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HISTOIRE DU DOMAINE DE LA CROIX, 

aujourd'hui "VILLA ARIANE".

Avant-propos :

Si vous avez parcouru les textes synthétisant mes recherches sur notre site, vous avez pu observer que je privilégie des sujets et des personnages peu connus ou sur lesquels a été écrit peu de choses.

Cela décuple le plaisir de la recherche de sources, de documents, de témoignages et surtout celui de les mettre en perspective avec le contexte global de la période.

Et notre région, ce ne sont pas seulement nos prestigieux châteaux et nos rois de France. 

Ce sont aussi tous les autres : monuments et personnages dits « secondaires » et surtout les « petits » et les exploités de tous temps.

Mais avec cette étude sur le « lieu » de la Croix, j’ai vraiment démultiplié les difficultés !

Aux deux bouts, si je puis dire.

Sur la partie de l’Ancien Régime, car il faut attendre le XVIIe siècle pour voir apparaître quelques données ( registres paroissiaux et actes notariés).

Sur la partie du XXe siècle, où les délais légaux de consultation des archives, la nécessité de solliciter les notaires qui conservent encore des actes à partir de la fin du XIXe, les bombardements qui ont détruit les archives des hypothèques et autres archives….raréfient l’accès aux sources pourtant en principe plus nombreuses et variées !


D’où les déséquilibres de cette étude et le peu de notes.

Elle sera à compléter, préciser, voire modifier au fil de futures trouvailles car je sais maintenant d’expérience, que souvent en cherchant sur un autre lieu ou sur des sujet proches, on rebondit sur une recherche antérieure.


Bonne lecture…..


1 / Une origine inconnue :

Le lieu dit de « la Croix » se situe perpendiculairement au croisement de deux très anciens chemins.

Celui qui venant de La Varenne ( provenant lui même de Thenay et Pontlevoy ) allait à Thésée par le plateau.

Celui venant du Gué-Péan par Bizard et les Vallées, plongeait sur  le bourg de Monthou et surtout sur l’Eglise ( et les précédents édifices religieux ).

Donc une croix.

Les Anciens rapportent qu’il y avait antan une croix au croisement des deux chemins…

Les registres paroissiaux, comme ses petites maisons basses, des vestiges de cave voûtée, témoignent que ce « village » de la Croix est un des plus anciens lieux de vie de la commune.

Quelle était l’origine du domaine qui nous intéresse ici ?

Les bâtiments de ce qui s’appelle maintenant la ferme paraissent dater du début du XVIIe siècle.

Au moment de la Révolution, le notaire chargé de recenser les actes pour faire le bilan des droits seigneuriaux dans chaque commune, note que la Croix aurait été un fief de la châtellenie du Gué-Péan.

Si tel était le cas, cela remontait à fort longtemps. 

Car on le verra ci-dessous, au XVIIIe siècle, c’est devenue une terre roturière redevable des rentes et droits seigneuriaux.

Mais une hypothèse peut-être avancée : la Croix relevait peut-être de l’ancienne seigneurie de Bizard dont elle est proche. Rachetée en 1602, par François 2 Alamant, celle-ci fut fusionnée un peu plus tard avec les terres du Gué-Péan, entraînant des modifications dans son statut foncier.



2 / La dynastie des Delétang : une promotion sociale « inversée » .

A / François de l’Estang, avocat en Parlement et sieur de la Croix : ( ?-1661 )

C’est le premier possesseur identifié. 

Son nom apparait le 13 mars 1638 en tant que parrain à Monthou.

Il est qualifié « d’avocat en Parlement ». Ce qui signifie qu’il peut plaider devant le Parlement de Paris sans être pour autant un avocat du Parlement de Paris. Donc, c’est un avocat de moindre importance. 

Il est « sieur ». Ce qui signifie qu’il est le propriétaire de fait de son domaine sans en être le seigneur. D’ailleurs l’acquisition d’une terre noble ne valait pas anoblissement pour l’acquéreur.

On le retrouvera régulièrement comme parrain ou témoin de mariage.

Sa sociabilité est celle du noyau de notables relevant du Gué-Péan : notaires, avocats, fermiers, sergents, procureurs fiscaux, etc

D’où est-il originaire ?

La prolifération du nom Delétang ( et autres orthographes ) dans toutes les communes de notre zone, complexifie la réponse !

Mais par recoupements de données, il semble bien que cette famille est une famille de St.Aignan.  Ils sont marchands boulangers depuis plusieurs générations avant François qui pour l’heure assure la progression sociale de la famille en devenant avocat, avec son frère Jérôme qui sera curé de Mehers, où il baptisera sa nièce Marie, le 15 septembre 1643.

François de l’Estang est marié à Marie-Madeleine Rabier. Les Rabier sont une famille de tanneurs de St.Aignan.

Lors d’une statistique sur les familles de notables de St. Aignan en 1699, on trouvera dans la même rue, la maison des Rabier et celle des « Delétang La Croix ».

Dans cette période, on trouve aussi un Gervais Delestang à Thésée puis à Oisly ( puis à Contres ).

Ainsi qu’une Jeanne Delétang à St. Romain, alliée à une famille de notaires.

François de l’Estang décède à la Croix, le 16 novembre 1661, à l'âge de 50 ans. 

Il fut inhumé dans l’Eglise dans le caveau sous la Chapelle de gauche, réservée aux notables. C’est Anne Lecomte, notaire du Gué-Péan, qui est témoin.

B/ Une vocation familiale pour la chirurgie :

En effet, trois Delétang vont être chirurgiens.

François de l’Estang, le fils du précédent François.

Nous savons peu de choses sur lui.

Sinon donc qu’il est chirurgien et marié avec Marie Charrault ( Charreau, etc.). Peut-être les Charrault de St. Aignan, une famille de marchands.

Il décède en 1694.

Deux de ses fils sont à leur tour chirurgien.

Lié, né en 1672, encore vivant en 1690, année où il est parrain mais qui a du décéder peu après car il ne participe pas à la succession de son père.

François, qui s’installe lui à Thésée où il épouse en 1690, Julienne Chaillou ou Chilloux, jeune veuve d’un tonnelier. Ils auront une fille Marguerite née le 13 avril 1696.

Marie, la fille qui se marie en 1693, avec Pierre Ségretain, laboureur.

Enfin, Nicolas qui sera laboureur.

Ainsi, on ne retrouve pas chez les Delétang, la progression sociale typique de l’Ancien Régime : du négoce vers les charges et offices. C’est le processus inversé.

C / Nicolas I, poursuit la lignée des Deletang  ( ?-1729 )

Il est difficile de se faire une idée du sort du domaine de la Croix à cette période. Il devait être beaucoup plus conséquent.

Marie Charrault semble avoir affermé la plupart des terres relevant du domaine, mais pas les bâtiments d’habitation où elle devait continuer à résider (1).

Nicolas épouse le 5 mars 1696, Marie Fagot d’une famille de gros marchands laboureurs à Monthou et sur Thenay. Le procureur fiscal du Gué-Péan est témoin du marié.

Nicolas est qualifié de laboureur. Là encore, cela indique qu’il possède d’importantes superficies de terre mais qui peuvent être exploitées par d’autres.

En 1699, les Delétang feront une « cession de réméré » au Gué-Pean. C’est à dire que le seigneur du Gué-péan récupère une terre qui leur avait été cédée (2).

Et tant François que Pierre Ségrétain pour sa femme, ils afferment des terres sur leur part d’héritage (3).

Nicolas et Marie Fagot auront de nombreux enfants. Plusieurs filles et un seul garçon survivant.

Marie, une de ses filles, épouse de Jean Boté, drapier à Monthou, meurt en couches à 20 ans en 1723.

Nicolas disparaîtra lui en 1729  et sera inhumé dans l’Eglise.

Il est intéressant de noter que les Delétang, surtout les femmes, sont souvent sollicités comme parrain, marraine ou témoin de  mariage par la notabilité locale paysanne, marchande ou administrative, confirmant leur statut social reconnu.

D / René Delétang et la migration sur Vineuil, un des « hameaux » de Monthou ( 1712-1747 ) :

René nait le 11 avril 1712.

Il se marie à Bourré avec Anne Archambault, le 31 janvier 1735.

La jeune femme appartient à une importante famille de St.Georges dont sont issues des dynasties de « voituriers », bateliers et autres marchands.

Gabriel Archambault s’est installé à Bourré où il est carrier et transporteur sur le Cher.

En 1772, son petit-fils obtiendra la ferme de la seigneurie de Bourré (4).

Monthou s’étend alors jusqu’à quasiment la place de Bourré. 

C’est le hameau de Vineuil qui commence après l’actuel lieu-dit des Trois Croix sur la D.76.

Ce hameau très peuplé, associait culture de la vigne, extraction de la pierre de tuffeau et fabrication de tuiles, dans de petites briqueteries au bord du Cher.

Mais, les métiers connus grâce aux registres paroissiaux pointent aussi des activités de tanneries. 

Dans le bourg et dans les « lieux » comme la Croix proches des petits cours d’eau traversant des terres argileuses, on trouve aussi les métiers liés à l’industrie du drap ( foulonneurs, tisseurs, cardeurs, etc.)

Comme toujours ces registres montrent l’importance des relations économiques et les alliances entre familles des communes de la Vallée du Cher et des coteaux de St.Aignan à Montrichard.

Vineuil était très actif, favorisé par la proximité de la voie d’eau du Cher et du chemin allant de Thésée à Montrichard.

Ses habitants, surtout ceux de la partie la plus proche de Bourré, ne cesseront de réclamer leur rattachement à Bourré, dont l’accés notamment à l’église était plus facile et rapide ( une partie de Vineuil sera rattachée à Bourré en 1851).

René Delétang est toujours qualifié de laboureur à son décès.

Il est difficile d’établir où vit le jeune couple et les activités de René.

Mais, comme hélas souvent en ces époques, une épidémie va frapper la population en 1747.

René décède le 20 janvier à 35 ans, sa femme le 27 à 32 ans, leur fille de 11 ans en septembre.

Un seul de leurs enfants survivra, Nicolas.

E / Nicolas II Deletang : tuilier et chaussonnier, le dernier Deletang de la Croix.


Nicolas est né à Monthou le 4 décembre 1737.

Il épouse à Bourré le 20 novembre 1764, Marie Dys.

Elle est la fille d’un important tuilier de Vineuil, Jacques Dys et sa mère Madeleine Elie, appartient elle a une famille de marchands cordonniers de St.Georges.

C’est ainsi que Nicolas devient tuilier.

Il est aussi « chaussonnier » : il fabrique de la chaux qu’il utilise dans ses fours à tuiles. Il en vend vraisemblablement.

Ses liens avec une famille de marchands cordonniers éclaire un petit « mystère » de La Croix.

Des « astics » ou polissoirs, outils des cordonniers pour attendrir et lisser le cuir, ont étés placés à espace régulier dans le mur au fond de la cour de l’ancienne closerie.

Ces astics étaient des os de veaux, mouton ou de mulets, les meilleurs.

De même, des anneaux eux aussi inclus dans le mur à espace régulier, sont placés très bas.

Comme pour y attacher les peaux que lissaient les ouvriers sur une sorte de cheval d’arçon sur lequel eux-mêmes étaient assis.

De plus, les cordonniers faisaient tremper les peaux dans la chaux pour les durcir et faciliter leur nettoyage.

Si ces données sont exactes, elles attesteraient d’activités liées au cuir et à la confection de bottes, chaussures, etc. dans les bâtiments de la closerie, à côté de son activité viticole, pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle.

Activités favorisées par la présence d’une active industrie de tanneries tant à Monthou qu’à Vineuil.

3 / La closerie de Aignan Bry :

À / Chanoine et Chapelain :

Aignan Bry était né à St. Aignan le 18 Août 1713, fils de drapier.

Lorsqu’il acquiert des bâtiments et des terres au « lieu dit la Croix », Aignan Bry est un des « chanoines de l’Eglise Collégiale de Saint-Aignan, chapelain de la Chapelle Notre-Dame des Miracles en la dite Eglise".

Il était, depuis quelques années et encore au moment du décès de celle-ci, le chapelain de Marie-Philiberte Amelot, marquise de Valencay, dame du Gué-Péan.

Il connaît donc bien Monthou. 

En qualité de chapelain de l’Eglise de Saint-Aignan, il jouit du bénéfice du moulin à blé de Ferrand, qu’il baille à ferme le 3 octobre 1770, à Maurice Berthelin et sa femme. De maquignon à Montrichard, celui-ci devient meunier et il sera un notable important de la commune en 1789 (6).

B / Après environ 150 ans, fin de la présence des Deletang :

C’est le 25 juin 1771,  devant le notaire de la châtellenie du Gué-Péan, que « Nicolas de L’Etang, thuylier  et sa femme Marie Dys », vendent à Aignan Bry leurs possessions de la Croix. 

Sous l’Ancien Régime, lorsque l’épouse « était autorisée par les présentes » de la part de son époux, à être solidaire de la vente ou de l’achat, c’est que sa dot et ses biens à venir par succession, étaient substantiels !! 

La référence à l’origine de la propriété est bien établie : elle appartient à la succession de René Deletang, son père, qui la tenait lui-même de son père Nicolas Deletang.

La description des bâtiments en 1771, conduit au constat que ce qui s’appelle maintenant « la ferme » est quasiment en l’état. Ainsi :

« C’est à savoir deux chambres à cheminées, deux cabinets, à côté greniers dessus couverts à thuyles, une grange et trois étables aussi couvertes à thuyles, sellier couvert de bruerres, carrettes et chaque têt à pan, cour entre les bâtiments, jardin et ouvrage, derrière la grange et au pinacle du sellier dix boisselées ou plus de vignes au dessus de l’ouvrage, quatre boisselées de vignes au dessus du jardin et une fosse à eau au bout de ces quatre boisselées, le tout en un tenant…renfermé de haies vives ».

Puis, suit la description avec leur contenance, de plusieurs parcelles relevant de la terre principale de la Croix.

C / Une fonction de closerie viticole :

Il est intéressant de noter qu’elles sont toutes situées dans la zone de Bizard et en bordure de la paroisse de Thésée.

L’acte stipule que cette vente se fait à charge des « cens, rentes et droits seigneuriaux dûs au Gué-Péan ».

La Croix n’est donc pas ( ou plus ) un fief de la châtellenie du Gué-Péan, voire de la seigneurie de Bizard avant son rachat et rattachement au Gué-Péan en 1602, par François II Alamant, mais une terre. 

Le chanoine rachète aussi, dans cet acte, la rente constituée par la marquise de Poulpry aux Deletang.

C’était le système de prêts de l’époque.

La marquise possédait alors la seigneurie de Bourré. Rappelons que les Deletang habitent la partie de Vineuil proche de Bourré et ont des liens avec les familles notables de Bourré.

Il faut noter que l’acte mentionne « le bail à loyer fait à Madeleine Maupoint, veuve de Jean Arrault pour neuf années des bâtiments et quelques autres héritages vendus, moyennant la somme de 24 livres par an, à la charge de payer les rentes seigneuriales ».

Ce point mérite attention.

Le bail à loyer se pratiquait essentiellement dans les closeries viticoles. 

Le closier était rémunéré  en particulier pour les tâches qu’il effectuait au moment des vendanges et de la vinification.

La taille des propriétés distinguait la métairie ( plus de 20 hectares ) des bordages ou closeries plus petits.

Si on y a longtemps pratiqué la polyculture, elles vont se spécialiser à partir de la fin du XVIIe et surtout du XVIIIe siècle.

Notamment, en Touraine et dans la Vallée du Cher, où les closeries seront à dominante viticole.

Un Arrault sera encore «clausier de Mr. l’Abbé Bry », en 1786.

Il vendra une petite parcelle de terre, en 1791, à François Arrault son frère demeurant aussi à la Croix.

Le terme de closerie qualifiant la Croix apparaît dans un acte du 31 mai 1772, toujours devant le notaire de la Châtellenie du Gué-Péan.

D / De la chaux à vie contre la vente de la Croix :

Notre chanoine et sa sœur Marie-Anne Bry ( elle aussi autorisée par son mari Jean-Raymond Mazuray, avocat à Saint -Aignan ) « baillent à ferme pour le temps et vie des preneurs et après pour le survivant d’un d’eux, le lieu et locature de la Pinellerie », située à cheval sur les paroisses de Pontlevoy et Thenay.

Les preneurs sont Nicolas de l’Etang et sa femme ! (8).

Les anciens occupants viennent de déguerpir à point nommé. Volontairement ou obligés ?

Le prix annuel du bail consiste en soixante boisseaux de blé-froment.

Les preneurs pourront prélever à leur convenance de la pierre pour faire de la chaux dans le fourneau situé dans les dépendances.

Or, cette chaux est indispensable pour son industrie des tuiles…. Mais aussi pour durcir le cuir destiné à la cordonnerie, comme on l’a vu.

C’est si important pour les Deletang que cette mention de l’exploitation des pierres à chaux de la Pinellerie sera rajoutée à l’acte de vente de la Croix et que celui du bail de la Pinellerie précise qu’en cas d’un éventuel « retrait » futur exercé sur la Croix, ce bail n’en serait pas affecté.

Le « retrait » était la possibilité du seigneur ou d’héritiers, de remettre en cause une vente, de reprendre le bien en dédommageant l’acheteur.

Le bail de la Pinellerie est co-signé par les principaux notables du coin … et un certain Francois-Grégoire Clivot, notaire à Saint-Aignan, ami de Mazuray et cousin par des alliances sur plusieurs générations avec les principales familles de notables de Saint-Aignan que nous retrouverons.

Tout près de ce qu’il reste de la Pinellerie, se dressent toujours les bâtiments d’une petite usine à chaux qui était encore en activité, il y a une quinzaine d’années.

E / Le testament du chanoine :

Aignan Bry demeure à Saint-Aignan.

Comme cela se pratiquait, il devait séjourner de temps en temps à la Croix.

Le 9 juillet 1788, le chanoine rédige son testament (9).

Celui-nous apprendra que le closier est alors un certain Fillet, originaire de Touraine et dont des enfants seront vignerons à Monthou.

Le chanoine meurt à Saint-Aignan le 30 septembre 1792 ( déclaré le 1/10). 

Il avait, fort tardivement, prêté le serment constitutionnel !

Il avait désigné comme exécuteur testamentaire Louis-Pierre Juchereau, alors doyen du Chapitre de la Collégiale, et un des Administrateurs du Directoire du District de Saint-Aignan, en 1792 !

Le jour même, Juchereau dépose le testament chez son ami François Grégoire Clivot.

Aignan Bry avait désigné comme son légataire universel, un cousin éloigné Charles Théodore Morisset, qui en 1788, était comme lui chanoine de la Collégiale de Saint-Aignan et chapelain de la Chapelle St. Michel. 

Ce cousin est , en 1792, curé de Thésée, lui aussi assermenté.

Mais il désigne aussi son beau-frère Jean Raymond Mazuray comme usufruitier de ses biens.

Sans oublier des legs divers, à sa domestique de St. Aignan, à « Fillet qui est à la Croix » ( ses habits et 500 livres ), à ses neveux Mazuray.

F / Les événements vont s’accélérer :

a ) Le légataire vend à l’usufruitier :

Le 30 octobre 1792, Charles Théodore Morisset vend à Jean Raymond Mazuray, les biens du chanoine (10).

Le prix est de 16 000 livres : 9 000 pour l’immobilier et 7 000 pour le mobilier.

L’acheteur prend à sa charge les legs décidés par le chanoine.

Il est convenu entre eux, qu’il n’y aura pas d’inventaire après décès, malgré le souhait du chanoine !

Juchereau est présent et aussi les deux frères de Charles Théodore Morisset qui signent l’acte de vente. Il s’agit de Pierre Morisset qui est juge au Tribunal du District ( installé à Montrichard ) et de François Morisset qui est aubergiste à St.Aignan.

Le notaire est ….. François Grégoire Clivot !

b ) L’ex-usufruitier revend au notaire :

Le 9 novembre 1792, Jean Raymond  Mazuray revend « au citoyen François Grégoire Clivot, receveur de la Régie Nationale et à son épouse Marie Madeleine Royer.. le lieu et closerie de la Croix… » (11)

Une description précise suit. Les bâtiments sont composée de trois corps de bâtiments. Un constituant en une salle, une antichambre et cabinet, à côté cuisine. Ensuite, et deux cabinets, puiset à latrines, le toit à pose grenier sur le tout. L'autre d’une écurie, un fruitier, grange dans laquelle sont les cuves et pressoirs, une étable à vaches, grenier sur icelle et sur la dite écurie. Et le dernier d’une chambre pour le clausier, boulangerie à côté, dans laquelle est le four, grenier sur le tout. Et le bâtiment séparé du second d’une  grande et petite porte d’entrée, cour au milieu des dits bâtiments dans laquelle est un puit à eau, jardin derrière le second corps de bâtiments entouré de mur et un autre jardin pour le « clausier » du côté de la maison qu’il occupe… »

La vente comprend les « environs 5 arpents à vignes » et «  plusieurs morceaux dépendant de la closerie de La Croix ».

Enfin, il est fait état que dans un de ces morceaux, « il y a une cave dont partie est dans le roc, l’autre partie couverte à bruère".

Le sieur Mazuray céde aussi une créance de 1500 livres sur le curé de Monthou. Elle correspond à la vente à lui faite par Aignan Bry d'une cave, de boisselées de vignes et de terres que le chanoine avait achetées par adjudication du District en 1791 … sur la vente des Biens Nationaux du clergé !!!! 

Clivot, bien sûr , prend à sa charge les legs du Chanoine.

La vente se fait au prix de 9 548 livres ( environ 8 000 livres d’immobilier et 1 500 de mobilier ), pour le seul lieu dit de la Croix.

Clivot en tant que notaire avait directement acquitté une partie au curé Morisset, 

Un subtil arrangement financier est mis au point avec Mazuray pour que chacun s’y retrouve et pour finir de payer à terme Morisset !

c ) La contestation de la famille Morisset :

La famille Morisset va utiliser les nouvelles lois révolutionnaires sur les successions pour tenter de remettre en cause les effets du testament du chanoine Bry.

Les décrets de mars 1790 sur les propres et les acquêts, celui d’avril 1792 sur la suppression du droit d’ainesse et les privilèges de masculinité, celui de juin 1793 sur l’abolition des inégalités de filiation, avaient déjà chamboulé les règles successorales de l'Ancien Régime. 

Mais, c’est la loi du 17 nivôse An II ( 6-1-1794 ) qui bouleverse ce qu’il en subsistait.  

Elle supprime quasiment le droit de disposition, institue une quotité disponible limitée à 10% et établit l'égalité entre les héritiers ; elle définit des degrés dans la parenté pour déterminer les droits à succession dans la famille. Et surtout, elle était rétroactive pour les successions intervenues depuis 1789. 

La pagaille qui en découla conduisit les pouvoirs publics à rapidement supprimer cette rétroactivité et à modifier pour partie la loi.

Pierre Morisset et son frère Charles Théodore, avec un mandat « oral »de leur père Claude « trop âgé pour se déplacer », se pointent au Bureau de l’Enregistrement de Montrichard le 19 Messidor An II (12).

Ils se réclament de la loi du 17 nivôse mais doivent reconnaître qu’ils ignorent leur degré de parenté avec l’Abbé Bry ainsi que la totalité des biens concernés. En attendant donc d’y voir clair, ils font une avance de 600 livres sur la succession pour «  préserver les droits de la Nation » !!!.. 

Il n’y aura aucune trace administrative de cette remise en cause de la succession du cousin Bry pour la closerie de la Croix. Pour cause, les deux frères avaient dûment signé l’acte de vente de Mazuray à Clivot !

Par contre, le bureau de l’Enregistrement de Saint -Aignan, en date du 9 Messidor An II, porte trace du paiement, par le mandataire de Claude Morisset, des taxes sur la succession de la maison du chanoine qu’il possédait à St.Aignan. Il avait été reconnu cousin au 4ieme degré. Au détriment donc de la succession de la nue-propriété dont avait bénéficié son fils Théodore et de l’usufruit de Mazuray (13).

Une petite précision qui éclaire aussi ce contentieux : une partie de la famille Morisset est très engagée dans les idées révolutionnaires. Ainsi, le troisième frère Morisset, François, l’ aubergiste ne quitte jamais son bonnet phrygien rouge !

Merci au chanoine Bry pour ces travaux pratiques des nouveaux droits de succession !

4 / La famille Clivot : trois générations à la Croix.

L’étude de cette famille est particulièrement significative des trajectoires sociales du tiers-état et de la manière dont il a tiré profit de la révolution.

Les Clivot sont depuis le XVIIe siècle une des principales familles de notables de St. Aignan.

Ce sont des négociants, la plupart dans l’industrie locale du tannage.

Il y a plusieurs branches, avec chacune une abondante progéniture.

Elles vont évoluer différemment.

Comme l’endogamie entre notables est très poussée, ils sont cousins, parfois plusieurs fois, avec quasiment toutes les familles qui comptent de St. Aignan.

Bien évidemment, on les retrouve dans les édiles de la ville, dans les dernières années de la monarchie et du duché-mairie de St. Aignan, sous les Beauvilliers.

Et, à chaque génération, elle a son curé ou son chanoine dans la Collégiale de Saint-Aignan.  Moins par conviction religieuse que par conformité à la répartition socio-professionnelle d’une fratrie dans les familles de notables. 

Les chanoines de ce Chapitre sont réputés pour leur opposition au duc-pair, leurs idées contestataires. Bien des dirigeants et administrateurs de la période révolutionnaire dans le département sortiront de leurs rangs ainsi que bien des curés de paroisses, assermentés dans la Vallée du Cher.

Par contre, pas de fille religieuse chez les Clivot, à première vue. Alors que les couvents ne manquent pas dans le coin, à commencer par celui de Notre-Dame des Anges à St-Aignan même.

Les filles ont plutôt été utilisées pour assurer les alliances poussant plus avant la famille dans l’échelle sociale.

Les Clivot reproduisent des comportements dominants dans la notabilité de St. Aignan qui sera très majoritairement acquise aux idées de 1789, républicaine et laïque, avec des évolutions vers un conservatisme modéré et un soutien au bonapartisme des deux Napoléon, vécu comme l’ addition des acquis révolutionnaires ( surtout le droit de propriété et la vente des biens nationaux) et du maintien de l’ordre social.

À / François- Grégoire Clivot : un notaire affairiste.

Il est né le 12 avril 1741.

Son père est marchand tanneur et sa mère, fille d’un marchand meunier.

Contrairement à la branche issue de son oncle Antoine Clivot, la sienne amorce une évolution sociale décisive : il devient avocat mais épouse toujours une fille de riches marchands de St.Aignan, Marie-Madeleine Royer.

Ces Clivot abandonnent le négoce pour des charges publiques au statut social recherché.

Puis, il va progresser en devenant notaire. Il va exercer, comme on l’a vu, des fonctions publiques dans les organes administratifs révolutionnaires.

C’est lui qui va devenir le fondé de pouvoir de la « citoyenne divorcée » Amélie de Luker, ex-épouse René Michel Amelot, marquis de Gué-Péan, émigré. Il va être la cheville ouvrière du montage pour faire acheter le Gué-Péan, en sous-mains par des hommes de paille, puis le revendre à la famille de Luker.

Il exercera ses fonctions de notaire jusqu’à sa mort et ne dédaignera pas l’achat de biens nationaux.

Le Directoire le verra nommé au Conseil Municipal de Monthou puisqu’il y est propriétaire.

Il réside périodiquement à La Croix et des membres de sa famille sont témoins de mariage.

Il décède le 7 mars 1804 à St. Aignan

B / François-Dominique Clivot : de « praticien » à rentier. 

Il est né lui le 14 août 1778.

Comme son père, il devient « praticien », c’est à dire notaire ou avocat.

Il semble ne pas l’avoir été longtemps, ni même avoir exercé du tout. Car nulle trace de son activité.

Il faut dire qu’il va faire un très beau mariage, en épousant Claude Rose Bretheau, appartenant à une véritable dynastie de notaires ( et de médecins ). 

Il y a des notaires Bretheau dans la plupart des communes autour de Saint-Aignan.

Cette famille, issue comme il se doit du négoce, possède un impressionnant patrimoine foncier, grâce aux métairies, closeries, locatures et autres domaines achetés lors de la vente des biens nationaux ou dans le cadre de leur activité notariale.

Les Bretheau, ont eux aussi exercé des responsabilités publiques durant la Révolution.

Mais comme les Clivot, ils deviendront vite des tenants d’un ordre social bourgeois.

Pour l’heure, François-Dominique doit attendre le décès de sa mère pour hériter.

Son contrat de mariage lui avait constitué une dot, sorte d’avance sur héritage, mais sa mère bénéficiait suivant son propre contrat de mariage, de la clause de l’usufruit des biens au dernier survivant.

C’était un usage très usité dans ces unions où les filles apportaient du bien, pour les garantir dans  ce qu’elles nommaient « leurs droits matrimoniaux ».

Marie-Madeleine Royer décède en mars 1825.

Nous n’avons pas trouvé d’informations sur la Croix durant la période de Francois-Dominique.

On peut penser qu’elle poursuit sa fonction de closerie et de résidence de campagne.

C / Camille Grégoire Edmond Clivot : rentier à vie.

Il naît à St. Aignan le 20 Frimaire An II.

À 23 ans, il se marie le 9 mai 1826 avec sa cousine Catherine Rose Adèle Bretheau qui en a 17.

La mère de la mariée appartient à une famille de riches notables de Selles-sur-Cher, les Bezard dont plusieurs seront aussi … des notaires !

Dans son contrat de mariage, ses parents lui assurent « un avancement de hoirie » de 30 000 francs dont  la closerie de La Croix qui est estimée à 15 000 francs.

La brève description qui en est faite permet d’établir qu’il s’agit toujours des anciens bâtiments meme  s’ils ont dû être « retapés » au fil des décennies.

Adèle n’apporte qu’une somme modeste car la situation successorale de son père n’est pas réglée.

Edmond, c’est son prénom d’usage, semble ne jamais avoir exercé de métier.

Il boucle ainsi la trajectoire de « promotion sociale » classique des familles aisées : commencée sous l’Ancien Régime par le passage du négoce aux charges de justice ou de finances, puis avec la Révolution aux fonctions publiques et à la constitution d’un patrimoine foncier conséquent pour terminer dans une vie de rentier, en faisant exploiter leurs terres agricoles et bois et en achetant des obligations sur l’Etat, les chemins de fer, etc. Les nostalgiques de l’Ancien Régime avaient acheté eux, s’ils en avaient les moyens, des titres de noblesse sous Louis XVIII et Charles X.

a ) La construction de la bâtisse actuelle :

Nous n’avons pas trouvé de document : ni sur l’architecte, ni sur le contrat de construction.

Mais par recoupements d’autres données, on peut avancer une fourchette de dates pour sa construction.

Nous savons qu’elle n’est pas bâtie en 1826.

Par contre, le premier recensement de 1836 nous révèle que le couple Clivot et Mme Bezard la belle-mère y résident.

Dans les vieux bâtiments de la closerie d’origine ? C’est douteux.

La construction de la bâtisse actuelle est vraisemblablement en cours ou achevée.

Cette hypothèse est renforcée par la construction dans ces décennies de belles demeures bourgeoises dans des styles proches.

On peut citer la Vau St. Georges à Thésée ( siège de l’actuelle mairie ) La bâtisse de la Croix est de style néo-classique, très à la mode avec la Révolution et l’Empire.

Ce style était très décrié par les architectes traditionalistes qui estimaient que « tous ces monuments, pales reflets de l'art grec et romain » reflétaient « des tendances rétrogrades » !

Elle était entourée par un parc à l’anglaise dont il est impossible de dire, pour l’instant, s’il fut dessiné et aménagé au moment de la construction ou plus tardivement.

Un autre document précise que la veuve Bézard partage sa résidence entre Selles-sur-Cher et la Croix.

b ) La Croix vendue à Mme Clivot :

Le 10 mars 1860, Edmond Clivot va vendre la closerie de la Croix…à sa femme.

Le même jour, chez le même notaire de Selles-sur-Cher ( celui des Bezard ) intervient la liquidation de la communauté entre les parents de Madame Clivot, la succession de son père et la régularisation de la donation de sa grand-mère.

Le 20 juillet 1855, la mère d’Edmond, veuve de Francois-Dominique, avait procédé de son vivant entre ses enfants, au partage anticipé des biens de leur père.

En fait, c’est à une totale mise à plat de leur situation matrimoniale à laquelle procèdent les époux Clivot.

À y regarder de près, c’est une quasi liquidation de la communauté qui se réduira à une peau de chagrin.

Cette mise à plat avec les dots, les propres, les remplois, les récompenses, les reprises, etc… se solde par un déséquilibre en faveur de Mme. Clivot.

Elle a le droit d’imputer sur la communauté 87000 francs qui vont consister en :  20400 francs sur les objets mobiliers, 30000 francs sur les immeubles propres à Mr. Clivot ( c’est la Croix) et 37000 sur les immeubles de la communauté.

Concernant la bâtisse d’habitation, il est bien précisé dans l’acte « qu’une maison d’habitation édifiée par Mr. et Mme. Clivot ( l’a été ) sur un terrain dont partie est propre à Mr.Clivot et les surplus bien de communauté ». Impossible de déterminer le détail.

Nous savons ainsi que la bâtisse est bien achevée en 1860.

Mais la suite des événements tendrait à suggérer que le souci d’équité financière au sein du couple n’a pas été la seule raison de l’acte du 10 mars de 1860.

c )  un couple séparé de fait :

De nos jours, les Clivot auraient vraisemblablement divorcé.

Mais le divorce ne sera légal en France qu’en 1884 avec la fameuse loi Naquet.

De plus, il demeurera longtemps proscrit dans les milieux bourgeois et/ou catholiques.

Les recensements ultérieurs nous apprennent en effet que Mr. Clivot vit à Chémery dans une grosse exploitation agricole héritée de son père, appelée la Gaudraie.

Mme Clivot et sa mère demeurent elles à la Croix.

d ) Légataire universel de sa femme :

Madame Clivot décède le 5 mars 1878.

Son mari n’est pas présent.

Le jour même de sa mort, le notaire de Pontlevoy vient recueillir et transcrire son testament.

Des témoins ont été requis : Mr. Pellouard un voisin aisé, Victor Deniau ancien maire, l’ami Bardon de Thésée, l’ancien notaire Bonin de St.Aignan, Mr. Bruere le charron.

Mme Clivot institue son mari son légataire universel. 

Comme il n’y a aucun héritier à part réservataire, Edmond Clivot va hériter de tous les biens de sa femme. Le domaine de la Croix revient au bercail des Clivot.

Celle-ci a toutefois donné jouissance, durant sa vie, d’une chambre dans l’ancienne closerie, à Marie Godeau, sa domestique.

Sa signature au bas de son testament est celle d’une mourante.

5 / Louis dit Dousseron : un surprenant nu-propriétaire.

A / une donation qui intrigue :

Le 5 avril 1880, devant le notaire Rabier à St.Aignan, Edmond Clivot fait donation de la quasi totalité de ses biens à :

Louis Dousseron, présent, qui habite à Chemery à la Gaudraie chez Clivot.

Pierre Louis Léon Godeau lui aussi demeurant à la Gaudraie, qui est représenté par l’ancien notaire Bonin car il fait son service militaire à Orléans.

Les biens concernés font l’objet de deux lots. Le tirage au sort est remplacé par un choix des deux jeunes gens, tenant compte des conseils du donateur.

La Croix se trouve dans le lot de Louis Dousseron qui comprend aussi des immeubles qui étaient d’anciens propres de Mme. Clivot.

Les deux jeunes gens ont la nue propriété et Edmond Clivot conserve la jouissance de ces biens jusqu’à sa mort.

B/ Un mariage sur mesure :

Le 19 décembre 1880, Louis épouse Marie Désirée Boison.

Il a 26 ans ; elle en a 15.

Elle appartient à une famille de viticulteurs aisés à La Croix. Ce sont même des voisins. Son grand-père Toussaint Courrierat a du bien. Ces Courrierat habitent au lieu dit la Côte ( ou la Coudre ) en face du moulin du même nom, sur l’actuelle route du Château.

Le même jour et bien sûr chez le même notaire, Mr. Boison fait un échange avec Mme. Godeau. Elle lui céde la jouissance de sa chambre dans la closerie contre la jouissance de deux pièces dans une autre maison du quartier appartenant aux Boison.

L’usufruit de la chambre concernée entre dans la dot de Marie Désirée et ainsi la boucle est bouclée.

Edmond Clivot confirme sa donation dans le contrat de mariage.

Il est premier témoin de Louis et son compère le notaire Rabier, le second témoin

C / Mais qui est donc Louis Dousseron ?

C’est son contrat de mariage qui indique qu’il s’appelle « Louis dit Dousseron ».

Ce sera son nom toute sa vie et celui de ses enfants.

Il est né de père et de mère inconnus.

Edmond Clivot fera préciser que le Louis Dousseron est bien le Louis le dit Dousseron de sa donation.

Il est né à Fresnes dans le Loir et Cher, le 10 Février 1854.

Sa mère se nommait Louise Rosalie Dousseron. Elle était au moment de sa naissance domestique dans une ferme dans une grosse propriété.

Il porte donc le nom de sa mère.

Mais les femmes, notamment de conditions modestes, ignoraient qu’elles devaient reconnaître leur enfant devant un officier d’Etat-Civil pour qu’ils aient le statut d’enfant naturel.

Le « dit » était une pratique courante pour acter qu’on lui avait donné le nom de celle qui l’avait mis au monde et gardait son enfant, mais hors des dispositions légales.

L’écriture de Louis et son futur parcours professionnel témoignent qu’il a reçu enseignement et éducation.

Louise Rosalie semble avoir eu, dans les mêmes conditions, un autre enfant, né le 5 juin 1850, à Fontaines en Sologne ; appelé aussi Louis. Ce qui laisse à penser qu’il a du mourir en bas âge et qu’elle redonne le même prénom à son second fils.

Au moment du recensement militaire de Louis en 1874, le document précise qu’il demeure alors à Monthou et que sa mère y réside aussi. Où ? Qu’y fait-il ? Mystère. Mais il travaille à coup sûr dans la viticulture.

Il s’engage pour 5 ans à la mairie de Bourges, le 16 mars 1875.

Il sera « soldat musicien », au 95e régiment de Ligne. Il finit son engagement le 16 mars 1880.

Il se marie donc peu après son retour à Chemery.

Je n’ai trouvé qu’une Rosalie Douceron dont la mère se prénommait Louise, née le 7 avril 1826 à Vierzon. Est-ce elle ? 

Ayons une pensée pour elle. Car, les registres de l’Etat civil révèlent qu’il y a eu beaucoup de Louise Rosalie dans les fermes et propriétés de nos campagnes !

D / 1886 : la fin de la présence Clivot-Dousseron :

Le 17 avril 1886, Louis dit Dousseron et Edmond Clivot vendent la Croix à un couple venu du Maine et Loire, les Charlery.

C’est dans l’acte de vente qu’apparait pour la première fois le nom de « Château de La Croix ».

En fait, c’est Madame Charlery qui achète à titre de remploi de biens vendus. 

La Croix est donc un bien propre de la dame.

À cette date, Louis habite déjà avec sa femme dans la maison du grand-père Courrierat.

La superficie vendue est de 4 ha 86 ares et 72 centiares, d’un seul tenant ; à laquelle s’ajoutent plus 2 ha 34 ares et 49 centiares, en face de l’entrée du Château et 79 centiares de vigne attenante.

La propriété de la Croix est vendue au prix de 42000 francs.

On ignore les raisons de cette vente.

Mais les activités professionnelles de Louis laissent à penser que les superficies et l’emplacement de la Coudre se prêtaient davantage à des aménagements ( hangars, caves, etc.). Les Dousseron vont d’ailleurs embellir ce qui est encore une des belles demeures de maître de Monthou.

E / Louis dit Dousseron : un professionnel reconnu de la vigne :


Deux terribles maladies de la vigne vont apparaître : l’odium vers 1850 et le mildiou vers 1880.

Puis, ce sera le fameux mortel phylloxéra au début des années 1880 dans notre vallée du Cher.

Une nouvelle technique de reproduction va devoir être mise au point pour remplacer le « provignage ». On va replanter en hybrides ou sur des porte-greffes plus résistants.

On va traiter les vignes à la bouillie bordelaise découverte en 1883.

Louis devient un spécialiste de la reconstitution des vignes.

Il crée de nombreuses pépinières. Il met au point de nouvelles techniques viticoles.

Il obtient à ce titre de nombreuses récompenses dans les concours.

Et, en 1900, il est nommé chevalier de l’ordre du Mérite Agricole, récompensant «  plus de vingt ans de pratiques viticoles ».

Il aura ainsi honoré la tradition viticole de la closerie de la Croix

F / Les dernières années d’Edmond Clivot :

Mais d’abord un mot sur Pierre Godeau.

Il est le fils de Marie Boucher, épouse de Pierre Godeau.

Il est né à la Croix et c’est Clivot, accompagné du garde-champêtre qui déclare la naissance.

Sa mère avait été la domestique, comme on l’a vu de Mme. Clivot. Son mari vivra seul à Contres.

Elle demeurera un temps à la Gaudraie, pendant la présence d’Edmond Clivot.

Son fils exploite la propriété. Lui aussi a reçu instruction et éducation.

Dans un recensement de Chemery, Pierre Godeau est qualifié de « fils adoptif » de Clivot.

Il se marie à Chemery en 1886 avec Marie Pauline Prieur, d’une vieille famille de viticulteurs de Monthou.

Puis, Edmond Clivot vient vivre avec Louis dit Dousseron, dans la grande maison de la Coudre.

Ici, les recensements le qualifient « de commensal habituel » de la famille.

Il y décède le 23 janvier 1892 et avait par testament institué Louis comme son légataire universel.

La liquidation de sa succession le 4 juillet 1892, indique que Edmond Clivot avait bien donné avant sa mort tous ses biens à ceux qui semblent ….avoir été ses deux fils.

Pourtant la somme infime de 233 francs correspondant à son « mobilier privé » intrigue justement le fonctionnaire de l’enregistrement qui au crayon inscrit en marge : « déclaration frauduleuse ? » ! À première vue, il n’y a pas eu de suites …..   

Marie Godeau l’avait suivi à Monthou et était propriétaire d’une petite maison dans le bourg où elle décédera en 1890, deux ans ans avant Clivot.

6 / 1886-1936 : 5 propriétaires en 50 ans pour le Château de La Croix.

À / Les Charlery :  des angevins à la Croix ( 1886-1918 )

Raoul Louis Julien Charlery et Louise Marie Émilienne Gouin d’Ambrieres s’étaient mariés le 19 décembre 1880,  à Bazouges ( 72 ).

Lui, célibataire, a 58 ans. C’est un propriétaire terrien qui habite de Château de Chambiers, ancien  maire de Durtal ( 49 ).

Sa famille s’était enrichie dans les offices à la fin de l’Ancien Régime ( de justice, des Eaux et Forêts, etc.)

Elle a 35 ans. Elle est veuve de Auguste François Léopold Lelouvier Aumont de Bazouges ( ouf! ).

Sa famille appartient à une des branches de la famille de financiers et industriels tourangeaux, les Gouin, dont on peut admirer l’hotel particulier à Tours.

Elle a deux enfants qui viennent vivre avec le couple à Monthou.

Et le couple a un fils Romain.

Au moment de l’achat de la Croix, les Charlery résident au Château de Chaillot à Vierzon.

Je n’ai rien trouvé permettant d’appréhender les raisons de leur départ de Durtal et de leur choix de la Croix.

Comme il est impossible de déterminer les éventuels aménagements qu’ils ont opérés dans la propriété.

Raoul Charlery décède au Château de la Croix le 6 octobre 1905.

Un inventaire après décès est dressé qui révèle un détail curieux : la cave contient plus d’une centaine de bouteilles de Jurançon !! 

La succession de Raoul Charlery indique une situation financière précaire. Il est redevable de plus de 220000 francs à son épouse, au titre de leur communauté. 

Mme. Charlery demeure quelques années encore à Monthou puis se retire dans une maison de retraite pour dames de la bonne société, « La Solitude », à La Chapelle St. Mesmin (45).

Elle y décède le 28 janvier 1922.

Mais elle avait vendu le Château de la Croix en 1918.

B / Le général d’Urbal, à l'heure américaine ( 1918- 1921 )


C’est le général baron Victor Louis Lucien d’Urbal qui achète le domaine de La Croix à Mme Charlery par acte des 4 avril et 7 mai 1918.

Prix : 32 000 franc.

Il avait préalablement acheté au lieu de la Croix, 31 ares aux époux Depond, les 13 mars et le 30 avril.

Le général est né le 15 novembre 1858 à Sarreguemines. Sa femme Isabelle Proust est originaire des Deux-Sévres.

C’est un des principaux chefs militaires de la guerre 14-18. Il avait notamment commandé la VIIe puis la 10e Armée.

Il sera limogé de son commandement le 4 avril 1916 puis successivement « promu » Inspecteur Général de la Cavalerie de la zone des Armées, puis se rajoutera la zone de l’Intérieur.

Il sera mis en disponibilité le 1er juin 1919 et passera dans la réserve le 15 novembre 1920.

Que diable vient faire, en pleine guerre, le général d’Urbal dans notre Région et commune, où il n’a, à première vue, aucune attache, en y achetant une résidence ? 

Le lien avec la présence de l’armée américaine dans la Vallée du Cher vient immédiatement à l’esprit, sans qu’il nous soit possible de l’établir avec précision.

Après leur entrée en guerre le 6 avril, les services de santé de l’armée américaine se sont installés à Blois dès juin 1917.

Une partie d’un régiment d’artillerie légère s’installe en janvier 1918 à Monthou, comme d’autres soldats en transit dans les communes voisines.

Le Château de la Croix va servir d’annexe sanitaire pour les officiers US, vraisemblablement à partir de mai-juin 1918.

L’armée américaine quitte la Vallée du Cher en Octobre 1919.

La guerre terminée, les troupes américaines réparties, le général devenu réserviste, revend la Croix en 1921.

Il décède à Paris le 29 janvier 1943 et il est inhumé aux Invalides.

 C / Les Sabrousset : un armateur à la Croix ( 1921-1924 )

On trouve un Thomas Sabrousset, marchand de vin à Paris en 1866.

Peut-être est-ce là l’origine de l’intérêt d’un de ses descendants pour notre région viticole et la Croix ?

À la génération suivante, plusieurs Sabrousset se sont adonnés aux affaires.

Ainsi, dans Le Figaro du 11 novembre 1889, on peut lire «  demande de partenaire disposant de 20000 francs environ pour part association affaire industrielle et commerciale Amérique du Sud, fortune assurée. Absolument rien des agences. Écrire à Mr Sabrousset, 59 rue de Provence Paris.

Un autre Sabrousset est actionnaire en 1927 d’une magasin de lingerie de luxe à Paris.

Le notre s’appelle Georges Antoine Victor Eugène Sabrousset. Il est né à Neuilly le 29 février 1888, de deux parents comptables. Veuf, il s’est remarié le 22 mars 1921 avec une Marie Félicie Béraud.

Il est qualifié « d’armateur » à Pornichet et des articles de presse nous apprennent qu’il y arme des bateaux de pêche côtière.

Le couple Sabrousset acquiert la Croix le 4 aôut 1921.

La superficie est de 5 ha 19 ares et 64 centiares.

Plus un terrain en face de un peu plus d’un ha.

Le prix est de 80000 francs qu’ils acquittent comptant en billets de banque et en rentes sur l’Etat français.

Le Château semble avoir été vendu vide mais « font partie de la présente vente le mobilier garnissant l’habitation du jardinier, les outils de jardinage et la moto-pompe servant à l’élévation de l’eau et actionnant également une scie circulaire ».

Il n’est fait état d’aucun équipement et instrument en relation avec le vin.

Le séjour des Sabrousset à la Croix sera bref.

D / Les d’Hulster : ingénieur et propriétaire éphémère ( 1924-1925 )

Jules Alfred d’Hulster appartient à une famille qui, sur plusieurs générations, sont des Ingénieurs spécialisée dans le forage et sondage minier puis pétrolier.

Originaires de Belgique, ils se sont installés dans le Nord-Pas de Calais ( notamment à Crespin ) et plusieurs d’entre eux sont devenus industriels ( Société Hulster et frères, Hulster, Failie et Cie).

Alfred Hulster est né à Quievrechain le 15 Aôut 1859.

Il se marie en 1887 à Kolomypa en Galicie ( c’est alors l’Empire Austro-hongrois ) où il est «  propriétaire d’un puits de pétrole » avec Marie Blanche Adélaïde Richard, fille d’un ingénieur.

À son décès en 1936, Alfred Hulster effectuait des forages en Amérique Latine.

Je n’ai rien trouvé sur ses motivations d’achat de la Croix. Une résidence secondaire pour la chasse ? Des perpectives de forage dans la région ? Des amis proches ?

Le 10 novembre 1924, il achète la Croix pour 120000 francs dont il ne paye comptant que 35000 francs, s’engageant à payer le reste sous six mois.

Cet engagement sera honoré le seize avril 1925.

Les Hulster vendent la  Croix dans la foulée.

E / Les Valentin : un juriste aux racines viticoles ( 1925-1936 )

Eugène Fernand Valentin est né le 19 septembre 1869 à Paris, très précisément quai de Bercy !

Son père avait migré des vignobles champenois à Paris où il était négociant en vins.

Eugène Valentin a d’abord été clerc de notaire, puis notaire à Reims jusqu’en 1911.

Puis, il devient administrateur judiciaire à Paris.

Il sera d’ailleurs Président de la Compagnie des Administrateurs Judiciaires auprès du Tribunal Civil de la Seine. Ainsi, c’est lui qui s’occupa de la liquidation de l’Association des Orphelins de Guerre.

Il sera décoré de la Légion d’honneur en 1927.

Il achète la Croix le 28 juin 1925 pour le prix de 140000 francs…. Soit 20000 francs de plus en 8 mois pour la même superficie !

Eugène Valentin achètera des parcelles aux alentours.

S’est-il intéressé  à la viticulture ? Et contribué à faire connaître les vins des coteaux du Cher du côté de Bercy ? Nous l’ignorons mais c’est fort probable.

Après son décès en 1934, sa veuve Jeanne Philiberte Courtois vend La Croix, les 26 et 28 novembre 1936.

La mémoire collective de la commune n’a rien transmis sur tous ces propriétaires et sur le Château de la Croix.

7 / 1936-1969 : La famille Peralte-Ferin-Bailly : le Château devient la Villa Ariane

La Croix est achetée par deux soeurs en novembre 1936.

Mme Peralte-Ferin et Mme Peralte-Bailly.

On sait peu de choses sur cette famille Peralte compte tenu de la proximité qui limite l’accès aux sources.


Mme Peralte-Ferin décède en 1944. À la suite de sa succession puis d’une donation à Mme Peralte-Bailly de la part de ses parents, celle-ci devient propriétaire de l’ensemble de la Croix.

La famille est communément appelée Bailly.

En plus de la présence de cette famille durant plus de trente ans, trois éléments font faire entrer enfin la Croix dans la mémoire de la commune.

À / Le changement de nom : 

C’est à cette époque que le nom Château de la Croix en vigueur depuis les années 1880, est remplacé par les Bailly, en Villa Ariane.

Nous en ignorons les raisons et la signification de ce changement par la famille.

B / Le siège de la Kommandatur :

La Villa Ariane va servir de siège à la Kommandatur locale pendant presque toute la durée de l’Occupation. 

Pourtant, le Lieutenant-Colonel Bailly est pétainiste, directeur de cabinet du Secrétaire d’Etat à la Marine à Vichy.

Ses interventions et protestations n’impressionneront pas les Allemands qui poursuivront leur  occupation de la maison.

Il sera dédommagé par les Allemands pour cette réquisition.

C / La personnalité du « général Bailly » :

C’est ainsi que l’appellent encore les Anciens.

Le général tenait table ouverte dans un des cafés de la commune ( celui estampillé à « droite » évidemment ! ).

Les témoignages concordent pour pointer le nombre de bouteilles de vrai champagne ( pas les «  bulles » locales ) que consommait le général qui, rapportent les Anciens, s’ennuyait ferme à la campagne !

Comme la mémoire collective a gardé le souvenir d’une des filles du couple qui était une cavalière émérite…..

8 / Les plus récents propriétaires : de 1969 à aujourd'hui.

Nous nous bornerons à les citer.

En 1969, Madame Brunet de Monthélie achète la Villa Ariane à Mme veuve Bailly.

Cette famille a, entre autres, des biens dans les vignobles et crus les plus réputés de Bourgogne.

En 1988, elle revend la propriété à Mr Beer-Gabel, un ophtalmologiste parisien.

En 2014, à son tour, il vend la Villa Ariane aux actuels propriétaires : Philippe et Joëlle Bonnichon. Mr. Bonnichon est un chirurgien parisien et sa femme un cadre supérieur hospitalier, à la retraite.


Les sources :

Les registres paroissiaux de Monthou sur Cher, Bourré, Thésée, Thenay, St. Aignan, Oisly, Choussy, Contres, etc.

Ils sont en ligne sur le site Culture 41/ Archives Départementales.

Geneanet contient des données sur nos Deletang et les familles alliées : les arbres de Francoise Bigot ( framboisine44 ) sont les plus complets.

Le cadastre dont une partie est consultable en ligne, le reste est à consulter aux AD41.

Les archives fiscales et notamment celles de l’enregistrement.

De très nombreux répertoires et actes des notaires car, au départ de la recherche, je n’avais que les références du dernier acte de vente/achat !

Les livres suivants :

Le classique ouvrage manuscrit sur Monthou, de notre premier historien local, octave Henault, écrit en 1924

Celui de Claude Boussereau « Monthou, une histoire de village » de 1993.

L’ouvrage de Jean-Jacques Delorme sur « l’histoire de Saint-Aignan » de 1846.

J’ai grappillé sur Internet les informations concernant les métiers du cuir, de la draperie et des tuiles.

Le Musée de la ville de Troyes sur les outils des anciens métiers est une ressource exceptionnelle.

Enfin, j’ai utilisé les matériaux de mes recherches, conférences et articles.

Les notes :

1) 3 E 68/279

2) 3 E 68/ 280

3) 3 E 68/282

4) 3 E 5/26

5) ADLC 41, Minutes du notaire Masson- Montrichard ( 1er Juillet 1812).

6) 3 E 5/475

7) 3 E 5/475

9) 3 E 34/ 109

8) 3 E 5/ 475

10) 3 E 68/ 247

11) 3 E 34/109

12) 300 Q 2

13) 373 Q 2


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