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Texte de la communication présentée le 15 Juin 2018 par Thérèse Gallo-Villa,  aux 10° Journées de la Société Française d’Histoire de la Médecine, qui se sont tenues à Monthou-sur-Cher, les 15 et 16 juin 2018. Cette communication est publiée dans la revue Histoire des sciences médicales. 


En Loir et Cher et Vallée du Cher : 


Médecins, Occupation et  Résistance.


Les médecins n’ont fait l’objet de quasi aucune recherche en Loir et Cher.

Seul, Mr. Bernard Lefresne leur a consacré une étude partielle, qui porte d’ailleurs sur la période qui nous concerne, à partir du registre des délibérations du Conseil de l’Ordre pour les années de guerre (1). En effet, les archives publiques accessibles en Loir et Cher, concernant cette profession, sont rarissimes.

Tout travail de recherche sur les médecins dans notre département, relève donc de l’adage « chercher une aiguille dans une botte de foin ».

A défaut de prétendre à une étude la plus exhaustive possible, mon objectif plus réaliste a été de tenter de dégager des tendances significatives des comportements de la profession durant cette période de notre histoire, tragique et complexe, qui exclue les simplifications.

J’ai procédé par ce qu’on pourrait appeler, des « coups de projecteurs » thématiques sur les séries concernant la guerre, la Libération et l’épuration aux Archives Départementales de Loir et Cher (41).

J’ai exploité les rapports des Préfets et des gendarmeries, les données relatives aux partis, aux élections.

Et, surtout, j’ai recherché des témoignages de résistants, de leurs familles, faisant état de médecins.

Enfin, j’ai puisé dans les témoignages « d’anciens » comme on dit ici, ayant vécu Occupation et Libération dans nos communes de la Vallée du Cher, recueillis lors de mes travaux antérieurs.

Je ne citerai pas de noms discutés, pour des raisons d’évidence liées à la spécificité de la période et sa proximité temporelle.

Ce propos liminaire méthodologique me semblait indispensable.

1) A la veille de la guerre, le Loir et Cher et ses médecins :

A ) Un ratio médecins/population en dessous de la moyenne nationale :

L’Annuaire de Loir et Cher 1937 ( le dernier d’avant-guerre ) dénombre 124 médecins en activité et 9 non exerçants (2).

Ils sont en majorité installés dans les 3 pôles historiques du département Blois, Romorantin, Vendôme.

En 1936, il y a 17 médecins assermentés, une poignée de chirurgiens, psychiatres et ophtalmologistes.

Le département possède 3 hôpitaux dans ces villes chef-lieu d’arrondissement et 7 hospices, pour un total de 768 lits.

Certaines zones du Vendômois et de la Sologne étaient très mal loties. 

La situation était meilleure en Vallée du Cher.

A la campagne, l’essentiel des consultations avait  lieu à domicile : l’épicerie, la boulangerie, le bistrot servaient d’intermédiaire pour les demandes de visites et le médecin y passait les récupérer chaque jour (3).

Avec un ratio de 54 médecins/100 000 habitants, le Loir et Cher est bien en deçà de la  moyenne nationale à 62,7.

B) Une situation sanitaire médiocre :


Elle nous est connue grâce à un rapport du 28 novembre 1940, du Dr. Grenoilleau, Inspecteur de la Santé Publique ( 4 ).

Ce rapport pointe la place importante, dans les pathologies les plus répandues, de la tuberculose, des maladies vénériennes ( et la crainte de les voir prospérer avec la présence des troupes d’Occupation), les conséquences de l’éthylisme et les cancers. 

Il avance même l’hypothèse sur la base de travaux d’un collègue, de zones cancérigènes dans le département dont les vallées.

La mortalité en zone rurale est plus forte qu’en ville ; le rapporteur l’impute à une mauvaise hygiène de vie des populations.

Sans pouvoir développer, il est intéressant de souligner combien ce rapport reflète, sur la politique maternelle et infantile, les thèses eugénistes ( 5 ) très répandues dans le corps médical d’alors et propices aux passerelles ambigües avec l’idéologie de Vichy ainsi qu’une conception autoritaire du rôle du médecin dont les prescriptions médicales doivent primer sur la liberté individuelle du malade, au nom de l’intérêt du groupe, de la collectivité.

C) Une profession fermée à dominante conservatrice :


Le Loir et Cher est de longue date un département républicain, majoritairement radical-socialiste. 

Une gauche modérée y domine mais plus engagée dans des zones vigneronnes de la Vallée du Cher ou à plus forte concentration ouvrière industrielle ou agricole comme Contres, Romorantin, St.Aignan, marquées par le Front Populaire.

La profession a donné jusqu’en 1939, 5 députés, 2 sénateurs, et 17 conseillers généraux ( 6 ). Généralement des républicains modérés.  ,  

On les trouve très présents dans les conseils municipaux. Le maire de Blois est alors Maurice Ollivier ( SFIO ).

A la veille de la guerre, on relève plusieurs médecins responsables connus du Parti Social Français de de La Rocque, parti fondé après la dissolution des Croix de Feu ; mais surtout ils constituent une bonne partie des dirigeants de l’Action Française, à côté de quelques hobereaux nostalgiques de l’Ancien Régime.

Les médecins trustent, d’ailleurs, aux élections de 1937, la majeure partie des candidatures de ces deux partis d’extrême droite ( 7 ).

Nous sommes donc en présence d’une forte adéquation entre le statut social des médecins, l’idée d’appartenir à une élite et leurs convictions idéologiques.

On compte, sur les doigts d’une main, les médecins estampillés à gauche, symbolisés par Lucien Breitman, responsable départemental de la SFIO et conseiller général socialiste du canton de Mennetou.

Dès avant la guerre, la profession est attachée à limiter le nombre des médecins pour préserver clientèle, revenus et posture sociale et aussi estime t’elle, le niveau et la moralité de la profession.

En Loir et Cher, les médecins avaient approuvé les dispositions réservant études et exercice de la médecine aux citoyens français ( mais sans plus de précision ). Ce point va se révéler très important.

Les médecins ont créé en Loir et Cher, une section locale de l’Association Générale des Médecins de France, société de prévoyance et secours mutuels.

On notera que plusieurs d’entre eux se font aussi un nom dans les Sociétés Savantes  archéologiques, historiques et littéraires du département

Les médecins notamment dans les campagnes jouissent d’un grand prestige et d’une indiscutable autorité. 

Ils ne jouent pas tout à fait dans la cour des grands que sont les chirurgiens et spécialistes de Blois ou les médecins exerçant aussi des fonctions médicales publiques notamment dans les hôpitaux.

Mais tous les témoignages des Anciens permettent de dessiner ce personnage emblématique du médecin de campagne dévoué, disponible, tutoyant ses patients, polyvalent car aussi bien accoucheur que souvent psychologue, dentiste, voire au besoin vétérinaire.

2) Face au régime de Vichy : une profession aux comportements « légalistes ».

On comprend donc que, passés la sidération de la défaite et le choc de l’invasion allemande, tous les ingrédients étaient réunis pour que la quasi unanimité des médecins du département soutienne Pétain, le héros de Verdun, durablement perçu comme le défenseur des intérêts de la France face aux Occupants et, en sous mains, comme préparant la reprise des hostilités et soutenant les Alliés.

Ces positions et illusions étaient partagées en cette année 1940 par une très large majorité de l’opinion publique. Beaucoup de médecins en activité étaient aussi des anciens combattants de 14-18.

Il faut avoir à l’esprit que les membres ou les proches de l’Action Française et du PSF vont pour nombre d’entre eux être tout de suite opposés à l’Occupation par germanophobie et agir en conséquence, tout en restant fidèles pour un temps au moins, au Maréchal Pétain, plus qu’à Vichy. Les autres sombreront dans la collaboration.

Cette donnée est une caractéristique marquée en Loir et Cher, soulignée par les Résistants eux-mêmes à la Libération (8).

Nous y reviendrons pour nos médecins dans la prochaine partie.

Les médecins vont donc être respectueux de l’ordre nouveau mis en place par Vichy et de ses lois.

A) Au sein du tout nouveau Conseil de l’Ordre : (9)


La loi du 7 octobre 1940 avait supprimé les anciens syndicats médicaux et institué une nouvelle instance, le Conseil Supérieur et les Conseils départementaux qui deviendront peu après des Conseils départementaux de l’Ordre des Médecins.

Nos médecins étaient attachés aux syndicats professionnels mais vont se mouler sans états d’âme dans cette nouvelle structure qui valorise l’esprit corporatif, l’ordre et les élites provinciales, chères à Vichy. Il se dira que les médecins seront les « hussards blancs » du régime comme la République avait eu ses « hussards noirs » avec les instituteurs.

Les principaux dirigeants du Conseil nommés par arrêté préfectoral du 24 janvier 1941 ( il y a 8 membres ) sont d’ailleurs les mêmes que dans l’ancienne structure et connus pour leurs engagement à l’Action Française. Les membres des Conseils seront élus par leurs pairs en 1943. 

Ce « légalisme » va particulièrement s’exercer dans la mise en œuvre de l’arsenal anti-juif dans la médecine.

La dénonciation de la « pléthore », de « l’invasion » des étrangers, des « métèques », dans le corps médical était une constante d’avant guerre des médecins. Elle visait surtout les jeunes médecins juifs issus de Roumanie, Pologne, etc. 

Dès juillet 1940, plusieurs textes vont organiser l’éviction des juifs de la médecine dont la fameuse loi du 16 août 1940 sur la réorganisation de la profession et l’exigence de la nationalité française d’origine, celle centrale du 22 Juillet 1940 sur la révision des nationalités acquises depuis 1927. 

Notre conseil départemental de Loir et Cher va d’abord auditionner, le 18 septembre, un expert pour bien se faire expliquer la loi du 16 août.

Ces textes sont à corréler avec les deux statuts des juifs du 3 octobre 40 et du 2 juin 1941 ainsi que l’imposition du numerus clausus pour les médecins  juifs dans le décret du 11 août 1941.

La loi du 16 août  sera mise en œuvre lors de l’établissement du tableau début 41.

Le 3 septembre 1939, début de la drôle de guerre, il n’y avait plus que 47 médecins disponibles dont 5 femmes (10)

Début 1941, 94 médecins vont être inscrits.

Sur 11 médecins étrangers recensés : trois seront inscrits mais non juifs ; le cas de deux, juifs, est en attente de preuves de services antérieurs dans une unité combattante, permettant une dérogation ;  6 juifs ne seront pas inscrits, dont au moins deux étaient passés en zone libre !

Enfin citons, la non inscription en plus, du fameux Dr. Breitman pour « manque de moralité » qui donnera lieu à une affaire mémorable avec son cortège de rivalités politiques, d’antisémitisme et d’animosités personnelles. Il sera déporté et reviendra de  déportation.

On notera, à partir de ses PV, que le Conseil relayera consciencieusement les directives préfectorales comme par exemple sur les impopulaires quotas de carburants auxquels étaient soumis les médecins.

B) Au sein des fonctions administratives publiques :


L’exemple du médecin-directeur de l’hôpital psychiatrique de Blois est significatif de ce légalisme ambiant sur fond d’anti sémitisme diffus ou affirmé.

Ainsi, à une circulaire du 16 février 1942 rappelant les mesures anti-juives pour le corps médical transmise par le Préfet, il répond le 24 « il m’a paru évident que les lois éliminant les indésirables s’appliquaient aux emplois d’internes des hôpitaux psychiatriques, c’est pourquoi....j’ai systématiquement éliminé ...toutes les candidatures...qui n’étaient pas de nationalité française d’origine ou qui étaient juifs » (11).

On n’a pas trace dans les archives préfectorales ou de police, d’une quelconque contestation issue des milieux médicaux sur la politique de Vichy. 

La politique familiale, la lutte contre l’avortement, sont très approuvées.

L’autre domaine, au regard de notre sujet de communication, est l’attitude du corps médical loir et chérien sur le STO.

Les médecins chargés des visites médicales étaient désignés par la Préfecture, visiblement sans consultation du Conseil. 

A la Libération, quelques plaintes furent émises contre des médecins accusés d’avoir déclaré aptes des jeunes handicapés ou malades. Pour leur défense, ils affirmeront qu’ils ne faisaient qu’appliquer la réglementation, qu’elle était de plus en plus contrainte, que leur marge d’appréciation était quasi nulle (12).

Il est vrai que ces visites deviendront de plus en plus fictives, sous haute surveillance allemande.

Mais, là encore, il n’y a pas trace de protestations, du moins écrites. Le légalisme fut de mise au sein de ces fonctions médicales publiques.

Mais, à côté et dans le mouvement même de la complexité et aussi des contradictions des comportements humains, je vous invite à passer de ces zones d’ombre que la vérité historique ne pouvait masquer à des zones plus lumineuses des médecins dans la résistance à l’Occupation en Loir et Cher, plus particulièrement dans la Vallée du Cher.

3) Face à l’Occupant : une profession au comportement distant.

Si l’on met à part, moins d’une dizaine de médecins qui exprimèrent haut et fort leur adhésion et leur soutien aux fondements du national-socialisme et à la politique de collaboration, qui avaient des relations y compris personnelles avec les officiers allemands, la très large majorité de la profession fut d’une grande prudence, de conviction ou de circonstance, dans ses relations avec les Allemands.

Je reprends volontiers l’expression de Mr. Lefresne : « proches de Vichy, à distance des Allemands ».

Dans la plupart des enquêtes de gendarmerie ou des renseignements généraux effectuées à la Libération sur des médecins soupçonnés de convictions et attitudes anti-nationales, les témoignages se ressemblent et convergent (13).

Le PV de gendarmerie concernant le docteur X de Thésée les résument bien par la bouche d’un témoin « Je n’ai jamais entendu le docteur X tenir des propos pro-Allemands. Je ne l’ai jamais vu faire de la propagande pour les Allemands. J’ignore s’il faisait partie du RNP. Avant guerre, j’ai entendu dire qu’il était affilié à l’Association des Croix de Feu. Je ne l’ai jamais entendu critiquer les Alliés. Malgré que je sois son voisin immédiat, je n’ai jamais vu d’allées et venues chez lui de personnes étrangères à la commune ».

Souci de ménager son médecin toujours en exercice ? Peut-être.

Mais ces témoignages de l’époque sont corroborés par tous ceux que j’ai recueillis depuis ces dernières années.

Les médecins ont opéré une césure entre l’exercice de leur profession et la présence des troupes d’occupation, assise aussi sur les souvenirs atroces de 14-18 et dans notre région par la présence des « casques à pointe » de la guerre de 1870-71. Et pour certains, rappelons-le, les positions anti-allemandes d’une partie de l’extrême-droite française.

Un témoin dira du docteur X de Thésée : « il haïssait même les Allemands » (14)

4) Face à la Résistance : une profession au comportement de plus en plus différencié, en crescendo.

Dans ce cheminement de l’attitude de nombre de médecins, on distingue plusieurs étapes.

Elles se positionnent sur leur terrain spécifique, celui des soins ou de l’utilisation de leur fonction. 

C’est à dire là où ils sont irremplaçables.

Je n’ai trouvé que quelques cas de participation aux actions de la Résistance de type, réception de parachutages, sabotages, attaques contre des Allemands, missions auprès d’autres groupes dans d’autres départements.

Ce qui sera par contre le cas de plusieurs vétérinaires.

A ) 14 juin 1940 : soigner les victimes des bombardements.

Les bords du Cher seront la dernière ligne de résistance désespérée de l’armée française.

Le 16 juin, la zone de Blois-Mer avait été bombardée avec un grand nombre de morts et blessés. Le Préfet devra exiger du Syndicat médical qu’il rappelle à leurs devoirs plusieurs médecins blésois partis se réfugier ailleurs ! ( la même situation se reproduira en 1944 ! ).

Le 14, Montrichard et ses environs avaient été bombardés... plusieurs centaines de morts et de blessés parmi, notamment, tous les réfugiés tentant d’aller plus au Sud.

Le dévouement et l’abnégation des médecins locaux, comme le Dr. Galvin de St.Georges sur Cher, furent unanimement soulignés, leur conférant respect et confiance de la population. 

La mémoire des Anciens en porte encore une trace précise.

Le 20 au soir, toutes les communes de la Vallée sont occupées.

Le 25, l’Armistice et sa ligne de démarcation sont effectives.

B) La ligne de démarcation : ils furent aussi des « passeurs ».

Aider à passer la Ligne dans ces premiers temps de l’Occupation à des réfugiés, des militaires prisonniers évadés, déjà des juifs lucides, sera la première forme du refus de l’occupation et de la Résistance.

Je vous en reparlerai demain.

Mais, il convient de souligner que des médecins y contribuèrent.

Ceux de la Vallée du Cher bénéficiaient d’un Ausweis pour circuler de part et d’autre du Cher, car leur clientèle habitait des communes des deux zones.

Ils feront franchir la ligne aux points de passage autorisés à des gens présentés comme des malades qu’ils reconduisaient chez eux ou, en sens inverse, qu’ils amenaient à l’hôpital.

Ils se spécialiseront dans le passage du courrier qui avait été interdit entre les deux zones ( cela durera un temps certain ), car leur fonction et leur image légaliste les protégeaient des fouilles.

Les plus engagés, passeront des renseignements récoltés par les réseaux et qui étaient alors acheminés vers Châteauroux, puis Lyon et Londres ( 15 ).

Des médecins éloignés de la Ligne donnaient des adresses de passeurs, des plans d’endroits où le passage était facile.

 Ainsi, le docteur Dénis de Contres fut convoqué en juin 41 par la Kommandatur car on avait arrêté une dame en possession d’une ordonnance du docteur avec un plan d’un lieu de passage à Noyers. Il s’en tirera avec une condamnation à payer une grosse amende. La dame aussi, plus un peu de prison ( 16 )

Un an plus tard, cela aurait été, pour les deux, la déportation.

C) Du bon usage des certificats médicaux :

La production de certificats médicaux sera une de leurs principales formes d’aide.

Il y aura les certificats pour obtenir un Ausweis de quelques jours pour aller dans sa famille en zone Sud.

Il y aura les certificats médicaux fournis à des familles juives venues s’installer dans nos communes et qui après la promulgation des Statuts seront en 1940 et 41 soumises à des contrôles, aux inscriptions sur les registres des juifs et menacées d’internement. Ces certificats attestaient que l’état de santé d’un membre de la famille nécessitait de vivre à la campagne.

Il y aura les certificats délivrés aux jeunes pour les présenter à la visite médicale pour le STO pour tenter d’obtenir du médecin officiel un report de départ temporaire ou définitif.

Il y aura les certificats d’arrêts maladie prescrits aux ouvriers dans les entreprises travaillant pour les Allemands. Les autorités allemandes réagiront vivement en avril 1943, en dénonçant des pratiques frisant le sabotage en nuisant à l’effort de guerre et inviteront le Préfet à un sérieux rappel à l’ordre des médecins, menacés de représailles ( 17 ).

D) Les soins aux Résistants et Maquisards :

L’année 1943 marque dans notre département à la fois une montée en puissance de la Résistance et le démantèlent, notamment dans le Sud du département, des principaux réseaux du SOE. Quatre grands réseaux et mouvements dominent en Sud Loir et Cher : les FTPF, les SOE, LibéNord et l’ORA.

Parachutages, sabotages, accrochages avec les Allemands, arrestations, évasions, etc. vont se multiplier. 

Les  maquis se créent et vont rapidement se développer à partir du débarquement allié le 6 juin.

L’été 1944 connaît le reflux des troupes rejoignant l’Allemagne et qui sèment la terreur, l’intensification des actions des résistants et maquisards pour chasser les troupes d’Occupation et libérer nos communes. Cette Libération sera effective début septembre.

Le nombre de blessés, sans oublier les aviateurs et parachutés, sans parler des tués, parmi les FFI et aussi les civils, nécessite un recours grandissant aux médecins.

Les témoignages convergent sur le concours des médecins sollicités pour les soigner, souvent les cacher et les transporter dans un hôpital pour y être opérés sans les faire repérer et arrêter par les Allemands ( 18 ).

Il y eut des opérations fictives.

Il y eut l’administration de médicaments pour faire croire qu’ils étaient dans le coma pour empêcher des interrogatoires, etc.

Il y eut des transferts clandestins entre hôpitaux, cliniques pour brouiller les pistes.

Il convient d’acter que ce comportement fut aussi celui d’une partie de ces médecins connus  pour leurs opinions d’extrême droite avant guerre. Certains seront accusés à la Libération. Des témoignages indiscutables révélèrent, au contraire, les ruses qu’ils employèrent pour sauver d’éminents résistants ( 19 ).

Il faut dire que l’ordonnance allemande qui exigeait que les médecins fassent connaître aux autorités d’Occupation tout blessé, par balle ou par explosif, avait fait l’effet d’un électrochoc. 

Les Allemands demandaient aux médecins de violer le secret professionnel, un des fondements déontologiques essentiel de la profession !

On connaît aussi quelques médecins, non installés dans le département, mais venus dans un maquis ou un réseau de notre zone par conviction, ou s’y réfugier car pourchassés par la Gestapo qui joueront le rôle de médecins quasi officiels des groupes de FFI et des maquis ( 20 )

Des détails relevés de-ci, de-là, permettent d’entrevoir aussi le rôle des médecins en prévision des offensives pour la Libération : constitution de réserves de médicaments, caches pour brancards et installations sommaires pour soigner, voire opérer en urgence.

E ) Y eût-il un engagement de médecins au sein de la Résistance Médicale organisée ?

Faute d’éléments suffisants, il n’est pour l’instant pas possible de dégager des données significatives pour le Loir et Cher. D’autant que très très peu de médecins ont fait les démarches  pour au moins vérifier s’ils remplissaient les conditions d’obtention de la Carte de Combattant Volontaire de la Résistance

Au niveau national, on sait qu’après la création en mars 1941 du « Journal des Médecins Français », par des médecins communistes et juifs de la Région Parisienne, la Résistance Médicale va s’organiser autour du Front National des Médecins des FTPF ( proche du PCF ), du Service de Santé ( proche des gaullistes et de la droite modérée ) de l’OCM, du groupe médical ( proche des syndicalistes  et des socialistes ) de LibéNord.

Ces mouvements s’unifieront en novembre 1943 dans le Comité Médical de la Résistance ( CMR ), dirigé par Louis Pasteur Valéry-Radot, assisté notamment de Robert Debré.

Les historiens soulignent le caractère très minoritaire de la Résistance Médicale organisée, surtout représentative des élites médicales la Région Parisienne et des très grandes villes ( 21 )

Mais on relèvera ici, le nom du docteur Roger Phelebon de Montrichard, militant du Service de Santé puis du CMR qui lui demandera de le représenter pour le département ou celui de Louis Balland de Pierrefitte-sur-Sauldre, membre des FTPF et chargé de missions délicates par la Résistance et dont la maison servait de planque.

Comme au niveau politique, l’unité de la Résistance Médicale ne se survivra pas à la Libération.

Après de premières dispositions transitoires, ce sera le retour aux formes traditionnelles avec un nouveau Conseil Supérieur de l’Ordre mis en place et les syndicats médicaux reconstitués, en 1945.

5) A la Libération : un rôle politique émergent.

A ) Une épuration marginale :

Une dizaine de médecins firent l’objet d’enquêtes à la Libération sur leurs comportements.

Les enquêtes de gendarmerie pointent leurs opinions et des comportements de violences verbales mais aussi cette césure dont j’ai parlé avant entre leur activité professionnelle et leurs convictions.

Faute de preuves pour quelques uns, il ne put être établi de complicités avec l’occupant dans la dénonciation de résistants ou des refus de soins.

Quatre furent internés administrativement après les procédures prévues avec l’institution de la Commission de Criblage et de la Cour de Justice.

Deux furent frappés de peines dites d’indignité nationale et de séjour hors du département.

Il est savoureux de relever la demande d’un maire qui, malgré la condamnation du médecin local, demande à pouvoir le conserver, face à la pénurie de docteurs, pour assurer les vaccinations dans les écoles.

Toutefois, on dénombre un cas d’épuration violente : le docteur Montagne, ancien président de l’Ordre, très marqué à l’extrême droite, avait lui été exécuté par la Résistance en août 1944 ( 22 )

B ) Une représentation notable dans les instances élues :

La place des médecins au sein de la vie publique et élective à la Libération traduit le cumul de l’aura de leur statut social et leur attitude au regard de ce que les contemporains appellent « l’esprit de la Résistance ».

Un premier signe avait été donné par leur place au sein des Comités de la Libération ( 23 )

Le Dr. Chevallier est président du Comité Local de Libération de Vendôme.

Le Dr. Phélebon est membre de celui de Montrichard.

Aux élections cantonales du 23 et 30 septembre 1945, 7 médecins sont élus conseillers généraux dont 1 SFIO, 3 radicaux socialistes, 1 MRP et 2 indéterminés ( proches MRP ). 

Et c’est un médecin, le Dr. Massacré, radical socialiste, maire de Selles-sur-Cher qui préside de premier Conseil Général de l’après-guerre en Loir et Cher et le Dr. Bordes, maire de la Ferté-Imbault est un des Vice-Présidents ( 24 )

Aux élections du 21 octobre 1945, pour l’élection des députés à l’Assemblée Constituante, il y avait cinq listes en présence comportant chacune quatre candidats pour quatre postes à pourvoir.

Le Dr. Chevallier conduit la liste du MRP et est élu. Le Dr. Le Guyon, figure de la Résistance à Londres et ayant à son actif de nombreuses missions, était lui candidat sur la liste radicale-socialiste ; il ne sera pas élu mais deviendra sénateur par la suite ( 25 )

Enfin, aux élections municipales du printemps 1945, plusieurs médecins avaient été élus conseillers municipaux, maires adjoints et maires. 

Ce phénomène se poursuivra aux élections suivantes.

L’influence publique de la profession est aussi à apprécier au regard de son nombre : sur le tableau définitif établi au 15 février 1944, on compte 137 médecins dont 7 femmes, ce qui acte par rapport au nombre de médecins en 1937, une quasi stabilité ( 27 )

C) De nouvelles instances ordinales : ( 28 )

Le Gouvernement Provisoire de la République Française supprime le conseil de l’Ordre de Vichy, le 18 octobre 1943 mais maintient le principe d’un futur Conseil.

Après des textes temporaires , le nouveau Conseil et ses structures territoriales sont instituées le 24 septembre 1945.

Les syndicats médicaux avaient été recrées le 31 janvier 1945.

Ainsi, disparaissent aussi les formes professionnelles qui s’étaient structurées dans la Résistance. 

Nous manquons de sources sur la reconstitution des instances ordinales dans le département.

Par recoupements, on peut toutefois entrevoir que les quelques noms repérés dans les nouveaux responsables de l’Ordre sont des médecins  non impliqués dans les rouages de l’Ordre sous Vichy. Mais on retrouvera des responsables d’avant et de la période de guerre parmi les responsables des syndicats médicaux.

Ainsi, c’est le docteur Mornet, qui sera le Président du Conseil de l’Ordre provisoire en 1944. 

En guise de conclusion ...

Cette brève et incomplète étude sur les médecins en Loir et Cher durant la seconde guerre met en lumière, si besoin était, les liens qui unissent le statut d’une catégorie sociale, son rôle au sein de la société, ses idées et ses comportements politiques et publics.

Les médecins dans ce qui fut une des plus tragiques périodes de notre histoire reflétèrent les ombres et les lumières de ces années.

Mais ce qui a retenu le plus l’attention d’une non initiée à ce milieu, c’est que dans leur masse, ils demeurèrent fidèles au serment d’Hippocrate et aux valeurs fondatrices de la profession, malgré les risques encourus.

L’hommage que leur ont rendu des résistants FTPF, aux idées bien éloignées des leurs, montre le respect acquis par nombre d’entre eux dans la lutte contre la barbarie nazie


NOMS DE MÉDECINS AYANT AIDÉ ET/OU PARTICIPÉ AUX ACTIONS DE LA RÉSISTANCE EN LOIR ET CHER :

Ces noms ont été glanés dans des documents et des témoignages.

Cette liste est forcément très incomplète.

BALLAND Louis                              Pierrefitte-sur-Sauldre

BAUDIN Henri                                 Vouzon

BERTHOLY                                     Selles-sur-Cher

BORDES Pierre                              Selles-sur-Cher 

BREITMAN Lucien                          Romorantin

BRUN Maurice                                Blois 

CADILLAC Louis                            Selommes

CHEVALLIER Gabriel                    Vendôme 

CHRETIEN Claude                        Romorantin

CORSON Pierre

DÉNIS Robert                               Contres

DESTOUCHES André                  Montrichard

DORION                                       Sambin et Maquis de St. Lhomert

GALVIN Henri                               PSt. Georges-sur-Cher

GONDET Robert                          Blois 

GUIMONT                                    Vendôme 

LE MAREC                                   Maquis de Montlivault 

LUZUY Maurice                            Blois

MASSACRE René                       Selles-sur-Cher

MEUSNIER J. Marie                    Blois 

MORNET Jean                             Blois

PHELEBON Roger                       Montrichard

PICAROUGNE Jean                    St. AIgnan

RODALLEC Marcel                      Blois

ROY Fernand                               Blois

SEGRET Serge                            Romorantin


Sites Internet :

www.histoire.41.fr : articles rédigés sur la base du registre des délibérations du Conseil Départemental de l’Ordre durant l’Occupation.

www.tharva.fr : articles divers concernant la Ligne de Démarcation et la Résistance dans la Vallée du Cher.

www.histrecmed.fr : témoignages sur le Comité Médical de la Résistance.

www.museedelaresistanceenligne.org : biographies notamment de médecins résistants.

Sources et notes :

( 1 ) Pour les parties qui traitent des institutions ordinales, j’ai utilisé les articles de Mr. Lefresne.

Il a pu lui consulter le Registre des délibérations du Conseil de l’Ordre pour les années de guerre. Mes demandes réitérées auprès du Conseil Départemental sont restées sans suite. J’en ignore les raisons. Je tiens à rappeler que depuis 1997, les archives des Conseils de l’Ordre sont devenues des archives publiques devant être versées aux Archives Départementales. J’ai donc été contrainte de travailler sur des sources de seconde main.

( 2 ) 15 PER / 1937

( 3 ) Témoignages d’Anciens ( André Chabault, Monique Fermé, Michel Delalande, etc.)

( 4 ) 5 M / 7

( 5 ) Voir définitions et études sur sites spécialisés. Ce sont des politiques volontaristes d’éradication de caractères jugés handicapants et/ou dans le but de favoriser des caractères estimés positifs pour développement humain.

( 6 ) Voir les biographies des députés et sénateurs sur les sites des deux Assemblées.

      Celles des conseillers généraux dans l’ouvrage cité dans la bibliographie.

      Les sites des villes sur Wikipédia ou ceux des communes comportent généralement la liste    

      anciens maires et leur profession.

( 7 ) 4 M / 227

( 8 ) Jardel-Casas, p. 48, ouvrage cité bibliographie.

( 9 ) 627 W / 2

( 10 ) 5 M / 30

( 11 ) 4 M / 241

( 12 ) Les liasses de la série 1375 W ( 141 à 165 ) contiennent les dossiers individuels de l’

         Épuration. 

( 13 ) Idem

( 14 ) 1375 W 164

( 15 ) Archives Phelebon. Association des Amis du Vieux Montrichard.

( 16 ) 1375 W 67

( 17 ) Jardel-Casas, o.c, p.

( 18 ) Idem, o.c., p.

( 19 ) Série 1375-dossiers Épuration.

( 20 ) 

( 21 ) Voir les livres cités en bibliographie sur la Résistance Médicale.

( 22 ) Série 1375 W-dossiers Épuration et article de Mr. Lefresne sur Lucien Breitman.

( 23 ) 1375 W / 120-121.

( 24 ) 3 W 323 

( 25 ) 3 W 265

( 26 ) 3 W 367

( 27 ) 627 W2

( 28 ) Source Lefresne.

Bibliographie :

BOUCHER JEan-Jacques et les AD 41, Le Conseil Général de Loir et Cher de 1790 à nos jours, Blois, 2010.

CASAS Raymond, Les FFI de Loir et Cher, Vineuil, 1982.

DEWAELE Brigitte, Le Dr. Galvin, Bulletin Municipal St. Georges sur Cher, n° 42, janvier/2018.

EVLETH Donna, La bataille pour l’Ordre des Médecins ( 1944-1950 ), Le mouvement Social, 2009/4, n° 229, p.61-77.

GUILLAUME Paul ( l’Abbé ), La Sologne au temps de l’héroïsme et de la trahison, Orléans, 1950.

GUILLAUME Paul ( l’Abbé ), La Résistance en Sologne, Orléans, 1946.

JARDEL Lucien et CASAS Raymond, La Résistance en Loir et Cher, Vendôme, 1994.

NAHUM Henri, L’éviction des médecins juifs dans la France de Vichy, Archives Juives, 2008/1-vol.41, p. 41-58.

RÉSISTANCES en Touraine, H.S n°2, Actes du Colloque du 1er avril 2009, Tours, ERIL.

SIMONIN Anne, Le Comité Médical de la Résistance : un succès différé, Le Mouvement Social 1997/3, n°180, p.159-178.

SPINNER Jocelyne, Les débuts de l’Ordre des Médecins 1940-1945, Mémoire de Maîtrise, Paris Sorbonne, 1997 ( non conservé par l’Université ).

VIVIER Jack, Médecins de Touraine dans la Résistance, Sutton, 2002.