent et leur porter un peu de ravitaillement. J’ai rencontré Mr. Marcel Blavot qui m’a demandé comme sa femme avait très peur ( elle était depuis plusieurs jours chez ses beaux-parents à Vierzon ) de l’abriter chez moi à Gracay ». (25)

Auparavant, Robin avait déclaré : « J’ai connu à Vierzon de par mes occupations professionnelles une femme qui disait se nommer Mona de Chazelles, employée à la Gestapo comme interprète et domiciliée à Vierzon à Hôtel du Bœuf. Lors du bombardement de Vierzon vers le 13 août, elle s’est adressée à moi affolée en me demandant si je pouvais l’héberger du fait qu’elle craignait les bombardements. J’ai accepté ...Je n’avais aucun autre renseignement sur elle ». (26)

La version des gardiens des Châteaux de l’Archerie et de Vaugelay :

Mona est bien partie de l’Archerie le 8 août.

Elle et Robin se sont installés à Vaugelay.

Le 9, Robin revient à l’Archerie pour régler ses affaires de gestion. Il emporte des livres précieux qui seront retrouvés à Vaugelay. Une étiquette indiquait qu’ils devaient être remis à une foraine de Mennetou-sur-Cher chargée de les transmettre à « la Villa Rouge » de l’autre côté du Canal.

Le 11, Mona et lui reviennent à l’Archerie. Il y restent quelques heures, repartent et n’y seront plus revus. (27)

Les gardiens dresseront une liste des objets disparus : linge, tableaux d’art, argenterie, vases, livres, etc.

Le 15, ils quittent Vaugelay pour aller à Gracay chez Robin.

Mona s’est-elle rendue entre temps à Vierzon qui ne se trouve qu’à quelques dizaines de kms ?

Lorsque, début septembre, le 2e bureau des FFI viendra perquisitionner les lieux à l’Archerie, ils ne trouveront aucun document laissé par la Gestapo.


La cache de Graçay

Le 15 donc, Mona et Robin arrivent à Graçay dans la voiture de luxe Hotchkiss de Mona.

Elle est en possession, au nom de Mona de Chazelles, d’une singulière attestation établie le 7 juillet 1944 par le Commissaire de Police de Blois Blandin : « À tous les citoyens français et agents de la force publique, prière de prêter aide et assistance à Mme de Chazelles qui a rendu service à beaucoup de Français ».

Suivant l’expression populaire : « Mona a le bras long » !

Elle détient aussi un laissez-passer de circulation établi par les FFI de Blois.

Durant son séjour chez Robin, celui-ci remarquera qu’elle sort le moins possible, sauf pour se promener un peu avec son jeune fils.

Mona ira jusqu’à confier : « Bauer vint me chercher chez mon mari lequel ne lui indiqua pas mon refuge par jalousie ».(28)

La réalité de cette confidence à l’eau de rose parait peu crédible : on voit mal Bauer, chef de la Gestapo, connu comme le loup blanc dans la Région notamment à Vierzon, parlant très mal le français, prendre de tels risques, en une telle période !

Il est plus probable qu’il devait être sur le chemin de retour vers l’Allemagne.

Le 4 septembre, la ville de Vierzon est libérée.

Mona décide de s’y rendre.

Mais Robin lui fait observer qu’elle ne peut circuler sans autorisation des forces résistantes locales, en raison de la situation militaire et des accrochages qui se poursuivent avec les Allemands dans la zone.

L’arrestation de Mona

Le 5 septembre, Robin conduit Mona auprès de la Milice Patriotique de Gracay, commandée par Georges Chalandré pour obtenir cette autorisation.

Chalandré appartient aux « sédentaires », c’est à dire les résistants restés sur place qui ne sont pas dans les maquis.

Grâce à ses documents protecteurs, Mona doit se penser en sécurité.

C’est l’inverse qui va se passer.(29)

Chalandré est intrigué par cette femme, son accent, sa voiture, ses attestations.

De plus, elle est en compagnie de Robin que les résistants locaux tiennent pour un collaborateur et un petit trafiquant.

Georges Chalandré décide de la conduire auprès du Commandant Achille et du Lieutenant Paul, deux des dirigeants du maquis FFI de l’Armée Secrète, le Groupement Indre-Est, pour qu’ils décident de la suite à donner. Ils s’y rendent avec sa voiture.

Ceux-ci l’arrêtent sur le champ.

 .....suivie de celle de Leopold Robin


Le lendemain, 6 septembre, Léopold Robin est arrêté à son tour : « par d’autres FFI que je ne connaissais pas ».

Il est d’abord détenu au « maquis de la Roche-sous-Vatan », qui s’est installé au manoir de la Roche à Graçay. Puis au Château de la Prée à Segry dans l’Indre ( qui est en fait une ancienne abbaye ) où il sera molesté, « pendu par les pieds », délivré par un officier FFI, amené au Château de St. Chartrier, puis conduit à l’hôpital de La Châtre.

Après des séjours aux camps de détention de Pouligny-Notre-Dame et de Le Douadic, de septembre à novembre 1944, il est incarcéré à la prison de Châteauroux.

Il est transféré à la prison de Blois, à la demande des autorités du Loir et Cher, le 11 janvier 1945, en raison de son rôle auprès de Mona.(30)

Dans l’attente de sa traduction devant les instances judiciaires, il est envoyé au camp de Pithiviers où il sera interrogé.

Mais son dossier sera finalement considéré comme relevant de la Cour de Justice de Bourges.

C’est la Chambre Civique de la Cour qui prononce un non-lieu le 10 juillet 1945.

Notons que le Commissaire Blandin et les notables blésois auront donné un bon coup de main à Robin car la Chambre souligne « …il affirme avoir toujours ignoré qu’elle appartînt à la Police allemande, il la croyait interprète au Ministère de l’Intérieur, d’après un sauf conduit délivré par ce Département et dont elle usait à toute occasion. Elle recevait à sa table les principales personnalités françaises de la Région et possédait en outre, pour son automobile, une carte de circulation établie par les FFI ».

De plus, la Chambre estime « que l’information n’a pas permis de recueillir une preuve quelconque de l’activité anti-nationale dont il est suspecté…ne résultent pas de charges suffisantes contre le sus-nommé Robin…d’avoir à Graçay depuis temps non prescrit, sciemment commis des actes de nature à nuire à la Sûreté Nationale ».

Le 27 juillet, Léopold Robin est transféré à la prison de Bourges, en vue de sa libération car il fallait que le Préfet de Loir et Cher mette fin auparavant à la mesure d’internement qu’il avait prise le 27 janvier 1945.

C’est chose faite le 30 juillet 1945.(31)

Léopold Robin décédera en 1980, en Seine Maritime.

        ….et de celle de Marcel Blavot

Je n’ai pu établir avec certitude la date de l’arrestation de Marcel Blavot.

On sait qu’il a été arrêté à Vierzon par le même groupe de FFI qui procéda à l’arrestation de Mona, les Troupes Mobiles du GIE du Commandant Achille avec pour la circonstance, la présence du Lieutenant Demazières.

Il est conduit lui aussi au Château de la Prée à Ségry.

Il y décède le 15 septembre 1944 mais son décès ne sera déclaré en mairie que le 29 décembre par le garde particulier du domaine.(32)

Les conditions de son décès n’ont pas été clairement établies.

La presse dira que Mona et lui ont été détenus ensemble dans un château, ce qui est faux.

Elle fera état aussi d’une tentative d’évasion de Blavot qui se serait défenestré, empalé sur une grille, puis serait décédé de ses blessures.

On dira aussi qu’il avait tenté de se suicider en se jetant d’une fenêtre et qu’un FFI l’aurait achevé d’une balle dans la tête.(33)

L’hypothèse la plus probable paraît celle formulée par le Commissaire de Police Spécial de Bourges : « Arrêté à Vierzon, il fut fusillé dans la Région après un jugement sommaire ».(34)

D’autant que Léopold Robin affirmera : « J’ai tout lieu de croire qu’il a été fusillé ».

Le 13 septembre, on l’a vu, il avait lui-même échappé de peu à la Prée, à ce qu’on a nommé « l’épuration extra-judiciaire » sur des collaborateurs mise en oeuvre par les FFI, durant ces quelques semaines de la Libération Nationale.

Une « prise de guerre » convoitée

Les maquis de « l’Armée Secrète » dans le Nord et l’Est de l’Indre :

 ll est nécessaire d’avoir à l’esprit quelques données concernant la situation des principaux protagonistes qui seront en scène dans la détention de Mona.(35)

Après le Débarquement, l’afflux massif de recrues dans les maquis et les parachutages d’armes qui permettent enfin de les armer, la structuration militaire au sein des FFI de tous ces maquis et groupes se pose donc au moment où doivent s’organiser l’insurrection nationale et le combat contre les troupes allemandes en reflux et celles d’Occupation encore présentes.

Le lieutenant-colonel Mirguet, dit «  Surcouf », chef départemental des FFI de l’Indre, issu de l’Armée Secrète, désigne fin juillet 1944, le capitaine Perdriset dit « Commandant Francis » comme chef militaire du maquis Nord-Indre et de la Vallée du Cher ( le GIE refuse d’y participer. Ce groupement s’étend jusqu’à Vierzon dans le Cher ).

Ces deux maquis sont d’obédience Armée Secrète.(36)

Le Nord-Indre est structuré en quatre sous-secteurs dont deux nous intéressent ici.

Le sous-secteur N°1 avec le bataillon dit « Comte », du capitaine Roland Perrot qui depuis juin regroupe des maquis préexistants de la zone Levroux, Vatan, Graçay.

  Le sous-secteur N°4 avec le bataillon dit « La Lingerie », du capitaine Paul Vannier, créé lui dans la région de Reuilly.

Ces bataillons sont eux-mêmes subdivisés en compagnies et groupes.

Il est difficile de les suivre géographiquement parlant, car leurs composantes changeaient souvent de cantonnements suite à des escarmouches avec les allemands ou par sécurité pour ne pas se faire repérer, puis parfois y revenaient.

 A partir d’août, ces maquis vont investir des châteaux, des grandes demeures bourgeoises, pour y installer leurs états-majors, leurs services d’intendance et aussi leurs prisonniers allemands ou collaborateurs.

Pearl Witherington, dite « Pauline » est le chef du Réseau Wrestler du SOE britannique dans l’Indre depuis mai 1944, après avoir travaillé pour le Réseau Stationner de Maurice Southgate arrêté ce même mois.

Elle est en appui aux mouvements de résistance pour l’aide des Alliés : armements, munitions, argent.

Le 10 août 1944, une équipe de l’opération « Jedburgh » est parachutée. Elle est réceptionnée par le Commandant Comte. Elle porte le nom de code « Julian ».

Cette opération « Jedburgh » des Alliés avait pour objectif de coordonner l’action des maquis avec les plans du Haut Commandement Allié.

Chaque équipe « Jedburgh » est composée de 3 membres.

Pour l’Indre, il s’agit des :

  • Major Arthur Henry Clutton ( anglais ), dit « Mac Stafford », et appelé aussi « Julian ».  
  • Lieutenant Marcel Vermot ( français), dit « Joseph Brouillard ».     

  • Radio John Menzies ( anglais ), dit« Essex ».

La mission Julian restera opérationnelle jusqu’à la mi-septembre.

Les incidents avec les Allemands sont nombreux. D’autant que la colonne Elster opère sa remontée.

Les 24 et 25 août 1944, l’Etat-Major des FFI donne l’ordre au bataillon Comte de se positionner le long de la Vallée du Cher, sur les grands axes de circulation, pour intercepter les troupes allemandes qui refluent vers l’Est.

Le bataillon La Lingerie de Paul Vannier va lui se redéployer sur les cantonnements précédemment occupés par le bataillon Comte.(37)

Le camp de prisonniers ouvert vers la mi-août dans la forêt de Fontmoreau, sous la responsabilité du Commandant Vannier, est ainsi déplacé à Guilly.

Le 4 septembre, le Commandant Francis installe son Etat-Major et l’équipe Julian au Château de Valençay.

Le commandant Comte occupe lui le Château de Châteauvieux dans le Loir et Cher, proche de la Vallée du Cher.

Le 6 septembre, les premières discussions ont débuté près de Châteauroux, pour la reddition de la colonne Elster qui interviendra le 11 à la Sous-Préfecture d’Issoudun.

L’identification de Mona

Ainsi le 5, les officiers du GIE remettent « Mona de Chazelles » au Commandant Vannier, centralisateur si l’on peut dire des prisonniers. « Mais comme il n’avait pas à se prononcer sur le sort des prisonniers, il conduisait Mona à l’Etat-Major du secteur, au Château de Valençay.

Mise en présence du Commandant Francis, Mona de Chazelles avoua s’appeler Mona Resterling, être d’origine allemande et avoir travaillé pour la Gestapo de Blois. Elle déclara néanmoins avoir toujours agi pour le plus grand bien des Français et avoir empêché grâce à sa place de choix, bon nombre d’exécutions. Elle dit être la maîtresse du chef de la Gestapo et avoir de ce fait une certaine autorité auprès de ces Messieurs, autorité qu’elle mit toute entière et selon sa conscience au service de la France ».(38)

On retrouve son discours, qui sera constant, sur son aide à la Résistance. Puis, elle demandera à « lui parler en tête à tête pour tout lui avouer ».

Le Commandant Perdriset « alerté par l’importance de la prise » veut en savoir plus sur « la Belle Blonde ». Il se souvient alors que Georges Fermé de Montrichard, lieutenant chargé de l’administration du Bataillon Comte, a eu à faire à une Mona de la Gestapo de Blois.

Il lui demande d’identifier cette femme.(39)

Profitant de la venue pour le visiter au maquis de Châteauvieux où il se trouve, de son ami Renault et de son beau-frère Berthelot qui ont aussi été interrogés par Mona, il les amène au camp de Guilly où Mona est détenue.

Nous sommes « quelques jours après la libération de Montrichard » qui eut lieu le 2 septembre.

En reconnaissant Mona, Georges Fermé ne peut se contenir : « Je dois reconnaître que n’ayant pu alors maîtriser ma colère devant un tel monstre, je l’ai rossé d’importance ».

Bien des années plus tard, il avouera qu’il avait sorti son couteau pour la poignarder et que ce sont des officiers du major Clutton présents qui l’en avaient empêché.(40)

Lors de son procès où il témoignera, Mona lui reprochera de l’avoir projeté contre une voiture et « qu’elle avait du être trépanée » ( ? ).

Mais ce qui révolte ces trois hommes, presque plus que les propos de Mona sur ses interventions supposées en faveur des patriotes, ce sont les références à ses appuis parmi les hauts fonctionnaires. « Nous étions outrés ».

Pour la faire parler, ils lui feront croire que le Préfet Aucourt est de nouveau à Blois.

Elle s’exclamera alors : « Si Aucourt est là, je suis sauvée ».(41)

Cette identification a dû avoir lieu le 8/9 septembre car Georges Fermé voulait l’interroger à nouveau, une fois tombée sa « surexcitation... si la Belle Blonde n’avait été enlevée par les Américains deux jours après ».

Il faudra plusieurs mois pour que sa véritables identité puisse être vérifiée.

Mais dès fin septembre, le Préfet est informé par le Sous-Préfet de Vendôme que le chef du personnel de l’usine de Mortier avait pu fouiller dans le sac de Mona lors d’une des ses visites à Vendôme.

Il y avait trouvé trois cartes d’identité : une au nom de Reimeringer, femme Blavot, rédigée en Allemand et en français ; une au nom de de Chazelles établie à Orléans ; une au nom de Minguet, établie à Montargis.

Son frère Frantz usera à Orléans du même pseudonyme de « de Chazelles », nom d’une ascendante maternelle.

Le 18 décembre 1944, c’est pourtant encore sous le nom de Mona Resterling, que le Préfet de Loir et Cher placera sous séquestre ses éventuels biens mobiliers et immobiliers.(42)

En effet, il est impossible d’accéder à l’Etat-Civil de Metz : la Moselle ne sera libérée que fin décembre 1944.

L’appréciation sur « l’importance » de

 Mona :

On a le sentiment que dans ces premiers jours de son arrestation, Français et Alliés, ne vont pas porter la même appréciation sur l’importance de leur prise.

Car si on sait ce qu’elle a dit aux Français, on ignore ce qu’elle a dit aux Américains même si on peut pour partie l’imaginer.

Dans une note non datée et non signée, un témoin français indique : « Elle promit de faire des révélations sensationnelles mais elle voulait être transférée à Blois où d’après ses déclarations elle comptait sur le témoignage de Français... Au cours de ses interrogatoires, elle ne donna aucun renseignement intéressant le secteur du Cher prétendant qu’elle n’avait jamais eu à intervenir dans cette région ».(43)

Qui est ce témoin ? De toute évidence un

Le Major Clutton demandera à pouvoir aussi l’interroger. « Mona fut rappelée et ne consentit à parler qu’en particulier avec le Major. A la suite de cet entretien, le Major me prévint que Mona était précieuse, ou sincère ou espionne de très grande envergure, capable en tous   cas de fournir des renseignements importants ».(44)

Georges Fermé rapportera plus tard des propos similaires : Clutton lui avait dit pour calmer sa fureur : « Si elle est importante, on la gardera, si elle ne l’est pas, on te la rendra ».(45)

Les comportements ultérieurs de Mona autorisent à penser qu’elle a « bluffé » les Alliés en les convaincant qu’elle détenait des informations de première main non seulement sur les Allemands et leurs réseaux mais aussi sur des dirigeants de la Résistance française et des personnalités politiques.

Or, les enjeux liés au devenir politique et institutionnel de la France sont alors au centre des préoccupations des Alliés qui craignent que la mouvance communiste et progressiste ne devienne majoritaire en France ou ne fomente une prise du pouvoir.

 militaire auquel une fois remise aux Américains, Mona envoya « un papier ( le ) remerciant de lui avoir épargné les sévices qu’elle s’attendait à subir chez les « terroristes… Elle reconnaissait que chacun s’était conduit en soldat ».

Le 11 septembre, le commandant Francis rédige un rapport sur les déclarations que lui a faites Mona.

Elle lui a divulgué, en tête à tête, des noms de collaborateurs et détaillé les dispositions prises par les Allemands après leur repli pour continuer à avoir des informations, en particulier par l’installation de « boîtes aux lettres ».

Le caractère succinct du rapport Perdriset interpelle : ou le Commandant est peu porté sur la plume, ou les déclarations de Mona lui paraissent modestes. D’autant qu’il ne connait pas vraiment le contexte de l’Occupation et de la Résistance en Loir et Cher.

Dans ce contexte, effectivement, Mona leur semble « précieuse ».

Ainsi, « le Major Clutton établit un rapport qu’il signe et mis sous enveloppe confidentielle avec le rapport du commandant Francis. Mona Resterling et le pli confidentiel furent remis le jour même entre les mains d’un lieutenant américain qui commandait les troupes de passage à Valençay en direction de Paris ».(46)

Nous sommes toujours le 11 septembre.

Mona est conduite de Valençay à Romorantin où elle est remise aux officiers de la 3e Armée américaine.

Les photographes de l’Armée américaine immortalisent la prisonnière à Romorantin en ce soir du 11 septembre, gardée par des FFI de la ville.(47)

Les autorités du Loir et Cher mises hors-jeu

Dans l’Indre, Mona est aux mains de FFI appartenant à l’Armée Secrète.

Dans le Loir et Cher, la situation au sein des FFI est plus contrastée et complexe.(48)

La désignation du Délégué Militaire Départemental avait donné lieu à un conflit important.

Une grande partie des FFI souhaitait pour chef le Colonel de la Vaissière dit « Valin » de l’ORA, dans le cadre de l’unité qui s’était constituée entre ORA (49), FTPF et LibéNord, assise sur le Vendômois, la zone entre Loire et Cher et la région de Blois. Les groupes et maquis FTPF y sont très présents.

La Sologne, elle se reconnaissait, dans Marcel Matron, appartenant au groupe Antoine Buckmaster de Philippe de Vomécourt, très lié aux Alliés et surtout très anti FTPF.

Le gouvernement provisoire dut « couper la poire en deux » : un double commandement géographique fut institué avec d’un côté, le plus important, celui de Valin et de l’autre, celui de Vésine de la Rue dit « Dufour » de l’OCM, préféré in fine à Matron.

Valin a la confiance et travaille avec les nouvelles autorités autour du Préfet Keller.

La nouvelle de l’arrestation de Mona s’était vite répandue.

Le 13 septembre, Valin rédige un ordre de mission : le FFI Georges Fermé ramènera Mona à Montrichard, le commissaire Leboutet la ramènera lui à Valin qui la fera ensuite conduire chez les Américains.(50)

Ce sera finalement Marius Bigot, commandant la 10e Compagnie des FFI-Valin, cantonnée à Montrichard, qui en sera chargé ( crainte de nouvelles réactions violentes de G. Fermé ? ). (51)

Il se rend au camp de Guilly mais « la Mona était passée aux mains des Américains ». Valin informé s’exclamera : « ils nous l’ont court-circuitée ! ».

Le lendemain, le commandant Bigot, le FFI Fourneau et un témoin anonyme se rendent à Romorantin : « L’interprète nous confirma l’enlèvement de Mona, mais il nous fut impossible d’obtenir qu’elle nous fut remise ».

Le soir même, ce 14 septembre, le Préfet de Loir et Cher s’adresse au CIC américain à Blois (52). Il lui demande que « l’inculpée soit confiée dès que possible à la Police française aux fins d’interrogatoire, ainsi que l’ont prévu les accords franco-américains conclus à ce sujet ».

Il précise que le Commissaire de la République à Orléans et le service de la Sûreté Nationale à Paris réclament également l’audition de Mona dans les deux villes.(53)

Les autorités du Loir et Cher où Mona a sévi et celles d’Orléans où son frère fut un des principaux bourreaux de la Gestapo ne veulent pas être dépossédées de leurs prérogatives pour faire juger Mona devant les juridictions françaises d’exception qui se mettent en place.


Mais, le 17 septembre 1944, Mona a déjà été transférée par les Américains au Centre des Interrogatoires, 19 avenue Foch à Paris.(54)

Le bras de fer entre l’OSS, les Services Secrets de l’Armée américaine, et les autorités françaises va durer plus d’un an pour la récupération de Mona.


Mona à Romorantin le 11 septembre 1944

(photos ci-dessous)

( Prochainement : « Les Procès de Mona » )


Bibliographie :

A coté des ouvrages et articles cités dans les notes, le (la) lecteur (trice), pourra utilement consulter :

JOUANNEAU Michel, L’organisation de la Résistance dans l’Indre, édité par ses soins, 1975.

GUILLON Maurice, Prisonnier de la Gestapo de Blois, éditions de La Pochardière, 2000.

LAUBRY Jean-Louis et NICAULT Maurice, Le Journal personnel de Francis Perdriset, sur www.alain.gievis.chez-alice.fr

LEFRESNE Bernard, son site www.histoire-41.fr, contient de nombreux articles sur la période de la seconde guerre mondiale dans le Loir et Cher.

LUCAND Christophe, Le vin et la guerre : comment les nazis ont fait main basse sur le vignoble français, Armand Colin, 2017.

« PAULINE », Pearl Cornioley, Témoignage recueilli par Hervé LAROQUE, éditions Par Exemple

1996.

STIVER Jean-Luc, Maquisards, Histoire du maquis de Dun-le-Poëllier et de la résistance bazellaise, 1943-1944, Editions Points d’Ancrage, 2018.

VIVIER Jack, Montrichard, ville occupée, cité libérée, CLD, 1984.

Notes :

1- Cette partie sur la jeunesse de Mona a pour sources :

-Le rapport de René Boisselier, Commissaire Spécial BST Orléans ; audition de Mona le 22-2-1945 au 18, Boulevard Suchet à Paris. ADLC 1652 W 21/1756

-L’exposé des motifs présenté par André Delthil, Commissaire du Gouvernement près la Cour de Justice d’Orléans le 26-9-1946. Archives privées-Catherine Delthil.

2-J’ai exclu de mon étude toute information qui permettrait d’établir un lien entre Mona et sa descendance qui ne peut être tenue responsable de ses actes durant la guerre.

Journal France Centre et la Nouvelle République du 27-9-1946.

3-L’archiviste de l’Université de Bonn, Thomas Becker ( lettre du 22-7-2020 )

4-Louis Stanislas Moreau, ancien avocat de Mona, la Nouvelle République du 30-5-1987.

5-L’Est Républicain des 22 et 25-1-1934.

Le Lorrain des 10 et 18-5-1934.

6-AD 18 2 R 820, Registre Matricule de Marcel Blavot.

7-La Dépêche, Le Petit Marseillais, L’Eclair, etc. du 19-8-1941.

8-CIA-Documents sur les crimes de guerre nazis-Special Collection/nweda 7/164, Reimeringer Franz.

9-ADLC Le Patriote 15 et 22-10-1944

10-Voir le témoignage du Dr. Meunier dans la 2e Partie.

L’étude de l’auteure sur « Médecins, Occupation et Résistance dans le Loir et Cher » www.tharva.fr

11-La Gestapo de Blois et le Kommando d’Orléans ont fait l’objet de deux dépositions de Mona à l’Inspecteur Boissselier le 22-2-1945.

Ce qui s’est écrit ensuite sur la Gestapo de Blois, à commencer par d’autres rapports de police, a été puisé partiellement dans ces dépositions, ici largement reproduites.

12-Les interrogatoires nominatifs de résistants seront indiqués dans la 2e Partie car plusieurs témoigneront à son procès en 1946.

13-ADLC 1652 W 21/ 1756, Déposition de la cuisinière du 21-12-1944

14-ADLC 1652 W 21/1756 Rapport du Commissaire Spécial de Blois du 27-10-1944

15-ADLC 1652 W 21/1756 Bulletin de renseignement du BSN 057 du 3-1-1945

16-ADLC 1652 W 21/1756, déclaration de la cuisinière déjà citée. Cette mention concernant Marcel Blavot sera incluse dans d’autres rapports de police.

17-AD 18 1 W 469/ 1339.

18-ADLC 1375 W 158, Audition de Léopold Robin par Alexis Beaume, Inspecteur de la SN, Pithiviers le 28-4-1945.

  AD 18 3 W 198/ 438 Bis, Audition de Léopold Robin par Jean-Louis Philippe, inspecteur BST d’Orléans, Pithiviers le 30-6-1945.

19-ADLC 579 W1, Réquisitions allemandes, indemnités par communes.

20-AD 18 3 W 198/438 Bis

21-Voir le procès intenté à Mona, Robin, Blavot et les Calame, par Georges Silz en 1947 dans la 2e Partie.

22-Chronologie sur la Libération de Blois établie par le Centre de la Résistance, de la Déportation et de la mémoire de Blois.

23-Audition de Mona du 22-2-1945, déjà citée.

24-Même audition

25-Audition de Léopold Robin du 30-6-1945, déjà citée

26-Audition de Léopold Robin du 28-4-1945, déjà citée.

27-AD 18 3 W 198/438 Bis

Déclaration de la gardienne du Château de l’Archetier du 26-7-1945.

Déclaration des gardiens du Château de Vaugelay du 1-8-1945

28-Audition de Mona du 22-2-1945, déjà citée.

29-AD 18 198/438 Bis

Déclaration de Georges Chalandré à la Gendarmerie Nationale de Graçay le 10-3-1945.

Audition de Georges Chalandré devant le Juge d’Instruction de la Cour de Justice de Bourges le 8-8-1945.

30- ADCL 1375 W 158

31-AD 18 1 W461/909

32- Le registre des décès de la commune de Segry atteste qu’il y a eu plusieurs cas de personnes tuées en septembre 1944 et dont la sépulture a été trouvée en décembre, dont plusieurs Allemands.

33-La Nouvelle République du 27-9-1946 ; la République du Centre du 27-9-1946 et la Nouvelle République du 11-2-1946.

34- AD 18 1 W 469/1339, Fiche de renseignement établie sur Marcel Blavot par le Commissaire Spécial de Bourges le 20-10-1945.

35- Voir : Chauveau-Veauvy Yves, L’été 44 Nord-Indre, Sud Loir et Cher, IRS 45, 1993

SHD, Historique des Unités combattantes dans les maquis de l’Indre,1974  

Un certain nombre de résistants du Sud Loir et Cher, pourchassés par les Allemands, avaient rejoint les maquis de l’Indre.

36- L’Armée Secrète regroupe à partir de 1942, les groupes paramilitaires de Combat, LibéSud et Franc-Tireur, mais aussi certains de LibéNord, puis ensuite ceux des Mouvements Unis de la Résistance (MUR). Elle est globalement d’obédience gaulliste. Le 1-2-1944, elle constituera les FFI avec l’ORA (issue de la Résistance au sein de l’armée d’Armistice) et les FTPF (proche des communistes).

37-Archives privées Monique Fermé : Déclaration de Georges Fermé, non datée, mais faites dans le cadre de l’Instruction ouverte contre Mona donc fin 44-début 1945.  

38- Archives privées Catherine Delthil : Déclaration de Huguette Boyer, secrétaire et agent de liaison du Commandant Perdriset ( « Francis » ) le 28-10-1944.

39- Georges Fermé, chef du Groupe de Montrichard du Réseau Adolphe/SOE. En août 1943, il échappe de peu à la Gestapo venue l’arrêter. Il se réfugie dans l’Indre et s’engage dans le maquis puis le Bataillon Comte où il est le « lieutenant André ». Sa femme Henriette fut arrêtée à sa place en représailles et déportée à Ravensbrück.

Voir l’étude de l’auteure, « La résistance en Loir et Cher : les femmes déportées ».

40- Archives privées Monique Fermé, Ecrits de Georges Fermé.

Le « camp de Guilly » avait dû être installé dans le Château de la Chesnaye à Guilly, construit par Ferdinand de Lesseps et qui comptait une ferme expérimentale propice à la détention de prisonniers. « Pauline » et son Etat-Major y avaient séjourné en Août, une quinzaine de jours.

41- Archives privées Monique Fermé, déposition non datée de Marcel Renault qui s’était rendu au camp de Guilly avec G. Fermé.

42- ADLC 543 W 38, Administration des Domaines, biens séquestrés des collaborateurs.

43- ADLC 1375 W 155, Déclaration sans nom ni date.

44- Déclaration de Huguette Boyer déjà citée.

45- Ecrits de Georges Fermé déjà cités.

46- Déclaration Huguette Boyer déjà citée.

47-Photographies du Signal Corps.

Une retrouvée dans les Archives de l’Armée américaine à Washington par Mr. Jean-Claude Delanoue. Le jeune FFI est son beau-père,. Elle m’a été aimablement communiquée par Hélène Leclerc, présidente de la SAHAS à Romorantin.

Une communiquée par Mr. Charles Bonhert du Cercle Historique du Pays de Vierzon qui la tenait du résistant Marcel Demnet. Son site : www.tampow3945.com

48- Voir : L. Jardel et R. Casas, La Résistance dans le Loir et Cher, PUF Vendôme, 1994.

49 Henri de La Vaissière dit le Colonel Valin de la Vaissière. Né en 1901, c’est un Saint-Cyrien, affecté dans l’armée de l’air. Il entre en Résistance au sein de l’ORA, d’abord dans la Nièvre. Réfugié dans le Loir et Cher, il devient chef militaire des FFI et des FTP du Loir et Cher Nord, délivre Vendôme au coté du comandant Verrier et sa zone d’influence du Loir et Cher. Il dirige le 4e Régiment d’Infanterie de l’AIR (RIA) constitué en Loir et Cher avec 1100 jeunes résistants FFI et FTP. Le 4e RIA est envoyé nettoyer « la poche de Lorient ». Valin et le commandant Verrier sont assassinés le 19 décembre 1944 par Gustave Schneider, un subordonné.

50- Laurent Leboutet, Commissaire des renseignements Généraux à Blois, Résistant, qui aida des Juifs à passer la Ligne de Démarcation et des détenus juifs au Camp de Lamotte-Beuvron. En juillet 1947, en poste au Port de Sète, il facilita le départ de « l’Exodus », alors immobilisé, à quitter le port. Il recevra le titre de « Juste ».

51- ADLC, « La ténébreuse affaire Mona », le Patriote du 16 au 23-3-1946

52- ADLC, « La ténébreuse affaire Mona », le Patriote du 16 au 23-3-1946

53- ADLC 1375 W 155

54- ADLC 1375 W 155