Deux jeunes voix de la Shoah : lettres de détention.. 

Le convoi N° 59 (Troisième partie).


Troisième Partie

Le Convoi N° 59 du 2 Septembre 1943 : Lise et Bernard, « Le Grand Voyage... »


SOMMAIRE


  • La réorganisation du camp de Drancy 
  • La réalisation d’une « évacuation »
  • Une extermination minutieusement organisée
  • Le retour des déportés.
  • L’établissement du décès des déportés
  •     Sources et bibliographie :

ANNEXES

  • Abraham Drucker, Médecin-chef de l’Infirmerie du camp de Drancy
  • Esther Senot .
  • Les organisations juives en France au moment de la guerre.
  • L’Union Générale des Israélites de France ( UGIF )
  • Aloïs Brunner

C’est l’expression employée par Bernard Jankelovitch et bien d’autres détenus pour qualifier la déportation.

Elle est aussi camouflée par les Allemands sous les vocables de « destination inconnue », « évacuation », « transports à l’Est ».

La quasi totalité des juifs n’imaginait pas que le bout du « grand voyage » était leur mort programmée.

Les témoignages concordent sur cette ignorance de l’extermination industrielle des camps de concentration.

Les juifs détenus pensaient que les Allemands les destinaient à des défrichages de terres à l’Est, des travaux forcés pour l’industrie allemande, qu’ils seraient à nouveau parqués dans des ghettos.

Ils se doutaient, pour beaucoup, qu’ils allaient souffrir, avoir faim, être soumis à des traitements brutaux, voire mourir d’épuisement ou de maladie.

Mais, les chambres à gaz, les fours crématoires, les assassinats sauvages, les expériences médicales, les tortures, y compris des femmes, des enfants, des vieillards et malades ...non, cela relevait de l’impensable pour les Juifs de France.

A partir donc de l’été 1943, les nazis vont se donner les moyens de la déportation massive des juifs de France.

Ils sont, en effet, confrontés à des résistances qu’il leur faut surmonter.

La montée en puissance de la Résistance Intérieure Française : le Conseil National de la Résistance a été créé en mai.

Le débarquement allié en Sicile, début juillet.

Le recul de leurs troupes sur le front de l’Est, depuis la victoire de l’Armée Rouge à Stalingrad en février.

Et, tout particulièrement, les évolutions de l’opinion publique française depuis les grandes rafles de 1942.

En effet, les Français développent une solidarité plus affirmée à l’égard des juifs pourchassés et en premier lieu pour les enfants.

Et ce d’autant que les privations imposées, le STO, l’autoritarisme de Vichy, le non retour des prisonniers et les effets journaliers de l’Occupation, sont en train d’éroder les soutiens au gouvernement de Pétain.

Même Vichy n’est plus aussi enthousiaste et zélé sur la répression anti-juive, conduite totalement par les Allemands et les réduisant à un rôle d’exécutants priés d’être coopératifs et efficaces !

Parmi ces moyens, la réorganisation du camp de Drancy va permettre aux Allemands d’en faire la pièce maîtresse de la déportation.

La réorganisation du camp de Drancy :

La SS avec Aloïs Brunner, et ses sbires, prend en mains directement l’Administration du camp, expulse du camp gendarmes et policiers français et les remplace par ses subordonnés.

Ils vont instituer une administration à « l’allemande », pour reprendre l’expression de André Kaspi : « efficace, violente, cynique et hypocrite ».

Pour ce faire, ils vont faire gérer le camp par leurs victimes en jouant sur la menace de la déportation et la conviction des organisations juives que leurs actions servent à améliorer le sort des leurs.

Ainsi, ils contraignent l’UGIF à subvenir intégralement aux besoins des détenus à Drancy.

L’UGIF devra assurer le ravitaillement des cuisines du camp, prévoir les vêtements pour les futurs déportés, leur nourriture et des couvertures pour le « grand voyage », leur fournir des outils pour les travaux qu’ils sont censés effectuer « à l’Est » !

Tout cela à ses frais bien sûr.

Les Allemands obligeront à « des colis collectifs », en faisant rassembler les colis par l’UGIF et assurer leur redistribution entre les détenus.

L’UGIF est chargée de faire fonctionner les services communs du camp : l’infirmerie, le service des douches, les ateliers de couture et de cordonnerie, pour équiper les déportés !

Est-ce dans un de ces ateliers de couture que Lise a trouvé un travail comme elle l’indique dans sa dernière lettre clandestine ?

Les Allemands iront jusqu’à faire distribuer par les responsables de l’UGIF des cartes postales d’un camp, portant le timbre de « Birkenau », c’est à dire Auschwitz, disant que l’on traitait bien les détenus !

L’argent des détenus est échangé, un reçu à l’appui bien sûr, contre des zlotys à dépenser sur place.

Les SS ne cesseront de mettre la pression sur les dirigeants de l’UGIF, pour qu’ils incitent les détenus à écrire à leurs parents de les rejoindre, à donner des adresses de juifs encore en liberté.

Ils institueront une police juive du camp pour les aider à assurer le maintien de l’ordre et l’exécution de leurs directives.

Si en général, l’action de l’UGIF a secouru et permis de survivre à plus d’un juif démuni et pourchassé, celle qu’elle a conduite au sein du camp de Drancy en a fait, quelles qu’en soient les conditions de terreur et pression sur ses dirigeants, une marionnette entre les mains des SS.

Qui n’épargneront pas les responsables et employés de l’UGIF : ils seront déporté en nombre.

Ainsi, que ce soit pour leur vie quotidienne ou le maintien de l’ordre, les internés ont affaire essentiellement à d’autres juifs servant d’interface entre eux et l’administration allemande du camp.


Une prise en mains par la terreur :

En plus d’une réglementation tatillonne, les brimades sont permanentes, les comportements des SS violents avec les détenus.

Le moindre signe pouvant faire craindre une révolte ou des résistances est sévèrement réprimé.

Au début de l’existence du camp, il y avait « une chambre disciplinaire », remplacée par Brunner par une prison appelée « le Bunker ». 

Les internés y sont nus, affamés, frappés, arrosés d’eau froide pour la nuit comme le décrit le Dr. Drucker.

Les SS frappent des détenus en se promenant ; ils pratiquent des jeux cruels comme celui dit « du tourniquet », pendant lequel les détenus reçoivent coups de pieds et de bâtons.

Bernard dans sa dernière lettre clandestine a lui aussi alerté sur cette situation : Ils font régner la terreur ».

La peur de la déportation est omniprésente.

Le classement des détenus :

Toute une administration, « la Kanzlei » ou Chancellerie, est mise en place avec un service du fichier, de la fouille, etc. Il y a un grand nombre d’interprètes et dactylos bilingues.

Lorsque Brunner prend en mains Drancy, tous les détenus présents sont soumis à un interrogatoire ( qui a lieu dans la cour, conduit par Brunner lui-même ou un de ses adjoints ou dans les bureaux de la Chancellerie ), en vue de leur classement dans les catégories qui viennent d’être instituées et qui positionnent chacun par rapport à la déportation.

Bernard y est soumis.

Et cet interrogatoire avive ses craintes sur une possible arrestation de sa famille puisqu’il est mis dans la rubrique « en attente de famille ».

C’est ce service qui établit les listes des « entrants » et des « sortants », remplit et remet les reçus pour l’argent et les bijoux confisqués, récupère les cartes d’alimentation, et réunit toutes les informations sur les familles des détenus, etc.

Chaque interné a un carton suivant son classement : rouge « ceux qui partent », vert « ceux qui restent » et mauve « en période d’attente »,

Bien évidemment, c’est l’UGIF qui doit tout fournir et payer.

La catégorie A :

Elle est composée « d’aryens » qui ont aidé des juifs ( les Allemands les nomment « amis des Juifs » ), de conjoints « d´aryens », de demi-Juifs au statut spécial, de personnes dont on est en train de vérifier leur « aryanité ».

En théorie, les membres de la catégorie A ne sont pas déportables, car censés pouvoir être libérés. Dans l’attente, ils sont affectés aux services du camp ou dans des camps de travail de Paris.

Mais, cette catégorie est aussi une réserve s’il faut compléter les convois et elle sera massivement déportée.

La catégorie B :

C’est la catégorie redoutée constituée par les détenus considérés comme pouvant être déportés à tout moment.

C’est celle qui est là plus nombreuse.

Lise sera tout de suite classée en B et Bernard le sera après l’arrivée de Lise.

La catégorie C1 :

C’est celle qui regroupe les cadres qui assurent la gestion du camp : services administratifs, ateliers de travail, personnel médical, services d’ordre, etc.

Les dirigeants de l’UGIF au sein du camp y sont classés.

Les membres de la catégorie C1 bénéficient de bien meilleures conditions de détention.

Presque des privilèges : logements plus confortables, meilleure nourriture, maintien des colis personnels, etc.

La catégorie C1 est en théorie non déportable.

Mais, pour eux aussi, leur déportation est possible par représailles, pour remplir un convoi incomplet. Et les Allemands ne s’en priveront pas.

La catégorie C2 :

Ce sont des juifs appartenant à des nationalités soit de pays neutres, soit de pays alliés de l’Allemagne.

Leur sort sera variable mais beaucoup subiront la déportation comme les juifs roumains ( cf. la famille Eidelman, partie 1 ), grecs ou tchécoslovaques.

La catégorie C3 :

Ce sont des femmes de prisonniers de guerre.

Elles sont affectées dans les camps de travail de Paris.

Au printemps 1944, elles seront à leur tour déportées à Bergen-Belsen.

Et celles qui avaient été arrêtées pour avoir contrevenu aux règlements, comme la tentative de franchir la Ligne de Démarcation, seront immédiatement déportées.

C’est le cas de Violette Lévy, (cf. Voir sur ce site l’étude sur la Rafle de Bourré ), comme celui des Bernheim ( Partie 2 ).

La catégorie C4 :

Elle est constituée par les détenus en attente de « regroupement familial ». 

Dès que la famille a rejoint le détenu, il devient B comme les membres de sa famille à déporter avec lui.

Bernard avait signalé le chiffre romain « VI » pour le classement en attente de famille. On le trouve mentionné sur sa fiche.


La vie au quotidien

Les arrivants sont répartis dans les blocs d’habitation puis dans des chambrées.

Une chambrée a une capacité d’accueil d’environ 50 personnes. Il y a un chef de chambrée et un chef d’escalier qui répercutent ordres et consignes.

A leur arrivée à partir de juillet 1943, les nouveaux arrivants passeront tous une visite médicale.

Lise a donc du être dans ce cas là.

Et on coupait très ras les cheveux aux hommes.

Brunner initiera, comme dans les camps de concentration, des appels quotidiens avec les détenus rangés dans la cour centrale où ils sont comptés et recomptés.

Les responsables juifs portent un brassard de couleur différente suivant leurs fonctions : blanc pour un chef d’escalier, rouge pour les membres du service d’ordre.

A 22h15, un coup de sifflet les consignent dans leurs chambres.

Puis, le chef de chambrée fait l’appel.

Les murs des chambres et des escaliers sont systématiquement lavés pour effacer les graffiti, dessinés par les partants.

Les méthodes de vie en caserne sont appliquées : lits au carré, linge personnel rangé en haut du lit, ménage minutieux.

Tous les ordres, les panneaux, etc. sont en allemand.

Les détenus doivent en permanence être occupés, au travail.

S’adonner aux jeux de cartes, lire ou discuter, sont des situations dites « d’oisiveté », donc prohibées.

Il est interdit de fumer dans les chambres.

Les visites entre hommes et femmes dans les chambres sont encore permises de 11h à 21h.

La vie des internés est rythmée par les actes de la vie quotidienne : le travail en ateliers ou dans les services communs, les corvées de toutes sortes ( ménage, vaisselle, poubelles, balayage, etc).

La correspondance de Bernard est significative des préoccupations majeures des détenus : se procurer des suppléments de nourriture, obtenir du tabac, faire laver son linge, recevoir son courrier et pouvoir en envoyer.

Les fouilles des colis sont impitoyables pour repérer armes ou outils favorisant les évasions : pain coupé en morceaux, pots de confiture percés, nourriture déballée et découpée, etc.    

Pour 5000 détenus, il y au moment de l’arrivée de Brunner, 20 robinets d’eau !

Des rations alimentaires de famine : du pain, un peu de sucre, deux soupes de rutabagas par jour, un minuscule bout de viande le dimanche !

Sans colis, sans solidarité, impossible de tenir !

Le marché noir prospère : ainsi un paquet de cigarettes au marché noir à Paris vaut 50 f ...une seule cigarette se paye 125 f à Drancy ! Une assiette de soupe 100 f et un petit-suisse 45 f.

( pour mémoire, le salaire moyen d’un employé est de 2 000 f ).

En contrepartie, si l’on peut dire, de ce régime militaire et coercitif, Brunner qui comme tous les nazis est obsédé par les maladies contagieuses, les microbes, la saleté, va prendre des mesures.

Pour eux, les juifs sont synonymes de ces maux.

De plus, pour en déporter un maximum, il faut qu’ils soient « transportables ». 

Il va améliorer les soupes en les rendant plus nourrissantes, faire des travaux d’assainissement des lieux d’habitation, systématiser un système de douches ( 15 jours pour y faire passer tous les détenus ).


L’infirmerie du camp de Drancy


Une des premières actions de Brunner est le rapatriement à Drancy de tous les juifs malades hospitalisés à l’hôpital Rothschild.

Tous les services médicaux pour les détenus juifs sont ainsi concentrés au camp de Drancy : cabinet dentaire, opérations chirurgicales, accouchements, etc.

Le personnel médical est renouvelé car une partie a déjà été déportée.

Abraham Drucker est le médecin-chef.

C’est le Dr. Alfred Morali qui est nommé chef de l’infirmerie.

Brunner fait nettoyer et repeindre l’infirmerie.

Il fait rapatrier à la mi-juillet les malades, vieillards, enfants, malades mentaux se trouvant dans les hospices et asiles d’aliénés et les fait aussitôt déporter.

Les locaux médicaux sont regroupés au quatrième étage des bâtiments ouest.

C’est donc là que se trouve Bernard.

Outre le groupe de responsables autour de A. Drucker, on compte une dizaine d’infirmières, trois brancardiers, sept médecins.

Redonnons la parole à A. Drucker :

« Ils améliorèrent l’infirmerie en faisant peindre les locaux, en installant un appareil de radio, nous demandaient de présenter avant la déportation des listes de malades non transportables, les acceptaient en totalité ou refusaient un grand tuberculeux et éliminaient de la déportation un malade atteint tout simplement de la gale. Ils faisaient des visites alors qu’aucun d’entre eux n’avaient des notions de médecine, et décidaient sur la vue et sur la gravité du cas. Ou bien, ils faisaient partir tous les grabataires, impotents, maladies contagieuses, diphtériques, scarlatine, femmes enceintes ou accouchée de la veille.

Livrés au bon vouloir des brutes, ils laissaient planer sur notre existence l’angoisse, la terreur, l’incertitude et le mystère ».

Ce sont dans ces conditions que Bernard a été désigné pour être déporté.


La réalisation d’une « évacuation »

Du 16 juillet au 1er Octobre 1943 chaque déportation compte environ un millier de personnes.

Et depuis le 14 juillet, les autorités allemandes ont officialisé la déportation générale des juifs français au même titre que les juifs étrangers ( mais il ne faut pas oublier que des déportations de juifs français avaient déjà eu lieu ).

Lise et Bernard sont déportés par le convoi N° 59, du 2 septembre 1943.

Ce convoi comprend donc 1 000 déportés dont 138 enfants tous exterminés.

Seuls 13 de ces déportés survivront dont 2 femmes.

Une d’elle est Esther Senot.

Les « escaliers de départ »


Une fois la liste établie de départ du prochain convoi, appelée « évacuation », c’est le chef d’escalier qui remet aux chefs de chambres les feuilles indiquant la date et modalités de

« l’évacuation ». 

Ces documents sont des feuilles vertes à distribuer aux B désignés pour être déportés.

La veille de leur déportation, ils quittent leurs chambrées et sont consignés par 50 dans les étages des escaliers proches de l’entrée du camp.

Les hommes ont été tondus.

Femmes et hommes partagent les mêmes chambrées pour cette dernière nuit et les relations sexuelles y sont nombreuses, nourries par l’angoisse et la peur.

Ce sont des pleurs, des sanglots mais aussi des chants d’espoir et de lutte.

Des déportés écrivent des graffiti sur les murs pour que soit conservée une trace de leur martyr.

On distribue des vêtements à ceux qui en ont besoin.

Le matin du départ

Le matin, les partants sortent par groupe de 50, nombre qui correspond à un wagon.

Chaque escalier de départ - il y en a 5 - concentre quatre groupes. Cela correspond à un convoi d’un millier de déportés environ.

Ils vont faire enregistrer leur départ à la « Kanzlei », la Chancellerie.

Ils reçoivent un nouveau matricule.

A partir de septembre 1943, les déportés peuvent se regrouper en famille et voyager dans le même wagon.

Ils récupèrent leurs bagages, avec leur nom et leur matricule, qui ont été entre-temps fouillés.

On les consigne à nouveau dans leurs chambrées en attendant l’heure du départ.

Ils ont droit à une soupe et quelques vivres pour le voyage.

Durant les préparatifs de « l’évacuation », des barrières délimitent un espace pour les partants, pour pallier à des fuites pour tenter de se cacher.

Tous les autres détenus restants sont consignés dans leurs chambres, les volets fermés.

Un chef de groupe avait été désigné par groupe de 50.

A l’heure fixée pour le départ du camp, un dernier appel a lieu.

Les jours de déportation, un médecin, un infirmier et deux brancardiers sont présents pour intervenir si nécessaire auprès des malades et de ceux qui font des malaises.

Les témoins ont rapporté des sorties du camp de déportés chantant « la Marseillaise » ou « Ce n’est qu’un au revoir... », dignes et droits, se dirigeants vers les bus.


Les bus et les trains :

En juillet 1943, Brunner substitue à la gare du Bourget celle de Bobigny.

Les Allemands jugent la gare de Bobigny plus fonctionnelle avec une longue voie de garage.

Elle est plus discrète car le trafic voyageurs a été supprimé.

Elle apparaît aussi plus à l’abri des bombardements alliés.

L’utilisation de la SNCF

Lorsqu’une déportation était décidée en coordination avec Berlin, c’est le Service Allemand des Affaires Juives qui l’organisait.

La disponibilité des trains pour pouvoir massivement déporter fut une réclamation récurrente des Allemands !.

Il exigeait alors la formation rapide d’un train par les autorités françaises.

C’est la SNCF qui fournissait matériel et hommes.

Les clauses de l’Armistice mettaient les chemins de fer français au service des Occupants.

Il fallait 25 wagons : 20 pour les déportés et 5 pour le ravitaillement, matériel ainsi que le transport des gendarmes français et des soldats allemands, accompagnant le convoi.

Il est arrivé, pour certains convois, que quelques paillasses soient installées pour malades et vieillards dans un wagon.

Les gendarmes français quittaient le train à la gare de Noveant, frontière avec la Moselle annexée et les cheminots allemands y prenaient la relève des cheminots français.


 .....et du prédécesseur de la RATP


Les bus réquisitionnés appartenaient eux à la Compagnie du Métropolitain Parisien.

Les bagages étaient chargés sur la plate-forme.

Chaque bus prenait cinquante personnes et s’arrêtait devant les wagons.

Ils étaient escortés par un groupe de gendarmes français et un détachement de soldats Allemands et des SS.

Généralement, la cinquantaine de déportés d’un bus montait dans un wagon, bien que beaucoup de témoignages signalent des chiffres bien supérieurs de détenus entassés dans un wagon.

Les SS les poussaient dans les wagons, les haranguaient pour les mettre en garde contre toute velléité d’évasion et leur expliquaient qu’ils allaient dans des camps de travail « à l’Est ».

Les déportés avaient, ici aussi, été comptés et recomptés.

Les bus vont ainsi faire la navette entre Drancy et la gare pour transporter le contingent de déportés du jour.

Puis, les wagons étaient plombés.

Le trajet gare de Bobigny-Auschwitz-Birkenau

Le trajet durait environ 55 heures avec de nombreux arrêts.

Presque trois jours et trois nuits.

Dans des conditions épouvantables pour les déportés.

Leur nombre les empêchait de pouvoir s’allonger ou être assis correctement.

Au départ, un seau d’eau pour boire et un baquet pour les besoins, avaient été embarqués.

Le sceau était rapidement vide surtout en période de chaleur, et on ne leur redonnait que rarement de l’eau en plus.

Les maigres rations fournies au départ étaient elles aussi vite épuisées.

Les témoignages sont nombreux sur l’humiliation qui consistait à faire ses besoins en public.

A ce moment-là, des personnes tenaient souvent ouvert un habit, comme un paravant, pour maintenir un semblant d’intimité.

Lorsque le baquet était plein, des déportés tentaient de le déverser par l’étroit espace laissé ouvert ( lorsqu’il existait, car des wagons étaient presque totalement aveugles ). Une partie retombait presque à coup sûr dans le wagon.

On image les odeurs pestilentielles, le froid ou la chaleur, la faim et la soif, l’entassement des corps.

On assiste à des crises de nerfs, des malaises, voire des accès de folie, mais aussi des bagarres pour un bout de pain tombé ou quelques centimètres grignotés sur l’espace d’un voisin.

Des déportés âgés ou malades, des jeunes enfants, meurent durant le trajet.

Lise et Bernard ont-ils pu voyager ensemble ?

Dans quel état devait se trouver Bernard passé de l’infirmerie à ces conditions inhumaines de transport ? Avait-il de quoi faire ses piqûres d’insuline ?


Une extermination minutieusement organisée

Le complexe d’Auschwitz

C’est un ensemble qui comprend trois composantes :

Un premier camp de concentration dit Auschwitz I qui servit d’abord pour les détenus polonais.

Le camp d’extermination des juifs dit Auschwitz II Birkenau.

Et un grand camp-usine dit Auschwitz III Monowitz où les nazis utilisaient la main d’œuvre concentrationnaire dans les entreprises Krupp, IG-Farben, Siemens, etc. qui s’y étaient installées et travaillaient pour l’économie de guerre allemande.


…Les témoignages des survivants racontent.....


L’arrivée

Le convoi arrivait à la gare d’Auschwitz, proche du camp de concentration des juifs.

Les coups étaient frappés contre les portes.

Des « Préparez-vous à descendre » étaient hurlés.

Les déportés étaient sommés de déposer par terre leurs bagages qui leur seraient restitués au camp, affirmaient les SS !

Les déportés, souvent aveuglés par la lumière après ce voyage dans la quasi obscurité et les membres engourdis, étaient descendus des wagons brutalement.

Leur première vision étaient celle des SS armés, vociférant, accompagnés de chiens et aussi d’internés chargés de récupérer les bagages qui iraient tout droit dans les réserves en vêtements, couvertures et autres du camp. Ils orientaient aussi les arrivants.

En passant près des femmes avec enfants, ils leur soufflaient discrètement : « Surtout, ne tenez pas d’enfant par la main ».

Des hauts-parleurs invitaient « ceux qui se sentaient fatigués » à monter dans les camions placés le long du quai d’arrivée, pour rejoindre ainsi le camp.

La  « sélection sur la Judenrampe »

Il y avait une sorte de grande rampe bétonnée au bout de laquelle se plaçaient des militaires-médecins SS qui allaient opérer la « sélection » entre les arrivants.

Celles et ceux qui seront envoyés travailler dans les usines de Auschwitz III ou dans les services du camp de concentration.

Le nombre de ces sélectionnés était variable suivant les convois, en fonction des besoins du moment. C’est à dire, en clair, du nombre de décès intervenus depuis le précédent convoi.

Tous les autres étaient destinés à l’extermination immédiate ou à peine différée, si il y avait encombrement des chambres à gaz ou des fours crématoires.

Les arrivants étaient placés en file, les hommes d’un côté et les femmes et enfants d’un autre.

La « sélection » se faisait au jugé visuel quant à l’état physique et à la force des arrivants.

Ainsi, malgré son jeune âge -15 ans-, Esther Senot est convaincue que c’est grâce à sa grande taille et sa robustesse qu’elle fut sélectionnée.

Il y eut ainsi, pour le convoi 59, 106 femmes sélectionnées et 242 hommes.

Les femmes même jeunes et se portant bien, mais tenant un enfant dans leurs bras ou par la main, étaient mises de côté. On comprend alors la recommandation des internés à l’arrivée.

Tous les non sélectionnés mis de côté devaient monter à leur tour dans les camions, en direction des chambres à gaz.

Les sélectionnés, à peine arrivés au camp, étaient tatoués et affectés dans des Kommandos.

Cette pratique du tatouage des déportés était spécifique à Auschwitz.

Pensons à Lise et à Bernard.

Soit, dès la descente du wagon, ils sont montés dans le camion en raison de l’état de fatigue de Bernard, voire de Lise.

Soit, s’ils étaient ensemble ( car Bernard ne l’oublions pas passait pour un enfant ), Lise soutenant et aidant Bernard, ils ont été, d’office, voués à l’extermination.

La « désinfection »

Les gens débarqués des camions entraient par le grand portail du Crématoire et étaient dirigés vers un escalier souterrain qui menait à la chambre de déshabillage pour y subir « une désinfection ».

Une longue file de dizaines de mètres.

On faisait d’abord passer les femmes, les vieillards, les enfants, puis les hommes.

Dans cette salle, il y avait des planches sur lesquelles on pouvait s’assoir pour se déshabiller.

Et des patères où pendre les habits. Les nazis leur recommandaient de bien retenir le numéro pour récupérer leurs affaires.

Pour les tromper plus encore et s’assurer le calme, les tortionnaires promettaient un bon repas après cette « désinfection ».

Ainsi souvent les femmes se pressaient avec les enfants pour entrer dans la chambre à gaz et pour en finir au plus vite avec cette corvée !

Les déportés pensaient être dans une grande salle de douches car l’installation factice y ressemblait.

Il y en avait quatre chambres à gaz à Auschwitz.

Lorsque c’était le tour des hommes, les nazis poussaient les derniers à coût de crosse pour tous les entasser et en terminer rapidement avec ce convoi là.

Le gaz Zyklon B, de l’acide cyanhydrique, était introduit par une trappe située à l’extérieur au dessus de la chambre à gaz.

Le gaz tombait dans des colonnes creuses jalonnant la chambre et se diffusait.

La mort intervenait entre 6 et 20 minutes, certains chiffrages donnent entre 5 et 10 minutes, suivant le nombre et la chaleur, par convulsions et étouffement.

Les cris et hurlements des exterminés s’entendaient dehors.

Ces chambres avaient une capacité cumulée de gazage de près cinq mille déportés/jour.  

Après un certain délai, un médecin SS appréciait la situation au travers d’un judas et autorisait l’ouverture des portes.

La crémation

Lorsque les gaz étaient suffisamment dissipés, des internés d’un Sonderkommando affecté à ces tâches, rasaient et conservaient les cheveux des femmes, les dents en or des cadavres, leurs lunettes, etc.

Ils récupéraient aussi leurs vêtements.

Les corps étaient alors chargés et conduits vers les fours crématoires.

Les cinq fours crématoires d’Auschwitz ont eu une capacité de crémation de près de 4 800 personnes/jour par 24 heures d’utilisation.

Vers la fin de la guerre, les fours ne suffisent plus.

Les corps seront brûlés dans des fosses avoisinantes.

Les cendres étaient ensuite dispersées dans les champs et les lacs aux alentours.

L’odeur dé chair brûlée se sentait bien au-delà du camp d’extermination.

Auschwitz sera libéré par l’Armée Rouge le 27 janvier 1945.

En cinq ans, plus d’un million trois cent mille personne ont été déportées à Auschwitz et plus d’un million cent mille hommes, femmes et enfants y auront été exterminés.

Peut-être plus, estiment certains historiens.

L’établissement du décès des déportés

L’espoir d’un retour :

Salomon Jankelovitch et sa femme ont espéré, pendant environ deux ans, peut-être, estime Pierre Janel, un retour de Lise.

Ils pensaient qu’à la libération du camp, elle avait peut-être été amenée en Russie et que son rapatriement pourrait intervenir.

Pour Bernard, ils ne se faisaient guère d’illusion. Compte tenu de son état de santé, ils se doutaient bien qu’il ne pouvait avoir survécu longtemps au régime concentrationnaire.

Les espoirs similaires de leurs cousins Henri et Cécile Goldschmidt pour leur fils Jean ( voir l’annexe « La famille de Lise dans la partie 1) les confortaient dans les leurs.

Or, ceux-ci, comme d’autres de familles, soit lors des détentions dans les camps en France, soit après la libération des camps, ont été victimes de racket par des individus sans scrupules, exploitant la peine des parents de déportés

Pierre Janel raconte : « J’avais entre 14-16 ans, vers 1948-50 et je passais quelques jours de vacances chez elle ( cf. Tante Cécile ) à Paris. Alors que nous sortions des Galeries Lafayette, elle me prit le bras en criant : « C’est lui, rattrape-le ». Et de l’autre main, elle me montrait un type qui se sauvait et que la foule sur le trottoir avait bloqué pensant avoir à faire à un pickpocket.

Elle s’est approchée de lui et le frappait avec son parapluie. Je ne comprenais toujours pas ce qui se passait jusqu’au moment où j’ai entendu ce type dire qu’il sortait de prison et qu’il avait purgé sa peine.

En fait, ce bandit s’était fait passer pour un déporté libéré par les Russes, lesquels l’avaient emmené en Russie où il avait rencontré leur fils et qu’il connaissait un moyen de le faire rapatrier. Un beau jour, sans nouvelles de lui, ils ont appris qu’il avait été emprisonné pour escroquerie à la suite de plusieurs plaintes de familles qui avaient été abusées comme Tante Cécile et Oncle Henri.

Pendant plusieurs mois ou années, ils ont tellement espéré et attendu parce que ce personnage entretenait le suspens en venant les voir de temps à autres pour leur donner des  « nouvelles » fausses et inventées.... et bien sûr encaisser ! ».

Le jugement déclaratif de décès


Ensuite, les certificats de disparition servaient de base à la saisine des Tribunaux pour qu’ils déclarent le décès.

Le jugement déclaratif de décès tenait lieu d’acte de décès à transcrire sur l’acte de naissance du déporté et/ou sur le registre des décès de la commune de son dernier domicile connu.

Pour Lise et Bernard, c’est un jugement du Tribunal de Première Instance de Blois du 12 février 1953 qui, sur la base des renseignements communiqués par le ministère des ACVG « sur la disparition à l’ennemi », procède à la constatation judiciaire du décès.

C’est ce jugement qui date leur décès au 20 septembre 1943.

il a été transcrit par Henri Chartier, maire de Contres, le 5 mars suivant.


La mention « Mort pour la France »

Salomon Jankelovitch attachait une grande importance à l’attribution de cette mention, lui qui était si fier d’avoir obtenu la nationalité française et se sentait si pleinement français.

Il la fera d’ailleurs inscrire aux cotés des noms de Lise et Bernard sur la tombe familiale dans le cimetière de Contres.

La reconnaissance de la mention « Mort pour la France » donna lieu à quelques échanges épistolaires administratifs.

Le 14 mars, Marcel Buhler résistant et futur maire de Blois, directeur de l’Office Départemental des ACVG, saisit le Procureur de la République pour lui faire observer que les jugements déclaratifs de décès ne comportent pas la mention « Mort pour la France », alors que les certificats de disparition stipulaient ce droit « si le décès avait été constaté ».

Or, précisément, la finalité des jugements était de transformer la notion de « disparition » en « constatation de décès » et donc de substituer par voie de conséquence, celle de « disparu à l’ennemi » en « tué ou mort à l’ennemi », conformément aux dispositions de la loi du 2 juillet 1915, modifiée par celle du 22 février 1922.

M. Buhler lui demande de donner des instructions au maire de Contres en ce sens.

Le 19 mars, le Procureur lui demande de lui envoyer les documents que possèdent M. Buhler, car il ne semble pas avoir la même mouture !

Ce que M. Buhler fait le 21 mars.

Les mises au point entre services ont du se faire sans plus de problèmes, car la mention « Mort pour la France » a été rajoutée à l’acte, mentionnée en marge.

La mention « Mort en déportation »

Établir le décès des déportés fut et demeure d’une grande complexité faute souvent d’archives et de preuves fiables.

Cette situation explique les retards, les datations approximatives pour ne pas dire fantaisistes parfois, les erreurs de localisation de ces décès.

Mais les règles retenues, en 1945, pour les certificats de disparition soulevèrent un tollé de critiques.

Elles étaient jugées aberrantes et très mal vécues, on s’en doute, par les familles de déportés car ne prenant pas en compte l’essentiel : les lieux de la déportation, symboles des atrocités subies et du régime nazi et la datation la plus probable, comme dimension du deuil des familles sans parler des questions juridiques liées à tout décès .

Aussi, la loi du 15 mai 1985, fondée sur une volonté de reconnaître les vérités historiques de la Shoah en particulier et de la déportation en général, ainsi que d’œuvrer à la préservation de la mémoire, à t’elle introduit deux dispositions majeures.

L’une, la création pour tous les déportés morts en déportation durant la seconde guerre mondiale de la mention « Mort en déportation », à transcrire sur les actes de décès de l’Etat-Civil.

L’autre, la datation de ce décès, qui sans preuve manifeste d’une date, l’est au 5ème jour suivant la date de départ du convoi.

Sur 115 000 personnes mortes en déportation, il y en avait 79 319 bénéficiaires de la mention « Mort en déportation » au 1er décembre 2018.

Déjà plus de 87 arrêtés collectifs d’attribution et/ou de rectification des dates de décès ont été pris.

La mention « Mort en déportation » a été attribuée à Lise et Bernard par l’arrêté collectif du 7 juillet 1994, paru au JO du 17 août.

Pour les deux, ils reprennent la datation du jugement déclaratif du décès au 20 septembre 1943.

Cette datation apparait peu vraisemblable pour les raisons analysées ci-dessus.

Il conviendrait de savoir sur quels éléments s’était fondé le Ministère des ACVG pour la déterminer.

La disposition sur les cinq jours après le départ du convoi paraît plus probable, soit le 7 septembre 1943.

La mention « Mort en déportation » a été portée en marge de la transcription des jugements déclaratifs de décès de Lise et Bernard, le 5 octobre 1995.

Il reste à l’Etat beaucoup de travail à poursuivre pour achever la mise à jour de l’Etat-Civil des déportés.

Lise et Bernard : reconnus « Déportés Politiques »

La loi 48-1404 du 9 septembre 1948, publiée au JO du 10 septembre a défini le statut et les droits des déportés et internés politiques.

Le 13 Juillet 1956, Lise et Bernard ont été reconnus 

« déportés politiques ».

Leurs cartes portent les N° 1 145 0280 et 2 145 0281.

Le titre de « déporté politique » a été appliqué aux personnes non résistantes, qui entre 1939 et 1945, ont été déportées dans un camp de concentration hors de France.

Une plaque commémorative au bas du Monument aux Morts

La mairie de Contres avait fait placer une plaque commémorative de leur martyr au bas du Monument aux Morts de Contres.


Thérèse GALLO-VILLA

 27 Janvier 2019

74e Anniversaire de la libération 

du camp de  concentration d’ Auschwitz.


Sources et bibliographie :

Les ouvrages, articles, témoignages de déportés, les sites spécialisés et You Tube sur Internet sont très nombreux.

Ils ne peuvent être tous cités ici.

Ils pourront être utilement consultés notamment les principaux sites mémoriels consacrés à la Shoah.


En complément des références contenues dans la première partie de cette étude, je mentionne les ouvrages et sources que j’ai le plus utilisés pour les présentes parties.

Le témoignage et les archives de famille de Mr. Pierre Janel.

Le témoignage de Mme. Esther Senot, recoupé avec ceux d’autres déportés.

Le témoignage de Abraham Drucker, écrit le 15 février 1946 ( Archives du Centre de Documentation Juive Contemporaine ).


Quatre ouvrages remarquables :

CERCIL, Les camps d’internement du Loiret, 1941-1943, Histoire et Mémoire, 1992.

CONAN Eric, Sans oublier les enfants, les camps de Pithiviers et Beaune la Rolande (19 juillet-16 septembre 1942 ), Grasset, 1991.

KASPI André, Les juifs pendant l’Occupation, Le Seuil, 1991

WIEVIORKA Annette et LAFFITTE Michel, A l’intérieur du camp de Drancy, Éditions Perrin, 2015.


L’étude très documentée sur le rôle de la gare de Bobigny dans la déportation de Drancy à Auschwitz. Elle en retrace toutes les étapes, sur le site : garedeportation.bobigny.fr


Mes remerciements vont à Mr. Guy Gandois de Contres, historien local de la Ville, et au service de l’Etat-Civil de Contres, pour leur concours.


ANNEXES

Abraham Drucker, Médecin-chef de l’Infirmerie du camp de Drancy

Abraham Drucker est originaire d’une ville austro-roumaine, aujourd’hui située en Ukraine.

Il était né en 1903.

Il arrive avec son épouse en France en 1925, pour y faire ses études médicales et il est naturalisé en 1937.

Le couple s’installe en Bretagne où Abraham exerce comme médecin de campagne.

Puis, il obtient un poste au sanatorium de St. Sever en Normandie.

Il est mobilisé et fait la guerre en tant que médecin puis à sa démobilisation, il reprend ses activités médicales.

Il affiche des positions anti-collaborationnistes et gaullistes.

A la suite d’une dénonciation, il sera arrêté par la Gestapo le 28 avril 1942, interné au camp de Compiègne dont il devient médecin-chef.

Puis, il sera transféré, en mai 1943, au camp de Drancy et devient responsable de l’Infirmerie.

Le 13 septembre 1943, il est expédié manu militari, à Nice, par Alois Brunner, lors des rafles et persécutions des juifs de la Côte d’Azur.

Il devra, sous la férule des SS, créer et diriger une infirmerie sur le modèle de celle de Drancy dans l’Hotel Excelsoir sur la fameuse Promenade des Anglais.

Il sera ramené à Drancy en décembre et détenu jusqu’à la libération du camp, le 18 août 1944.

Il avait failli être déporté dans le dernier convoi parti de Drancy le 31 juillet 1944.

Il retourne vivre à Vire, où il décèdera en 1983.

Comme d’autres responsables juifs du camp de Drancy, il sera l’objet de campagnes d’accusations de complicité avec les nazis qui se poursuivent de nos jours.

Il n’est pas inutile de relever que ces attaques viennent essentiellement des rangs de l’extrême-droite !

En 1946, il déposera un long témoignage écrit qui sera mis à la disposition des Tribunaux Alliés en Allemagne.

Ce document est un précieux apport pour la connaissance des pratiques de violences et de sadisme des nazis dans les camps de détention en France et en premier lieu celui de Drancy.


Esther Senot .

Une des deux survivantes en 1945 du convoi N°59


Esther Dzik, épouse Senot, est née à Kozienice en Pologne le 15 janvier 1928.

Ses parents viennent s’installer en France en 1930, dans le quartier de Belleville.

Son père est cordonnier, sa mère femme au foyer.

Ses parents sont communistes. Elle a 6 frères et sœurs. Ils seront tous engagés au sein de la Résistance communiste.

Son frère Marcel, est arrêté lors de la rafle du « billet vert » en mai 1942.

Une partie de sa famille est victime de la rafle du Veld’Hiv. Ses parents et son frère Achille seront exterminés à Auschwitz.

Esther échappe à la rafle car elle n’était pas chez elle.

Elle parviendra, après bien des péripéties, à passer la Ligne de Démarcation vers Mont-de-Marsan et parviendra à rejoindre son frère à Pau, grâce à l’aide d’habitants et de fermiers.

Lorsque son frère s’engage dans la Résistance en Afrique, elle revient à Paris, fin 1942.

Les Allemands occupent maintenant toute la France.

Elle se fait héberger dans un centre de l’UGIF.

Lors d’un contrôle d’identité en juillet 1943, la police fait le recoupement avec sa famille déjà arrêtée et déportée.

Elle est internée à Drancy le 24 août et déportée par le convoi n°59, le 2 septembre.

Celui de Lise et Bernard.

Elle se fait une amie dans le wagon plombé : Marie Tuchszener.

Elles ne se quitteront plus et seront les deux seules femmes survivantes de leur convoi.

Esther sera une des femmes « sélectionnées » pour le travail en kommando.

Elle retrouve à Auschwitz sa sœur et sa tante qui avaient été arrêtées sur dénonciation et déportées par le convoi N°46 du 9 février 1943.

Cette soeur Fanny décédera au camp à la suite à une morsure de chien.

Dès son arrivée, elle est rasée et tatouée : n°58 139.

D’abord affectée au « Aussenkommando », sa sœur arrivera à la faire affecter avec elle au Kommando moins meurtrier de la Weberei. Un atelier de couture du camp.

Esther va connaître les terribles « Marches de la mort », à partir de l’évacuation du camp le 18 janvier 1945. Elle ira de camp en camp ( de Bergen-Belsen à Mauthausen ).

C’est à Mauthausen qu’elle sera libérée le 5 mai 1945 par la 11e division blindée US.

Le 28 mai, elle est rapatriée en avion vers la France et se retrouve au Centre d’accueil des déportés à l’hôtel Lutetia.

Esther Senot va alors consacrer sa vie à faire connaître les atrocités de la Shoah, à œuvrer à la préservation de la mémoire avant tout auprès des jeunes, à faire reculer racisme et antisémitisme.

Elle coopère en particulier avec le Service Pédagogique du Mémorial de la Shoah.

Elle parcourt collèges, lycées, écoles professionnelles, etc....sans relâche.

Esther vient d’avoir 91 ans.

Décorée de la Légion d’honneur il y a deux ans, elle vient d’être élevée au rang de Commandeur des Palmes Académiques.

Les organisations juives en France au moment de la guerre.


A la veille de la guerre, il y a environ 300 000 juifs en France Métropolitaine ( et 360 000 en Afrique du Nord ).

On compte 150 000 juifs français, dont environ 90 000 de vieille souche et les autres d’origine étrangère ont été naturalisés, dont la moitié dans la fin des années 20 et années 30.

Ces juifs français, sont répartis sur tout le territoire, mais essentiellement dans les villes, plutôt grandes.

Ils appartiennent très majoritairement aux milieux aisés et cultivés.

Ils se répartissent sur toute la gamme de croyants et pratiquants à non pratiquants ou athées.

Et ils privilégient le terme « Israélites », plutôt que celui de « Juifs », qu’ils emploient plutôt pour les juifs étrangers.

Leur représentation est officiellement assurée par le Consistoire Central, créé par Napoléon 1er.

Les Juifs étrangers sont concentrés très majoritairement à Paris et la Région Parisienne.

Ils appartiennent aux milieux ouvriers et populaires.

Ils continuent pour nombre d’entre eux à parler le Yiddish et maintiennent leurs traditions culturelles.

Ces différences dans l’origine et le statut social se retrouveront dans les camps de détention en France, en premier lieu à Drancy.

Cet ensemble composite va s’organiser, la plupart du temps, par sensibilité politique : la Fédération des Sociétés Juives de France ( FSJF ) est d’obédience sioniste, le Bund lui est proche de la SFIO, la MOI est elle très proche de l’Internationale Communiste et du PC, plus des petits partis sionistes, d’inspiration la plupart du temps socialiste.

Face à l’arrivée massive de Juifs fuyant le nazisme dans plusieurs pays d’Europe, les Juifs français crée des organisations caritatives pour les secourir ( Comité de Bienfaisance en 1934, Comite d’aide aux réfugiés, le CAR, en 1938 ) ou s’impliquent dans cette solidarité comme les Éclaireurs et Éclaireuses Israélites de France ( EIF ), fondés en 1923.

Parmi ces organisations, il convient de citer :

L’œuvre de secours aux enfants ( OSE), crée en Russie en 1912, et installée à Paris en 1933. On sait le rôle majeur qu’elle jouera pour le sauvetage des enfants juifs.

La Colonie Scolaire, installée rue Amelot où se rassembleront les organisations qui créeront le fameux Comité Amelot, point d’appui à la la lutte contre les exactions nazies, en coordination avec des organisations de la Résistance.

Des organisations juives ou protestantes, dites philanthropiques, étrangères, notamment anglo-saxonnes et surtout américaines, vont s’investir et subventionner l’aide sociale aux réfugiés juifs :

comme l’American Jewish Point Distribution Committee, l’YMCA, et.

Le Consistoire Central se repliera sur Lyon en juin 1940, laissant à Paris une Association des Israélites de Paris ( ACIP ) qui adhéra en janvier 1941 à un Comité de Coordination, imposé par les Allemands et qui est de la même facture que l’UGIF.

La MOI créera fin 1940, une organisation d’entraide, « Solidarité », qui très vite fonctionnera suivant les règles de la clandestinité pour contribuer à la sécurité.



                                                                                                         

L’Union Générale des Israélites de France ( UGIF )


L’UGIF est un organisme créé par le gouvernement de Vichy, à la demande des autorités allemandes, le 29 novembre 1941.

Les Allemands, comme dans tous les pays qu’ils occupent, entendent faire participer leurs victimes à la mise en œuvre des politiques conduisant à « la solution finale ».

Sa mission était de représenter les Juifs auprès des pouvoirs publics pour les problèmes d’assistance, de prévoyance et de reclassement social.

Tous les juifs devaient obligatoirement y adhérer.

Toutes leurs autres associations avaient été dissoutes.

Les administrateurs de l’UGIF étaient nommés par le Commissariat Général aux Questions Juives, véritable outil de Vichy, pour collaborer avec les Allemands à l’extermination des Juifs de France.

Une partie des finances de l’UGIF sera assurée par un fonds de solidarité alimenté par les revenus produits par les biens spoliés aux Juifs par la politique « d’aryanisation » de l’économie.

L’activité de l’UGIF a donné lieu à des controverses toujours en cours, au-delà des prestations sociales et d’entre-aide aux juifs détenus ou dans ses centres sociaux.

La plupart de ses dirigeants, appartenant à la bourgeoisie juive, française depuis des générations, à été accusée de sous-estimation sur les véritables objectifs des nazis, de recherche de compromis, de complaisance pour mettre à l’abri des déportations, ses dirigeants ou employés.

Ces accusations seront particulièrement fortes sur l’inertie de l’UGIF lors des opérations des Allemands contre les maisons et centres hébergeant des enfants juifs, en 1944.

L’UGIF ne sera pas pour autant épargnée par les nazis.

Surtout lorsque ses dirigeants tenteront en 1943, de résister aux exigences allemandes qui veulent à tout prix accélérer les déportations, car la France est considérée à la traîne dans la mise en œuvre de l’extermination de masse.

Ils seront déportés à Auschwitz comme Baur, Helbronner, Israélovicz, etc.



                                               

Aloïs Brunner

L’homme de la « solution finale » en France

Aloïs Brunner, sujet de l’Empire Austro-Hongrois, est né en Hongrie en 1912, dans une ville près de Vienne, au sein d’une famille de petits paysans catholiques très pratiquants et antisémites.

A 19 ans, en 1931, il adhère au NSDAP ( le parti national socialiste ), puis après avoir fréquenté une école de police privée, il intègre « La Légion Autrichienne », pépinière des futurs exécutants de la Shoah dont Adolf Eichmann, Ernest Kaltenbrunner, Franz Novak, etc.

Ces hommes seront des dirigeants du Bureau Central pour l’Emigration Juive fondé à Vienne en 1938 par Adolf Eichmann.

La même année, il adhère à la SS, puis en 1938 à la SD ( c’étaient les services de renseignements de la SS ).

Il sera un des principaux artisans de la déportation et l’extermination de dizaines de milliers de juifs en Autriche, en Grèce, à Berlin, en Tchécoslovaquie, etc.

Le 9 mai 1943, il est nommé à Paris pour accélérer la déportation des juifs de France.

Il dépendra directement de Berlin.

Il s’était constituée une équipe de tortionnaires, composée de SS autrichiens, comme lui.

Le 18 juin 1943 ( la veille de l’arrivée de Bernard à Drancy ) il prend la direction du camp de Drancy, officialisée le 2 juillet.

Il réorganise le camp en y appliquant les mêmes méthodes que pour les « judenrats » mis en place dans les ghettos par les nazis : impliquer les organisations juives et les détenus eux mêmes dans la gestion du camp.

Il créera même une police juive à Drancy.

Il va y faire « régner la terreur » comme en témoigne Bernard.

Le 4 juillet, il fait fermer les camps de Pithiviers et de Beaune la Rolande. Tous les juifs sont regroupés sur Drancy pour leur déportation.

De septembre à décembre 1943, il organise les rafles des juifs de la côte d’Azur où ils étaient nombreux ( environ 25 000 en 1943 ).

Il poursuivra sa chasse des juifs dans toute la France jusqu’à l’été 1944, les traquant partout ( prisons, campagnes, orphelinats, etc. )

Dans les dernières semaines, il se rabattra particulièrement sur les enfants juifs réfugiés ou cachés, dans des centres humanitaires juifs ou autres, comme pour les enfants d’Izieu dans l’Ain.

Puis, on le retrouve à partir de septembre 1944, en Slovaquie où il dirige l’extermination des juifs slovaques.

A l’entrée des troupes soviétiques en Tchécoslovaquie, il change d’identité et finira pas passer à travers les mailles de la recherche des criminels de guerre.

Il se cache à Vienne, puis fuit en 1953 en Égypte, puis au début des années 1960 en Syrie.

Condamné à mort par contumace par plusieurs pays, il a été activement recherché.

Des récompenses seront offertes pour des informations utiles à son arrestation.

Identifié en 1982, en Syrie, grâce aux recherches de Serge Klarsfeld, ce dernier obtiendra que la France et l’Allemagne exigent son extradition. Sans succès.

On pense qu’il est mort à Damas. Quand ? Plusieurs dates ont été avancées, dans une fourchette de 2001 à 2010.

Pour la seule France, Aloïs Brunner a fait déporter en environ un an : 22 427 hommes, femmes et enfants, soit près d’un tiers des déportés juifs de France....dont Lise et Bernard Jankelovitch.