Le parcours des deux curés constitutionnels de Monthou-sur-Cher :

Gaspard Meyssonnier des Bruères et Antoine Gastignon

Comme plusieurs autres de ses consoeurs de la Vallée du Cher et du département, la commune de Monthou-sur-Cher connaitra, notamment à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, une dualité affirmée entre entre deux familles de pensée : les courants républicains et laïcs d’une part et les courants cléricaux d’abord monarchistes puis conservateurs d’autre part.

Pourtant jusqu’en 1832, la commune avait connu une situation sans à-coups majeurs.

Les raisons de cette tranquillité communale étaient le résultat concomitant de plusieurs facteurs qui lui avaient fait traverser la Révolution dans un consensus largement majoritaire de la population sur la nouvelle organisation de la société.

Les tournées périodiques qu’effectuait l’évêque d’Orléans dans son diocèse, avant 1789, révèlent une population peu pratiquante qui va aux vignes et aux champs le dimanche plutôt qu’à l’Eglise. Au-delà de ses fonctions pastorales, le curé est un administrateur royal : il tient les registres paroissiaux, il communique les ordonnances et décisions des autorités civiles. Parfois, c’est aussi un banquier qui octroie des rentes et fait l’école aux enfants des notables. Ceux du XVIIIe siècle à Monthou, furent des curés paisibles en osmose avec la population. Leurs doléances portent surtout sur les difficultés de leur ministère pour se déplacer lors des intempéries et inondations dans une commune où l’eau est très présente.

Le dernier seigneur du Gué-Péan, René Michel Amelot, avait été presque toujours absent depuis 1774. Il avait peu influencé la paroisse. C’était par ailleurs un homme acquis à certaines idées du siècle des Lumières qui émigrera contraint et forcé.

La structure sociale de la paroisse était propice au rayonnement des principes de 1789.

Monthou était, comparée à d’autres paroisses voisines, très multi-professionnelle, avec un plus large échantillonnage de catégories, aux revenus plus importants.

A coté des catégories traditionnelles de vignerons, laboureurs, professions de la forêt, elle comptait un nombre non négligeable de meuniers, marchands, fabricants, artisans divers, liés aussi aux besoins du château et de ses personnels. Ces derniers, avec le notaire-procureur fiscal en tête, étaient porteurs des idées de changement de l’ordre social comme le furent partout la plupart des « cols blancs » de l’époque (avocats, notaires, magistrats, bénéficiaires de charges et d’offices, etc.).

Officiers du Gué-Péan, gros laboureurs, meuniers, marchands-négociants et artisans formeront cette armature du Tiers-Etat dont seront issues les générations de notables locaux de Monthou qui animeront la vie publique de la commune au XIXe siècle, comme dans les autres communes d’ailleurs.

Mais, c’est à la paix religieuse durant la Révolution que Monthou doit, pour beaucoup, son calme, durant cette période.

La présence successive de deux curés ayant prêté le serment à la constitution civile du clergé, volontairement et non par obligation ou fatalisme, a évité à la commune un schisme religieux porteur de déchirements et de tensions parmi la population.

Il était intéressant de relater brièvement leur parcours.

Gaspard Meyssonnier des Bruères : un chanoine venu d’ailleurs.

Il y a très peu de données sur ce Gaspard Meyssonnier des Bruères.

C’est en partant de l’identification de son décès à Blois que j’ai pu glaner des informations et les raccorder entre elles.

En effet, il décède à Blois, le 28 mai 1793. Il demeurait rue du Pont.

Il est qualifié de « prêtre vicaire épiscopal natif de Trévoux, département de l’Ain ».

En fait, il n’est pas natif de Trévoux mais y a exercé des fonctions sacerdotales. 

Les Meyssonnier, une vieille famille de Theizé (Rhône), fournisseuse de prêtres

La présence des Meyssonnier à Theizé est ancienne. C’est une commune viticole du Beaujolais, un point commun avec Monthou !

Ils avaient leur chapelle familiale dans l’église paroissiale (1).

Le grand-père de Gaspard, né vers 1655, Clément Meyssonnier, est maître apothicaire à Theizé, puis il portera le titre de chirurgien. Il sera aussi procureur fiscal de la terre de Oingt. À son décès en 1725, il est installé à Villefranche-sur-Saône comme maître apothicaire.

Son père Pierre Meyssonnier, né à Theizé en 1698, se marie en 1722, avec la fille du notaire royal de Villefranche-sur-Saône. Il est alors établi à Bourg en Bresse, lui aussi comme maître chirurgien-apothicaire

Les Meyssonnier fournissent à l’Eglise un prêtre par génération.

Claude Meyssonnier, curé de Theizé vers 1662.

Pierre Meyssonnier, qui le sera de 1713 à 1736.

Jean-Aimé Meyssonnier, l’oncle de Gaspard, occupera plusieurs fonctions : ainsi , en 1737, il est Prieur de la Chapelle du Prieuré de la paroisse de Ste. Euphémie (Ain) en tant que Chanoine du Chapitre Collégial St. Symphorien de Trévoux ; puis avec le titre d’archiprêtre substitué de l’Arbresle, il sera curé de Theizé où il décède en 1756.

Une carrière sacerdotale dans l’Ain

Gaspard est né à Bourg-en-Bresse le 15 janvier 1731. Son oncle le chanoine est présent et signe l’acte de baptême. Il a deux soeurs ainées.

La première trace que nous ayons de lui est sa présence et signature sur un acte de mariage à Theizé, le 13 septembre 1751. Il a donc 20 ans et il est « clerc tonsuré du diocèse de Lyon ».

Gaspard est donc en train de devenir ecclésiastique.

On perd sa trace puis on le retrouve le 9 mars 1759, « chanoine et curé de la paroisse de Ste. Euphémie ».Il a ainsi pris la suite de son oncle en tant que Chanoine, desservant Ste. Euphémie qui faisait partie des prébendes du Chapitre Collégial de Trévoux.

Son dernier acte signé à Ste. Euphémie est daté du 5 mai 1761.

Les Dombes sont définitivement rattachées au Royaume, en 1762.

Le 8 mai 1762, il signe son premier acte sur le registre paroissial de Villeneuve toujours dans l’Ain et le dernier le 27 mars 1768.

Puis, nous le perdons de vue pour le retrouver en 1777 comme sacristain (on disait aussi sacriste) au Chapitre de Trévoux (2).

Les chanoines des Chapitres assuraient collectivement le chant lors des offices ; ils assuraient une mission de conseil auprès des dignitaires de l’Eglise ainsi que les fonctions attachées à leur canonicat comme l’enseignement dans les écoles, les secours aux pauvres, l’entretien des bâtiments, la conservation des manuscrits, etc.

La fonction de sacristain faisait partie des plus importantes et rangeait son titulaire dans les dignitaires du Chapitre. Le sacristain préparait les objets nécessaires aux cérémonies, entretenait et ornait l’Eglise.

Gaspard est toujours à Trévoux en 1782 (3).

Une mutation dans le diocèse d’Orléans au Chapitre Collégial de Meung-sur-Loire

En 1783, il est répertorié comme chantre du Chapitre de la Collégiale Saint-Liphard à Meung-sur-Loire (4).

Pour quelles raisons et dans quelles conditions Gaspard rejoint-il le Diocèse d’Orléans et plus précisément Meung ? C’est un mystère. Et cet homme a déjà plus de cinquante ans.

Les mobilités entre diocèses étaient une possibilité.

Il fallait généralement la protection d’un puissant, laïc ou ecclésiastique, ou appartenir à une filière familiale.

Gaspard a peut-être bénéficié de l’appui de Lazare Victor de Jarente de la Bruyère, abbé commendataire de la riche abbaye de St. Martin d’Ainay, située dans les quartiers aristocratiques de Lyon, son diocèse.

Il était le frère de Louis Sextius de Jarente de la Bruyère, évêque d’Orléans.

Ce dernier, mis sur la touche par Louis XVI en1771, s’était retiré au Château de Meung, résidence d’été des évêques d’Orléans.

En 1780, il avait fait nommer son neveu Louis de Jarente de Senas d’Orgeval comme évêque coadjuteur qui deviendra évêque d’Orléans à la mort de son oncle en 1788.

Il sera un des quatre évêques d’Ancien Régime à prêter le serment à la Constitution Civile du Clergé.

Gaspard a bénéficié d’une promotion car il est chantre. C’est celui qui organise et dirige le choeur.

Gaspard espérait-il une autre progression de carrière ?

Il est toujours à Meung en 1784 (5).

Et il est encore qualifié de chanoine honoraire de Trévoux en 1786 et 1787, c’est à dire la confirmation qu’il a quitté ses fonctions d’origine (6).

Une affectation en qualité de curé à la paroisse de Monthou-sur-Cher

Le 29 novembre 1779, Laurent François Aignan avait rédigé son premier acte en tant que curé de Monthou.

Il remplaçait Charles Dubois, décédé depuis le 12 novembre 1778, après des dizaines d’années de services dans la paroisse. Le vicaire Joudon avait assuré l’intérim.

C’est un orléanais de 27 ans, appartenant lui aussi à une famille comprenant plusieurs prêtres et chanoines.

Le 23 juillet 1785, il effectue son dernier baptême.

Le 29 juillet, Gaspard Meyssonnier des Brüières (ou Bruères, en fait des Bruyères) rapporte un baptême du curé de Thésée du 26 et inscrit en marge : « J’ai commencé mon entrée au dit Monthou, c’était le vendredi à 5 heures du matin ».

Il s’agit de toute évidence d’une double résignation, pratique consistant à démissionner et céder son bénéfice à un autre clerc de son choix. Elle était très prisée car elle permettait de contourner les règles traditionnelles de nomination au sein de l’Eglise et comportait aussi des avantages financiers.

Laurent François Aignan devient chanoine à Meung en remplacement de Gaspard qui prend sa place à Monthou (7).

Là encore nous ignorons les motivations de Gaspard et les modalités de cet échange, en particulier sur le plan des revenus respectifs des deux fonctions.

C’était une dimension non négligeable dans les choix des carrières ecclésiastiques.


En effet, combien rapportait la cure de Monthou pour les dîmes, le casuel (les tarifs payés pour les différents sacrements) et les pèlerinages à la Fontaine miraculeuse de St. Lié ?  

Aucun membre de sa famille ne s’est appelé des « Brüières » ni aucun des rares documents qui le citent, ne fait état de cette adjonction.

Il y a encore de nos jours une ferme des Bruyères à Ste. Euphémie qu’il desservit. Il y détenait peut-être un bien et avait ajouté ce nom de lieu à son patronyme ?

Les registres paroissiaux de Monthou nous donnent quelques indications sur le personnage.

Ses registres ne sont pas un modèle de très bonne tenue.

Gaspard « tasse » ses actes, fait des erreurs qu’il doit raturer et rectifier. Il devra même rajouter, in fine d’un registre, un acte oublié !

Il est très susceptible sur ses prérogatives et réinscrit systématiquement un sacrement effectué par ses collègues de Bourré ou Thésée s’il s’agit d’une de ses ouailles.

Ainsi, il portera sur le registre, en décembre 1787, le mariage de René Michel Amelot et Amélie de Luker célébré à Beaugency !

A la fin de celui de son année d’arrivée en 1785, il note, de manière ironique ou impertinente, à l’attention des responsables du bailliage de Blois : « J’ai l’honneur d’observer que le papier n’est pas des meilleurs » ! 

Mais en 1790 , le ton a changé : « Mr. le Greffier de l’auguste tribunal de Montrichard est prié de la part du soussigné son respectueux serviteur, de donner un reçu de dépôt au sieur… ». Il devient presque obséquieux avec les nouvelles autorités.

En tant que curé en fonction, Gaspard a dû prêter le serment à la Constitution Civile du Clergé, un dimanche après la messe, en présence du Conseil Général de la commune.

Une élection de Maire de Monthou-sur-Cher

En 1787, la monarchie avait réformé le système administratif français et institué des Assemblées Municipales de paroisse. Le curé et le seigneur en étaient membres de droit ; un syndic était élu pour trois ans, au suffrage direct par les citoyens hommes payant au moins dix livres d’impôt, âgés de vingt-cinq ans ; il était assisté de conseillers élus.

En 1789, Jean Buffet est syndic de la municipalité.

La loi du 14 décembre 1789 institue de nouvelles municipalités dirigées par un maire, des officiers municipaux, de notables et d’un procureur qui participait aux débats avec voix consultative. Pour voter, il fallait avoir vingt cinq ans et payer un impôt équivalent à 3 jours de travail et dix jours de travail pour être élu (8)

Le 7 mars 1790, a lieu l’élection de la première municipalité révolutionnaire à Monthou : un maire, 5 officiers municipaux, un procureur, un greffier et 12 notables. Elle est élue pour un an.

C’est le curé Meyssonnier qui est élu maire (9).

Monthou est loin d’être un cas d’espèce. Dans la situation nouvelle porteuse de réformes dans tous les domaines, les curés avec leur savoir et leur expérience d’administrateur, apparaissent alors comme les plus compétents. De nombreux curés furent élus maires surtout, si comme Gaspard, ils affichaient leur adhésion aux principes de 1789.

Gaspard va démontrer en plusieurs circonstances qu’il sait faire valoir les intérêts de ses concitoyens et de sa commune.

Lorsque le 15 août 1790, les habitants de Monthou demeurant entre le Menais et les Vaublins, réclament leur rattachement à Bourré, en s’appuyant sur la nouvelle organisation territoriale qui ouvrait la possibilité de rattacher des « écarts » limitrophes à une autre commune, le maire-curé lance une contre-attaque tous azimuts contre les signataires de la pétition les accusant de faire diversion pour éviter le rattachement de Bourré à Montrichard qui est « clair et évident ».

Il obtiendra gain de cause. Le 27 octobre, le Directoire du District refusera la demande de ces habitants de Monthou.

Après la « Grande Peur » et la hantise des brigands déferlant sur nos commune, de l’été 1789, les districts vont inciter les communes à mettre en place une milice citoyenne (qui deviendra la Garde Nationale). Monthou tarde et Gaspard doit s’expliquer auprès du district. Il détaille les raisons de ce retard qui ne résulte pas d’une opposition car « ils sont patriotes d’inclinaison » mais des difficultés matérielles et financières de la population depuis toutes ces dernières années. Il promet de constituer la milice dès que possible.

Le 27 octobre 1790, il va argumenter sur le même registre pour expliquer les difficultés à mettre en place le « don patriotique ». Les citoyens souhaitent pouvoir donner pour la Patrie mais « ils sont réduits à la dernière misère, tous endettés, le curé qui n’est que depuis cinq ans est comme les autres ».

Les conditions du renouvellement de la municipalité en novembre 1790, pour l’année 1791, ne satisfont pas René Michel Amelot qui met en cause le maire-curé et Grégoire Clivot du District. Peut-être avait-il un candidat à mettre en avant ?

Gaspard Meyssonnier est toujours à Monthou lors de la mise à disposition de la Nation des biens du clergé. L’inventaire des biens et titres de la cure de Monthou a lieu en octobre 1790. Les ventes des biens de la cure, du Prieuré, de l’Abbaye de Pontlevoy, du Chapitre de St. Aignan, etc. débutent en octobre 1790 et s’étaleront sur plusieurs années.


Une nomination de Vicaire épiscopal de l’Evêché de Blois

Le 12 février 1791, l’Assemblée des électeurs du Département de Loir et Cher élit l’abbé Grégoire, évêque constitutionnel du nouveau diocèse. Elle comptait 260 électeurs dont 4 prêtres. Parmi ces derniers, Gaspard Meyssonnier et Dupont ex-chanoine de St. Aignan.

Jules Gallerand pense que Gaspard avait recueilli quelques voix (10).

L’abbé Grégoire avait été aussi élu dans la Sarthe ; il choisit le Loir et Cher. Il est installé évêque le 13 mars.

Le 23 mars, la Société des Amis de la Constitution de Blois, appelée le Club, prie Grégoire : « de vouloir prendre en considération le patriotisme et l’ardeur de l’abbé Meyssonnier ».

Grégoire leur répond : « qu’il ne croit pas pouvoir mieux récompenser le patriotisme du dit curé de Monthou qu’en l’appelant dans son futur conseil » (11).

Il le nommera évêque épiscopal sans même l’avoir rencontré !

Gaspard devait être un membre actif du Club ou pour le moins, il y avait acquis de solides sympathies et soutiens.

Le 5 avril 1791, il rédige son dernier acte à Monthou et signe : « vicaire général de l’Evêché de Blois ». Titre qui n’existait pas dans l’Eglise constitutionnelle où l’évêque était entouré de 12 à 16 vicaires épiscopaux. Mais qui devait mieux sonner aux oreilles de notre Gaspard !

Puis, on ne sait plus rien de lui.

L’abbé Gallerand notera qu’il ne fait plus partie du personnel ecclésiastique en 1795, lors de la reprise des cultes (12).

Pour cause. Comme on l’a vu, il est décédé le 28 mai 1793.


Antoine Gastignon : un ex-chanoine du Chapitre de St. Aignan

Une naissance mouvementée

La vie d’Antoine Gastignon débute par un acte de décès.

Le registre des sépultures de St. Aignan note, en marge, à la date du 4 octobre 1759 : « enfant Gastignon ». Le vicaire indique qu’il a inhumé ce nouveau né décédé après avoir été ondoyé. Cet acte qu’il avait dû rédiger sur l’information de ce décès et non pas après une inhumation effective n’a pas été rayé !

Le registres des naissances, à la même date, clarifie la situation : Antoine François Gastignon est né à 1 heure du matin. Il avait été ondoyé par Madeleine Thuret, sage-femme, « à cause du danger de mort » et le vicaire a « suppléé les cérémonies du baptême ». Suppléer signifiait baptiser à l’église un enfant ondoyé à la maison.

Il est le fils d’Antoine Gastignon, cordonnier et de Anne Louet. Le vicaire vraisemblablement perturbé par ce retour à la vie d’Antoine, se trompe sur le nom de sa mère et l’appelle Anne Verrier. C’est le nom de famille de la mère de Anne.

Il a pour parrain son oncle François Bigot, drapier et Anne Leclerc, son arrière grand-mère paternelle, elle aussi d’une famille de drapiers.

Les Gastignon, originaires de Chèmery, étaient venus s’installer à St. Aignan.

Jean Gastignon, son grand-père, qui s’était marié à Mareuil avec la fille d’un laboureur de Céré la Ronde, est qualifié de « journalier ». Mais on peut penser qu’il est journalier dans l’industrie, au sens de travailleur à la tâche sur commande, car c’est Antoine Clivot, négociant tanneur, qui est le parrain de son fils Antoine, en 1722 et Agathe Aucoeur sa marraine, encore d’une famille de drapiers.

Le même Antoine Clivot, appelé depuis l’ainé, sera témoin du mariage d’Antoine avec Anne Louet, le 1er juillet 1755.

Le statut social des Gastignon s’est à coup sûr élevé.

Car les signataires pour ce mariage sont significatifs. Outre Antoine Clivot qui sera aussi échevin, on relève des notables de la ville comme Jean Raymond Mazuray, notaire et Jean Dormoix, chirurgien.

Un autre signe : le frère d’Antoine, oncle du nôtre, est devenu Chanoine du Chapitre de la Collégiale de Saint-Aignan. Les chanoines étaient généralement recrutés parmi les familles de notables. Il sera vicaire de la Chapelle St. Bernardin de l’Abbaye Notre-dame des Anges et aumônier de l’Hôtel-Dieu (13).

La prieure perpétuelle de l’Abbaye, Anne Jeanne Gassot, sera la marraine d’une soeur d’Antoine en 1756 et se fera représenter par François Verrier, oncle de l’enfant.

Ou encore, Jean- Claude Delorme, père de Jean-Jacques notaire et historien de St. Aignan, fut le parrain d’un de ses frères en 1762. Il était membre d’une des principales familles de notables de St. Aignan. Il sera cavalier de la Maréchaussée et Général des Monnayes pour le Roi.

On retrouvera ces noms parmi les soutiens de la Révolution à St. Aignan qui constitueront le Club des Bernardines parce qu’il siégeait dans leurs locaux.

Ainsi, Antoine Gastignon baignera dans une sociabilité familiale favorable aux idées nouvelles (14).

Ses frères et soeurs semblent être décédés en bas âge ou jeunes.

Un chanoine du Chapitre de St. Aignan

On est quasiment sûr qu’Antoine, appelé parfois avec l’inversion de ses prénoms François Antoine, a remplacé son oncle au Chapitre par résignation de ce dernier ou par nomination directe.

Nous ignorons, où il a reçu sa formation de prêtre et s’il avait exercé dans une cure.

Nous ne savons rien de lui avant 1785, date à laquelle il bénéficie en tant que chanoine d’une prébende sous forme de bail emphytéotique de 27 ans « pour un demi-arpent de vignes derrière le parc du Château » (15).

Le 12 juillet 1790, l’Assemblée nationale vote le constitution civile du clergé. Elle met en place une église constitutionnelle qui rémunère le culte et dont les prêtres sont de fait des fonctionnaires publics.

Après avoir longuement hésité, Louis XVI lui donne sa sanction.

Les ecclésiastiques devaient prononcer le serment suivant : « Je jure de veiller avec soin sur les fidèles (du diocèse ou de la paroisse) qui me sont confiés, d’être fidèle à la Nation, à la Loi et au Roi et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l’Assemblée Nationale et acceptée par le Roi ».

La constitution civile du clergé avait supprimé les Chapitres comme tous les ordres religieux.

Antoine Gastignon est, si l’on peut dire, au chômage.

Comme les évêques, les curés devront être élus.

Les chanoines, s’ils acceptent, sont recasés comme curés dans des cures vacantes.

Le 10 avril 1791, avec l’accord de l’évêque Grégoire, il est élu à la cure vacante de Monthou par l’Assemblée électorale du district.

Le 17 avril, il se présente devant tous les membres de l’administration municipale, leur demande conformément à la loi de s’assembler pour entendre le serment civique qu’il prononcera en chaire   avant la messe pour pouvoir célébrer ensuite l’office.

Antoine aménage à sa main le texte du serment : il jure « en bon et fidèle pasteur de veiller au troupeau qui lui est confié » et il ajoute un engagement : celui de « vivre en citoyen patriote » (16).

Le 15 mai 1791, il rédige son premier acte sur ce qui est encore le registre paroissial.

Une commune sans secousses religieuses

Nous n’avons pas suffisamment d’éléments pour apprécier ce que furent les sentiments de la population face aux mesures religieuses des assemblées révolutionnaires et particulièrement durant la phase de déchristianisation.

Ce qui, par contre, peut-être affirmé, c’est le rôle « d’amortisseur » d’Antoine Gatignon durant toute cette période.

Car, on ne relève pas de troubles ou « d’émotions populaires », comme on disait, provoqués par la politique religieuse à Monthou ou la présence d’un curé opposé au serment constitutionnel, contrairement à d’autres communes du département.

La vente des biens du clergé fut plébiscitée par le succès qu’elle rencontra chez ceux qui avaient les moyens de les acheter. Nombreux furent les notables de Monthou à le faire d’autant qu’il les détenait souvent à bail ou sous le régime des rentes perpétuelles.

Antoine Gastignon achète une des deux cuves de sa propre cure ! Il acquiert aussi une cave appartenant au Chapitre de St. Aignan. Sur Monthou, paroisse viticole, une grande partie des dîmes dues à la cure était du raisin (17).

Notre curé-citoyen produisait du vin.

L’église connaitra, comme dans toutes les communes, les prélèvements révolutionnaires pour assurer la défense de la patrie : les métaux, les tissus, les cloches pour leur précieux bronze (une seule cloche était autorisée), les objets d’art. Une des deux cloches de l’église a vraisemblablement disparu à ce moment là.

Il n’y aura aucun changement de nom de lieu à Monthou contrairement à St. Aignan devenu Carismont où, par exemple, la rue du Cher devint la rue « Tendresse conjugale » et celle du Vert-Galant, la rue « de la Paix ». Montrichard s’était transformé en Montégalité, Châteauvieux en Vieux-Logis, St. Romain sur Cher en Brutus, etc.

La déchristianisation s’étend, en gros, de l’été 1793 à juillet 1794.

Monthou n’éprouva pas le besoin de renoncer à la religion catholique comme le décret de la Convention du 6 novembre 1793 le lui permettait, ni de fermer, ni de vendre son église (18).

Le culte catholique a dû s’y poursuivre mais, on peut le penser, avec une faible fréquentation voire des périodes à éclipse.

La majorité de la Convention soutenait la position de Robespierre dénonçant les dangers des excès de la déchristianisation porteuse de désordres.

Ainsi, le 7 mai 1794, la Convention décrète le principe de l’immortalité de l’âme et l’existence d’un Etre Suprême.

L’église de Monthou servit-elle aussi de temple pour les fêtes révolutionnaires remplaçant celles du culte catholique comme pour le Culte de la Raison ou l’Etre Suprême. Le curé-citoyen Gastignon en a t’il célébré ? Nous l’ignorons.

Après la chute de Robespierre, la Convention proclame le 21 février 1795, le rétablissement des cultes et la séparation de l’église et de l’Etat en France. Elle est totale. L’Etat ne financera plus les cultes ni le personnel ecclésiastique. Les églises fermées sont recouvertes à partir du 31 mai 1795.

L’Eglise constitutionnelle avait été très affaiblie et par la politique de déchristianisation et par la fin de la rémunération des cultes et des curés.

Le Concordat signé le 15 aout 1801 et entré en vigueur le 8 avril 1802, entre Bonaparte et le pape Pie VII, va parachever la « normalisation » du régime religieux.

Les évêques et curés seront à nouveau rémunérés par l’Etat mais devront prêter un serment de fidélité au gouvernement.

Que savons nous du parcours d’Antoine Gastignon durant toute cette période ?


La « plume » de l’Etat-Civil de Monthou

Antoine Gastignon va mettre, comme on dit, ses compétences au service des différentes municipalités.

Il sera « la plume » de l’Etat-Civil comme il avait tenu les registres paroissiaux.

Le 20 septembre 1792, l’Assemblée Législative sécularise l’Etat-civil en confiant le soin « de constater l’état-civil des citoyens » aux maires et non plus aux curés.

Le 19 octobre 1792, Antoine précise dans un acte : « an 1 de la République Française » et signe toujours « Gastignon curé ».

Le 7 décembre, Antoine indique qu’a « été inhumé dans le cimetière de cette paroisse par le ministre catholique le corps de… » et signe pour la première fois « Gastignon homme publique » mais « de cette paroisse ». Antoine n’a pas totalement sécularisé la rédaction de ses actes !

Mais ce sera chose faite dès le 20 décembre avec des actes dressés par « Antoine Gastignon homme publique de la commune de Monthou-sur-Cher » et signés aussi « homme publique ».

L’article 6 de la constitution civile du clergé avait établi le principe de l’incompatibilité d’un certain nombre de fonctions civiles électives et le personnel ecclésiastique. Ainsi, les curés ne pouvaient pas être maire ou officiers municipaux.

Mais, il était autorisé de faire tenir l’Etat-Civil par « un officier public » recruté spécialement pour cette mission essentielle, qui fut la plupart du temps un curé ou un homme de loi. Presque tous issus des structures de l’Ancien Régime.

C’est donc ce que fit Antoine Gastignon qui avait précisé dans un acte qu’il était « officier publique nommé par le Conseil Général de la commune ».

A ce titre, il prononce le divorce du couple Amelot, le 16 novembre 1793.

Mais le 24 mars 1794, le maire Maurice Berthelin indique qu’il fait « les fonctions d’officier publique en la place du citoyen Gastignon démissionnaire ».

Cette mise en retrait d’Antoine Gastignon n’est peut-être pas étrangère avec l’activité dans le département, au même moment, du représentant du peuple Garnier de Saintes qui va contribuer à radicaliser le directoire du district de St. Aignan en l’incitant à des mesures répressives contre les curés, les émigrés et les citoyens jugés douteux ?

Puis suivra, comme on l’a indiqué, la période de séparation de l’Etat et de l’Eglise de 1795 jusqu’en 1801.

La loi du 11 février 1800, prise en application de la Constitution de l’an VIII, confie au Préfet la nomination du maire et des adjoints choisis parmi des citoyens pré-sélectionnés suivant un système complexe de listes de notabilités. Les curés pouvaient y être portés.

Dans ce cadre, le Préfet nomme Antoine Gastignon, qualifié de « pensionnaire de l’Etat » », comme adjoint au maire de la commune de Monthou, le 26 mai 1800 (19).

La loi de 1795 avait en effet maintenu des pensions pour les curés pour leurs services antérieurs.  

Le 19 juillet, le nouveau maire André Trotignon et son adjoint Gastignon sont installés et ils prêtent serment de fidélité à la Constitution.

Le 12 juillet 1801, Antoine qui est bien « ministre du culte » réitère son serment de fidélité ainsi que le nouveau maire Delagrange. Toujours prudent et avec sa longue expérience, il demande « une expédition de sa déclaration ».

Antoine fait partie des curés constitutionnels qui acceptent le Concordat (ce qui ne sera pas le cas de Grégoire partisan du maintien d’une Eglise constitutionnelle gallicane, indépendante de Rome) et sont donc intégrés dans la nouvelle organisation de l’église concordataire.

Le 7 octobre 1802, il s’adresse au Préfet pour lui signifier qu’en raison « des incertitudes de la fixation de son domicile pour les nominations des ministres du culte », il lui donne sa démission d’adjoint. Il propose deux noms pour le remplacer « tous deux zélés pour le bien public ».

Le 20 octobre le Préfet le rassure en appréciant que : « selon toutes les apparences vous resterez à Monthou » et s’il n’a pas « d’autres raisons suffisantes », le Préfet l’engage à continuer sa fonction d’adjoint.

Le 22 novembre, Antoine répond au Préfet que « comme l’insouciance n’était pas le motif mais l’incertitude…je consens à continuer ces fonctions afin de me rendre utile à ma Patrie et à mes concitoyens comme je l’ai toujours fait ».

Mais le 6 mai 1803, Antoine saisit à nouveau le Préfet car il vient d’apprendre par ses supérieurs « que le gouvernement ne veut pas que les desservants des communes exercent une fonction publique ce qui les détourne de leur ministère ». Il présente à nouveau François Ferrandou et Etienne Ménage pour le remplacer et ajoute : « Si je puis être utile à la commune, je le ferais de tout mon coeur ».

Le 17, le Préfet nomme Francois Ferrandou adjoint et il demande au maire de « témoigner au citoyen Gastignon les regrets que j’ai de le voir quitter des fonctions qu’il a remplies avec tant de zèle ». Une reconnaissance d’autant plus remarquable que les Préfets étaient avares en compliments et jouaient plutôt les pères fouettards du gouvernement central à l’égard des maires et adjoints !


…..et jusqu’en 1815, Antoine Gastignon continuera à rédiger les actes d’Etat-Civil signés par le maire ou son adjoint.

Il décède le 15 décembre 1829, à 71 ans, au presbytère. Il était toujours prêtre desservant de sa paroisse.

En 1822 le dernier Marquis Amelot est de retour au Gué-Péan. Il est avide de revanche sur la Révolution. Mais l’émigration de son père et de son oncle qui demeurera un des derniers évêques réfractaires à refuser d’accepter le Concordat de 1816 de Louis XVIII, ainsi que péripéties du maintien du Gué-Péan dans sa famille, le contraignent à une certaine retenue locale. Il ne pourra influencer la vie communale et perturber le curé Gastignon.

Mais après son décès en 1832, le domaine du Gué-Péan est acheté par la famille de Cassin.

Les de Cassin, barons de fraiche date avec un titre acheté, sont monarchistes, conservateurs et ultramontains sur le plan religieux.

Une période plus tourmentée débute dans l’histoire de la commune.

 

 

Gaspard Meyssonnier et Antoine Gastignon : deux personnalités qui se dessinent à travers les données recueillies.

Le premier entreprenant et combatif mais dont on ne sait s’il était acquis aux idées nouvelles avant 1789 ou si la Révolution fut pour lui une révélation et un engagement d’opportunité, notamment de carrière.

Le second, modeste et discipliné, avec un attachement sincère à la Nation et à une religion proche des gens.

Les deux ont, chacun à leur manière, oeuvré à maintenir la paix religieuse dans leur commune et à enraciner le régime républicain dans la population.


Thérèse GALLO-VILLA


Notes et sources :


Cette étude doit beaucoup à la consultation des registres paroissiaux pour trouver les traces, les filiations, les alliances, le statut social de nos personnages.

L’ouvrage de Claude Boussereau sur Monthou et mes propres recherches ont été très sollicités.

Compte tenu de l’abondance des sources bibliographiques sur la Révolution, l’Abbé Grégoire et l’Eglise constitutionnelle, je n’ai cité en notes que les ouvrages directement concernés.

Je remercie les Archives Départementales de l’Ain, la Bibliothèque Municipale de Bourg-en-Bresse et la mairie de Theizé pour leurs réponses à mes sollicitations.


  1. Lors de la restauration de l’église dans les années 1980, il n’en fut plus trouvé la trace en raison des travaux effectués en 1807.
  2. « Almanach Astrologique et Historique de Lyon et des Provinces du Lyonnais, du Forez et du Beaujolais, Année 1777 » .
  3. « La France ecclésiastique, Année 1782 ».
  4. « La France ecclésiastique, Année 1783 ».
  5. « La France ecclésiastique, Année 1784 ».
  6. "Almanach Astrologique et Historique…, Années 1786 et 1787 ».
  7. « La France ecclésiastique, Année 1786 ».
  8. Dr. Frédéric Lesueur, L’Assemblée de département de Blois et Romorantin et son bureau intermédiaire ( 1787-1790 ), Mémoires de la Société des Sciences et Lettres de Loir et Cher,

      T. 20, Année 1910.

(9) Sur cette période, se référer à l’ouvrage de Claude Boussereau et à mes articles sur la seigneurie du Gué-Péan.

(10) Jules Gallerand, A l’assaut d’un siège épiscopal, Thémines et Grégoire au début 1791,

      Mémoires de la Société des Sciences et Lettres de Loir et Cher, T. 24, Année 1922.

(11) Jean Dubray, Correspondance de l’Abbé Grégoire avec son clergé du Loir et Cher,

        T.1/1791-1795, Classiques Garnier, 2017.

(12) Jules Gallerand, Les cultes sous la Terreur en Loir et Cher (1792-1795), Grande Imprimerie de

      Blois, 1929.

(13) ADLC G 790, G 446.

(14) Se référer au livre de J.J. Delorme, Histoire de la Ville de St. Aignan, Imprimé à St. Aignan,

      T. 1, 1846.  

(15) ADLC G 249

(16) ADLC 2296

(17) ADLC 1338, 1339

(18) ADLC 1335

(19) ADLC M 34 : cette liasse contient les différents documents cités jusqu’à la lettre du Préfet du 17 mai 1803.