Deux jeunes voix de la Shoah : lettres de détention.. (deuxième partie)


Deuxième Partie

Bernard... « C’est dans des moments pareils qu’on se rend compte de tout ce qu’est une mère.. »

( L. 8-9/9/1942 )


SOMMAIRE

  • Un adolescent diabétique
  • De camp en camp, de lit en lit…

           Prison de Blois ( 10 juillet-5 août 1942 )

           Camp de Pithiviers ( ? -24 août 1942 )

           Camp de Drancy-Infirmerie ( 24 août-4 septembre 1942 )

           Camp de Pithiviers ( 4 septembre-24 septembre 1942 )

           Hôpital de Pithiviers ( 24 septembre-25 mars 1943 )

           Camp de Beaune la Rolande-infirmerie ( 25 mars-19 juin 1943 )

           Camp de Drancy-infirmerie ( 19 juin-2 septembre 1943 )

  • Un malade chronique :
  • Un état dépressif permanent  
  • Un manque affectif
  • Les besoins et demandes de Bernard

Annexes

  •  Adrienne et Pauline Bernheim
  •  Théodore Valensi : avocat et romancier
  •  Marcel Hutin, journaliste à « L’Echo de Paris »
  •  Yvonne Netter : avocate et féministe,
  •  Parmi le personnel médical….
  •    Adelaïde Hautval :
  •   Annette Monod :
  •   Henri Russak :
  •   Madeleine Rolland ( dont parle Bernard ) :
  •   Le Dr. Cabanis :
  •   Le Dr. Gautier ( qui a soigné Bernard ) :



Un adolescent diabétique.


Bernard est né le 24 décembre 1924 à Besançon, où résidait alors une partie de la famille de sa mère.

C’est à la suite d’une jaunisse, vers 5-6 ans, que fut diagnostiqué son diabète.

Ses parents le feront suivre par des spécialistes.

Son état de santé était une préoccupation de toute la famille qui demandait souvent de ses nouvelles, se remémore Mr. Janel.

Diabète important qui, outre un régime alimentaire et des piqûres quotidiennes, que Bernard va très vite apprendre à se faire tout seul, va sérieusement perturber sa vie quotidienne.

L’enfant est très petit. Il est très maigre. Il manque de forces.

Il a de graves problèmes de croissance : en septembre 1942, à presque 18 ans, il mesure moins d’1m 40 et pèse 25 kilos.


Une scolarité contrainte par la maladie

Il a dû avoir une scolarité en dents de scie en fonction des conséquences physiques dérivées de son diabète ( infections, douleurs articulaires, faiblesse, etc.)

Car son instituteur et directeur de l’École de Garçons de Contres, Mr. Lucien Fernand Machoir, lui donnera des leçons particulières pour l’aider à préparer son certificat d’études qu’il réussira.

Quand il sera à la retraite, Mr. Machoir viendra régulièrement prendre des nouvelles de la santé de Bernard.

Il estimait beaucoup cet adolescent consciencieux.

Il n’y avait pas de scolarité d’un niveau supérieur possible à Contres. Et un séjour en internat à Blois était exclu en raison de son diabète.

Bernard qui a 15 ans et demi, à la déclaration de la guerre, n’est plus scolarisé.

L’écriture de Bernard est restée plus enfantine et scolaire que celle de sa sœur.

Il fait aussi plus de fautes d’orthographe ou de syntaxe.

Et lorsqu’il sera très fatigué, certaines de ses lettres seront visiblement écrites ou terminées par un co-détenu, un infirmier, peut-être une des sœurs soignantes. Souvent au crayon.

Une jeunesse repliée sur lui-même :

Le témoignage de son frère, Mr. Janel, trace le portrait d’un adolescent calme, taciturne, peu enclin à l’extériorisation de ses sentiments.

L’expression courante serait de dire qu’il avait un caractère difficile.

Une de ses co-détenues à l’hôpital de Pithiviers le décrit : « il est très gentil, très sérieux, parle peu et il a raison ». ( L. 19/12/1942, Yvonne Netter ).

Elle complétera ce jugement sur le caractère de Bernard : « il est serviable, intelligent, il parle un peu plus » et « il est très régulier et si exact dans ce qu’il fait ». ( L. 26/1/1943 ).

La manière parfois exigeante avec laquelle il fera des demandes pour ses colis, comme nous le verrons, traduit aussi certainement le comportement de ses parents qui ont dû faire le maximum pour adoucir les tourments de sa maladie et satisfaire ses souhaits.

Celle-ci l’empêche en effet d’avoir les mêmes activités, surtout sportives, des autres garçons de son âge.

Il avait certes des copains mais pas vraiment d’amis, constate son frère.

En effet, il ne citera aucun nom d’ami dans sa correspondance.

Bernard lisait beaucoup et il avait une passion.

Celle-ci l’empêche en effet d’avoir les mêmes activités, surtout sportives, des autres garçons de son âge.

Il avait certes des copains mais pas vraiment d’amis, constate son frère.

En effet, il ne citera aucun nom d’ami dans sa correspondance.

Bernard lisait beaucoup et il avait une passion.


Une passion pour la philatélie

Bernard consacrait une grande partie de son temps à sa collection de timbres.

Il en parlera dans sa correspondance.

Ses qualités d’ordre et de minutie se concrétisaient dans l’impeccable tenue de son album. Et de sa documentation.

Il était abonné et client de la célèbre maison centenaire toujours existante : « Yvert et Tellier ».

Il correspondait assidûment avec d’autres philatélistes.

Personne n’avait le droit de toucher à ses timbres !

Son frère pense qu’il en aurait fait vraisemblablement son métier.


Cet adolescent vulnérable va, en moins de 14 mois, être détenu dans 7 ( peut-être 8 ) lieux de détention, avant son extermination à Auschwitz avec sa sœur Lise.

Ainsi, une double épée de Damoclès va peser sur lui : la menace d’une déportation pouvant être  imminente et sa maladie qui le cloue, sur un lit de souffrance, de façon quasi permanente.


De camp en camp, de lit en lit.

« Je ne peux plus bouger, je n’ai plus de force et peut-être on nous déportera ». ( L. 30/9/1942 ).

Prison de Blois ( 10 juillet-5 août 1942 )


Le contexte des mois de juillet-août 1942 :


A partir du printemps 1942, les autorités allemandes vont accélérer la mise en œuvre de « la solution finale » dans les pays de l’Europe de l’Ouest et notamment la France.

Le 15 juin, ils demandent la déportation « dans un premier temps » de 40 000 juifs de France en trois mois.

Plusieurs convois partent directement en juin et juillet des camps de Pithiviers et Beaune la Rolande pour Auschwitz

Les rafles vont s’intensifier. Celle du Veld’Hiv les 16 et 17 juillet ; celles en juillet-Août dans les villes de la zone occupée ; la livraison de milliers de juifs internés déjà dans les camps français de la zone « libre » ; puis les rafles dans cette même zone « libre » avec la complicité du gouvernement français.

La police de Vichy prête un concours actif aux Allemands pour les rafles. Sans l’apport logistique de l’administration de Vichy, de sa police, de sa gendarmerie, de ses trains, ces rafles n’auraient pu atteindre un tel volume sur une aussi courte durée.

Les hommes et les couples sans enfants ( 4992 ) raflés au Veld’Hiv sont immédiatement déportés.

Les femmes et les enfants ( 4115 ) sont envoyés à Pithiviers et Beaune la Rolande.

Ils y arrivent entre le 19 et 22 juillet.

Leur situation est épouvantable : conditions d’hébergements, d’hygiène, de nourriture.

Les femmes et les adolescents seront déportés, vers Auschwitz, entre le 31 juillet et le 7aout dans des convois partant directement de Pithiviers et Beaune la Rolande.

Les scènes de séparation des mères et des enfants sont insoutenables.

C’est le gouvernement de Vichy qui propose la déportation des enfants.

Berlin donne sa réponse le 13 août 1942 : oui, ils peuvent être déportés et exterminés.

Entre le 17 août et 31 août, ces enfants seront acheminés sur Drancy et compléteront les convois d’adultes.

Les Allemands redoutaient les réactions qui auraient pu se faire jour face à des convois composés exclusivement d’enfants.

Aucun des enfants du Veld’Hiv ne survivra.



Le jour de son arrestation, le 10 juillet Bernard portait un béret basque, un pantalon golf, un veston brun et des souliers. Il avait 15 francs sur lui.

Rappelons que dans une note du cabinet du Préfet, non datée mais rédigée peu après l’ arrestation, il est précisé « que le fils est très malade, diabétique qui requiert des soins suivis et très attentifs ».

Avec Lise, il est condamné le 11 juillet par le Tribunal de la Feldkommandantur de Blois à 3 mois d’emprisonnement.

Pourtant sa levée d’écrou va avoir lieu le 5 août 1942. On lui restitue ses vêtements.

Il est remis aux autorités Allemandes.

Pourquoi les Allemands substituent-ils à la prison une détention en camp ?

On peut penser qu’ils envoient Bernard rejoindre beaucoup d’autres juifs français accusés de violations aux règlements ( non port de l’étoile, non respect du couvre feu, tentative de franchir ligne de démarcation ), regroupés au camp de Pithiviers notamment, dans un de ces camps du Loiret, qui vont devenir l’interface du processus de la déportation en liaison avec le camp de Drancy.

Camp de Pithiviers 

( ? -24 août 1942 )

Le contexte du camp :

Il avait été construit au début de la guerre pour y accueillir des réfugiés de Paris puis des prisonniers de guerre Allemands.

Les Allemands en font un camp de prisonniers de guerre français, avant leur envoi dans des camps en Allemagne.

A partir de la rafle de juifs étrangers à Paris, dite « des billets verts » du 14 mai 1942, le camp de Pithiviers devient un camp d’internement pour les juifs.

Il est administré par le gouvernement de Vichy.

Il forme une seule entité administrative avec le camp de Beaune la Rolande.

Il comporte une infirmerie mais les détenus nécessitant des soins suivis étaient envoyés à l’hôpital de la ville.

En septembre 1942, le camp est évacué pour être transformé en camp destiné aux détenus politiques, très majoritairement des communistes ou supposés tels, et des résistants.


Nous ignorons si Bernard a transité par la prison d’Orléans comme cela était parfois le cas pour des détenus transférés.

Il semble qu’il ait été directement conduit au camp de Pithiviers.

En effet, il précisera à sa mère : « Quand on m’a sorti de prison pour m’emmener dans le camp, je n’avais pas d’argent pour t’écrire en fraude. J’ai emprunté à un homme 200 f, car il fallait payer de 20 à 40 f pour faire passer une lettre. Cet homme a été déporté. Aussi pourrais-tu envoyer un mandat de 200 f à sa femme ». Il lui donne l’adresse ( L. 2/10/1942 ).

Il envoie à sa mère une carte de correspondance très laconique de quelques courtes lignes pour dire qu’il va bien, qu’il a reçu son paquet, qu’elle ne se fasse pas de souci.

Cette carte datée du 17 août 1942, a été postée le 18, au 49, rue de la Boétie.

Rien ne permet d’établir qu’elle provient d’un camp. Prudence pour lui, l’expéditeur, et pour sa mère, la destinataire.

Des membres du personnel du camp, gendarmes compris, s’arrondissaient les fins de mois en pratiquant le marché noir avec les détenus et la sortie du courrier dans les périodes d’interdiction.

Sur une demi-feuille, non datée et sans verso, mais envoyée à première vue quelques jours après son arrivée à Pithiviers, Bernard fait état « qu’il est en bonne santé, qu’on le soigne » et « qu’il ne sera pas seul car il y a Pauline Bernheim, cela a été une surprise de se rencontrer ».

( Annexe 1 sue les Bernheim ).

Pauline complète ce mot en rassurant Mme. Jankelovitch : « Vous pensez-bien que j’y fais attention ». Elle indique qu’il y a dans la même baraque que Bernard « un ami de Papa qui est très débrouillard et qui s’occupe bien de lui aussi ». Elle lui demande de donner de leur nouvelles à Sathonay... pas de nom cité. Toujours la prudence.

Bernard a donc vécu la présence des enfants du Veld’Hiv au camp de Pithiviers et le départ d’une partie d’entre eux pour Drancy puisqu’il y est lui-même envoyé dans la même période.

Ce sont les derniers départs vers Drancy de ces enfants.

Camp de Drancy-Infirmerie ( 24 août-4 septembre 1942 )

Le contexte du camp de Drancy :

C’est la « cité de la Muette », vaste ensemble de bâtiments type anciens HLM, d’abord camp d’internement de détenus français considérés comme des opposants en 1939, puis camp allemand pour prisonniers français ( un Frontstalag ) qui devient à partir des rafles de juifs à Paris en août 1941, un centre de détention pour juifs mais aussi, comme précédemment, pour des opposants à l’Occupation et des résistants.

Drancy va jouer le rôle de principal lieu de regroupement des juifs avant leur déportation.

Les convois partiront de la gare du Bourget en 1942-43, puis de la gare de Bobigny en 1943-44.

Neuf juifs déportés de France sur dix sont passés par le camp de Drancy.


Le 24 août 1942, Bernard annonce à sa mère « qu’il quitte le camp de Pithiviers pour Drancy...je reprends du poids, j’ai eu la diarrhée mais ça va mieux...C’est dur de ne pas avoir de vos nouvelles ».

Sa préoccupation immédiate est que sa mère lui envoie des médicaments pour son diabète.

Nous verrons plus avant la place de la maladie et des médicaments dans ses lettres.

« On n’en trouve pas dans les camps... ».

Il lui conseille de passer par la Croix-Rouge.

Le 3 septembre : « Enfin, je peux t’écrire ».

Il précise qu’il est à l’infirmerie de Drancy depuis 10 jours, en fait donc depuis son arrivée au camp : « Cela va toujours pareil ».

L’état de ses habits est à l’aune de son état physique : « Ma culotte est en loques, j’ai perdu mon slip ».

Il annonce son départ le lendemain, 4 septembre, pour le camp de Pithiviers : « Je suis content car je vais retrouver les Bernheim...J’espère t’écrire librement de Pithiviers ... J’ai fait du chemin depuis deux mois mais le plus dur c’est de ne pas avoir de vos nouvelles ».

Ce n’est que dans une lettre du 7 octobre que Bernard racontera à sa mère : « J’ai eu une histoire à Drancy, on avait oublié de me marquer et on me prenait pour un enfant ( il barre ce mot et le remplace par garçon ) étranger dont les parents avaient été déportés. Heureusement que j’avais sur moi toutes tes lettres, je ne voudrais pas que ça recommence ». Et il demande à sa mère de lui fournir une preuve d’identité.

En clair, il avait été pris en raison de son nom d’origine juive d’Europe de l’Est et de sa très petite taille, pour un enfant du Veld’Hiv et avait frôlé la déportation immédiate !

On peut penser que cette confusion a dû aussi se manifester en amont avec son envoi à Drancy avec les autres enfants.

Camp de Pithiviers ( 4 septembre-24 septembre 1942 )

Le contexte du camp à son retour :

Après le départ des enfants du Veld’Hiv et d’autres détenus juifs comme Bernard pour Drancy, le camp est quasiment vide ( comme celui de Beaune la Rolande ).

Mais début septembre, avec l’arrivée massive à Drancy de milliers de juifs raflés en zone « libre », le camp de Drancy est à saturation.

Le 4 septembre 1942, près de 1700 juifs de nationalité française ou des conjoints juifs « d’aryens » sont transférés vers les camps du Loiret, pour désengorger Drancy.

Les Allemands les « mettent en réserve », dans la catégorie des non déportables dans l’immédiat.

Leur origine sociologique diffère grandement de celle des juifs étrangers raflés du Veld’Hiv appartenant majoritairement au milieu ouvrier et populaire parisien. Parmi eux des avocats, comme Théodore Valensi et Yvonne Netter dont nous reparlerons, des médecins, des journalistes ou le frère de Léon Blum, le Vice-amiral Kanapa, etc.


« Je suis bien arrivé à Pithiviers vendredi. Je suis tout de suite rentré à l’infirmerie...il y a de nouveaux règlements. On a droit à envoyer et recevoir une lettre par semaine et à recevoir une lettre par semaine et à recevoir deux colis par mois, le poids n’est pas limité ».

Bernard a été casé dans la baraque 7, n°114.

On lui a fait des analyses à Drancy : il a 65 g de sucre dans le sang et il pèse 25 kilos.

Il revient sur la présence à Pithiviers de la famille Bernheim : « Le hasard a voulu que je rencontre Madame et Pauline Bernheim dans le camp. Heureusement, elles me remontent le moral.

Parlant de Mme. Bernheim : « Elle me lave, elle est une seconde mère pour moi ».

Il n’ a toujours aucune nouvelle de sa famille : « Depuis que je suis parti de Blois, pas un mot de vous ».

Pauline Bernheim a rajouté, à cette lettre écrite au crayon, un petit paragraphe. Elle espère qu’ils ont « de bonnes nouvelles de Sathonay » et elle souligne que les nouvelles : « c’est à Maman et moi la seule chose qui nous manque ». ( L. 8-9/9/1942 ).

Ce n’est que quelques jours plus tard qu’il recevra des nouvelles de Contres : « J’ai été très content de recevoir ta première lettre ». Dans ces nouvelles, Mme. Jankelovitch a dû lui parler des comportements collaborationnistes de leur spoliateur : « Je vois que X...fait toujours des siennes.. ».

Il abrège car il doit remettre sa lettre « dans un instant ». ( L. 18/9/1942 ).


Hôpital de Pithiviers ( 24 septembre-25 mars 1943 )

Le contexte au moment de son transfert :

Fin septembre 1942, le camp de Pithiviers devient exclusivement un camp d’internement pour prisonniers politiques, essentiellement communistes.

Les détenus juifs sont transférés à Beaune la Rolande pour une déportation ultérieure à Auschwitz ou dans des lieux de soins.

Le 1er octobre, la Préfecture du Loiret établit une « liste nominative des internés du camp de Pithiviers pris en charge à Beaune la Rolande le 30 septembre 1942 et se trouvant actuellement hors du camp » : 13 personnes dont Bernard sont à l’hôpital de Pithiviers, certains dans d’autres hôpitaux, d’autres sont dans des prisons et 4 en « permission ». Au total, 34 détenus extérieurs du camp.

Le dernier convoi parti directement de Pithiviers pour Auschwitz est celui du 21 septembre 1942. Nous en reparlerons.

Bernard va demeurer 6 mois à l’hôpital de Pithiviers.

Sa correspondance donne d’intéressantes précisions sur la détention des juifs à l’hôpital.

Yvonne Netter, lui servira de plume lorsque Bernard traversera des périodes de grande faiblesse.

L’hôpital est dirigé par le Dr. Gautier qui est aussi le médecin-chef du camp de Pithiviers.

Le personnel soignant est constitué par des civils, souvent des médecins et infirmiers juifs internés.

Il y a une présence notable de religieuses.

     

 « Je suis rentré à l’hôpital de Pithiviers hier soir, car on vient de faire évacuer le camp en deux heures .... une infirmière m’a dit que je resterai un bon moment, même longtemps, le docteur Gautier, le grand médecin-chef de l’hôpital et du camp de Pithiviers s’occupe de moi, tant mieux.

Et même que cela soit monotone, la vie est meilleure, déjà on mange mieux, première chose, et puis c’est propre, tout est blanc, on dort dans de bon lit avec des draps, on n’a pas de puces.... »

( L. 25/9/1942 - lettre écrite au crayon par quelqu’un d’autre ).

Les parents interdits de visite :

Dans cette lettre du 25, il dit qu’il aimerait que sa mère vienne le voir : « quelle joie ce serait ».

Mais ces propos sont rayés : « non, c’est impossible, on vient de me dire ».

Par contre des visites d’amis le sont mais il est précisé : « si des amis passent, ils peuvent venir me voir » et à été rayé : « si tu envoies des amis » !

Les heures de visite sont : mercredi, samedi, dimanche de midi à 15 heures

Les juifs à part :

« Ne crois pas maman qu’à l’hôpital on est libre, on est enfermé, nous sommes toujours des juifs. Il y a des gendarmes aux portes ». ( L. 30/9/1942 ).

Les juifs occupent un dortoir où sont groupés hommes et femmes séparés par un paravent.

Ce dortoir s’appelle la Salle Hervé.

Bernard insiste : « On est gardé par des gendarmes. On n’a pas le droit de sortir dans le jardin, on est séparé de tout le monde, les juifs sont à part de tout ». ( L. 7/10/1942 ).

Ce dortoir comporte 16 places.

A côté du dortoir, il y a deux petites chambres dont une est occupée par Theodore Valensi ( Annexe 2 ) et l’autre par le journaliste Marcel Hutin 

( Annexe 3 ).

Le nombre des occupants variera.

Le 2 octobre, ils sont 6, 3 femmes et 3 enfants.

Le 31 décembre, 12 dont 6 hommes et 6 femmes, « dont une a accouché il y 3 semaines et a son bébé avec elle ».

Une autre naissance aura lieu en janvier 1943, dans le dortoir même.

Fin février 1943, le dortoir sera plein et même saturé, avec 16 adultes et deux enfants.

Bernard côtoie la mort à l’hôpital : « Il y a maintenant des communistes. Un pauvre homme de 75 ans, il gémissait, il vient de mourir à côté de moi. Cela faisait la première fois que je voyais un mort ». ( L. 7/10/1942 ).

« Il y a encore un homme qui est mort à côté de moi de la dysenterie , il venait du camp ».

 ( L. 24/12/1942 ).

Une réglementation moins sévère qu’au camp

Il n’y a pas de limite à l’envoi et à la réception du courrier.

Le courrier n’est pas, normalement, soumis à la censure.

Sauf durant des périodes de punitions collectives notamment à la suite d’évasion ou de tentative d’évasion.

Aussi Bernard invite sa mère à : « Tu peux écrire autant que tu veux. Il n’a pas de censure ».

De même : « Les colis sont libres à l’hôpital ». ( L. 25/9/1942 ).

Les sorties seront autorisées dans le jardin de 13 à 14 heures.

Yvonne Netter ( Annexe 4 ) obtiendra une heure de plus, jusqu’à 15 heures. Sous la surveillance d’une sœur qui les accompagne. ( L. 31/12/1942 ).

Le soir, elle et Bernard : « nous allons tous les deux nous réfugier dans la chambre de Mr. Valensi, nous y prenons une infusion et nous dévissons, ce qui est je crois excellent pour Bernard ».

( L. 25/2/1943 ).

Une nourriture insuffisante et peu nourrissante :

Le repas de midi est à 11 heures et celui du soir à 17 heures.

« La nourriture est comme partout, des pommes de terre, des carottes et navets....le dimanche, on nous donne la traditionnelle noisette de viande et on ne nous en donne pas des quantités....Ce soir, nous avons eu une soupe et trois pommes de terre cuites à l’eau avec un peu de salade.

Le petit-déjeuner est à 7h30 : « Un peu de café bruni ». ( L. 30/ 9/1042 ).

Un autre jour : « à dîner, on a eu de la salade cuite et de la purée, et du raisin qu’une dame dame charitable avait apporté pour tout le dortoir » et il a bien goûté car « la dame avait apporté un morceau de pain d’épices pour les enfants et on me prend pour un enfant.... ».

Ou encore : « au repas à 11 heures, des céleris cuits avec des haricots secs, et le soir, une soupe avec les 3 éternelles pommes de terre cuites à l’eau avec un peu de salade ». ( L. 7/10/1942 ).

A son tour, lorsqu’elle écrira pour Bernard, Yvonne Netter donne des informations sur la nourriture de l’hôpital.

« La nourriture consiste en café au lait le matin, ration de pain, puis à 11 heures deux légumes de saison très peu de légumes verts qui lui seraient bien utiles, nous avons eu trois fois de la viande cette semaine, à 5 heures nous avons chaque soir des pommes de terre dans leur pelure et soit de la salade, soit de la confiture ou du fromage...il faut essayer de lui envoyer ce qui lui est nécessaire et bon pour sa santé ». ( L.26/12/1942 ).

Noel sera marqué « par un bon repas : du poulet au riz, de l’entremet et une bonne tasse de café ». ( Annexe 5 ).

Le matin il était allé à la messe avec Yvonne Netter ( L. 31/12/1942 ).     

La présence appréciée des sœurs

Il y a une mère supérieure et une sœur Marguerite Marie pour le dortoir ( un infirmier aussi ).

Bernard a de très bons rapports avec les sœurs (Annexe 5 Personnel Médical )

« Soeur Marguerite Marie aime beaucoup Bernard qu’elle trouve bien élevé », observe Yvonne Netter.

Bernard, lorsque son état le permet, aide à faire la vaisselle du dortoir, rend service aux autres malades.

La sœur lui prépare un cacao chaud pour le réchauffer.

Elle l’autorisera même à se faire cuire un peu de viande quand il en recevra dans un colis.

Pour son anniversaire le 24 décembre : « quelqu’un a quand même pensé à moi, ce sont les sœurs. La sœur supérieure m’a offert un joli cache-col et la sœur de la salle quelques biscuits et une savonnette. Quelle gentillesse ! Cela m’a fait bien plaisir ». ( L. 24/12/1942 ).

Mme. Netter suggérera à Mme. Jankelovitch « d’écrire un petit mot de remerciement à la sœur Marguerite Marie qui soigne si gentiment Bernard ». ( L.6/1/1943 ).

A son départ pour le camp de Beaune-la-Rolande, Bernard « s’était habitué à Pithiviers..et on était gentil avec moi. Les sœurs faisaient tout ce qu’elles pouvaient pour me faire oublier mon internement... ». ( L. 25/3/1943 ).

Il regrette de ne pouvoir leur écrire car le courrier est limité. « La soeur de la salle m’a donné une petite médaille et la mère supérieure un porte mine ». 

( L. 29/3/1943 ).

Et il demandera à nouveau à sa mère d’écrire à la soeur Marguerite Marie pour lui dire « qu’il pense à elle, qu’elle lui manque beaucoup, qu’il l’embrasse bien fort ». ( L. 6/4/1943


Camp de Beaune la Rolande-infirmerie ( 25 mars-19 juin 1943 )

Le contexte du camp à son arrivée :

Le camp de Beaune la Rolande sert alors à absorber pour des durées provisoires, le trop plein du camp de Drancy.

Il permet aussi de garder en réserve des catégories d’internés jugées temporairement « non déportables ».

Les Allemands ordonnent les mouvements de transfert vers Drancy, décident du sort des uns et des autres.

L’administration de Vichy exécute les décisions des Occupants.

Le transfert de Bernard à Beaune la Rolande s’inscrit dans cette volonté de regroupement des juifs, préalablement à leur déportation.

Bernard est pour l’heure encore considéré comme « non transportable » en raison de son état, donc casé à Beaune.

Le 10 mars, Bernard informe sa mère que « nous devions tous les juifs partir pour Beaune la Rolande, mais je crois que nous resterons à Pithiviers. Tant mieux même si on aurait été à l’hôpital de Beaune, la vie aurait été plus dure, les règlements sont les mêmes qu’au camp ».

Pourtant, il est transféré le 25 mars, avec vraisemblablement, les autres juifs de son dortoir.

Il écrit à sa mère : « Je me dépêche de t’écrire car nous partons à l’instant pour l’hôpital de Beaune la Rolande ».

Et lucidement il se demande : « ..enfin, il faut suivre son destin, c’est peut-être le commencement du grand voyage.. ».

Le 29 mars, dans une lettre écrite au crayon par quelqu’un d’autre, il informe sa mère qu’en fait, il n’est pas à l’hôpital de Beaune mais à l’infirmerie du camp: « J’espère résister et rester car je ne crois pas pouvoir faire le grand voyage... ».

Il va y rester un peu moins de trois mois.

Le courrier est limité

Une lettre par semaine.

Il doit utiliser le modèle réglementaire au nom du camp.

Un recto pour l’adresse et un verso : « Page réservée à la correspondance-N’écrire que sur les lignes et très lisiblement ».

Le courrier est soumis à la censure.

Les colis au contenu contraint

Ils ont droit à deux colis par mois. Il faut transmettre les étiquettes spécifiques au mandant.

Le poids maximum d’un colis est 5 kilos.

L’envoi de denrées contingentées est interdit.

Elles sont systématiquement saisies à la fouille des colis.

Une liste de produits autorisés a été établie.

Bernard la communique deux fois à sa mère : « …quelques œufs, poissons salés ou fumés, lapin, 200 g de margarine, des conserves de légumes ( mais de 500 g ), des conserves de poisson mais pas à l’huile, galettes de sarrasin ou de pommes de terres, pain noir, 500 g de confiture mais pas en conserve, pommes de terre cuites, bonbons, 250 g de fromage et 1 kilo d’abats » ( ? ).

Les colis vestimentaires sont libres.

Les services du camp :

Il y a une cantine.

Elle semble peu achalandée : « Il y a quinze jour, des radis, de la salade ; il y a une semaine, de la betterave rouge et ( illisible ) ». ( L. 21/4/1943 ).

Ils peuvent recevoir 250 f par mois qui sont échangés contre de « l’argent du camp ».

Ils peuvent faire laver du linge mais c’est payant.

On peut acheter du tabac en plus de la ration réglementaire.

La vie à l’infirmerie

Bernard dit « qu’elle est calme ».

« Le matin on boit le café à 7 h, ensuite la toilette, et je me recouche jusqu’à la soupe de midi. L’après midi, je me repose encore et je sors un peu le soir » ( L. 29/3/1943 ).

« La vie au camp est toujours la même ...on entend toujours les bobards sur les événements ( ? ).

Ils peuvent faire du feu, aussi Bernard peut se faire des « infusions de verveine ».

Et il rend visite à une « Mlle. Cointre qui est très gentille avec moi ». ( L. 21/4/1943 ).

Dans sa dernière lettre de Beaune, il signale « que le régime du camp s’améliore. On touche des saccharines et du vin . D’ailleurs ils sont plus doux, ils laissent passer beaucoup de choses... »

( L. 7/6/1943 )

Mais le 19 juin, il est transféré à Drancy. Tous les juifs internés à Beaune la Rolande le seront.

Début juillet 1943, Alois Brunner, envoyé en France en mai, pour accélérer l’extermination des juifs de France, fait fermer le camp de Beaune la Rolande.


Camp de Drancy-infirmerie ( 19 juin-2 septembre 1943 )

Le contexte à son arrivée :

AloÏs Brunner avec son équipe de SS Autrichiens dirige de fait le camp de Drancy à partir du 18 juin et officiellement, le 2 juillet 1943.

Il dessaisit l’Administration de Vichy et cantonne les gendarmes français à l’extérieur du camp.

Il va de, plus en plus, obliger les organisations juives à s’impliquer dans la mise en œuvre de sa politique, sur fond de terreur et de chantage.

L’infirmerie est alors dirigée par Abraham Drucker, arrivé à Drancy en mai.

Dans un témoignage qu’il fera à la Libération, il indique « l’infirmerie était bien montée, il ne manquait pas de médicaments, il y avait des douches. Un médecin français le Dr. Brocard désigné par la Préfecture en assumait la responsabilité. Une trentaine de médecins juifs soignait les malades ... »


Bernard peut écrire à sa mère le 26 juin, lettre très classique ( la famille, nouvelles de Lise, il n’a pas reçu le colis envoyé à Beaune la Rolande ).

Il doit craindre la censure. Il faut avoir à l’esprit qu’il connaît Drancy et y a vécu des moments horribles.

Les seules références au camp sont pour préciser à sa mère qu’il peut recevoir un colis par semaine et que leur contenu est libre.

Par contre : « ne t’inquiètes pas si tu ne reçois pas de lettre de moi car on ne peut écrire que tous les 15 jours ».

C’est par la lettre de Lise ( voir dans la 1ère Partie ) que nous savons que Bernard a été mis à l’infirmerie de Drancy.

Et puis, ce sera la dernière lettre connue de Bernard en date du mercredi 7 juillet 1943.

C’est une lettre clandestine que Bernard a fait passer à l’extérieur par quelqu’un de complaisant ou qu’il a payé pour ce service.

Elle est « à adresser à l’adresse suivante le plus vite possible et en vous remerciant d’avance ».

Il l’adresse à sa mère sous un nom aménagé, phonétiquement proche de Jankelovitch, mais francisé : Mme. Jean Clovis.

Une prudence qui s’impose d’autant plus que la situation est grave. Il sait que les Allemands pratiquent des « regroupements familiaux » pour déporter des familles au complet.

Ils font même écrire à des détenus des lettres à des parents de venir les rejoindre.

Ils envoient à Paris des émissaires dits « missionnaires » à domicile, dans le même but.

Il parle clair dans sa lettre :

« Depuis quelques jours le camp de Drancy et, il parait les autres, sont dirigés par les Allemands.

Ils y font régner la terreur, on ne reçoit plus de courrier, ni de colis, ceux qui arrivent sont distribués collectivement, ils ont même fait rentrer des grands malades de l’hôpital Rothschild.

Mais le plus important, c’est que tous les juifs quels qu’ils soient, passent devant un interrogatoire. Je suis passé hier, on m’a mis dans la catégorie 6, il parait que ça veut dire « en attente de famille », aussi j’ai grand peur pour vous ».

L’essentiel de la suite de cette lettre porte sur l’insistance de Bernard pour que sa mère parte se mettre à l’abri.

« Aussi, ma chère Maman, fais bien attention, si tu entends le moindre bruit sur l’arrestation des juifs, n’hésite pas de quitter la maison avec Pierrot. C’est très important.....Même si rien ne vous retient à Contres, pars tout de suite. C’est à toi de juger mais ne prends pas ces quelques lignes à la légère. On parle de déportation... »

Et il insiste : « Je termine ce message d’alerte en espérant qu’il te parviendra à temps...en tous cas prépare une grande valise avec des affaires indispensables pour un grand voyage ( linge, couvertures, conserves, vaisselle ), il faut se préparer à tout...surtout n’hésite pas si tu sens quelque chose ».

Bernard ne peut enlever de son esprit l’hypothèse d’une arrestation et du « grand voyage » pour sa mère et son jeune frère.

Et, en ce moment crucial, il signe : « Bernard celui qui vous aime ».

C’est Lise qui sera regroupée avec lui et c’est tous les deux qu’ils partiront pour ce « grand voyage » sans retour.

Nous le ferons avec eux dans la troisième partie.

Un malade chronique :

« Cette vie que je mène au lit...C’est une drôle

 de vie ». ( L. 2/10/1942 ).

Les effets du diabète

On lui fera régulièrement deux piqûres par jour.

Parfois l’endopancrine sera fournie sur place, parfois envoyée par Mme. Jankelovitch.

Bernard a le souci d’en avoir un stock d’avance s’il devait être déporté.

L’heure des piqûres sera un problème permanent.

On les lui fait à 7h30 et 17h : « c’est trop tôt car à 8h ( cf. du soir ) on a faim ». ( L. 7/9/1942 ).

Son taux de sucre reste toujours élevé.

Mme. Netter note plusieurs fois que Bernard « prétend que cela n’a pas d’importance et que tout dépend de l’heure à laquelle est faite l’analyse » et « qu’il fait peu de régime, car c’est difficile ici.. ». ( L. 7/1/1943 ).

On verra qu’une partie de ses demandes pour ses colis ne semble pas correspondre aux exigences des régimes des diabétiques ! Comme Lise, Bernard a besoin de « compenser » avec une nourriture gratifiante.

Il a périodiquement des abcès, des plaies, des boutons.

Et des périodes de fatigue intense. On les situe par le recours à « une plume » extérieure pour ses lettres.

Le 30 septembre, transporté depuis peu à l’hôpital de Pithiviers : « Je ne peux plus bouger, je n’ai plus de forces et peut-être on nous déportera ! ».

Le 2 octobre, le Dr. Gautier lui « a ouvert l’abcès, cela m’a fait bien mal » et son pied le fait souffrir.

« Je suis toujours au lit, l’abcès s’est refermé, j’en ai encore pour un mois » ( L.7/10/1942).

La veille, il avait précisé : « j’ai toujours très mal, je ne dors pas ».

Le 12 octobre, il rajoute : « je peine à tenir sur mes jambes ».

Son abcès est « presque fini » et il commence à se lever.

En janvier, il aura un abcès dans l’oreille : « La sœur l’a montré au spécialiste qui a ordonné une mèche trempée dans l’alcool et des compresses chaudes sur l’oreille. Après plusieurs jours, ce bouton a crevé et a beaucoup coulé d’abord du sang puis du pus ». ( L. 26/1/1943, Mme. Netter ).

Début février, il aura à nouveau des furoncles : « heureusement que je suis à l’hôpital ».

Puis un second abcès dans l’oreille : « qui a percé tout seul », avec le même traitement.

( L. 28/1/1943 ).

Mais il a des « petites douleurs » . Le médecin craint une furonculose et Bernard se rassure :

« Heureusement que je suis à l’hôpital ». ( L.4/2/1943 ).

Dans certaines lettres, il se limite à écrire : « ma santé est toujours la même ».

A l’infirmerie de Beaune la Rolande, on lui « massera tous les jours les jambes » car il a du mal à tenir debout par moment. ( L. 21/4/1943. )

Et, le 29 avril, il ne peut cacher à sa mère : « Je suis un peu faible ».

Ce qui doit, vraisemblablement, vouloir dire qu’il est en état de grande fatigue et faiblesse.

Il minore à tout coup ses souffrances pour épargner sa mère.

Un déficit de croissance et une maigreur permanente

Bernard souffre d’un déficit de croissance. Est-ce lié à son diabète ?

Il ne mesure pas 1m40 ( 1m39,5 très précisément ).

De 25 kilos lors de son premier séjour à Drancy, il atteindra 29 kilos pendant son séjour à l’hôpital de Pithiviers.

Sa petite taille l’affecte : « Je vais avoir 18 ans et je n’ai pas encore grandi. C’est bien triste ».

( L.3/12/1942 ).

Il constate plusieurs fois : « on me prend pour un enfant ». 

A infirmerie de Beaune la Rolande, le médecin lui prescrira : «de la poudre d’antéhypophyse à priser ( ? ) pour ma croissance ». ( L. 31/3/1943 ).

Comme on leur attribue un peu de vin, le docteur lui conseille de se faire envoyer « de la quintonine ou du vin de Frileuse pour mettre dedans ». 

Ces deux breuvages étaient considérés comme des fortifiants.

Et surtout on lui « a accordé la suralimentation. Je touche du lait, de la purée. Samedi, j’ai même eu un bifteck ». ( L. 21/4/1943 ).

Une diarrhée récurrente

Il en est périodiquement affecté.

Il en fait état dès son premier séjour à Drancy, puis régulièrement dans ses lettres.

Il qualifiera cette diarrhée de « maladie du camp ». ( L. 21/4/1943 ).

On sait effectivement que la dysenterie sévissait dans les camps d’internement, conséquence de l’état de l’eau et du manque d’hygiène.

Bernard pointera : « l’eau du camp n’est pas bonne. Elle donne la diarrhée ». ( L.8-9/9/1942 ).

Elle affecta particulièrement les enfants du Veld’Hiv, dont certains en moururent.

Bernard demandera à sa mère un médicament contre la diarrhée car « on n’en trouve pas au camp ». 

En plus, la gale et les poux

Il attrapera la gale, qu’on appelait souvent « la gale de pain » : « on m’a enduit tout le corps de pommade et puis j’ai les poux...je viens de me faire couper les cheveux presque à ras ». 

( L. 23/10/1942 ). Elle lui provoque d’intenses démangeaisons.

Et ça recommence en décembre : « J’ai le corps couvert de boutons. On croyait que cela venait de l’estomac. Je suis couvert de poux de corps. J’ai dû donner tout mon linge à laver ».

( L.2/12/1942 ).

Il semble que les possibilités d’une toilette approfondie étaient limitées : « Jeudi dernier, il y a eu une journée eau chaude. Tous les malades en ont profité pour prendre un bain. Cela m’a fait du bien ». ( L. 24/12/1942). Il n’en fera plus état.

Des soins appropriés ?

A la veille de son transfert à Drancy, « il a des boutons sur tout le corps » et il est « toujours un peu faible » ( L. 2/6/1943 ).

Bernard a t’il reçu des soins appropriés ?

Lui en doute parfois : « à l’hôpital ( cf. de Pithiviers ), les juifs sont séparés des autres alors les soins sont rudimentaires ». ( L. 30/9/1942).

Yvonne Netter va dans le même sens : « L’hôpital est surtout un lieu de repos mais on ne vous soigne guère ». ( L. 19/12/1942 ).

La nourriture ne correspondait pas à ses besoins de diabétique.

Nous allons voir que les compléments alimentaires procurés par ses colis n’étaient peut-être pas toujours conformes aussi à l’équilibre de son sucre sanguin.

On relève que ce sont dans les dernières semaines que les médecins à Beaune la Rolande semblent s’être préoccupés de sa maigreur et son retard de croissance.


Un état dépressif permanent :

« J’ai perdu espoir, la fin de cette guerre me paraît impossible, c’est tellement long ». ( 31/12/1942 )

Le moral de Bernard est en berne.

On se souvient que c’est Lise qui lui remonte le moral dans leurs derniers jours à Drancy comme ce sont Mme. Bernheim et Pauline qui s’y emploient à Pithiviers.

Le poids de la maladie

« Avec mon diabète, c’est dur la vie que je mène ( L. 6/10/1942 ).

A son frère, il confiera : « Pierrot tu dois grandir et courir, pas comme moi être couché ou trimballé la moitié du temps ». ( L. 8/10/1942 ).

« C’est bien triste de ne pouvoir marcher ». ( L. 30/9/1942 ).

« Cette vie que je mène au lit. Chaque fois que l’on veut faire ses besoins, il faut demander le bassin à la soeur. C’est une drôle de vie ». ( L. 2/10/1942 ).

La maladie le contraint à un enfermement supplémentaire, avec seulement de courtes et encadrées promenades dans le jardin durant son séjour à l’hôpital, ou de brèves sorties le soir dans le camp à Beaune la Rolande.

Bernard a la nostalgie de son jardin. Comme Lise, il en parle souvent à mère, lui rappelle les périodes et espèces à planter.

« ...et surtout ne le laisse pas en friche et fais tout ton possible pour le garder si on veut nous l’enlever ». ( L. 12/10/1942 ).

Et cette réflexion : « Quand je passe devant celui de l’hôpital, je m’arrête un moment pour regarder les jardiniers et leur demander conseil ». 

( L. 4/2/1943 ).

La solitude et l’ennui :

Bernard, on l’a vu, est resté de longues semaines sans nouvelles de sa famille.

« C’est dur de ne pas avoir de vos nouvelles ». ( L. 24/8/1942 ).

Il est avide de nouvelles : « Donne moi aussi des nouvelles du pays, les plus petits potins, écris-moi tout...ne pas avoir de nouvelles, c’est le plus terrible ». ( L. 8-9/9/1942 )

Ou encore : « toi écris-moi tout ce que tu peux ». ( L. 18/9/1942 ).

« Je ne serai pas seul, il y a Pauline Bernheim ». ( idem ).

Mais le 7 octobre ( cf. les Bernheim ont été déportées le 21 septembre )

Les expressions « la vie est monotone », « je m’ennuie toujours pareil », « il fait froid, on s’ennuie », « toujours la même vie monotone, toujours enfermé comme dans une prison », « le temps est bien long » émaillent ses lettres.

Puis, à partir de son arrivée à Beaune, il s’en tiendra laconiquement à constater plusieurs fois : « Ma vie au camp est toujours la même ».

Il recevra la visite d’une seule personne, semble t’il.

Ainsi, le 6 octobre, il fait état de : « l’amie de Marguerite est venue me voir et m’a amené un morceau de pain d’épices ».

Une « Odette, l’amie de Tante Jane » est venue le voir...il donne la même date.

Avec sa prudence habituelle, Bernard leur a sûrement donné un pseudonyme !

Mr. Janel n’a pas pu fournir d’éléments pour identifier cette « Tante Jane » qui ne doit pas être une proche car Bernard voudrait bien « savoir quel métier fait Tante Jane ». ( L.7/10/1942).

Puis encore : « j’ai eu la visite de Mlle. Odette ». ( L. 13/11/1942 ).

Elle était revenue le visiter avec « un peu de beurre, un paquet de biscuits Lu, des pommes et un livre ». ( L. 12/10/1942 ).

Et, « Je ne vois plus Mlle. Odette depuis deux mois, je ne sais pas pourquoi ». ( 28/1/1943 ).

Les réalités de la vie :

Bernard voit mourir des gens.

Mais il découvre aussi la naissance.

Dans sa salle où les femmes accouchent..même protégées par un paravent.

Il entend toutes sortes de propos notamment de nature sexuelle.

Par deux fois, Yvonne Netter relèvera en termes voilés pour rassurer, on peut le penser, Mme.

Jankelovitch : « Les conversations des hommes sont assez légères mais il ne faut pas oublier que votre gars a 18 ans et qu’il est très sérieux et honnête garçon ». ( L. 26/1/1943 ).

Et le 25 février : « La conversation des hommes n’est pas toujours du meilleur ton mais Bernard est sérieux, il sait ce qu’il faut en penser ».

Plus l’envie de lire

Comme Lise, Bernard n’a plus envie de lire.

Il ne pense pas pouvoir lire « de gros livres ». 

Aussi pour se distraire, il demande à sa mère « de vieux Almanachs Vermot, de petites histoires ».

Il lui demandera aussi un jeu de cartes.

Il redemandera des Almanachs car « je ne peux pas lire de gros livres ».( L. 23/101942 ).

Et il y revient car de toute évidence, cela le chagrine : « Je ne peux pas lire de gros livres, depuis que je suis arrêté, je n’ai pas fini un seul livre. Ma pensée est toujours ailleurs ». ( L. 30/10/1942 ).

Mais, il parviendra à lire « Le Chevalier de Lagardère », prêté par un autre malade ».

( L. 11/2/1943 ).

Sur ces chers timbres, il laisse percer la crainte de l’avenir : « Tu fais bien, d’acheter tous les timbres qui paraissent, ils vont devenir rares et je serai content de les avoir si je rentre un jour à la maison ». ( L. 7/11/1942 ).

Il se contente d’informer sa mère « que Tante Yvonne a de beaux timbres et les met de côté ».

( L. 13/11/1942 ).

Mais, il lui demandera, plus tard, de lui envoyer « le Journal des Timbres de Mr. Salvi ». ( 7/1/1943 ).

L’angoisse de la déportation pour lui et les siens :

Contrairement à Lise dont l’emprisonnement opère un rôle de filtre avec l’extérieur, Bernard a été et est plus directement confronté aux réalités du processus de la déportation.

Il a vu des horreurs à Pithiviers et Drancy.

Il est revenu de Drancy très secoué d’avoir frôlé la déportation.

Il assiste à la déportation des Bernheim le 21 septembre.

Il n’aura de cesse que sa mère lui envoie d’abord un acte de naissance puis une carte d’identité « qui prouve que je suis français né de parents français ». ( L. 16/10/1942 ).

Ce que fera Mme. Jankelovitch.

Bernard est en quasi état de choc.

« Je suis à moitié abruti. J’en ai tellement enduré, vu des affaires atroces et qu’est ce que l’avenir va nous amener...»

Dans la même lettre : « Pauline n’a pu recevoir le paquet ( cf. des denrées demandées à Mme. Jankelovitch )...et malheureusement, elles ne peuvent en recevoir, car elles ont été déportées dimanche pour la Pologne. Tu penses quelle vie. Tous les français (cf.Juifs de nationalité française) valides ont été déportés à cause du Rex qui a sauté à Paris. J’ai eu de la chance d’être intransportable, mais sait-on jamais maintenant ». ( L. 30/9/1942 ).

Il demande à sa mère : « C’est aujourd’hui la rentrée des classes : est ce que Pierrot a le droit d’y aller ? ».

Et il va à plusieurs reprises recommander à sa mère la plus grande prudence.

« Toi même, fais bien attention avec Pierre, suit bien les règlements, on pourrait t’arrêter ».

( L.25/8/1942 ).

« Maman, fais bien attention, à la moindre alerte, passe de l’autre côté avec Pierrot, n’attends pas de te faire arrêter ». ( L. 12/10/1942 ).

« C’est bien dommage que tu ne puisses pas venir me voir. Mais il vaut mieux que tu restes à Contres. Fais bien attention car avec les Allemands, il faut suivre les règlements. Il part beaucoup d’hommes et de femmes pour l’Allemagne à Pithiviers ».

On notera que par deux fois - Pologne et Allemagne - Bernard nomme des pays de déportation au lieu et place de l’expression obligée de « destination inconnue ». Des bruits doivent se répandre. ( L. 12/10/1942 ).

Son inquiétude sera vive lors de deux évasions de l’hôpital de Pithiviers ( dont l’une doit être celle d’Yvonne Netter dont le nom est censuré sur la lettre de Bernard ).

Ces évasions entrainaient des sanctions : suppression des visites et des colis, censure du courrier, interdiction de promenade, etc.

Il craint le renvoi au camp pour être déporté ( L. 23/11/1942 et 10/3/1943 )

Le 26 février, il s’alarme sérieusement : « Je suis très en souci avec les nouveaux événements ( ? )...j’espère que tu as reçu de bonnes nouvelles de Papa et qu’il ne sera pas ennuyé. Réponds-moi le plus vite possible et vous aussi exécutez bien les règlements, portez bien l’étoile, rentrer aux heures, je suis toujours inquiet à cause de cela ». ( L. 26 février 1943 ).

A quels évènements Bernard fait-il allusion ? Vraisemblablement, à la reprise des déportations interrompues depuis le 11 novembre 1942. En effet, trois convois partent de Drancy les 9, 11 et 13 février 1943.

Il y en aura cinq en mars.

« Je me fais du souci car j’entends des bobards..j’espère de bonnes nouvelles de Clermont...répond moi vite ». ( L. 28/5/1943 ).

Et sa dernière lettre « d’alerte » citée plus haut, envoyée clandestinement de Drancy, après la prise en mains par la SS.

Un manque affectif :

Pas une lettre de Bernard sans qu’il demande des nouvelles de Clermont mais sans s’étendre ( toujours par prudence ), de Lise et de Pierrot.

Par contre, il ne mentionnera que peu de personnes de Contres. Il s’agit d’amis les plus proches : les Mauger, Chartier, Poulin, Salvi. Ou encore des commerçants qui ont donné des denrées pour lui : les Bellande ( horloger-bijoutier ), les Ferrand ( boulangers ), les Trétarre ( bazar ).

Il écrira aux Chartier en souhaitant être « bientôt réunis et boire de vieilles bouteilles ».

( L.10/1/1943 ).

Lise : « elle est bien courageuse ».

Au moment, où sa famille pensait qu’elle serait transférée dans un camp en octobre 1942, Bernard demande à sa mère : « Si Lise allait au camp de Beaune la Rolande, donne lui le nom de la dame de la Croix-Rouge, Mme. Rolland, on pourra communiquer ensemble ». ( L. 23/10/1942 ).

(Annexe 5 ).

Son souhait plusieurs fois exprimé : « Tu pourras lui dire qu’il vaut mieux qu’elle soit là où elle est, que dans un camp, car on craint toujours.. ».

Il sera très content d’apprendre que sa sœur est toujours à la prison de Blois : « S’il pouvait l’y oublier » ( L. 7/11/1942 ).

Et, « J’espère qu’elle y restera jusqu’à la fin ». ( L. 13/11/1942 ).

Il s’inquiète tout l’hiver de savoir si elle n’a pas froid, alors que lui a du chauffage central même si il ne fonctionne pas très bien pour des raisons d’économies de combustibles.

Mais à partir de son envoi au camp de Beaune la Rolande, il sera très discret sur sa soeur. Ne la citera quasiment plus. Qu’elle reste « oubliée ».

On a l’impression que Bernard sent l’étau qui va se resserrer et ne veut pas attirer l’attention sur sa famille, si s’exerce la censure.

À Drancy, le 26 juin, il s’exprime pourtant en clair : « Je voudrais bien voir Lise sortir de prison car la pauvre fille doit bien souffrir depuis le temps qu’elle est enfermée.. ».

Pierrot : « il va devenir un savant ».

Il aura des mots forts pour son petit frère alors que leur différence d’âge et la personnalité peu communicative de Bernard, les tenaient plutôt éloignés l’un de l’autre.

Se rappelant peut-être son instituteur, Mr. Machoir, il espère « que Pierrot travaille bien à l’école, que son nouveau maître est gentil avec lui, qu’il l’aide et qu’il l’écoute ». ( L. 7/11/1942 ).

« J’embrasse bien fort le petit patron de la maison, il doit être un grand garçon car il ne suce plus son pouce, c’est très bien. Ses petites lettres me font le plus grand plaisir. Je voudrais bien le revoir, il doit avoir bien changé. Si tu pouvais m’envoyer vos photos ». ( L. 28/1/1943 ).

Lorsque sa mère les enverra, Bernard insistera, car cela lui tient à cœur : « Pierrot a bien grandi ».

( L. 26/2/1943 ).

« Je suis content que Pierrot travaille bien à l’école. Il va devenir un savant ». ( L.27/5/1943 ).

Sa mère : des reproches parfois durs….

Bernard va avoir à l’égard de sa mère une attitude bien connue : en situation de détresse et de grande souffrance, c’est souvent à ceux qui nous sont les plus chers qu’on s’en prend.

Mme. Jankelovitch va subir reproches et récriminations de la part de son fils.

Bernard aura des mots durs pour sa mère.

Ce sont essentiellement les colis qui vont cristalliser ses critiques.

Tout retard dans la réception, toute denrée abîmée, toute demande non satisfaite devient un sujet conflictuel pour Bernard au regard de sa mère.

Cette attitude exacerbée se manifeste en particulier après les chocs émotionnels de Bernard en septembre 1942.

De toute évidence, Bernard est gravement perturbé. Au point de dater du mois de septembre plusieurs lettres de la première quinzaine d’Octobre !

Or, faire parvenir des colis à Bernard est plus compliqué que pour Lise.

Il faut les envoyer donc avec des risques de détérioration plus grands dûs aux délais et aux transports.

Mme Jankelovitch alterne envoi par la poste pour que ce soit plus rapide mais ça coûte cher ; par la SNCF, mais c’est plus long et avec un risque accru de casse.

Il y a, par rapport aux demandes de Bernard, des problèmes de conservation des aliments, mais aussi pour son diabète en raison de la nature des aliments souhaités

Pas simple pour Mme. Jankelovitch.

« Tu es toujours la même, tu ne penses pas, il faut que ce soit moi qui t’énumère...enfin, je verrai si tu penses à moi, ne crois pas que j’écris à la légère ..on dirait que tu veux m’oublier ».

( L. 6/10/1942 ).

« Tu ne m’en mets pas gros dans les colis...tu ne m’envoies jamais de viande. J’ai beau te le dire, pourquoi tu ne veux pas ? ». ( idem ).

Le lendemain, répondant à sa mère qui lui a expliqué que le ravitaillement est dur à Contres, il lui reproche de mal se débrouiller et explose : « Tu ne te rends pas compte, c’est honteux. Toi tu es heureuse, tu as la vie libre, tu ne t’en fais pas du tout, tu vendanges, tu ris, tu manges bien ».

( L. 7/10/1942 ).

« Je voudrais que tu sois à ma place quand tu reçois un colis abîmé, tu comprendrais ».

( L. 7/11/1942 ).

« Tu m’écris toujours le prix de ce que tu m’envoies comme si tu regrettais de me l’envoyer ».

( L. 24/12/1942 ).

Bernard manie aussi un humour corrosif, comme forme de reproche, à l’égard de sa mère :

« Ce n’est pas avec du beurre et deux œufs qu’on peut se nourrir correctement... ».

(L. 6/10/1942 ).

« Ce n’est donc pas encore le moment des œufs que tu ne m’en envoies pas ( L. 4/2/1943 ).

« Il n’y a donc plus de fruits à Contres ». ( L. 26/11/1942 ).

Ce qui l’excède le plus et revient souvent, ce sont les paquets mal emballés et leurs conséquences sur les contenus. 

… Et des élans de grande tendresse

Lors de son retour à Pithiviers, il exprimera ses sentiments avec force : « Maman, je t’aime beaucoup. C’est dans des moments pareils qu’on se rend compte de tout ce que c’est une mère. Tout ce souci que je t’ai donné et quand est-ce que je pourrai tous vous serrer dans mes bras ? ».

( L. 8-9/9/1942 ).

« Ma jambe me fait bien souffrir et personne pour me consoler. Quand je pense à tout ce que tu faisais pour moi quand j’étais malade et que je me plaignais. Je voudrais bien t’avoir à côté de moi tout à l’heure au lieu de souffrir tout seul ».

Sa mère lui manque.

Il veut la voir. Il est à l’hôpital : « Pithiviers n’est pas loin de Contres. On ne se reverra peut-être jamais. Ne regarde pas aux frais, j’en ai assez, tu dois faire tout ton possible avec une auto, ce n’est pas loin...Ce n’est pas l’argent qui fait le bonheur ». ( L. 6/10/1942 ).

Bernard ne sait pas encore que la visite des familles est interdite pour les juifs.

Dans sa détresse, il n’a pas pensé au danger qu’un tel voyage constituerait pour sa mère.

( L. 6/10/1942 ).

Il s’en rendra compte et recommandera à sa mère de rester à Contres.

La fin de ses lettres est très classique : « Je termine en vous embrassant bien fort ».

Il achèvera sa dernière lettre par une identification chargée d’affection : « Bernard celui qui vous aime ».


Les besoins et demandes de Bernard :

 « Tu sais le plus petit colis et le plus petit mot font

 grand bien ». ( L. 25/9/1942 ).

Peu de demandes vestimentaires.

Bernard présentera peu de demandes vestimentaires.

Il arrive « en loques » en septembre à Pithiviers, il lui faut donc : « culottes, slips, chaussettes, caleçon long, écharpe » ( L. 8-9/9/1942 ).

Juste après la déportation des Bernheim, il prescrit à sa mère « d’envoyer des vêtements à l’amie de Tante Jane qui me les apporteras. On ne sait jamais, il peut venir un ordre de partir. Il vaut mieux prendre ses précautions ». ( L. 30/9/1942 ).

En avril, il réclamera une salopette et des chaussettes. Ni chaussures, ni chaussons, ni chemises, ni tricots.

Les sœurs lui ont donné une paire de sabots jaunes très chauds qui appartenaient à un jeune homme déporté avec les Bernheim.

Sa mère lui envoie vraisemblablement du linge de corps sans qu’il le sollicite.

Il fera laver son linge. Cela lui coûte une fois 39 f. Il trouve ça cher !

Il faut dire que le fait d’être la plupart du temps couché ou à l’intérieur, limite ses besoins vestimentaires.   

Quelques produits et objets à usage personnel :

En ce domaine aussi, les demandes de Bernard sont modestes et se cantonnent à du savon, de la pâte dentifrice, une brosse à dent, de l’eau de Cologne.

Et un Thermos, une bouillotte, sa deuxième montre : « celle de Tante Céline ».

Parions que ce devait être une UTI, fabriquée par la famille de Tante Céline à Besançon !

Il devra réparer plusieurs fois la bouillotte qui fuie.

Il renverra à sa mère la montre que lui avait laissée Pauline. Et donnera son Thermos pour Lise car un jeune homme déporté lui a offert le sien à son départ : « il était très gentil avec moi ».

Une demande périodique, comme Lise, portera sur du papier à lettres et des timbres.

Comme on l’a vu, Bernard n’a pas la force physique et morale de lire ou de s’intéresser à ses timbres ou toute autre activité mobilisant son esprit.

Ses demandes seront donc limitées à des supports illustrés ...et à un jeu de cartes.

Dans toutes ses lettres : des médicaments.

L’ Endopancrine :

C’est son médicament pour le diabète. Il existe d’ailleurs toujours.

Il en demande régulièrement à sa mère, sous forme de cachets et d’ampoules à injecter.

Parfois, c’est l’hôpital ou l’infirmerie qui les lui procure. Mais pas en permanence.

Aussi, Bernard fait des réserves en cas de transfert dans un camp ou en déportation. Il a peur de ne pouvoir s’en procurer.

« J’ai encore une dizaine de tubes d’Endopancrine et trois boites d’ampoules. Achètes-en toujours car on n’en trouve pas dans les camps et occupes-toi avec la Croix-Rouge car il faudra que tu fasses attention en me les envoyant pour ne pas les perdre ». Il est alors en partance pour son premier séjour à Drancy. ( L. 24/8/1942 ).

En octobre, il craint « de manquer d’Endopancrine, car je ne peux pas m’en faire acheter ».

En novembre, toujours la même crainte : il en réclame « pour avoir petit stock d’Endopancrine, si le malheur voulait que je quitte hôpital ».

Par contre en décembre : « ne m’envoie pas d’Endopancrine, c’est l’hôpital qui m’en fournit en ce moment ».

Il en demandera régulièrement pendant toute sa détention ainsi que « des petites aiguilles à piqûres courtes et bien fines ». Mme. Jankelovitch lui enverra plusieurs fois ces aiguilles.

Des Aspirines et des Sandol :

La prise en charge de la douleur était inexistante.

Bernard réclamera des Aspirines et des cachets Sandol « car j’ai mal » ( L. 30/9/1942 ).

Ce sont deux anti-douleurs très utilisés à l’époque.

Du Propidex :

C’est une pommade pour mettre « sur mes plaies ». ( L. 7/11/1942

Il réclamera aussi un médicament contre la diarrhée, des cachets pour la gorge, des pastilles contre le rhume, du bicarbonate de soude.

Bien que ce ne soient pas à proprement parler des médicaments, il formulera des demandes pour des saccharines et des lithines, pour purifier l’eau, dans presque toutes ses lettres.

Il fait usage de saccharine notamment : « Car je prends souvent des infusions chez Mr. Valensi, cela me fait du bien ».

Ce sont des produits introuvables dans les camps.

Sauf, vers la fin, où il recevra des saccharines au camp de Beaune la Rolande.

L’essentiel de ses demandes : des denrées alimentaires.

Nous avons décrit plus haut le casse-tête que devaient constituer ces colis pour Mme.

Jankelovitch et combien ce fut un sujet quasi conflictuel avec son fils, surtout sur les premiers mois de sa détention.

Pourtant Yvonne Netter soulignera : « Il est du point de vue de son colis, le plus gâté de la salle et nous nous en réjouissons tous car il est le plus jeune à part un bébé de 4 semaines né ici »..

( L. 7/1/1943 ).

Combler sa faim

Bernard a tout simplement faim.

On a pu apprécier les « menus » servis, en particulier à l’hôpital de Pithiviers !

« la nourriture est meilleure ( cf. qu’au camp ) mais il faut un surplus ». ( L. 25/9/1942 ).

« ...la nourriture de l’hôpital n’est pas suffisante ( L. 6/10/1942 ).

« On ne nous donne pas beaucoup à manger ». ( L. 7/10/1942 ).

« On ne nous donne pas de grosses quantités ». ( L. 30/9/1942 ).

Un jour où il complétera sa maigre pitance du soir à l’hôpital de Pithiviers par un œuf dur et une pêche en dessert, il s’exclamera : « un vrai festin »

( idem ).

Du frais pour son diabète 

Il veut des aliments adaptés à son diabète.

C’est à dire plus de légumes frais qu’il faut donc lui envoyer par la poste.

«  Tu pourrais m’en envoyer plus par la poste surtout des légumes frais ( radis noir ou rose, oignons, ail, persil, cresson, melons et je le souligne des betteraves rouges cuites au four et combien d’autres choses.. ». ( L. 6/9/1942 )

Aussi, il recommande à sa mère de faire « de plus petits colis pour manger frais » et d’envoyer « des affaires qui sont inconnues depuis que je suis dans un camp : œufs, viande, beurre frais. Je n’ai pas gouté un grain de raisin et une pêche cette année ». ( L. 25/9/1942 ).

Il demandera à sa mère de garder l’envoi de conserves de légumes pour la période où les produits frais se raréfient.

Il veut des produits crus ( œufs et surtout viande ). Les sœurs, on le sait, lui permettaient de faire cuire..mais rapidement !

À sa mère inquiète vraisemblablement pour la fraîcheur des aliment expédiés crus, il rétorque : « Pour la viande, ne t’occupe pas des conseils des autres, quand tu pourras m’en envoyer de la fraîche... ». ( L. 3/12/1942 ).

Bernard est amateur d’œufs ( « c’est mon régal » ) et de betteraves rouges.

Sa mère lui en envoie régulièrement.

Or, les betteraves suintent souvent, les œufs arrivent cassés, les fruits eux sont écrasés.

L’humidité produite endommage les autres produits : lithines, pastilles de Vichy, brioche, gâteau.

Dans ces cas là, la frustration de Bernard devient exaspération !

On ne compte pas les lettres où il somme sa mère de mieux empaqueter les denrées qui produisent de l’humidité.

Cette exaspération culminera au camp de Beaune la Rolande où, malgré ses indications, sa mère

Inclue dans son premier colis des denrées contingentées interdites : « on m’a presque tout saisi », générant une intense frustration.

( L. 6/4/1943 ).


Ses goûts salés....

Les demandes de Bernard permettent de se faire une idée de ses goûts alimentaires.

Il apprécie la charcuterie et réclame souvent des rillettes en boîtes.

Il remercie le charcutier Mr. Poulin : « La charcuterie était très bonne, cela faisait longtemps que je n’en avais pas mangé ». ( L. 13/12/1943 ).

Une autre fois, ce sera pour du saucisson.

Une demande récurrente pour des sardines « à faire mariner comme des harengs, comme celles de Mme. Jarry ». Il demandera plusieurs fois à sa mère d’en faire mettre en boîte pour avoir de la réserve.

Nous avons déjà relevé ses goûts pour les œufs et la viande, plus le lapin et le poulet ....et « du biquet » !

Il réclamera aussi régulièrement des produits laitiers : fromage, « de bons fromages de chèvre », beurre et margarine : « de la bonne margarine enveloppée dans le papier Astra ». ( L. 28/5/1943 ).

Et les fameux pépins salés de citrouille.


… Et sucrés :

Ses commandes de denrées sucrées sont nombreuses et variées.

Outre ses goûts, il faut sûrement y ajouter la dimension « compensation », comme pour Lise.

Mais dans le cas de Bernard il y a, à coup sûr, des conséquences sur son diabète d’autant que sa consommation de sucre se couple avec celle de produits gras.

Ses demandes portent sur confiture, bonbons, chocolat, pain d’épices, noix et noisettes « je me régale avec », gâteaux, biscuits, biscottes.

Les dons provenant des amis sont pour la plupart des gâteaux, de la brioche, du pain d’épices.


Des tickets de pain..à multi usages.

Bernard en réclame à sa mère dans presque toutes ses lettres.

« ..des tickets de pain pour acheter du pain d’épices, il n’y a que ça, tou le reste passe au marché noir ou à des prix ! ». ( L. 6/10/1942 ).

Les tickets sont à usage multiple car Bernard demande « d’en avoir le plus possible pour se faire acheter des choses ». ( 7/10/1942 ).

Il suggère à sa mère de lui envoyer autant qu’elle peut : « Des tickets de pain, pas les vôtres, mais deux de voisins s’ils en ont trop ». ( L. 2/10/1942 ). Ce qui devait être peu probable !

De l’argent pour ses petites dépenses.

Mme. Jankelovitch enverra régulièrement des mandats de 200 f ou 100 f à Bernard pour faire face à de petites dépenses.

Il doit faire blanchir son linge.

Se faire couper les cheveux,

Se procurer du tabac.

Acheter peut-être des bricoles à la cantine lorsqu’il sera en camp : « L’autre jour, il y avait de la salade, des radis et de l’huile ». ( L. date illisible mais au camp de Beaune la Rolande ).

Et de temps en temps se faire acheter des fruits qui ont un prix usuraire.

« L’autre jour, un infirmier a trouvé des pommes à 35 f le kilo ». ( L. 30/10/1942 ).

Comme on le sait le marché noir faisait florès dans les camps, organisé par des membres du personnel et des forces de l’ordre ! Hélas, certains détenus y participaient aussi.


Ses droits de J3

Bernard avait fait une réclamation pour sa carte d’alimentation.

« J’ai eu la joie de toucher mon chocolat J3 et des pâtes de fruits ».

Mlle. Roland ( cf. Croix-Rouge ) « m’a promis que je toucherai mon tabac ce mois-ci ».

( L. 10 mars 1943 ).

Par contre, Bernard ne fera aucune mention sur une quelconque distribution spécifique de la Croix-Rouge.

Au fil de ses mois de détention, on sent qu’une forme de routine se fait jour au regard de ses colis.

Ses réactions sont moins vives par rapport à sa mère même s’il continue à lui recommander de bien emballer et faire les colis avec soin.

Il utilise de plus en plus l’expression : « Fais au mieux » et, par rapport aux denrées contingentées prohibées : « Tu dois comprendre, il faut s’arranger au mieux ». ( L. 6/4/1943 ).

En arrivant à Drancy pour son ultime séjour : « J’ai eu gros sur le cœur que de ne pas avoir reçu le colis envoyé à Beaune.. » et gentiment, il dit à sa mère : « Tout ce que tu y mettras me fera plaisir surtout de la matière grasse et de la viande, et si tu peux des oignons, de l’ail, des échalotes »..


Ce sont les dernières demandes de Bernard.

Les colis personnels et le courrier seront quelques jours après interdits par les Allemands qui vont réorganiser l’administration du camp et y faire régner la terreur.

ils vont substituer un système « de colis collectifs », répartis entre les détenus par les membres l’UGIF.

Lise l’a rejoint le 18 août.

Elle pourra envoyer, pour eux deux, une dernière lettre clandestine, publiée dans la première partie.

……Dans 21 jours, il seront déportés.

  Annexes

Le Noël 1942 de Bernard

 

Les malades avaient eu droit à un repas amélioré, décrit plus haut.

Bernard a aussi reçu un colis plus festif de sa mère avec des oranges, des mandarines, des marrons et des pépins de citrouille qui lui rappellent les « cacahouètes que l’on grignotait aux Fêtes ».

Le dimanche 10 janvier 1943, une petite fête a été organisée pour les malades dans une salle de l’hôpital de Pithiviers.

« On aurait cru être libres. Cela m’a procuré de bons souvenirs.

Des jeunes filles ont chanté la chanson du « Joyeux Tyrol » que Lise avait si bien joué dans la Salle des Fêtes et « Gentil Coquelicot Mesdames » que les deux Pierrot et Vonnette Breton chantaient si souvent.

On nous a même offert un goûter pour 4 heures ».

Mais le 14 février, Bernard raconte les suites de Noël au camp de Beaune la Rolande : « La Gestapo est venue il y a 8 jours au camp de Beaune la Rolande. Elle a fait partir 60 français à Drancy comme punition, en prétendant qu’il y avait eu un trop bon dîner le jour de Noël. Elle était venue sur la demande d’un article sur le Journal Le Franciste ». ( Cf. Journal collaborationniste et antisémite )



Une recette de Bernard...encore la citrouille !



« Je vais te donner une recette.

Ramasse tous les pépins de citrouille s’il en est encore temps.

Tu les laveras.

Tu les feras sécher au four avec un peu de sel.

Tu m’en enverras, c’est très bon ».

Yvonne Netter les apprécie aussi : « Les pépins de citrouille sont excellents...C’est une distraction de croquer les amandes ».

Puis, il suggérera à sa mère d’appliquer la même recette aux pépins de soleil puisqu’elle va en planter dans le fameux jardin.

Et de perfectionner la recette :

« Il faudrait que tu les fasses un peu plus griller ».


 Adrienne et Pauline Bernheim

Eve Adrienne Blum, mère de Pauline Bernheim, était la sœur de Céline Blum qui avait épousé Henri Brunschwig, frère de Mme. Jankelovitch.

Elle était née à Sélestat en 1890.

Elle appartenait donc à la famille Blum exploitant l’entreprise horlogère très connue à Besançon, UTINAM, et dirigée alors par les trois frères Blum dont Henri, son père.

Elle avait épousé Henri Bernheim. Celui-ci descendait d’une vieille famille de Pfastatt ( 68 ), boucher de père en fils.

Des membres de cette famille Bernheim viennent s’installer à Paris dans la seconde moitié du XIXe siècle et y sont « épiciers ». 

Puis, on en trouvera commissionnaires aux Halles, spécialisés dans la vente en gros de fromages.

Henri Bernheim est installé lui en tant que « commerçant » à Maisons-Laffitte où il décédera en 1964.

Plusieurs de ses frères sont aussi négociants dans l’alimentation.

Leur fille Pauline naît à Maisons-Laffitte, le 27 septembre 1919.

Pauline et sa mère avaient été arrêtées en tentant de passer la Ligne de Démarcation.

Elles avaient été regroupées au camp de Pithiviers avec d’autres juifs français ayant contrevenu à la législation anti-juive.

Le 17 septembre 1942, le détachement Valmy, groupe d’action armé dans la mouvance communiste, commet un attentat à la bombe au cinéma parisien, le Grand Rex, fréquenté par les Allemands. Cinq soldats sont blessés.

En représailles, les Allemands procèdent à la déportation de 1000 juifs français détenus à Pithiviers.

Pauline et sa mère font partie de ce que Bernard et ses co-détenus appellent « la grande déportation des français ».

Le convoi n° 35 part directement de Pithiviers, le 21 septembre.

Après 3 jours, le train est arrêté en pleine campagne. On fait sortir un certain nombre de déportés ( les hommes jeunes ) pour les envoyer dans un camp de travail.

Les autres déportés seront à leur arrivée à Auschwitz embarqués en camions et gazés peu après.

Seuls, 23 déportés du convoi 35 survivront.

La disparition de Pauline et Adrienne Bernheim a été datée au 26 septembre 1942.

Pauline allait avoir 23 ans.

D’autres membres des familles Blum et Bernheim seront exterminés à Auschwitz.


Théodore Valensi : avocat et romancier

Théodore Valensi est né à Tunis en 1886.

Avocat à Paris, il sera député de la Haute-Saône avant guerre, inscrit au groupe Républicain Socialiste.

Il combat le nazisme avec une grande conviction.

Il est arrêté en août 1941 avec 51 autres avocats juifs et interné au camp de Drancy.

Paris-Soir, journal collaborationniste, publie un reportage antisémite qui est resté dans les mémoires, consacré avec photo à l’appui, à ces avocats détenus : « Je les ai vu ces juifs millionnaires, ex-célébrités du barreau parisien internés dans un camp proche de notre capitale...

Théodore Valensi sera ensuite muté au camp de Pithiviers, plus précisément à l’hôpital où Bernard le côtoie.

Puis, il sera déporté au camp de concentration d’Aurigny construit par les Allemands sur une île dans la Manche.

Début août 1944, il est ramené à Paris comme otage, pour y être fusillé.

La Résistance arrivera à le sauver le 20 août 1944.

Il sera brièvement conseiller financier aux Etats-Unis après la Libération.

Il revient en France et reprend son activité d’avocat.

Mais Théodore Valensi est aussi un écrivain qui a produit de nombreux romans et ouvrages.

Un des plus connus est « Yasmina, roman arabe », qui sera porté à l’écran.

Durant toute sa détention, il ne cessera pas d’écrire.

Il décède à Nice en 1959 et il est inhumé au cimetière du Père-Lachaise.


Marcel Hutin, journaliste à « L’Echo de Paris »


Marcel Hutin était né Marcel Hirsch en 1869 à Wissembourg en Alsace.

Il avait fait du « grand reportage » pour Le Figaro et le Gaulois.

Il exercera une grande partie de sa carrière, depuis 1898, à l’Echo de Paris, journal très conservateur, proche des ligues patriotiques fascisantes.

Organe de la droite nationaliste et catholique, au début du siècle, l’Echo de Paris prit une part active à la campagne anti-dreyfusarde.

Marcel Hutin, âgé, avait été arrêté le 10 juillet 1942 pour refus de porter l’étoile jaune.

Il se trouve donc à l’hôpital de Pithiviers en même temps que Bernard qui le qualifie de « journaliste antisémite ».

Il sera libéré en décembre 1942 ; Bernard soulignera qu’il a « de la chance ».

Il décèdera en 1945.


Yvonne Netter : avocate et féministe,

évadée de l’hôpital de Pithiviers.

Yvonne Netter naît en 1889 dans une famille d’industriels.

Elle suit des études secondaires pour jeunes filles à la Sorbonne.

Elle se marie en 1911, devient mère et divorce en 1918.

Yvonne Netter reprend ses études et débute une carrière d’avocate en 1920.

Elle consacre sa thèse au travail de la femme mariée.

C’est une des premières femmes avocates en France.

Elle s’engage dans de nombreux groupes et mouvements féministes qui rassemblent des femmes actives des catégories sociales supérieures.

Elle s’investit aussi, dès les années vingt, dans le sionisme et elle est membre d’associations féminines sionistes.

Elle se convertit au catholicisme en 1940, mais elle sera néanmoins exclue en 1941 de la profession d’avocat, en application des lois anti-juives de Vichy.

Yvonne Netter est arrêtée en juillet 1942, internée à Drancy, puis transférée à Pithiviers, à l’hôpital où elle s’occupe de Bernard.                                                      


Elle arrive, grâce à des complicités d’amis, à s’évader de l’hôpital de Pithiviers, en février 1943 ( cf. plus vraisemblablement début mars d’après la correspondance de Bernard ).

Après plusieurs lieux de séjour, elle se réfugiera dans les Pyrénées où elle vivra sous une fausse identité.

A la Libération, elle reprendra son métier d’avocate et poursuivra ses combats pour les droits des femmes.

Yvonne Netter a écrit plusieurs ouvrages sur la cause des femmes et leurs droits.

Elle décède en 1985.


Parmi le personnel médical...

La plupart des personnels médicaux juifs et non juifs ayant soigné et assisté les détenus dans les infirmeries ou hôpitaux de Pithiviers et Beaune la Rolande, se dévouèrent pour alléger leurs souffrances, particulièrement celles des enfants.

Citons parmi eux :


Adelaïde Hautval :

Médecin psychiatre, protestante, internée à Pithiviers, car accusée d’être « une amie des juifs ». Elle se dévouera au service des femmes et enfants raflés du Veld’Hiv.

Elle sera déportée dans le tristement connu convoi des 31 000, du 24 janvier 1943, emportant 230 détenues politiques françaises à Auschwitz.

A son retour de déportation, elle poursuivra son combat pour la dignité humaine.

Annette Monod :

Elle est la fille d’un pasteur de l’Aisne.

Après de premières expériences dans les services sociaux, elle devient assistante sociale à la Croix-Rouge au début de la guerre.

Elle va s’occuper à Beaune la Rolande des détenus juifs « du billet vert ». Puis, elle sera une des rares assistantes sociales autorisées à pénétrer dans le Veld’Hiv.

Elle revient à Beaune la Rolande s’occuper des familles du Veld’Hiv.

Elle sera admirable de dévouement, notamment pour les enfants, en recherchant inlassablement de la nourriture supplémentaire.

Elle est de ceux qui comprendront que ce qu’on faisait subir aux juifs dans les camps du Loiret, était une étape de leur extermination dans la « solution finale ».

Elle va occuper de nombreuses fonctions sociales, notamment dans les prisons.

En 1945, elle dirigera le service d’accueil des déportés au Lutetia.

Elle décédera à 86 ans en 1995.

Henri Russak

Né en Pologne, il vient faire ses études de médecine en France en 1931.

A la déclaration de guerre, il s’engage dans la Légion Étrangère puis à sa démobilisation, il reprend son poste à l’hôpital St. Antoine.

Il fera partie, le 14 mai 1941, des raflés du « billet vert » ( le papier des convocations dans les commissariats était vert ) et interné à Pithiviers.

Il est affecté à l’infirmerie du camp.

Son dévouement est admirable. Il accompagnera en août 1942 une partie des enfants du Veld’Hiv à Drancy.

Et, il sera déporté à son tour, le 23 septembre 1942. Il sera un des 26 survivants de son convoi.

A son retour de déportation, il reprendra ses activités de médecin.


Madeleine Rolland 

( dont parle Bernard ) :

Assistante Sociale de la Croix-Rouge au camp de Pithiviers durant la guerre.

Elle passe ses journées et ses nuits au camp et à l’extérieur pour soulager les enfants et résoudre leurs problèmes.

Elle va solliciter de la nourriture auprès des particuliers et des entreprises comme les biscuiteries Gringoire.

Elle sauvera une petite fille juive de la déportation.

Elle sera suspecte aux yeux des Occupants qui la feront surveiller.

Elle sera suspecte aux yeux des Occupants qui la feront surveiller.

Puis, à la fermeture du camp, elle devient assistante sociale de la ville et se dévoue au service des personnes démunies.

Elle décède en 1964.

Un dossier devrait être constitué par le CERCIL et l’Association Mémoires du Convoi n°6 pour lui faire attribuer le titre de « Gardien de la vie »

Le Dr. Cabanis :

Il est issu d’une famille protestante.

Il a la vocation d’une carrière médicale et sera médecin auxiliaire durant la guerre de 14-18.

Puis, à l’hôtel Dieu à Paris. Il épouse une jeune fille d’origine juive.

Installé à Beaune la Rolande, il en devient le maire en 1935 puis député sous l’étiquette radicale.

Il fera passer sa femme en zone « libre ».

Il sera le médecin chef de l’hôpital de Beaune.

Les Allemands obtiendront que le gouvernement de Vichy le force à démissionner de ses fonctions de maire.

Le Dr. Cabanis, malgré de multiples tracasseries des Occupants, soignera et portera secours à de nombreux internés juifs du camp, ainsi qu’aux Résistants.

Il sera aidé par les sœurs de l’hôpital de Beaune, notamment la sœur Marie-Raphaëlle que les Allemands feront renvoyer dans son couvent à Tours.

Il décède d’une crise cardiaque en 1944. Il sera décoré à titre posthume de la médaille de la Résistance.

Le Dr. Gautier ( qui a soigné Bernard ) :

Il était médecin à Pithiviers.

Puis, médecin-chef de l’hôpital de Pithiviers et du camp.

Il ne semble pas s’être beaucoup impliqué dans ses fonctions au camp.

Des témoins relèvent « qu’il y passait simplement en coup de vent pour faire le point ».

Son nom n’est pas attaché à des signes d’aide et de compassion à l’égard des détenus juifs !


Pour l’heure, je n’ai pas trouvé d’informations sur les Soeurs qui ont soigné Bernard.