L’Epuration à Montrichard :

La famille Avrillon

Le Gouvernement Provisoire de la République Française ( GPRF ) met en place un système d'épuration pour sanctionner les faits de collaboration, à partir de Juin 1944.

Cette épuration officielle fut précédée dans la dernière phase de libération du territoire de ce qu'on a appelé "l'épuration sauvage" durant laquelle des résistants firent justice eux-mêmes. Elle fut de courte durée et le nombre de victimes limité.

Une double procédure complémentaire est instituée :

  - une procédure administrative sous l'autorité du Préfet : enquêtes, placements en résidence surveillée, internements en camp spécialisé, etc.

  - une procédure judiciaire avec les Cours de Justice pour juger des cas les plus lourds et des Chambres Civiques qui elles prononcent l'incrimination d'indignité nationale.

Une Commission de Criblage donnait son avis sur les cas dont elle était saisie.

Onze mois de procédures

Ils vont traduire des changements de positionnement des instances de l’épuration sur le dossier Avrillon.

3 septembre 1944 : arrestation par les FFI

Le 3 septembre, le Comité de Libération de la ville « exprime sa volonté formelle d’éviter toutes représailles directes sur la personne des habitants de Montrichard étiquetés comme collaborateurs ».

Pour ce faire, l’ordre est donné aux FFI de les arrêter, de les envoyer à Blois où ils seront incarcérés dans l’attente d’éventuelles poursuites par les autorités judiciaires mises en place pour trouver les collaborateurs, instruire les dossiers et les juger.

C’est le cas de la famille Avrillon.

Marcel Avrillon et sa femme tenaient depuis quelques années une triperie à Montrichard.

Le 29 septembre 1943, Avrillon avait mis son épouse et sa fille unique à la porte du domicile familial. Il y avait vécu quelques temps avec sa jeune maîtresse, puis s’était installé à St. Georges en avril 1944.

Il dira que Lecoz, chef du maquis du même nom, viendra l’enrôler de force fin juillet. Il participera ainsi à la bataille de la libération de Loches et y sera blessé (1).

Il revient à Montrichard le jour même de la libération de la ville.

Madame Avrillon, restée à Montrichard avec sa fille, avait acheté un bateau-lavoir et réalisait des travaux de blanchisserie.

Monique Fermé se souvient que les deux femmes venaient s’abriter dans leurs vastes caves qui accueillaient environ 90 personnes lors des alertes des derniers semaines de la guerre (2)


Dès septembre, une libération rapide

Marcel Avrillon ne sera retenu que quelques jours et libéré sans poursuites.

Georges Fermé qui le croisera dans Montrichard lui assènera une belle paire de claques, se remémore sa fille ! (3)

Avrillon liquide alors son mobilier à St. Georges et part s’installer avec sa compagne, on ne sait où à ce moment là.

Il est mis fin à l’internement administratif de Mme. Avrillon le 19 septembre, puis à celui de sa fille le 22 du même mois.

Elles sont astreintes à résidence à Blois.

Une partie importante de l’opinion publique dans le pays, particulièrement celle qui se sent proche de la Résistance, s’émeut de ce qu’elle considère comme une attitude complaisante et laxiste de la Justice à l’égard des collaborateurs.

Il en est de même à Montrichard.

Aussi, le 20 novembre, le Comité de Libération de Montrichard envoie au Préfet une motion de protestation contre la mise en liberté de collaborateurs arrêtés et demande leur éloignement.

Cette vigoureuse prise de position du CLL ne doit pas être étrangère à la décision du 21 décembre de la Commission de Criblage d’entreprendre une enquête « sur les agissements anti-nationaux » de la famille Avrillon.

Le Comité Départemental de Libération et d'autres Comités locaux s'insurgeaient d'ailleurs aussi sur les lenteurs et ce qu'ils estimaient des positions indulgentes des instances de l’épuration.

En décembre, la reprise de l’instruction

Dès le 21 décembre 1944, le Préfet prononce un nouvel internement de Mme. Avrillon et demande à son collègue d’Indre et Loire son transfert à Blois. Elle travaillait en effet alors à Tours dans un service relevant de l’Armée.

Ce qui avait soulevé bien des interrogations à Montrichard sur les protections dont elle semblait bénéficier !

Marcel Avrillon est lui activement recherché.

Leur fille est laissée en liberté durant l’instruction. Elle occupait un emploi de dactylo dans une entreprise à Tours.

10 janvier 1945, nouvelle détention de Mme. Avrillon

Mme. Avrillon est arrêtée sur son lieu de travail le 10 janvier et incarcérée à Blois.

Une nouvelle série d’interrogatoires des intéressés et de témoins, après ceux de septembre 1944, va être à nouveau menée.

Ce qui suscitera incompréhension et colère de la part de plusieurs témoins qui trouvent aberrant d’avoir à redire ce qui été archi-explicité sur le comportement des Avrillon durant l’Occupation.

Le 31 mars 1945, le dossier de Mme. Avrillon est transmis par le Préfet, sur proposition de la Commission de Criblage au Commissaire de la République d’Orléans pour saisine de la Cour de Justice, section de Blois,.

21 mai 1945 : fin de la cavale d’Avrillon

Les gendarmes vont finir par le retrouver. Comme toujours dans ce type de situation, il avait été signalé à plusieurs endroits !

En fait, il demeurait au Bourget, aujourd’hui en Seine St. Denis, chez la mère de sa compagne.

Il est ramené dans le Loir et Cher et placé en internement administratif, en application de l’arrêté du Préfet du 2 février précédent.


7 août 1945 : le procès de la famille Avrillon

Des accusations concordantes  

Les trois seront jugés ensemble en raison de l’interdépendance des faits et des accusations.

Par deux fois donc, de nombreux témoins ont été interrogés : des voisins, des témoins visuels de leurs agissements, parmi eux des Résistants, des élus municipaux, des membres du CLL.

On relève entre autres : Marius Bigot, nouveau maire ; Denis Lorillard, adjoint au maire ; Georges Fermé ; Pierre Rousseau, un des commissaires du CLL ; Edouard Hippeau, percepteur-receveur, etc.

Leurs témoignages concordent unanimement.


Une surveillance vigilante des personnes

Les Avrillon exerçaient une surveillance permanente de la population notamment ceux qu’ils soupçonnaient de positions anti-allemandes, voire d’activités de Résistance.

Ce fut particulièrement le cas pour la maison des Fermé que Marcel Avrillon surveillait des heures entières ou l’Hôtel du Courrier qui servait de refuge à des prisonniers évadés et à des Juifs, candidats au passage de la Ligne de Démarcation (4).

Il prenait en filature, notamment les jours de marché fréquentés par la majeure partie de la population, l’adjudant gendarme Mouchoux, pour écouter ses conversations, soupçonné qu’il était de fournir des informations à la Résistance (5).

Les jours où les jeunes étaient convoqués en mairie pour les démarches préalables à leur envoi en STO, il venait tenter de les convaincre de partir en Allemagne et espionnait leurs conversations.

Mme. Avrillon et sa fille étaient, la plupart du temps, présentes aux arrivées des trains et des cars et repéraient les voyageurs inconnus, dont l’essentiel venait à Montrichard dans l’espoir de trouver un passeur.

Une fréquentation assidue des Allemands

Les Avrillon recevaient de manière régulière des Allemands chez eux.

L’interprète d’origine alsacienne de la Kommandantur, une certaine Lehmann, avait été logée un temps chez eux. Puis elle y prenait ses repas, souvent en compagnie du chef des douaniers allemands dont l’opinion publique disait qu’elle avait une relation avec lui. Cette femme était crainte par la population qui la taxait « d’espionne » des Allemands, plus particulièrement des services de la Gestapo (6).

La « femme Lehmann » était devenue l’amie intime de Mme. Avrillon.

Les dames Avrillon avait des places réservées au cinéma ( au premier étage avec les Allemands ) par les bons soins de la Kommandantur.

La famille assistait aux fêtes et cérémonies, toujours aux côtés des Occupants.

La fille Avrillon se fiancera en 1943 avec un soldat allemand.

Un train de vie suspect

Les Avrillon menaient un train de vie qui a vite interpellé la population.

Il était sans commune mesure avec les revenus de leur commerce. D’autant que la vente de la triperie était contingentée, ce qui limitait les ventes.

Les deux femmes étaient toujours très élégamment habillées et coiffées.  

Les Avrillon tenaient table ouverte en cette période de rationnement et restrictions où le recours au marché noir coûteux était incontournable pour bien des produits.

Pour la population, c’était l’argent versé par les Allemands pour les renseignements fournis, qui leur assurait ce niveau de vie.

Cette suspicion était renforcée par de mystérieux voyages hebdomadaires de Mme. Avrillon à Tours.

Un couple violemment conflictuel

Au-delà de leur vie privée qui ne regardait qu’eux, cette situation va avoir des conséquences sur le procès car elle va entacher les faits par le doute quant à des règlements de compte familiaux.

Plusieurs témoins rapporteront en effet, avoir entendu lors d’une des nombreuses disputes du couple, Mme. Avrillon accuser son mari d’avoir dénoncé des patriotes et notamment des passeurs, comme elle l’accusera d’être le responsable de la Milice locale et d'être membre du RNP. Le chef départemental Rogilski serait venu tenir une réunion à leur domicile (7).

Marcel Avrillon lui reprochera de lui avoir imposé la présence des Allemands chez eux et décidé de fiancer leur fille à ce soldat allemand.

Leur fille portera les mêmes accusations sur sa mère.

Des témoins comme Pierre Rousseau et Georges Fermé demanderont en vain une confrontation entre les époux.


Le fait qui va déterminer l’échelle des sanctions pour les Avrillon

Les témoins reconnaitront avec honnêteté qu'ils ne peuvent pas apporter la preuve de dénonciations de patriotes par les Avrillon, bien que ce soit leur intime conviction.

Or, c'étaient les actes susceptibles d’entraîner des représailles sur des français qui étaient les plus gravement punis.

Un fait de cette nature va toutefois être retenu par la Cour de Justice à l’encontre de Mme. Avrillon.


L'affaire du jeune Tréméac

Le 3 mai mai 1942, Mme. Avrillon sa fille et leur amie Lehmann se promènent sur le pont de Montrichard. ,

Elles y croisent un groupe de jeunes dont Jean Tréméac qui les reconnaissent et se mettent à les brocarder.

Elles les somment de s’arrêter. Ils répliquent en entonnant la Madelon et la Marseillaise.

C’est alors que Mme. Avrillon s’approche du poste des douaniers allemands et leur désigne du doigt le jeune Trémeac, dont les opinions gaullistes sont par ailleurs connues.

Les allemands se saisissent de lui, l’amènent dans leur guérite et le rouent de coups.

Puis, ils le relâchent avec ordre de revenir sans faute le lendemain matin.

Le soir même, Jean Tréméac passera la Ligne de Démarcation.

Mme. Avrillon niera cette accusation et soutiendra que c’était Lehmann qui l’avait désigné.

Les témoins seront formels en confirmant, détails à l’appui, que c’était bien Mme. Avrillon.


Un verdict différencié

Marcel Avrillon :

Il est acquitté ; déclaré en état d’indignité nationale ; condamné à la dégradation nationale à vie ;

ses biens présents et à venir sont confisqués : il est interdit pendant dix ans de séjour en Loir et Cher et les départements limitrophes ; il doit s’acquitter du paiement des frais à l’Etat.

La fille Avrillon :

Elle est aussi acquittée. Les peines sont les mêmes que celles de son père mais avec une durée limitée à 10 ans pour la dégradation nationale.

Mme. Avrillon :

Elle est condamnée à 5 ans de prison et aux mêmes peines que son mari, sauf l’état d’indignité nationale puisqu’elle est déjà frappée d’une peine de prison ferme.

Le 4 août 1945, la Cour d’Appel d’Orléans rejette le pourvoi de Mme. Avrillon.

Le 12 mars 1948, elle sera mise en liberté conditionnelle pour une peine devant s’achever normalement le 26 juin 1950 et le 5 mai de la même année, le Président du Conseil réduira la durée officielle de sa peine de un an.

Dès le 15 décembre 1945, la fille Avrillon bénéficiait, elle, de la remise de l’interdiction de séjour.

Aucune mesure de réduction de peines ne semble avoir été prise en faveur de Marcel Avrillon.


Le couple va divorcer.

Marcel Avrillon s’installera dans le Nord de la France, se remariera deux fois et décédera en 1976.

Mme. Avrillon se remariera aussi deux fois.

Leur fille fera, comme on dit, sa vie.


Ce jugement laissera un goût amer aux Résistants de Montrichard qui le vécurent comme trop clément, mais surtout comme une atteinte à la mémoire des souffrances des arrêtés, emprisonnés, déportés et morts pour avoir refusé l'occupation de leur pays.

Il alimentera le débat, non achevé d’ailleurs, sur la mise en œuvre de l’épuration à la Libération.


                                                                     

  Thérèse GALLO-VILLA

PS : les archives de l’épuration sont depuis ces dernières années ouvertes à la consultation. La famille Avrillon n’a pas de descendance locale. Mais traiter de l’épuration demeure un sujet sensible. J’ai donc volontairement omis des éléments qui n’étaient pas indispensables à l’exposé de ce dossier, notamment portant sur des données d'Etat-Civil ou sur des personnes collatérales.


Notes :


(1) le maquis Lecoz fut un « maquis noir », c’est dire que son chef, de son vrai nom Georges Dubosq, s'en serait de couverture pour organiser des pillages et des rackets à des fins d’enrichissement personnel. Il se livra à des tortures et assassinats à coté d’actions combattives sur le terrains. Lecoz sera condamné à être fusillé en 1946 et ses recrues, très jeunes pour la plupart, ne seront pas tenues responsables des exactions de leurs chefs.  

(2) Fille du couple de résistants Georges et Henriette Fermé ; c’est elle qui vit arriver la voiture de la Gestapo, une Citroen aux roues jaunes : elle courut avertir son père.

(3) Georges Fermé, négociant en épicerie, était le chef du groupe de Montrichard du Réseau Adolphe/SOE qui tomba en juin 1943. Il réussit à s’enfuir, rejoindra le maquis Nord/Indre où il y sera le lieutenant André. Sa femme sera arrêtée, déportée à Ravensbruck et reviendra en 1945. Son employé, Guy Mercier, membre du groupe, mourra en déportation.

(4) Son propriétaire est arrêté dans la nuit du 31 juillet/1er août 1942 pour « aide au passage de la Ligne » lors de la rafle des juifs à Montrichard. Il sera condamné à une courte peine de prison.

(5) Mouchoux travaillait avec le groupe Fermé et passait effectivement des informations aux familles dont les jeunes allaient être requis pour le STO, aux résistants sur les mouvements des garnisons allemandes, etc.

(6) Elle disparaitra de Montrichard quelques jours avant la libération de la ville.

(7) Le Rassemblement National Populaire, parti fasciste et collaborationniste, fondé par Marcel Déat.



Sources et documentation :


Aux ADLC : 1652 W 21 et 22 ; 1375 W 141 ; 602 W 11 et 17

Archives du Docteur Phélebon.

Articles de Edouard Hippeau : « Montrichard pendant la guerre ( 1939-1945 ) », « Montrichard sous l’Occupation ( 1940-1944 ) » et « Montrichard à la Libération ( 1944-1945 ) », parus dans le Bulletin des Amis du Vieux Montrichard

Interview de Monique Fermé.

Site de Bernard Lefresne pour son étude sur l'épuration en Loir et Cher : www.histoire-41.fr

Site de l’auteure avec plusieurs études sur des thèmes traités dans cet article : www.tharva.fr