La Bougonnetière à Thésée et                                                            

la famille Goislard de la Droitière

(1603-1828)


La famille Goislard, qui deviendra de la Droitière, possèdera le domaine de la Bougonnetière pendant environ 225 ans.

C’est une durée de présence importante en des temps où achats, ventes, successions, sans parler des saisies et ventes judiciaires, sont nombreuses tant parmi la noblesse que le Tiers-Etat. Et ce d’autant que cette présence est assurée par des successions en ligne directe.

La famille Goislard est un exemple des diverses trajectoires sociales de l’Ancien régime.

Mais la sienne, partie du négoce, en passant par les offices de justice et de riches alliances, restera inachevée et ne parviendra pas à atteindre l’entrée dans la noblesse, ce second ordre tant convoité pour ses privilèges et le statut social qu’il conférait.

Ils redeviendront des « marchands-négociants ». Mais ne pourront plus rejoindre le niveau de richesses et de revenus de l’autre famille emblématique de la bourgeoisie de Thésée, les Bardon.

Comme nombre de ces notables bourgeois d’Ancien Régime, ils flirteront avec les idées de 1789, surferont sur les évènement de la Révolution et de l’Empire, serviront les Bourbons à leur retour.

Après le décès du dernier propriétaire, Noël Goislard de la Droitière, ses biens fonciers dont la Bougonnetière, seront vendus, bâtiment par bâtiment, parcelle par parcelle, de 1830 à 1838.

La généalogie de la famille Goislard telle que j’ai pu la reconstituer est placée en annexe.

Une présence ininterrompue de plus de deux cents ans

La Bougonnetière : un nom d’origine germanique ?

Cette appellation dont le suffixe « ière » s’applique à un lieu d’habitation et/ou d’activité, semble avoir une origine germanique (1)

Elle serait issue du nom de famille Bougon dérivé soit de « Bucco » qui désigne une buche ou un hêtre, soit de « Bougo » dont la racine est « burg », la forteresse.

Mais, on relève aussi « bojon », une grosse flèche ou un verrou, en ancien français, qui indiquerait une famille d’artisans du fer.

L’origine germanique semble la plus probable. Beaucoup de lieux-dits ou d’implantation de vieilles habitations agricoles ont des noms de cette origine dans notre zone.

On sait que les germains furent nombreux à s’enrôler dès le IIe siècle dans les armées romaines comme mercenaires.

Les Romains attribuaient des terres héréditaires à leurs soldats germains les plus méritants pour les récompenser et se les attacher. C’était le système du colonat (2).

Dans notre vallée du Cher à forte présence gallo-romaine, qui plus est à Tasciaca avec les Mazelles et son rôle économique, administratif et de surveillance, on peut penser que l’installation de colons était une pratique courante.

Enfin, cette origine germanique peut aussi avoir sa source dans des personnes venues plus tardivement dans la foulée des « grandes invasions », comme les francs saliens et qui se seraient sédentarisées.

Elle est parfois appelée Begnonetière.

Les Goislard : une famille de St. Aignan

Le nom de famille Goislard est présent dans la plupart des communes de la vallée du Cher. On trouve aussi ce nom essentiellement dans le centre et le centre ouest de la France.

Il est lui aussi d’origine germanique, signifiant un « dieu fort ».

Il y avait d’autres familles Goislard à Thésée. Ainsi, une Jacquette Goislard s’y marie en 1585. Ce sont des vignerons et des laboureurs.

On note aussi une famille de marchands à Montrichard, déjà présente au début du XVIe siècle, qui joua un rôle suffisamment important pour qu’un des leurs, Jacques Goislard, devienne administrateur de l’Hôtel-Dieu de Montrichard de 1592 à 1619.

Le premier de « nos » Goislard est lui identifié à St. Aignan : il y possède un « hôtel », c’est à dire une maison d’habitation (3)

C’est un marchand dont le fils Jean ou Jehan ( vivant en 1566 ) l’est aussi.

Ce Jean est le père d’un autre Jean, baptisé à St. Aignan le 11 septembre 1573, qui a dû poursuivre l’enrichissement de la famille car il possède la seigneurie de la Chesnaye à Chèmery.

Il n’en est que « sieur » car c’est un roturier et une terre, fut-elle noble, n’anoblissait pas.

C’est ce Jean qui va commencer à faire grimper les Goislard dans la hiérarchie sociale.


L’alliance avec la puissante famille des Curault :

Jean Goislard, sieur de la Chesnaye, épouse vers 1598, Eléonore Curault qui appartient à la richissime famille des Curault. (4).

Les Curault sont une famille de Selles-sur-Cher qui a fait fortune comme marchands bouchers, depuis le début du XVI siècle. Ils vont prendre à bail mais surtout acheter de nombreuses propriétés foncières en particulier sur Chèmery. Ils acquièrent la terre de la Picaccellerie à Chabris en 1498 dont nous reparlerons.

C’est Gabriel Curault, seigneur d’Angé, de la Picaccellerie et Chabris qui va encore accroitre de manière importante son patrimoine foncier en multipliant les achats, en cumulant les charges et en bénéficiant de successions. Il n’y pas de seigneur d’Angé du nom de Curault ; il doit s’agir d’une terre en Berry portant un nom proche déformé.

Il est grenetier du grenier à sel de Selles, procureur et lieutenant en l’Election de Selles.

Il devient bailli du Comté et de la ville de Saint-Aignan. Il est aussi trésorier et secrétaire de la maison de la Reine Marguerite, duchesse de Valois, autrement dit la reine Margot, première épouse de Henri IV. Il a fait alliance, comme son père, avec une autre famille importante de Selles, les Allaire.

Sa fille Eléonore apporte en dot à la famille Goislard, la terre de la Besterye à Chèmery.

Après le décès de son mari, elle se remarie vers 1610 avec Antoine d’Anglars, écuyer, sieur du Rouzat dont le père avait été maître d’hôtel du roi de Navarre.

Par les successions, la famille Goislard va bénéficier des « retombées » des biens et des réseaux des Curault et des Allaire.

La soeur de Jean Goislard, Catherine, avait épousé René I Le Jart, seigneur de Bagneux ( paroisse de Mareuil ) et de la Voûte ( paroisse de Pouillé ), dont la fille se mariera avec Imbert de Bonnafau dont la famille est pour partie, seigneurs de Châteauvieux.

On retrouve là une des caractéristiques des mariages d’Ancien Régime : les filles de riches bourgeois épousent des fils de la noblesse plus désargentée, ici la petite noblesse locale, et renforcent ainsi la position de leur famille.

 1603 : l’acquisition de la Bougonnetière

La métairie de la Bougonnetière appartenait au Chapitre de la Collégiale de Saint-Aignan (5).

Celui-ci l’avait baillé sous forme de bail emphytéotique avec rente perpétuelle, le 26 avril 1498, à Etienne Garçonnet de Saint-Aignan et son épouse avec d’autres biens ainsi que le terrage de la terre de Vauréou ( Vauriou) .

A une période où l’Eglise interdisait l’usure et où le système bancaire était inexistant ou embryonnaire, l’acquisition d’un bien foncier sous la forme d’une rente perpétuelle était le moyen d’achat le plus répandu sous l’Ancien Régime comme l’était la rente constituée pour se procurer des liquidités.

La propriété « éminente » du bien demeurait au propriétaire et la propriété « utile » était détenue par l’acquéreur qui pouvait à son tour vendre, louer, transmettre le bien à ses héritiers. Le bien était hypothéqué.

La rente perpétuelle se payait en nature et/ou en argent. Elle ne variait plus dans le temps. Si l’acquéreur ne s’en acquittait pas, le propriétaire pouvait reprendre son bien suivant les modalités en vigueur.

La rente perpétuelle de la Bougonnetière consistait en : quatre septiers de seigle, quatre septiers d’orge, deux septiers d’avoine et six chapons ( un septier = 12 boisseaux = 152 litres)

Elle se répartissait en deux tiers pour les chanoines et un tiers pour les vicaires.

C’est le 27 février 1603 que Jean Goislard acquiert la métairie de la Bougonnetière et, semble t’il en même temps, celle d’Aveigne ( Avigne ), avec leurs dépendances. On ne sait qui en était le détenteur à ce moment-là.

Nous verrons par la suite qu’un sérieux contentieux va les opposer au Chapitre de St. Aignan.

En 1733, un acte de constitution de rente nous apporte une description de la Bougonnetière car celle-ci est « assise et assignée spécialement sur ledit lieu de la Bougonnetière consistant en un corps de logis de trois chambres basses, une cuisine au bout et un colombier, le tout couvert en tuiles, cours ouvertes et jardins, circonstances et dépendances de terres labourables et non labourables, vignes, prés, pâtureaux ».

Sur le colombier est encore inscrite la date de 1632.

 Le nom « de la Droitière »

C’est Claude Goislard,( 1603 -1652 ), fils de Jean, qui est l’auteur de la branche de la Droitière.

Ce nom est attaché à la seigneurie du Grand et du Petit moulin de la Droitière à Châteauvieux (6).

Il semble être une déformation du nom de « la Doltière », lieu-dit proche des moulins.

Ces bâtiments, mais très restaurés, subsistent de nos jours.

Claude a-t-il acquis cette terre ? Lui est-elle échue en héritage du côté des Curault/Allaire ? Cette deuxième provenance semble la plus probable car son frère Gabriel, qui deviendra chanoine du Chapitre de Saint-Aignan, sera lui, sieur de la Picaccellerie à Chabris (7).

L’adjonction d’un nom de terre au nom patronymique était une pratique courante qui renforçait la position sociale de son détenteur.

En cas de possession de plusieurs terres, c’était celle qui était considérée comme la plus importante ou valorisante qui était choisie.


La progression sociale des Goislard

L’achat d’offices

On le sait, l’achat d’offices était l’autre marche-pied pour s’assurer une promotion sociale.

Claude Goislard, petit-fils de grenetier, avait épousé Louise Dumont, fille de Blaise Dumont, grenetier du grenier à sel de Montrichard. Les emplois des greniers à sel étaient très lucratifs.

Il achète l’office de Lieutenant de l’Election de Romorantin. Il porte le titre de Conseiller du Roi. Il devient ainsi officier de l’administration royale.

Les élections étaient les circonscriptions financières dans le cadre des Généralités. Elles étaient chargées de la répartition des impôts de la taille et des aides. Les lieutenants étaient des juges compétents sur les contentieux fiscaux au sein de l’élection.

Son fils Charles Goislard ( 1628-1700 ), poursuit dans un office de justice royale mais celui de bailli de St. Aignan.

Il est en effet « bailli et juge magistrat ordinaire et criminel du duché-patrie de St. Aignan ». Les archives gardent trace de quelques uns de ses jugements (8).

Il avait épousé Louise Bourdon, fille de Lubin Bourdon, chargé des affaires du Comte de St. Aignan qui était aussi officier du grenier à sel d’Etampes.

Son oncle Nicolas Bourdon était avocat et lieutenant au bailliage de St. Aignan. Il était donc l’adjoint de son beau-frère. Un autre était prêtre de la Collégiale. Les Bourdon possédaient entre autres une partie de la seigneurie du Plessis à Couffy et celle du Mousseau à St. Aignan. Ces terres passeront aux Goislard par héritages.

A Saint-Aignan, les Goislard demeuraient dans un alignement de maisons « sur le pavé de la rue du Pont et par derrières la douve des fossés du château » (9).

Le cas de ces deux couples est significatif des appartenances à des groupes sociaux dans le choix des conjoints : ici, le réseau des greniers à sel et les offices de judicature.

L’accès à des fonctions militaires

Le service du Roi dans ses armées était l’apanage de la noblesse. Cet « impôt du sang » servait aussi à justifier son exonération des impôts. Toutefois, les fils de la bourgeoisie pouvaient, suivant certaines modalités, et surtout recommandations de puissants, acheter des charges militaires.

C’était une autre étape importante vers l’accès à la noblesse.

Les Beauvilliers, ducs de St. Aignan ont dû donner un coup de pouce !

Ainsi, nous avons deux Goislard militaires.

Gabriel Goislard du Plessis, fils de Charles, qui décèdera à la Bougonnetière en 1719. Il était ancien capitaine au régiment de l’ile de France et « pensionnaire du Roi ».

Un Charles Goislard, sieur des Bordes ( terre de la famille Septier ), parrain en 1709 qui était alors sous-lieutenant grenadier au régiment de l’Ile de France. Ce doit être le neveu du précédent.

Enfin, une alliance avec la noblesse

Charles-Louis Goislard ( 1659-1725 ) est simplement qualifié de sieur de la Droitière. Il n’occupe plus d’office. De par son mariage, il semble vivre « noblement » comme on disait, de ses terres et revenus.

Il avait en effet épousé Appoline Septier. Elle était la fille Jean Septier qui était officier du Roi, chef de l’Echansonnerie de la Maison du Roi et de Madeleine Dubois. Lui appartient à une famille noble de Touraine qui détient aussi d’autres offices de la maison du Roi comme écuyer de cuisine, écuyer de la bouche, etc. Les Septier sont seigneurs des Petites Bordes à Pontlevoy depuis le début du XVIe siècle. Elle, est la fille de Anne Dubois, grenetier à sel de Selles et de Fançoise Boisgaultier appartenant aussi une famille qui a des offices dans les greniers à sel de Selles et Montrichard (10).

Le sel n’est jamais loin !

Une ascension stoppée

L’ascension sociale des Goislard va s’arrêter, je ne sais pourquoi.

Ils ne parviendront pas à entrer dans la noblesse.

Ils vont même reprendre des activités marchandes, donc manifestement roturières.

Des nombreux enfants de Charles-Louis et Appoline, quatre seulement survivront.

Henry l’ainé, sieur de Bagneux ( une terre à Villentrois ), célibataire, qui vivra modestement rentier à la Bougonnetière.

Pierre Louis qui garde et transmet le nom de la Droitière et devient négociant à Tours où il épouse une fille de négociant, Madeleine Gaultier. Il sera aussi administrateur de l’Hôpital Général de la ville.  

Anne Victoire et Marie Françoise qui se marieront avec des marchands.


La Bougonnetière et le contentieux avec les Chanoines du Chapitre de St. Aignan

Les Goislard ont bien failli perdre la Bougonnetière ! (11)

Les chanoines décident vers 1690 de faire dresser l’inventaire de leurs biens et particulièrement des rentes perpétuelles qui leurs sont dues pour vérifier si elles sont bien perçues.

Ils se rendent alors compte que, depuis près de cinquante ans, les Goislard ne s’acquittent plus de la leur sur la Bougonnetière ( et Aveigne) ).

Il la réclame. Charles Goislard ne bouge pas.

Le chapitre initie alors une procédure…adaptée.

Ils ne réclament aux Goislard qu’un arriéré de 29 ans car au bout de trente ans d’impayés, le bailleur était en en droit de reprendre son bien. Les chanoines veulent voir reconnus leurs droits mais semblent tenir compte du fait que Charles Goislard est le bailli de St. Aignan. Il serait périlleux de se le mettre à dos.
Charles Goislard prétend qu’il ignorait l’existence de cette rente qui selon lui avait du être rattachée à d’autres héritages vendus en 1642 par ses ascendants. Les chanoines produisent des actes tendant à prouver que ces ventes étaient fictives. Charles Goislard continue à soutenir que les renseignement fournis par les chanoines sont imprécis.

Les Goislard reconnaitront périodiquement cette rente comme en 1721 et 1757.

Les droits féodaux sont abolis à partir du 4 août 1789 car la mise en oeuvre de l’abolition s’étendra sur plusieurs années.
Les rentes perpétuelles vont faire parties des droits féodaux considérés comme « rachetables ».

Cette notion de rachat de certains droits féodaux suscite la colère populaire.

Un décret du 17 juillet 1793 supprimera ces rachats et décrétera l’abolition effective de tous les privilèges féodaux sans indemnité ni contrepartie.

Ainsi, la Révolution donne aux Goislard la pleine propriété de la Bougonnetière.

Pierre-Louis Goislard de la Droitière, héritier de la Bougonnetière

Comme souvent sous l’Ancien Régime, les successions donnent lieu à des contestations intra-familiales.

Les Goislard n’y échappent pas.

En 1736, Pierre-Louis , avec son beau père Pierre Emery Gaultier, rachète la moitié de la terre de la Picaccellerie à sa tante Marie Goislard du Plessis, à un prix très doux !

Ses frères et soeurs vont lui intenter un procès en l’accusant d’usurpation de droits puisqu’il est un héritier présomptif de Marie Goislard, au même titre qu’eux.

La justice leur donne raison et ordonne que soient liquidées les successions non encore intervenues de Charles Goislard et Appoline Septier en y joignant celles de leurs deux enfants : Georges Goislard, sieur de la Picaccellerie, mort sans descendance directe et celle de Marie Goislard du Plessis, décédée en 1743.

Le partage a lieu en 1745 (12).

C’est Pierre-Louis qui tire le lot comprenant : la métairie et la closerie de la Bougonnetière, le lieu et la métairie de la Garenne, le lieu et la place de la Halbardière.

On notera que la Bougonnetière est qualifiée de « closerie », en plus de celle traditionnelle de métairie.

La production de vin est en plein essor depuis les guerres de Louis XIV. Il faut alimenter les armées en vin ( et aussi les villes de plus en plus peuplées ). La viticultures dans nos paroisses de la vallée du Cher avec leurs coteaux, est devenue prédominante.

En 1757, Madeleine Gaultier, fait sa reconnaissance de rente auprès du Chapitre en tant que propriétaire.

En 1758, les Chanoines, peut-être méfiants, demandent une déclaration de solidarité entre tous les héritiers de Charles Goislard, quant au paiement de la rente et son hypothèque. Comme l’année précédente , il est encore fait état d’Aveigne.

En 1756, Madeleine Gaultier avait passé aussi un accord avec son beau-frère Henry Goislard, sieur de Bagneux qui dans le partage de 1745, a hérité du lieu et métairie de Montériou sur St. Romain.

Il doit 1500 livres à son défunt frère. Il cède des rentes à sa belle- soeur à hauteur d’environ 1200 livres. Elle accepte qu’il continue à demeurer de manière permanente à la Bougonnetière. Elle sursoit au paiement du reste dû, sauf si elle en avait besoin et en échange, Henry Goislard lui lègue tous les biens mobiliers qu’il possèdera à son décès (que je n’ai pas trouvé).

En 18 ans de mariage de 1735 à 1753, Madeleine Gaultier mettra au monde 11 enfants dont elle sera la tutrice des survivants.

Elle décède à son tour en 1774 à Tours. Son mobilier sera vendu aux enchères.

Pierre-Louis et sa femme ne possèdent pas ( ou plus ) aucun autre autre bien immobilier, en dehors de ceux de Thésée qui avaient constitué leur part d’héritages.

La succession de Pierre-Louis et de sa femme va se faire en deux temps. D’abord, le partage est effectué entre leurs enfants par un acte sous seing privé du 28 décembre 1776 qui sera officialisé par acte notarié le 6 août 1778.

Les enfants survivants se partagent ainsi les avoirs financiers de Pierre-Louis.

Et c’est leur fils Noel qui hérite, lui, de la Bougonnetière et des autres terres sur Thésée, à titre principal dans son lot (13).

Le dernier Goislard de la Droitière à la Bougonnetière

Noel Goislard de la Droitière est né à Tours le 22 août 1749 : il est le neuvième enfant du couple.

On ignore tout de lui avant 1777, date à partir de laquelle les actes notariés attestent sa prise en mains de la gestion de son domaine : échanges de parcelles, nouveaux baux.

Il y est qualifié de « négociant ». Il devait vraisemblablement travailler avec son père ou un de ses frères dont plusieurs seront à leur tour « négociant » (14).

On ne sait à quelle date il s’installe de manière permanente à la Bougonnetière. Il a dû le faire assez vite après son héritage car, au début des évènements révolutionnaires, il est considéré comme citoyen de Thésée.

Il ne sera plus fait mention d’une activité professionnelle. Noel devient ce qu’on appelait alors un propriétaire rentier, vivant des revenus de ses terres et de ses placements.

Un notable du Tiers-Etat

Le 5 mars 1789, il fait partie de l’Assemblée des habitants « tous nés français ou naturalisés, âgés d’au-dessus 25 ans, compris dans les rôles d’impositions des habitants de cette paroisse composée de 120 feux », qui adopte le cahier de Doléances de Thésée et mandate une députation pour l’apporter à Blois (15).

Il supprime le « de » de son nom et se fait appeler La Droitière ou même Ladroitière.

Il est très représentatif des membres du Tiers-Etat qui adhèrent aux principes de 1789 qui les libèrent du système féodal et leurs confèrent enfin des droits.

Ce que rapporte de lui les registres du Conseil Municipal révèle une nature fougueuse et imprégnée de patriotisme.

Ainsi, en 1792, il prononce un vibrant discours patriotique qui convaincra vingt jeunes de se porter volontaires pour défendre la Patrie en danger. Ces volontaires se battront courageusement dans l’armée de Dumouriez en Hollande. Noel Goislard leur enverra un don de 150 livres.

Lorsque le 18 mars 1793, en raison des troubles contre révolutionnaires suscités par les « brigands » vendéens dans l’Ouest, les pouvoirs publics demandent l’envoi de volontaires en renfort, Noël Goislard va galvaniser ses concitoyens hésitants en montant sur un bureau et proclamera : « Braves citoyens ! Je pars ! Qui veut me suivre ? » Accompagné de vingt-cinq citoyens, il rejoint Tours mais ils seront renvoyés le 20 mars sans avoir combattu.

Noel Goislard sera durant cette période révolutionnaire capitaine de la Garde Nationale de Thésée. Il y déploie une belle énergie (16)

Mais comme beaucoup de ces notables, il n’adhère pas aux positions plus engagées et radicales des partisans de Robespierre.

Le 7 décembre 1793, il est arrêté ( avec Charles Jean Bardon ) en application de la loi du 17 frimaire An II sur les suspects.

Il fut considéré « dangereux car sa domestique avait tenu des propos fanatiques ».

Mais tous deux seront vite libérés par le district en raison du soutien exprimé par la municipalité de Thésée, traduisant les sentiments de l’opinion publique (17).

Un élu de la municipalité

La Constitution du 5 Fructidor An III ( 22 août 1795 ) met en place des municipalités cantonales. Chaque commune élit dorénavant un agent municipal ( le maire ), qui en est membre. Seuls votent les citoyens actifs de plus de 25 ans de la commune qui paient au moins un impôt équivalent à 3 jours de travail et pour être élu, il faut en payer l’équivalent de 10.

Noel Goislard est élu agent municipal de Thésée le 15 Thermidor An IV ( 6 novembre 1795 ) (18)

A partir de 1799, sous le Consulat, les maires ne sont plus élus (même au suffrage censitaire ! ), ils sont nommés par les Préfets pour les communes de moins de 5000 habitants et à compter de 1801, le maire est seul chargé de l’administration communale au sein du Conseil Municipal.

Puis, il avait été nommé adjoint et Charles Jean Bardon maire, le 1er janvier 1808 (19).

Les deux avaient été « conservés » lors du renouvellement quinquennal du 23 mars 1813.

La Restauration décide la nomination des conseillers en plus de celle des maires. Ils seront choisis sur une liste des plus imposés de la commune. Les conseils municipaux sont de simples instances d’exécution.

Il est nommé maire le 3 janvier 1816, en remplacement de Charles Bardon, révoqué par le pouvoir monarchiste de retour (20).

Le 27 novembre 1816, il est renommé dans ses fonctions lors du renouvellement quinquennal de 1816.

Le 13 septembre 1823, il avait présenté sa démission au Préfet qui n’y avait pas donné suite.

Il la lui présente à nouveau le 3 juin 1825. Il souligne : « que les forces me manquent lorsque les circonstances exigent la sortie de chez moi » et « de même que les facultés intellectuelles et je pourrais commettre des erreurs involontaires ». Il propose une liste de trois noms pour son remplacement.

Elle sera acceptée.

Noel Goislard décèdera à la Bougonnetière le 6 mars 1828.

La subtile vente de la Bougonnetière

Le 21 février 1826, Noel Goislard vend les biens suivants à Mr. François Mabille, demeurant à Tours :

-la closerie et la métairie de la Bougonnetière

-la métairie de la Halbardière

-la métairie de la Garenne

-le lieu et locature de la Fagoterie et généralement toutes les circonstances et dépendances de ces domaines ainsi que le cheptel, les bestiaux attachés à la culture, les charrues, les engrais, etc.

La majeure partie de ces biens sont sur la commune de Thésée et une infime partie sur celle de St. Romain.

Il n’est plus fait mention d’Aveigne.

Il vend donc tous ses biens immobiliers (21).

Comme il en a le droit, il fait mettre des objets en réserve 

pour son usage :

-du bois de chauffage et de travail

-le bâtiment de maître qu’il occupe mais l’acheteur pourra se servir du grenier

-les trois cours mais sans nuire aux entrées et sorties des bêtes et au stockage du fumier

-la cave dite « ancienne cave »

-la cave dite « la Piquette ».

-le jardin entouré de murs derrière la Bougonnetière
-deux autres jardins situés à proximité du ruisseau qui conduit au gué de Chantereine  

( Chantraine ) et tenant au nord au chemin de Thésée à St. Aignan

-le pré appelé « la Greffière »

-un autre appelé « Grandpré »

-une chambre près de la grande cave

-tous les bâtiments occupés par François Laleu à la Bougonnetière.

Les charges incombant à l’acheteur sont traditionnelles : entretien et travaux en cours et prévus, la poursuite des contrats et engagements avec les closiers, les locataires et les fermiers.

Francois Mabille a, dès jour de la vente, la pleine propriété des biens et la jouissance des objets réservés jusqu’au décès de Noel Goislard.

L’établissement de la propriété provenant de la succession de son père suit avec le détail des achats, ventes et échanges opérés par le vendeur ainsi que la liste des rentes foncières transmises à l’acheteur.

 L’établissement de la propriété provenant de la succession de son père suit avec le détail des achats, ventes et échanges opérés par le vendeur ainsi que la liste des rentes foncières transmises à l’acheteur.

L’acheteur s’engage aussi à livrer chaque année au vendeur : deux poinçons de vin rouge de Thésée et trois boisseaux d’avoine.

Le prix de vente est de soixante mille francs (57800 francs pour les biens immeubles et 2200 francs pour les rentes).

En déduction de cette somme, Noel Goislard charge Francois Mabille de payer à plusieurs créanciers 15000 francs hypothéqués sur les biens vendus.

Les 45000 francs restants seront payés à ses héritiers dans le délai de un an après son décès.

Qui est cet acheteur ? François Mabille est un des neveux de Noel Goislard, époux de sa nièce Victoire Goislard de la Droitière, fille de son frère Louis. C’est un négociant à Tours qui doit avoir des moyens financiers non négligeables.

Noel Goislard est célibataire. Il n’a pas d’héritiers réservataires. Ce sera une succession collatérale. Il y a un nombre important d’héritiers (22).

Il semble avoir choisi un moyen qui a plusieurs avantages : éponger ses dettes, donner des sommes d’argent plutôt que des bouts de bâtiments et des parcelles éparpillées, avoir une succession rapide.

Comme aucune procédure contentieuse ne fut engagée, on peut penser que ce moyen et les montants des legs, avaient recueilli l’assentiment préalable de ses héritiers.

Le 1er septembre 1828, François Mabille, représentant sa femme, légataire universelle de son oncle, dépose la déclaration de succession. Le montant de celle-ci correspond aux 45000 francs restants plus 1250 francs de biens mobiliers. Rien de plus.

Son contenu témoigne que Francois Mabille a exécuté à la lettre les clauses du testament pour le paiement des legs à ses neveux et petits neveux (23).

Une clause testamentaire : paternalisme de notable ou 

« jardin secret » de l’homme ?       

Noel Goislard avait rédigé son testament le 1er Mars 1826 et décédera, rappelons-le, le 6 mars 1828 (24).

A côté des legs familiaux, il stipule à la fin de son testament, deux legs supplémentaires.

Il lègue à Marie Ravin, sa gouvernante, des objets comme des draps, paillasses, couverture, armoire, etc., et une rente viagère de 50 francs, hypothéquée sur les biens vendus. Mr. Mabille peut la racheter en lui versant 1000 francs.

Puis, une autre clause dispose : « Je donne et lègue à Anne Maugé, femme de François Laleu, une rente viagère de 50 francs, payable de six mois en six mois ; laquelle dite rente sera réversible après son décès sur la dite Silvine Catherine Laleu sa fille, née le 2 août 1813 et continuée jusqu’à son décès. Si la dite Silvine Catherine Laleu était encore vivante au décès de la dite Anne Maugé, le dit François Laleu recevra cette dite rente comme ci-dessus qu’il rassemblera. Laquelle somme fera la dot de la dite Silvine Catherine. Le tout franc de toute imposition venue et à venir, telle est ma dernière volonté ». Il rajoutera qu’après son décès, s’il le veut, François Mabille peut se libérer de la rente en payant mille francs.

Que savons-nous de Anne Maugé ou Mauger ?

Elle est née le 25 mars 1778 à Châteauvieux. Ses parents sont domestiques, son père chez le curé.

Elle est domestique à la Bougonnetiere depuis 8 ans au moment de son mariage.

Lors de la préparation, en 1811, de ce mariage avec François Laleu, vigneron, dont je ne sais s’il était déjà employé par Noel Goislard, adjoint au maire chargé de l’Etat-Civil, ce dernier découvre que l’acte de naissance de Anne est introuvable et semble ne pas avoir été établi !

C’est lui qui se charge de recueillir les témoignages attestant qu’elle est bien née le 25 mars 1778 à Châteauvieux.

Il la conduit à St. Aignan où le Juge de Paix du canton a réuni un tribunal de famille et établit l’acte d’Etat Civil, le 23 juin 1811 (25).

Noël Goislard fera ensuite homologuer cet acte par le Tribunal de Première Instance de Blois, le 4 juillet 1811 et le transcrit sur l’Etat-civil de Thésée le 20 août.

Entre temps, il célèbre le mariage de Anne Mauger, 33 ans et de François Laleu, 28 ans, le 25 juin 1811.

Le couple habitera à la Bougonnetiere jusqu’au décès de Noël Goislard. On l’a vu, leur logement est inscrit dans les parties réservées de la vente.

Une première fille était née le 8 juin 1812 et décédée le 24.

Silvine Catherine naît le 2 août 1813. Elle se marie avec René Courtault, le 25 janvier 1831. Le couple aura deux enfants. Mais Silvine meurt le 16 mars 1840. Elle a 26 ans.

Sa mère va donc lui survivre et décédera à Thésée, le 11 janvier 1850.

Noel Goislard a dû aussi remettre de l’argent liquide à Anne Mauger, avant son décès. Car le couple achète une métairie à Avigne, dès 1830, pour plus de 3000 francs. Il fera d’autres achats.

Anne Mauger, qualifiée de « propriétaire » lors de son décès, laissera une succession certes modeste mais au-dessus de la moyenne de celles de sa catégorie sociale. On relève en particulier un nombre important de beaux meubles (26).

Une de ces deux femmes était, on peut s’autoriser à le penser, la fille de Noël Goislard.


La dislocation et la fin du patrimoine théséen des Goislard

Le cadastre de Thésée a été établi en 1834, en se servant de matériaux et d’informations datant de quelques années.

Il indique donc comme propriétaires les noms de « Roger et Dana de Blois » pour l’ensemble des biens de Noel Goislard.

Puis, ces noms sont barrés et remplacés par le nom de François Mabille.

Qu’en déduire à première vue : que ces « Roger et Dana » auraient acheté ces biens à François Mabille et les lui auraient revendu ? Suffisamment étrange pour tenter de reconstituer tout le puzzle !

En fait, François Mabille avait désigné par acte notarié le 26 avril 1830, deux « mandataires généraux et spéciaux » Stanislas Dominique Roger qui est marchand de bois à Blois et Dominique Edouard Dana qui est commissionnaire en vins, aussi à Blois. Ce sont deux cousins dont les familles demeurent à Mer (27).

Ils sont chargés de la gestion et de l’administration complètes des biens : faire les réparations, acquitter les impôts, passer les baux, payer le personnels et les bestiaux, etc.

Ils ont mandat « pour vendre en totalité par lots et faire les paiements ». Ce sont eux qui engagent les ventes et signent les actes d’où, vraisemblablement, la confusion de la mention portée sur le cadastre et sa correction postérieure.

Tout sera vendu entre 1830 et 1838.


Ainsi, s’achève la présence des Goislard de la Droitière à la Bougonnetière dont subsiste encore de nos jours l’essentiel des bâtiments, témoins de l’histoire économique, sociale et humaine de Thésée.



Thérèse GALLO-VILLA

Sources et notes :

  1. lexilogos.com et autres sites spécialisés dans l’origine des noms.
  2. « Etude sur l’histoire du colonat chez les romains », Revue d’histoire de droit français et étranger, Dalloz, 1856.
  3. ADLC G. 707 et notes généalogiques sur les Goislard dans Héraldique et Généalogie, 1992.
  4.  Généalogie de la famille Curault , Familles orléanaises, essai généalogique, 4e Série, 2014 et "Histoire de Selles en Berry et de ses seigneurs », Maurice Romieu, 1899.
  5. ADLC G 623
  6. C’est Anne Goislard, sa fille, qui en héritera.
  7. « Quelques seigneuries à l’entour de Selles-sur-Cher », Hubert de Vergnette, Les Cahiers des Amis du Vieux Selles, 1988, aimablement communiqués par Mr. Pierre Chassagne.
  8. ADLC G 542 et informations communiquées par P. Pimbert pour les contentieux de l’Hotel-Dieu.
  9. « Saint-Aignan et ses ducs au temps du Roi Soleil », René Guyonnet, 1980.
  10. (10) Les Petites Bordes passeront d’abord à Charles Goislard puis à la famille Lenormant. Jean Lenormant, grenetier à sel de Beaugency avait épousé en 1663, Marie Goislard qui lui avait amené en dot les fiefs de Champhlé, Bois-Vineuil et la Jarellerie à Monthou-sur-Cher.
  11. (11) ADLC G 623, G 473
  12. (12) Archives de Touraine 3 E 2/277
  13. (13) Archives de Touraine 3 E 1/954
  14. (14) Aucun des actes et documents consultés ne précise la nature de l’activité économique exercée sous le terme de « négociant » pour les Goislard, Gaultier, Mabille, etc.
  15. (15) ADLC 1 B 660/1
  16. (16) Un article d’André Chabault sur le rôle de Noël Goislard durant la Révolution paru dans le bulletin des Amis du Musée.
  17. (17) Mémoires de la Société de Sciences et Lettres de Loir et Cher, année 1926/janvier.
  18. (18) Article cité de A. Chabault.
  19. (19) ADLC 3 M 25
  20. (20) ADLC 3 M 34 ; contient aussi les données concernant sa démission.
  21. (21) ADLC 3 E 68/318. A ce stade, je n’ai pas pu établir les évolutions foncières d’Aveigne devenue Avigne. D’autres recherches spécifiques seraient nécessaires.
  22. (22) Noel Goislard a trois neveux ou petits neveux connus : son petit neveu Emile Mabille, médiéviste, fils de François et Victoire Goislard, fille de son frère Louis ; son petit-neveu Gabriel Lamé, mathématicien, fils de sa nièce Julie Madeleine Goislard, autre fille de Louis ; son neveu Gabriel Donnadieu, général d’Empire, époux de Catherine Victoire Goislard, fille de son frère Nicolas Alexandre.
  23. (23) ADLC 373 Q 15
  24. (24) ADLC 3 E 68/325
  25. (25) ADLC 4 U 50
  26. (26) ADLC 373 Q 26
  27. (27) ADLC 3 E 68/322

 


Je remercie pour leur accueil et leur aide :

Mr. et Mme. Baron, Domaine Viticole Baron, au village de la Bougonnetière.

Mr. et Mme. Migeon et Mr et Mme. Perroux, propriétaires d’habitations dans les anciens bâtiments de la Bougonnetière.

Et, une nouvelle fois, Philippe Pimbert, Président de l’Association des Amis du Musée.