6 Octobre 1940, vers 22 heures, au lieu dit les Mazelles à Thésée :

…comment est mort 

Maurice LEMERLE ?


En cherchant dans les Archives des Renseignements Généraux pour y trouver des informations sur les femmes déportées pour faits de Résistance 

en Loir et Cher, je suis tombée sur un dossier concernant Maurice LEMERLE.

Je lui avais consacré quelques lignes lors de travaux précédents sur la seconde guerre mondiale et la Ligne de Démarcation.

Le contenu de ce dossier m’a convaincu de rédiger cet article, en mémoire de Maurice LEMERLE.

Les derniers jours d’une France libre :

Le 17 juin 1940, le maréchal Pétain demande l’Armistice.

Les troupes allemandes sont entrées dans Paris le 14 juin.

L’aviation allemande bombarde Montrichard et Faverolles le 14, Blois du 15 au 17 juin.

Il ne reste plus un pont sur la Loire. Ils ont été détruits par l’armée française pour protéger son repli.

Les quelques régiments, essentiellement des troupes coloniales, laissés le long de la rive gauche du Cher pour retarder l’avancée allemande et gagner du temps pour que les restes de l’armée française puissent progresser vers le sud, vont faire preuve d’un grand courage.

Mais le 20 au matin, venant des routes de Blois, Contres, Noyers, les troupes allemandes occupent une à une les communes de la Vallée du Cher.

Ils ont déjà occupé Tours le 19.

Le 20 au soir, la bataille de la Vallée du Cher est terminée : les armes se taisent.

Les Anciens m’ont rapporté le même scénario qui s’est déroulé partout quasiment à l’identique.

Il faut aussi avoir à l’esprit que l’exode des populations venant des zones au nord de la Loire, notamment des grandes villes, bat son plein. il y a des réfugiés partout dans nos communes : maisons, granges, caves, remises, le moindre bâtiment : tout est occupé par les réfugiés. Ces réfugiés vont souvent y demeurer plusieurs semaines, voire plusieurs mois.

Les premiers allemands à arriver dans les fermes et villages étaient des éclaireurs à cheval, suivis par les motocyclistes, puis les voitures et camions, etc.

Les soldats allemands faisaient boire et manger leurs bêtes. Ils demandaient à boire et à manger aussi pour eux, très souvent exigeant des omelettes !

Puis, ils repartaient pour organiser le maintien de leur présence dans les communes occupées.

Mais l’essentiel de leur armée poursuivait sa route pour pourchasser les débris de l’armée française afin de créer le meilleur rapport de force en leur faveur pour les négociations de l’Armistice.

L’armistice est signée le 22 juin et elle entre en vigueur le 25.

Monthou et Thésée, en bordure de la Ligne 

de Démarcation :

En ces premiers mois de l’Occupation, il n’y a pas encore de Résistance organisée.  

Elle se structurera peu à peu en 1942 pour prendre son essor en 1943 et 1944.


Pourtant, les premières formes de cette résistance sont constituées par une multitude d’initiatives individuelles, ou en famille, ou à quelques amis, pour faire passer clandestinement la ligne de démarcation à ceux qui le souhaitent : réfugiés, prisonniers évadés, juifs, militants clandestins, tous ceux qui ont une raison de rejoindre la zone sud.

Chacun a sa méthode et son lieu de passage. Et les « passeurs » ne manquent pas de créativité !

Monthou et Thésée se prêtent particulièrement au passage de la ligne : le Cher y est étroit, avec des îlots, des ruines d’anciens moulins sous le niveau d’eau, des écluses qu’on peut réguler et des gués bien pratiques.

Cette activité de passage de la ligne qui s’organisera peu à peu avec de vrais « pros » comme des éclusiers, des curés ( Godin pour Monthou, Moreau pour Thésée ), des personnes possédant des ausweis etc. maintient une pression sur l’Occupant. Presque tous le feront bénévolement.

 Au fil des mois, les Allemands renforceront leur arsenal répressif à l’encontre des passeurs et des candidats au passage.

Même non exprimée, l’hostilité aux Occupants est dominante en Vallée du Cher.

La mémoire collective est profondément marquée par le souvenir des « casques à pointe » de la guerre de 70-71 mais surtout par la boucherie de la grande guerre et les souffrances des poilus dont beaucoup seront des « passeurs », des résistants ou des sympathisants de la Résistance dans nos communes majoritairement républicaines et de gauche modérée ou plus engagée.

Le 6 octobre 1940 : un cadavre dans le fossé…

Le 7 octobre 1940, le Capitaine LEFEBVRE, commandant la section de Blois de la Gendarmerie Nationale, s’adresse au Chef d’Escadron, commandant la Compagnie de Loir et Cher, pour l’informer que la brigade de Montrichard signale que :

« Le cadavre du nommé LEMERLE Maurice, âgé de 26 ans, a été découvert ce matin dans la commune de Thésée.

La mort, qui remonte à hier soir, a été provoquée par deux blessures faites avec un instrument contondant.

Or, il résulte de la première enquête effectuée que l’intéressé a consommé hier soir, en compagnie de plusieurs soldats allemands, dans un débit de boissons à Thésée et qu’ensemble, ils ont quitté celui-ci vers 20h30.

L’examen du cadavre témoigne qu’il y a eu lutte.

L’autorité allemande locale a été avisée et procède parallèlement à une enquête ».

Lequel Chef d’Escadron transmet immédiatement ce rapport au Préfet.

                                                       …et plus rien ! Aucune suite n’est donnée.

Le Préfet ordonne une enquête… le 25 novembre 1941 !

Puis, le 25 novembre 1941, le Préfet prie le Commissaire Spécial de Blois « de vouloir bien ( lui ) faire parvenir tous les renseignements que vous aurez pu recueillir sur cette grave affaire ».

Il lui transmet le rapport du Capitaine LEFEBVRE.

Je ne sais pas ce qui, plus d’un an après la mort de Maurice LEMERLE, conduit tout d’un coup, le Préfet à diligenter une enquête sur cette « grave » affaire.

Le fait qu’il saisisse le Commissaire Spécial, c’est à dire celui qui est en charge des questions relatives à la Sureté Nationale, signifie t’il que le Préfet craint une affaire reliée à une entreprise séditieuse ou d’espionnage avec une mort suspecte à quelques dizaines de mètres de la Ligne de Démarcation ?

La machine administrative se met alors en route.


Le 26 novembre 1941, le Commissaire Spécial saisit à son tour l’Inspecteur Auxiliaire de Police Spéciale, Anthime BESARD, en résidence à Noyers-sur-Cher.

Celui-ci va produire deux rapports, l’un le 1er décembre, l’autre le 10 décembre 1941.

Les dépositions des témoins entendus sont concordantes et permettent de reconstituer le contexte de l’affaire et les faits établis.


Les faits du 6 octobre 1940 :


Le dimanche 6 octobre 1940, Maurice LEMERLE avait projeté d’aller dans les bois avec son ami Romain CHABOT pour y ramasser des châtaignes et des champignons.

Un autre ami, Mr. DELORME, était venu chez lui pour lui demander de faire une partie de cartes.

Mme LEMERLE lui indique que son mari était chez Mr. CHABOT.

Elle les verra, un peu après, tous trois avec un quatrième partenaire dont elle ne se souvient plus du nom, jouer aux cartes au café « Angé » dans le centre bourg de Monthou.

Il avait été convenu que le soir, tout le monde se retrouverait pour souper chez les CHABOT.

Mais auparavant, Mr. DELORME devait, avec le jeune Charles POPINEAU aussi de Monthou, aller remplir une citerne de vin chez Mr. BERTIN, négociant en vins à Thésée.

Ils proposent aux deux autres de les accompagner.

Romain CHABOT et le jeune POPINEAU vont remplir la dite cuve.

Pendant ce temps, Mr. LEMERLE et Mr. DELORME s’étaient eux rendus à l’Hotel du Soleil d’Or, tenu par Mr. COCHONNEAU.

Des soldats allemands y consommaient aussi.

En arrivant au Soleil d’Or, LEMERLE était déjà « pris de boisson ».

Mr. COCHONNEAU refuse de lui servir à boire mais les Allemands présents lui offrent un verre de mousseux.

Selon le tenancier, Maurice LEMERLE aurait été moins ivre en partant de son établissement et il n’a pas remarqué si ces soldats allemands sont sortis en même temps que les deux hommes.

Une heure environ après qu’ils les aient quitté, ils reviennent chercher Romain CHABOT et Charles POPINEAU, qui ont fini leur travail, pour rentrer à Monthou par la nationale N°76 qui longe donc la ligne de chemin de fer, parallèle au Cher.

Ses copains constatent que Maurice LEMERLE est ivre au point de ne pas pouvoir monter sur sa bicyclette.

Ils décident, en accord avec lui, d’emmener sa bicyclette et de le laisser rentrer à pied.

Ils le quittent avant le lieu-dit des Mazelles.

Les trois hommes sont interpellés, en route, par un soldat allemand qui estime trop forte la lumière de la bicyclette de Mr. DELORME qui pourrait être vue par des avions !

Ils se rendent comme convenu chez Mr. CHABOT.

Mme. LEMERLE arrive chez les CHABOT où tout le monde devait donc se retrouver pour souper.

Ne voyant pas arriver Maurice LEMERLE, CHABOT et DELORME lui proposent de les accompagner pour aller à la rencontre de son mari.

Mais, elle n’a pas de laissez-passer, donc elle ne peut accepter et finalement CHABOT et DELORME y vont tous les deux.

Ils découvrent Maurice LEMERLE, en face des ruines gallo-romaines, à quelques centaines de mètres de là où ils l’avaient laissé.

Il était mort.

Il était entouré de quatre soldats allemands, parmi lesquels DELORME croit reconnaitre un des consommateurs du Soleil d’Or.

Le docteur MARQUET de Thésée est arrivé un instant après pour faire les constatations d’usage.

Maurice LEMERLE va être transporté à la mairie de Thésée.

CHABOT et DELORME n’oseront pas apprendre à sa femme que son mari était mort.

Ils lui diront qu’il a eu un accident ( sans précision ) et que, si il y avait espoir de le sauver, il serait transporté à l’hôpital de Blois.

Charles POPINEAU s’était lui arrêté chez des connaissances au moulin Bernet sur la départementale 21 qui conduit au centre bourg de Monthou.

En repartant tard le soir pour rentrer chez lui à la Croix, Charles POPINEAU croisera les gendarmes de la brigade de Montrichard.

Le lundi 7 octobre, Mme. LEMERLE fait garder sa petite fille par une voisine et se rend à la Mairie de Thésée où elle trouve son mari mort, étendu sur un brancard.

Le mardi 8 octobre, après l’autopsie, Mme. LEMERLE a pu voir son mari et constater qu’il avait un trou au côté gauche de la tête, de deux centimètres de diamètre, et diverses écorchures sur le corps et aux jambes.


L’interprétation des faits plus d’un an après :


Le 10 décembre 1941, le Docteur MARQUET, qui rappelons le, avait fait les premières constatations le 6 octobre 1940 au soir, certifie « avoir constaté le 6 octobre 1940 la mort violente de Mr. LEMERLE Maurice. Le mardi, j’ai assisté à l’autopsie pratiquée par les autorités allemandes et, des blessures relevées sur le cadavre, on doit conclure à une mort violente par collision avec une auto ».

Ainsi, l’Inspecteur Auxiliaire BESARD précise que « sur les conclusions du praticien, écartant tout soupçon de crime, nous avons recherché s’il était passé des autos ».

Il constate que personne ne peut donner des informations sur la mort de Maurice LEMERLE et il pose donc des questions..

Les quatre soldats allemands qui étaient sur les lieux au retour de CHABOT et DELORME et à l’arrivée du docteur MARQUET, s’y trouvaient depuis quand ?

Il indique que ces « militaires étaient inconnus des habitants de Thésée et que leur détachement a quitté cette localité depuis cette époque pour une destination inconnue ».

Romain CHABOT sera formel : « en tous les cas, je n’ai pas vu passer d’automobile après l’avoir quitté ».

Le témoignage de DELORME ne sera pas sollicité car il a quitté Thésée et vit maintenant dans la Sarthe.

Anthime BESARD ne semble pas totalement convaincu par son enquête car il éprouve le besoin d’affirmer que « les recherches pour découvrir les causes de la mort de LEMERLE seront continuées activement et feront l’objet d’un procès-verbal ultérieur ».

Il transmet son rapport au Commissaire Spécial qui, à son tour, le transmet au Préfet, le 18 décembre 1941.

Le Commissaire Spécial en résume les faits et interroge : « a t’il été heurté par un automobiliste de passage ? S’est-il pris de querelle avec quelqu’un et notamment avec les soldats allemands qui avaient consommé avec lui quelques instants auparavant ? Des coups ont-ils été échangés ayant pu entrainer sa mort ? ».

Il fait état de la conclusion du Dr. MARQUET pour qui il s’agit d’un accident provoqué par une automobile mais il termine en pointant le témoignage de Romain CHABOT qui « est affirmatif sur le fait qu’aucun véhicule ne les a croisés ou dépassés ».


Les causes de la mort de Maurice LEMERLE sont-elles si mystérieuses ?

La gendarmerie de Montrichard a fait un rapport dès le 6 au soir qui a servi de base à celui du 7 octobre du capitaine LEFEBVRE.

Les gendarmes ont relevé que la mort a été provoquée par deux blessures faites avec un instrument contondant et qu’il y a eu lutte.

ils ne parlent absolument pas d’un éventuel accident de voiture. Et aucune voiture n’a été vue qui, par ailleurs ne devaient guère être nombreuses à rouler la nuit en cet automne 1940, dans cette zone ! La règlementation de la circulation des voitures était, comme on le verra, très stricte.

Le docteur MARQUET est présent le 6 au soir et procède aux premières constatations.

Comment imaginer que les gendarmes auraient fait état de constatations différentes de celles du médecin ?

Le rapport de gendarmerie informe que « l’autorité allemande a été avisée et procède parallèlement à une enquête » qui, si elle a été réalisée, ne nous est pas parvenue !

Ce sont les Allemands qui ont procédé à l’autopsie, certes en présence d’un médecin français.

Il y aurait là un sujet juridique intéressant à creuser sur les compétences respectives de l’administration de Vichy et des autorités d’Occupation dans un tel cas d’espèce.

En d’autres termes, les autorités allemandes se sont-elles délibérément substituées aux autorités françaises ?

L’attestation du Dr. MARQUET, faite plus d’un an après les faits, interroge aussi : est-elle une attestation de complaisance car mettre en cause la responsabilité des Occupants aurait pu coûter cher à l’auteur d’une telle audace.

On relèvera aussi la prudence du tenancier COCHONNEAU qui dira « Je n’ai pas remarqué si les soldats allemands avec lesquels il avait consommé sont sortis en même temps que lui et je ne puis vous fournir aucun autre renseignement sur la mort tragique de LEMERLE ».

Le docteur MARQUET était connu pour son soutien au gouvernement de Vichy et à la politique de collaboration.

En novembre 1944, sur la base de la circulaire du 4 novembre 1944 du Service régional de la Police de Sûreté d’Orléans relative à la recherche d’individus ayant appartenu à des partis politiques pro-allemands, il sera l’objet d’une enquête des Renseignements Généraux sur son attitude pendant la guerre.

Le docteur réfutera cette appartenance ou la fréquentation de membres de ces partis. Les personnes interrogées, notamment les voisins, n’avaient rien vu, rien entendu.

Toutes étaient ses patients comme tous les habitants de Thésée. Mieux valait, sans doute, rester en bons termes avec son docteur !

Le recoupement des faits autorise à formuler deux hypothèses :

1) Maurice LEMERLE a été tué par un ou des soldats allemands.

Ils étaient tous alcoolisés.  

Sous l’effet de l’alcool, on ne peut exclure des échanges de part et d’autre débouchant sur une bagarre et des coups mortels portés à Maurice LEMERLE, seul face à plusieurs Allemands.

Il avait fait la drôle de guerre et avait été démobilisé.

Il y avait l’humiliation toute proche de l’Armistice.

Il a pu tenir des propos jugés anti-allemands ou réagir à des considérations injurieuses des Allemands sur les français et la France.


2) Maurice LEMERLE a été tué par une voiture.

il y a peu de de probabilité que ce soit par une voiture appartenant à des français.

Elles étaient rares à l’époque à part celles de commerçants, docteurs, notables.

Il fallait une autorisation pour acheter une auto, une moto, un bateau.

L’essence était contingentée.

Il était interdit de rouler en véhicule ou marcher à pied de 22h ( ou 23 heures ) à 5 heures du matin.

Il fallait bien sûr aussi une autorisation de circulation nocturne et la voiture devait être équipée de caches homologués par les Allemands pour diriger la lumière vers le bas, au travers d’une fente.

Si c’est une voiture qui a tué Maurice LEMERLE, il y a fort à parier qu’il s’agissait d’une voiture de l’armée allemande ou conduite par des Allemands.


Sur la base des rapports de gendarmerie du 6 et 7 octobre 1940, c’est la première hypothèse qui parait la plus probable.


Deux témoignages recueillis de nos jours sur les faits :

Charles POPINEAU ( 13 mars 2015 ) :


Dans le cadre de mes interviews des Anciens pour rassembler des données pour la sauvegarde de la mémoire locale, j’ai rencontré Charles POPINEAU, le 13 mars 2015.

Il avait alors 91 ans et demeurait au Gros Buisson où sa famille s’était installée après la guerre.

Il avait été, comme tous les siens, viticulteur.

A la fin de notre entretien, il me dit d’une voix devenue fluette : « Vous avez entendu parler du farinier de chez VOLIVERT ? ». « Non, qui est-ce ? »  

Et, il m’a raconté cette soirée du 6 octobre et la mort de Maurice LEMERLE.

Dans les mêmes termes que ceux rapportés ici.

Il n’avait rien oublié.

Après l’incontournable question que je lui ai posée « Croyez-vous qu’il a été tué par un ou plusieurs de ces allemands », Charles POPINEAU s’est tu.

Il m’a intensément regardé.

Et j’ai lu dans ses yeux, près de 75 ans après les faits, la même peur qui devait être celle au quotidien de la population sous l’Occupation.

Il me murmura après ce moment de silence : « Ils l’ont abattu et jeté dans le fossé ».

Charles POPINEAU était convaincu, depuis cette soirée du 6 octobre 1940, que Maurice LEMERLE avait bien été assassiné par les Allemands.

J’ai mesuré, ce jour-là, à quel point les traumatismes de l’Occupation avaient dûs être ravageurs sur les comportements.

Comme si, après tant d’années, les murs de sa maison avaient des oreilles captant les propos contre l’Occupant, les émissions de la radio de Londres, les informations sur les maquis et les résistants.


La fille de Maurice LEMERLE ( 26 décembre 2019 ) :

J’ai pu retrouver la fille de Maurice LEMERLE.

Elle est mariée, a eu trois enfants et habite dans la Région Parisienne.

Elle a bien voulu me communiquer ce qu’elle savait sur la mort de son père.

Elle a été élevée par ses grands-parents paternels à Chissay, car sa mère s’est installée à Tours assez rapidement après le drame, pour y travailler.

Ses grands-parents lui ont dit peu de choses, comme très souvent dans les familles sur les événements de cette période.

Elle me les a relatés comme suit.

Son père serait sorti après le couvre-feu.

Sur la route, une voiture avec des Allemands l’aurait croisé ( ou dépassé ? ).

Il les aurait traité de « sales boches ». La voiture aurait foncé sur lui et l’aurait écrasé.

On retrouve donc la thèse officielle de « l’accident » de voiture.

Celle qui a dû être servie aux proches de Maurice LEMERLE car elle autorisait l’ambiguïté sur la nature d’une éventuelle voiture et ses occupants.

Mais accompagnée de la conviction de ses grands-parents que son père avait bien été tué de sang froid par des Allemands conduisant cette voiture.


En tout état de cause, dans les deux cas de figure : tué par les Allemands présents sur la route ou tué par une voiture allemande, les autorités allemandes ont masqué leurs responsabilités dans la mort de Maurice LEMERLE.


Sur une liste des victimes civiles des exactions allemandes établie à la suite d’une enquête de la Préfecture auprès des maires, en octobre 1944, le nom de Maurice LEMERLE apparait avec la mention « tué sur la route ».

Telle était donc la conviction de la municipalité et de l’opinion publique de Thésée.

Comme ce fut celle de la municipalité de Monthou et de son maire André BEAUVAIS qui, au début des années 1950, décida de porter le nom de Maurice LEMERLE sur le Monument aux Morts communal, avec les autres victimes militaires et civiles de la Seconde Guerre Mondiale.


Maurice LEMERLE …une brève vie ordinaire :

Maurice LEMERLE était né le 2 septembre 1914 à St.Georges-sur-Cher.

Son père Auguste Louis, après avoir été marchand de sable au port de St. Georges, était devenu l’éclusier de Chissay, commune limitrophe entre Loir et Cher et Indre et Loire.

Sa mère Henriette MEYER était nourrice comme beaucoup de femmes qui assuraient ainsi un complément de revenus au foyer. Elles accueillaient des enfants de la Région Parisienne dont beaucoup étaient placés par l’Assistante Publique.

Il a deux autres frères dont un est aussi éclusier.

Il s’était marié avec Louise Désirée ALPHONSE, le 14 avril 1939 à Chissay. Elle était originaire d’Avoine en Indre et Loire où elle était née le 8 octobre 1917 ; son père y était cantonnier. Elle est qualifiée « d’employée » ( de maison vraisemblablement ). Elle avait résidé auparavant à St. Georges et ensuite à Chissay.

Il était père d’une petite fille, Francoise Mauricette Henriette, née à Chissay le 28 février 1940.

Maurice LEMERLE, mobilisé le 3 septembre 1939, avait fait la « drôle de guerre » et avait été démobilisé le 26 juillet 1940.

Il était employé minotier au moulin du Rû, à Monthou-sur-Cher, situé entre le Cher et la NR 76., à hauteur du passage à niveau. Il l’était déjà au moment de son mariage.

Ce moulin appartenait à la famille VOLIVERT.

On disait communément « farinier » pour ce type d’emploi.

Sur les treize moulins de Monthou, seuls fonctionnaient encore les moulins à céréales comme celui du Rû, du Bourg, Bernet, de la Crémaillère. Les moulins à tan et à foulons s’étaient tus depuis longtemps.

Les LEMERLE habitaient dans le bourg de Monthou.

Comme beaucoup d’Anciens me l’ont rapporté, le dimanche les hommes allaient « taper le carton » dans les deux cafés existants.

A l’automne, les gens se rendaient dans les bois pour ramasser châtaignes, champignons, pommes, etc. et complétaient ainsi gratuitement leur alimentation.

L’hiver, ils faisaient du bois dans les forêts.

Les familles avaient l’habitude de se recevoir pour « un mangement », surtout le dimanche soir ( la plupart des gens travaillaient le samedi et dans le cas présent, certains aussi le dimanche ), car aller au restaurant était une pratique urbaine réservés aux milieux aisés.

La consommation de vin était importante dans la population, y compris très jeune, comme une pratique normale dans ces sociétés à dominante vigneronne....mais elle consommait les vins bas de gamme, les clairets, frisant souvent la piquette. Le vin correct était réservé à la vente aux négociants. Les « bonnes bouteilles », comme on disait, étaient elles conservées pour les jours de fêtes et grands évènements.


Thérèse GALLO-VILLA

Monthou, janvier 2020

Sources :

Archives départementales de Loir et Cher :

      Dossier Maurice LEMERLE ( 1652 W 16/73 ).

      Dossier Dr. MARQUET ( 1375 W 164 ).

      Liste des victimes civiles de la guerre ( 1375 W 84 ).

État Civil de Thésée, St. Georges, Chissay et Avoine ( 37 ).

Travaux de recherches de Thérèse GALLO-VILLA publiés sur le site www.tharva.fr