La Révolution et les péripéties du Bail de la Ferme Générale de la terre du Gué-Péan : 10 janvier 1787-19 mars 1808.
Le 10 janvier 1787, René Michel Amelot, « « chevalier, seigneur du Gué-Péan, du Vau de Choussy, Monthou-sur-Cher et autres lieux, capitaine du régiment du Roi-Cavalerie », baille à ferme sa seigneurie à Pierre-Quentin Girard de Bourré.
Elle s’étend sur les paroisses de Monthou-sur-Cher, Thésée, Choussy. Mais elle percevait aussi des droits sur St. Romain et Noyers-sur-Cher.
René Michel Amelot possède d’autres biens mais qui ne sont pas directement inclus dans cette seigneurie comme le fief du Colombier à Couffy.
La seigneurie du Gué-Péan avait déjà été baillée à ferme plusieurs fois, totalement ou partiellement, sous les Alamant.
Passée en 1676 aux mains du couple François de la Mothe-Villebret et Louise Gabrielle de Malot du Bousquet, elle entre dans la famille des Etampes de Valençay par la donation qu’elle en fait en 1715, à son fils Henry-Hubert, issu de sa seconde union en 1684, avec Jean Hippolyte d’Etampes de Valençay, lors du mariage de celui-ci avec Marie Philiberte Amelot (1).
Ces deux « dames » du Gué-Péan vont faire du Château du Gué-Péan leur résidence principale, avec des séjours à celui de Valençay, objet d’un âpre procès qui durera des dizaines d’années avec la branche issue d’un des frères de Jean-Hippolyte.
Aussi, elles administrent en direct leur seigneurie du Gué-Péan avec le notaire-procureur fiscal et les officiers dépendant de la seigneurie qui possède les droits de basse, moyenne et haute justice.
Les différentes composantes de la seigneurie font l’objet de baux à ferme spécifiques ( les métairies, le moulin, le four banal, les près, les coupes de bois, etc. ) sur lesquelles les preneurs s’acquittent aussi des droits seigneuriaux et féodaux comme les tenanciers des terres soumises au cens relevant du « censif » de la seigneurie.
Veuve en 1734, Marie-Philiberte Amelot s’était installée au Gué-Péan de manière quasi permanente à partir de 1747.
Elle décède en 1770 et elle avait désigné son jeune frère Michel René, seigneur de Châteauneuf-sur-Sarthe, comme héritier de sa seigneurie du Gué-Péan. Il décède à son tour, en 1773.
Il a trois fils, Denis-Jean Conseiller au Parlement de Paris, Sébastien Evêque de Vannes et René Michel, Capitaine d’un régiment royal. Il demande à ses deux autres fils, que la seigneurie du Gué-Péan ne soit pas morcelée et revienne au plus jeune, René Michel.
La seigneurie a bien changé depuis le XVIe siècle ( cf. voir bibliographie )
La monarchie n’a eu de cesse d’en réduire les droits et pouvoirs, pour affaiblir le rôle politique du second ordre, celui de la noblesse.
Les politiques royales tendent, mesure par mesure, à unifier les législations alors que les diversités caractérisent toujours les droits seigneuriaux et les coutumes locales.
Les seigneurs eux aussi ont changé.
Ils aspirent à habiter en ville, sans parler de la noblesse de cour qui se concentre à Versailles. Nombreux sont ceux qui s’adonnent au commerce, aux spéculations et investissements divers.
Au XVIIIe siècle, la ferme et tout particulièrement la ferme générale, se généralise comme mode de gestion des seigneuries.
Ce sont de véritables hommes d’affaires qui deviennent maintenant ces fermiers généraux de seigneurie, y compris dans nos paroisses rurales. Ils se font assister de sous-fermiers et de commis.
Un triple mouvement s’est ainsi amorcé dans le siècle : ces fermiers de seigneuries se rapprochent du statut de la noblesse, la noblesse a de plus en plus de caractéristiques communes avec le Tiers-Etat et surtout la gestion des seigneuries devient une activité économique comme une autre, fondée sur les principes capitalistes.
Seigneurs et fermiers trouvent leur compte dans ces baux à ferme générale.
Ils assurent au seigneur un revenu fixe, payé à échéances régulières et les déchargent de toute contrainte de gestion.
Ils ouvrent au fermier l’espoir de profits non négligeables, estimés généralement à environ 30-40% en plus du prix du bail.
Le seigneur peut exclure de la ferme générale un certain nombre de droits, sources de revenus et la jouissance de certains locaux et lieux dont ils se réservent l’usage.
Mais comme nous le verrons, ces fermes générales sont aussi source de conflits et de contentieux.
Ce bail, et à cette date, est un vrai coup de projecteur sur le fonctionnement au quotidien d’une seigneurie, surtout dans sa dimension économique.
Ainsi, il éclaire les droits seigneuriaux, les rapports du seigneur avec un de ses principaux subordonnés et permet de mieux comprendre concrètement les fondements des bouleversements de 1789.
Ce document de plusieurs pages n’est ni daté, ni signé. Il a été rédigé à n’en pas douter dans les dernières années avant 1789 (2).
Il a les caractéristiques d’un inventaire des biens et revenus du Gué-Péan et des potentialités d’extension de ces revenus. Il fait même des suggestions comme par exemple développer la plantation de vignes à la Jamblonnière.
Il passe en revue toutes les rubriques que doit contenir une ferme générale (ou une vente).
En clair, il ressemble à une étude préalable à une vente ou un bail pour faire connaitre la terre du Gué-Péan et rechercher des personnes intéressées en mettant en avant les atouts de cette terre.
Il est exclu ( la suite de l’histoire du Gué-péan en atteste), que René Michel Amelot ait envisagé de vendre. Cette étude apparait bien préalable et préparatoire à un bail.
Il est possible que ce soit Girard qui l’ait sollicitée auprès de celui qui connaissait le mieux la seigneurie, Jean Lambert Lecomte, le notaire et procureur fiscal du Gué-péan. L’écriture ressemble à la sienne ; soit René-Michel Amelot pour trouver des preneurs.
Ainsi, ce mémoire chiffre les revenus de la seigneurie, à 11105 livres, les charges à 1700, ce qui assurerait un revenu net de 9405 livres.
En 1787, Pierre Quentin Girard est déjà fermier de la seigneurie de Bourré ( encore appelé Bonroy ), appartenant à la marquise de Poulpry (3).
Il est représentatif de ce tiers-Etat qui va allier activités économiques et alliances matrimoniales pour se constituer « un matelas » financier suffisant à assurer sa promotion sociale.
Les Girard sont originaires de Chisseaux ( dans l’Indre et Loire ) et de Chissay ( en Loir et Cher ).
Avant la Révolution, ces paroisses tout comme Montrichard, St. Georges et Bourré appartenaient à la Généralité de Tours.
De même, il faut avoir à l’esprit que Monthou-sur-Cher, qui appartenait à la Généralité d’Orléans, allait jusqu’à quasiment l’actuelle place de Bourré.
De très importantes carrières de pierres de tuffeau dans le coteau et des tuileries au bord du Cher se trouvaient précisément sur cette partie de Monthou jusqu’aux Vaublins (4).
Pierre Quentin Girard est né à Saint-Quentin sur Indrois ( Indre et Loire ) le 13 mars 1762.
Son père, qualifié de marchand tonnelier au moment de son mariage, y épouse le 29 août 1758, une jeune veuve de cette paroisse, Marie Ruby, dont le père était laboureur. Son demi-frère Louis Blanchy est son parrain.
Lors de sa naissance, son père exerce la profession d’aubergiste à St. Quentin.
Lorsque le 20 janvier 1784, il se marie à Bourré, lui et ses parents demeurent à Murs ( Indre ). Ils sont qualifiés de marchands ; sa mère, absente, lui a donné son contentement par procuration car Pierre Quentin est encore mineur.
Il va avoir 22 ans et la majorité des garçons était alors fixée à 25 ans.
Il épouse Louise Marguerite Archambault, son ainée de 5 ans. Louise Marguerite appartient à la dynastie des Archambault qui sont, depuis des générations, des voituriers sur eau à St.Georges. A ce titre, ils ont sûrement travaillé avec les Girard de Chissay qui se trouve en face de St.Georges sur la rive droite du Cher, pour véhiculer leurs tonneaux.
Son grand-père, un autre Gabriel Archambault, avait épousé Anne Rivon dont le père était un des principaux tuiliers de Monthou. Il était venu s’installer à Bourré et à son tour exerce le métier de tuilier et aussi de marchand de pierres.
Les liens entre les Archambault des deux cotés du Cher demeureront ininterrompus en liaison avec leurs activités de transports des tuiles, des pierres.
Mais Pierre Quentin a lui aussi des liens avec Bourré et les Archambault.
Un de ses cousins avait épousé Marie Rivon, la soeur de Anne Rivon, et s’était installé à Bourré comme tuilier.
En 1772, Gabriel Archambault devient fermier général de la seigneurie de Bourré, achetée peu avant par la marquise de Poulpry. Le bail lui sera renouvelé en 1777. Il décède le 21 novembre 1783.
La succession de Gabriel Archambault a lieu le 18 janvier 1784 : sa fille Louise Marguerite tire au sort le lot qui est accompagné du temps restant du bail de la seigneurie de Bonroy.
Le lendemain 19, c’est la signature du contrat de mariage. Ainsi, Girard prend le relais de feu son beau-père (5).
Le bail a du lui être renouvelé puisque à 25 ans, en 1787, il cumule donc deux fermes générales de deux seigneuries proches, seulement séparées par la seigneurie de Champhlé qui est subordonnée à celle du Gué-Péan et le fief de la Salle de Vineuil relevant de la seigneurie d’Angé, toutes deux sur le territoire de Monthou.
Les métairies :
Et « généralement tout ce qui fait partie de la terre et seigneurie du Gué-Péan ».
il est rappelé que 15 arpents 1/4 ont été baillés ( un arpent correspondait en gros à 1/2 hectare, mais il y avait des différences suivant régions et coutumes ).
On relèvera la précision et le nombre important des charges et contraintes qui pèsent sur les preneurs. Comme la présence, déjà, d’une réglementation royale bien assise pour les forêts. La production de bois était essentielle pour l’économie et toutes les formes de constructions, en particulier navales.
Le seigneur exige des prestations et des productions pour son alimentation, son chauffage, ses chevaux et ses propres cultures.
On ne peut s’empêcher de penser que les potentialités de rentabilité de ce type d’exploitation agricole et forestière devaient être attractives pour que dépenses et rentrées d’argent dégagent un bénéfice intéressant pour les preneurs, outre le prestige social qui s’attachait à la fonction de fermier d’une seigneurie.
Le prix de la ferme rapporté aux estimations de bénéfices du mémoire instructif confirme bien un profit de l’ordre de 40%.
D’autant qu’il faut avoir à l’esprit toute la pyramide des sous-fermiers, des baux à ferme de toutes natures pour la multitude des productions et activités concernées.
On mesure bien que c’étaient ceux qui se trouvaient en bout de course, en bas, de ce système féodal, sur lesquels pesaient les efforts de productivité demandés et les augmentations des taxes et autres.
Sans parler, ne soyons pas naïfs, de la « triche » dans les quantités exigées soit pour arrondir les bénéfices, soit pour se soustraire aux prélèvements.
Pierre Quentin Girard et sa femme « promettent et s’obligent solidairement l’un pour l’autre, un seul pour le tout, sans division ni discussion » à payer chaque année, en argent, la somme de six mille cinq cents livres ( 6 500 ) au seigneur ou à son chargé d’affaires ou au porteur de la « grosse de leur bail » ( la grosse était la copie d’un acte notarié ).
Cette somme sera payée en deux fois de six mois en six mois ; la première aura lieu le jour de Noel 1787 et la seconde, à la St. Jean Baptiste suivante ( le 24 juin ), et ainsi de suite.
René Michel Amelot aura aussi la possibilité de tirer des lettres de changes sur les preneurs aux échéances.
Les preneurs ont présenté « à instance » ( ici au sens de suite à une sollicitation pressante ) deux personnes :
Il est marchand-fermier, demeurant toujours à Murs ( Indre ). Il est maintenant détenteur de la ferme de la terre et seigneurie d’Allogny.
Il a assisté à la rédaction du bail. On lui en redonne lecture. Il s’oblige à en accepter toutes les conditions et charges sans discussion.
« En outre, pour plus grande sûreté », il lui est demandé « de faire ratifier et s’obliger son épouse Anne Ruby » qui doit se porter solidaire de son mari. Cette ratification par Marie Ruby sera à leurs frais et la grosse devra en être remise au seigneur.
Il est tuilier et c’est le neveu de Pierre Quentin, fils d’une soeur de sa femme. Il certifie qu’André Girard est « servable » ( en état de s’acquitter du cautionnement ). Lui aussi s’oblige à se porter solidaire des preneurs et du couple Girard, là encore « pour la plus grande sûreté » du seigneur.
Michel René Amelot leur demande de faire acter devant notaire cette certification et ce cautionnement solidaire des preneurs, de Girard père et de Pierre Péan. Les preneurs en assumeront les frais.
Les preneurs, en plus, ont payé au seigneur « pour pot de vin en argent, six cents livres ». René Michel Amelot les a « compté, reçu et serré dont quittance » ( la pratique du pot de vin n’était pas illégale à cette époque ; il s’agissait d’une sorte de gratification pour remercier quelqu’un ).
Enfin, les preneurs s’obligent ( au sens de assujettir ) sur tous leurs biens meubles et immeubles présents et avenir.
Le bail conclu pour neuf ans prendra effet à la St. jean-Baptiste 1787 et s’achèvera le même jour en 1796.
Cet acte du 10 janvier 1787 a été passé au château du Gué-Péan par Jean Lambert Lecomte, le notaire du Gué-Péan.
Plusieurs témoins étaient présents : Côme Dubois, tonnelier ; Jean Ferragu, cuisinier ( au château ) ; Jean Auger, sergent ( un de ces officiers de la Justice du Gué-Péan ).
Suivent les signatures de toutes les parties et témoins, sauf celle de Dubois qui ne sait pas signer.
L’acte a été controlé par l’administration fiscale, le 25 janvier 1787, à Montrichard.
Il s’agit d’un acte sous seing privé, établi par Jacques Lambert Lecomte, le notaire du gué-Péan.
Il intervient à la demande de René-Michel Amelot.
Girard aura aussi la jouissance de l’écurie lorsqu’il vient au Gué-Péan mais « il doit laisser la clef en son absence » ( renvoi écrit de la main du seigneur )
Toutes les autres charges, clauses et conditions du bail général subsistent.
René Michel Amelot consent à déduire 300 livres du prix annuel du bail en deux fois de 150 livres à chaque terme prévu ; le premier intervenant à la St. Jean 1789.
De sa main, le seigneur a jouté à la fin du texte :
« le fermier n’entendant fournir de paille que les bestiaux du seigneur, tant chevaux que vaches, il sera fait deux tas de fumier séparés dont le fermier mettra le sien devant l’écurie des chevaux et celui des étrangers dans un lieu que le seigneur choisira dans la dite cour pour apparaitre à chacun à qui il appartient »..
Les deux parties signent sous « approuvé l’écrit ci-dessus et les renvois ».
Cet avenant intervenant un an et demi environ après l’entée en vigueur de la ferme générale témoigne de difficultés de mise en oeuvre et de frictions.
René Michel s’est marié fin 1787 avec Marie-Amélie de Luker, dont la famille habite Beaugency. Son oncle était l’abbé commendataire de l’Abbaye. Son père est un ancien militaire.
De plus, René Michel est « réformé » depuis mai 1788, c’est à dire qu’il n’a pas été retenu ou n’a voulu l’être, pour la constitution annuelle des armées royales. Il a presque 40 ans. Il séjourne probablement plus souvent au Gué-Péan que lorsqu’il était aux armées et casernait en province. Il doit aussi y recevoir plus d’invités,« les étrangers », famille de son épouse et amis.
Il souhaite de toute évidence récupérer des parties prolongeant le château et qui lui sont maintenant utiles ( jardin, potager, Basse-Cour ).
Il en profite pour décharger Girard de tâches administratives touchant le calcul ses droits seigneuriaux ( mais pas le montant de sa perception ) qui ont dû poser problème ou de l’entretien des officiers.
On relèvera que les pacages et les fumiers tiennent quasiment une place centrale dans cet avenant.
L’élevage devait être une source importante des revenus agricoles de la seigneurie et le fumier est essentiel pour la fertilité des sols.
Enfin, les dispositions concernant l’hébergement de Pierre Quentin Girard sont révélatrices de la volonté de René Michel de voir son fermier maintenu à «
sa place » de subalterne.
Il s’agit à nouveau d’un acte sous seing privé, dont le rédacteur n’est pas spécifié, fait au château du Gué-Péan.
C’est un accord entre les deux hommes pour mettre fin aux procédures en cours auprès du bailliage de St. Aignan.
La situation s’est donc détériorée au point d’avoir eu recours à la justice royale.
Des demandes ont été introduites par requêtes (demande écrite présentée devant une juridiction ) et exploits ( acte judiciaire remis par un huissier ) des 7,9 et 18 décembre 1789, tant pour ce qui concerne la ferme du Gué-Péan que pour les accessoires ( il s’agit d’un bien, d’une valeur, d’une prestation qui accompagne un droit principal )».
Ces « instances sont pendantes et indécises au bailliage ».
Le texte ne détaille pas les griefs des deux parties.
Nous apprenons seulement, qu’avec leurs deux conseils, ils ont examiné les pièces relatives à ces deux instances et fait le calcul de « toutes les répétitions l’un par rapport à l’autre » ( la répétition est le droit qui appartient à quelqu’un d’obtenir le remboursement de la valeur dont un autre s’est injustement enrichi à ses dépens ).
En d’autres termes, ils s’accusent réciproquement de malversations !
Mais finalement, ils se sont trouvés quittes des fermages échus jusqu’au terme de Noel dernier.
Le payement de la ferme ne commençant donc qu’au jour de Noel 1789.
Sur les 3100 livres dues à cette date au seigneur, Girard en a déjà payé de plusieurs manières une partie. Il ne lui reste que 998 livres à verser qu’il s’engage à payer à la mi-Carême 1790.
Il sera déduit 100 livres par chacune des parties sur les fermages à échoir pour tenir compte des dégâts provoqués par la gelée de l’hiver 1789 ( qui fut terrible pour les hommes, bêtes et récoltes ; il provoquera une crise frumentaire qui a été un accélérateur du mécontentement populaire à la veille des Etats Généraux).
Jusqu’au terme de Noel 1789, les dépens faits entre eux seront mutualisés et payés par moitié chacun ; les quittances des paiements seront elles annulées.
Les deux parties renoncent à toute autre demande entre eux notamment Girard « pour les pertes occasionnées par la gelée, les arbres morts et le défaut de mesure des près ». Il consent aussi à ce qu’une instance en cours contre le fermier de Brault soit « assoupie » et que les frais engagés soient inclus dans les dépens généraux.
Les évènements révolutionnaires en cours ont-ils incité les deux protagonistes à enterrer la hache de guerre ? On peut le penser. Pourtant, pour eux, un nouveau chapitre complexe vient de s’ouvrir.
Contrairement à une idée bien ancrée, la nuit du 4 août 1789 n’a pas supprimé tous les droits féodaux du jour au lendemain.
La disparition des privilèges de la noblesse et du clergé va s’étendre sur plusieurs années et feront l’objet de nombreux décrets, avec parfois des retours en arrière.
Une première série de textes, qui ont le soutien de l’opinion publique, sont adoptés en août et applicables début novembre 1789 comme la fin de l’exclusivité seigneuriale sur les colombiers, la chasse ou la suppression des justices seigneuriales, des dîmes, de la vénalité des offices, etc.
Mais le 15 mars 1790, les droits seigneuriaux sont déclarés rachetables et les détenteurs ne sont pas tenus d’en prouver l’origine ! Ce qui revient à faciliter leur maintien par les seigneurs.
Cette disposition soulève la colère dans les campagnes et suscite des actions violentes en protestation.
Le 18 juin 1792, le rachat est supprimé pour les « droits casuels » ( sauf si le seigneur produit le titre primitif ; il s’agit des droits dits occasionnels du seigneur comme les lods et ventes, l’aubaine pour un étranger décédé sur ses terres, etc. ).
Cette mesure ne calme pas les colères populaires.
Le 25 août, le rachat est supprimé pour l’ensemble des droits féodaux.
Enfin, le 17 juillet 1793, la Convention vote l’abolition complète sans indemnité et le « brûlement » des titres féodaux.
D’abord, les biens du clergé.
Le 2 novembre 1789, l’Assemblée Constituante met les biens du clergé « à la disposition de la Nation ».
La loi du 9 juillet 1790 décide de leur mise en vente.
Ces ventes s’étendront jusqu’en 1795, parfois plus.
Les biens nationaux du clergé et des émigrés seront gérés en régie par la nouvelle administration des Domaines.
Puis, ceux des émigrés :
Le 30 mars 1792, les biens des émigrés ayant quitté la France depuis le 1er juillet 1789, sont confisqués.
Le 27 juillet, la mise en vente de leurs biens est décidée.
Plusieurs textes jalonneront cette vente dont celui du 22 novembre 1793 imposant le morcellement des biens nationaux pour que les catégories aisées ne trustent pas ces ventes ou celui du 28 décembre 1793 qui confisque les biens des « individus considérés comme ennemis de la Révolution », comme les prêtres réfractaires, des étrangers, des détenus, des condamnés à mort, etc.
René Michel Amelot fera partie des derniers nobles à émigrer.
Il est encore à Paris en juin1792 et émigre vraisemblablement après la chute de la monarchie le 10 août 1792.
Mais il n’a plus été vu à Monthou depuis de nombreux mois.
Aussi, le district décrète la mise sous scellés de ses biens les 12-15 novembre 1792.
Du 22 au 24 décembre, a lieu la vente aux enchères des meubles et objets contenus dans le château.
Le 27 juillet 1793, il est réputé « émigré » et couché sur la liste officielle des émigrés, le 19 décembre 1793.
Le 15 thermidor An II, les biens fonciers de René Michel commencent à être vendus sauf le château et son proche environnement qui le seront ultérieurement.
Les ventes ont lieu aux enchères, avec plusieurs « feux », jusqu’à épuisement des surenchérissements.
Au-delà de la vente par lots d’arpents de pré, de vignes, de terres et des bois, etc. on relèvera dans les ventes les plus importantes :
Et deux autres métairies, l’une à Trémault de Pontlevoy ( estimée 4500 livres et adjugée 13000 ) et l’autre à Rouet père de St. Aignan ( estimée 10725 livres et adjugée 32000 ).
Sur Thésée :
Sur Choussy :
Ce sont les bourgeois les plus enrichis du district qui enchérissent dans les paroisses pour s’approprier les biens nationaux réputés être de bonnes affaires.
Ainsi, on trouve quasiment les mêmes dans les surenchérissements des adjudications des biens de René-Michel : les Rouet qui ont fait fortune dans la tannerie, les Bardon qui eux l’ont faite dans la boucherie et le commerce des bêtes, les Joudon des fermiers de propriétés nobles, des notaires comme Clivot et Bretheau, de gros laboureurs comme les Ricard, etc.
Parmi les habitants de Monthou, les meuniers comme les Minier, les Berthelin, les Carré sont parmi les principaux acheteurs mais aussi des tonneliers, des perriers, des membres assermentés du clergé comme Bry Aignan et Antoine Gatignon.
Pierre Quentin Girard fait partie des 10 acheteurs de biens nationaux dans le district de St. Aignan ayant acquis plus de 25 arpents.
Il a acheté 203 arpents pour 18 acquisitions.
Quasiment rien sur Monthou mais il se rattrape sur les autres communes et en premier lieu Bourré où il acquiert ( parfois avec Antoine Rouet ) l’essentiel des biens de la marquise de Poulpry, émigrée, et ceux de la cure de la commune.
Il y en a pour des dizaines de milliers de livres en lots de vignes et de terres.
Pour les bâtiments, citons entre autres :
Etc.
Les répercussions de la suppression des droits seigneuriaux et féodaux sur les baux des fermiers chargés de leur perception donna lieu à une législation abondante et compliquée. Les fermiers ne voulaient pas perdre des revenus qu’ils auraient dû percevoir mais que les propriétaires réels de la terre ne voulaient plus acquitter bien évidemment ! Donc, ils voulaient être dédommagés.
Le décret du 11 mars 1790 et l’article 13 de la loi du 25 août 1792 avaient prévu la possibilité d’une indemnité compensatoire qui devrait être déduite du prix de la ferme.
La loi du 26 septembre 1793 en précisa les modalités de mise en oeuvre.
La date de fin du bail de la terre du Gué-Péan retenue fut celle de la date de l’émigration officielle de René Michel : le 19 décembre 1793.
Toute la difficulté allait résider dans la fixation du montant de cette indemnité car il fallait tenir compte des dates différentes de la suppression des différents droits féodaux, du calendrier de la vente des biens fonciers des seigneurs émigrés, des frais engagés par les fermiers et la justification par ces derniers des sommes et personnes ayant acquitté des droits féodaux et les sommes perçues au titre des fermages qui devaient être reversées à la régie des Domaines.
La complexité d’un tel dossier va donner lieu à une longue procédure conflictuelle entre la nouvelle administration révolutionnaire et Pierre Quentin Girard.
Le 16 juillet 1793, le Préfet envoie une commission aux deux experts retenus pour la « fixation et la ventilation » des droits féodaux et seigneuriaux supprimés dans le bail et ses avenants. Il s’agit du citoyen Bigot de Montrichard désigné au nom de « la Nation » et Bertheau de St. Aignan, désigné par Girard.
Ils rendent leur copie le 29 juillet suivant.
Mais le Préfet annulera leur Procès-Verbal d’expertise le 15 Thermidor An II ( 2 août 1794 ) car nous dit Girard, leur travail a été estimé « vicieux en ce que les experts ne s’étaient pas conformés aux prescriptions de la loi ».
L’affaire est portée devant le Tribunal du District à Montrichard qui ordonne une nouvelle expertise.
Mais les choses en restèrent là.
Le 8 nivôse An VI ( 28 décembre 1797 ), Girard intervient auprès de l’Administration Centrale du Département -c’est le Préfet- pour demander la nomination de nouveaux experts pour qu’il puisse être procédé à la fixation de son indemnité.
Il propose à nouveau Bretheau pour son expert.
Par arrêté du 24 Pluviose An VI ( 11 février 1798 ) le citoyen Carré père, choisi par le Préfet, est nommé avec Bretheau.
Mais le Préfet notera par la suite « qu’ils n’ont pu se charger de l’opération prescrite ».
Girard dira de manière laconique « qu’il s’en est expliqué avec Bretheau » et que Carré ne pouvait s’en occuper car il était engagé sur un dossier de même nature concernant « la maison de Penthièvre » (12).
Aussi, le 4 Pluviose An VIII ( 25 Janvier 1800 ), Girard intervient à nouveau auprès du Préfet pour prendre acte de cette situation et propose, pour son compte, un nouvel expert Jean-Baptiste Delanoue, Juge de Paix à St. Aignan.
Le Préfet sollicite l’avis du Directeur de la Régie qui lui propose Suteau pour l’Etat, notaire à Montrichard, mais surtout qui insiste pour « qu’on fasse rapidement une expertise qui a été si étrangement retardée et que Girard n’a pas d’interêt à accélérer ».
Dans un arrêté du 29 nivôse An 10 ( le 19 janvier 1802 ), le Préfet nomme finalement pour l’Etat Silvain Berlan, arpenteur-géomètre et maire d’Angé avec Delanoue.
Du temps s’écoule encore ( je n’ai pas trouvé de document pour la période depuis 1802 ).
Le rapport d’expertise de Berlan et Delanoue est daté du 16 juin 1806.
Ils débouchent sur le constat que les droits féodaux et seigneuriaux supprimés s’élèvent à 2215, 38. Ils ont réajusté le prix de la ferme à 6355, 50.
Ce rapport a été soumis pour avis aux Domaines.
Dans son arrêté du16 septembre 1808, le Préfet acte « qu’ils n’ont rien négligé des instructions dans lesquelles ils ont agi » et que leur travail est « éminemment correct ».
Aussi, l’Administration établit le chiffre des fermages de Girard à 4140,12 livres et celui de l’indemnité due à Girard à 2215, 38.
Le Préfet estime que les deux experts ont travaillé durant 12 jours chacun.
Les honoraires des experts sont évalués à 10 francs chacun par jour, soit avec les frais, 248,37 dont l’Administration et les Girard paieront chacun la moitié.
Girard n’avait guère fait de zèle pour s’acquitter des fermages qu’il aurait dû reverser aux Domaines comme il n’avait guère poussé à la roue pour boucler très rapidement l’expertise.
La crise monétaire avec une importante inflation et la dévalorisation des assignats bénéficiait aux spéculateurs et gros acheteurs des biens nationaux qui avaient obtenu des échéances de paiement.
Au 11 Messidor An XI ( 30 juin 1803 ), Girard n’a pu régler ses comptes car sa comptabilité n’a pas été achevée en raison des péripéties de l’expertise, explique t’il.
Ainsi en 1808, Girard devait encore 16649, 29 sur ses fermages à l’Etat.
Mais le 27 Prairial An VII ( 29 juin 1799 ), il avait été obligé de déposer deux hypothèques. Ce qu’il avait fait sur la métairie du Clos et sur les Près St.Maur à Pontlevoy.
Girard demande que ces deux hypothèques soient levées et reportées sur deux autres de ses biens.
Avec un certain humour, le Directeur de la Régie des Domaines souligne que Girard ayant plus de 40000 francs de biens dans plusieurs communes, il y de quoi « s’assurer la sécurité du paiement ». Girard obtient donc satisfaction mais toutefois le Préfet décide que ce seront tous ses autres biens qui seront hypothéqués !
Le 19 mars 1808, le Receveur de l’Enregistrement clôt définitivement le dossier .
Il ne reste plus à l’administration des Domaines qu’à certifier cette clôture : ce sera fait le 14 avril.
Le bail de la ferme générale du Gué-Péan appartient dorénavant à l’Histoire.
Pierre Quentin Girard fut nommé maire de Bourré du 24 août 1810 au 9 septembre 1816, date à laquelle le Préfet nomme un nouveau maire.
C’était sûrement un personnage plus affairiste qu’administrateur et il devait apparaitre trop attaché aux acquis des bourgeois sous la Révolution et l’Empire aux yeux du nouveau régime monarchiste.
Sa femme obtiendra la séparation de biens d’avec son mari par jugement du Tribunal de Première Instance de Blois le 19 décembre 1817 en raison de la mauvaise administration de leurs biens par Girard et elle renoncera à la communauté. Elle devient donc créancière de son mari (13).
Elle lui survivra quinze ans et décèdera le 3 juin 1836, elle aussi à Bourré, laissant un coquet héritage à ses neveux (14).
Girard décède à Bourré le 6 février 1821 avec suffisamment de dettes pour que ses héritiers collatéraux renoncent à sa succession qui demeurera vacante (15).
Le couple n’avait pas eu de descendance directe.
La suite de la vie de René Michel Amelot et de son épouse Amélie de Luker ressemble à un passionnant thriller familial pour garder dans la famille Amelot, le château et son environnement direct…. à découvrir sur ce site dans l’article suivant :
« Les destinées du domaine et du château du Gué-Péan de la Révolution à la Monarchie de Juillet ou un cas exemplaire de la sauvegarde de la propriété noble ».
Thérèse GALLO-VILLA
Monthou-sur-Cher, novembre 2021.
ADLC :
WEB : les sites comme Généanet, Wikipédia,ou spécialisés sur la féodalité et la Révolution.
Les publications d’histoire locale :
(13) ADLC 3 U6/12
(14) ADLC 3 E5/1049
(15) ADLC 300 Q 1
(car cette période est riche d’ouvrages, d’études et de recherches ) :
BELY Lucien (dir), Dictionnaire de l’Ancien Régime, PUF, Paris, 1996.
BLOCH Marc, La Société Féodale, Albin Michel, Paris, 1939.
BODINIER Bernard, La vente des Biens Nationaux : essai de synthèse, Annales Historiques de la Révolution française, N° 315-1999.
CHAUSSINAND-NOGARET Guy, Aux origines de la Révolution : noblesse et bourgeoisie, Annales : Economies, Sociétés, Civilisations, N°2/3-1975.
CLERE Jean-Jacques, L’Abolition des droits féodaux en France, Les Cahiers d’Histoire, 2005.
FURET François, « Nuit du 4 Août » dans Francois Furet et Mona Ozouf (dir.), Dictionnaire critique de la Révolution Française, Flammarion, Paris,1978.
GALLET Jean-Louis, Les transformations de la seigneurie entre 1600 et 1789, Revue d’Histoire Economique et Sociale, Terre et Paysans, N° 1-1999.
LEMARCHAND Guy, Féodalisme, société et Révolution française, Etudes d’Histoire Moderne, Cahiers des Annales de Normandie N°30 ( reprise en hommage d’une quinzaine d’articles de ce spécialiste des structures sociales d’Ancien Régime notamment au XVIIIe )
PIMENOVA Ludmilla, La noblesse à la veille de la Révolution française, Annales Historiques de la Révolution française,N°281-1990.