La Ferme Générale de la Seigneurie
de Bourré
( 1772-1792 )
Quelques années après le décès de son mari Jacques Bérard en 1758, Claire Vieilh, dame de Bonroy, s’était retirée à Blois pour y vivre près de ses deux autres soeurs.
Elle avait vendu avant même son décès le 15 décembre 1770, sa seigneurie de Bonroy aux de Poulpry.
Le marquis Louis Marie de Poulpry, Lieutenant général des Armées du Roi, puis Directeur de la Compagnie des Indes, était richissime. Il possédait plus de cent seigneuries et autres terres.
Catherine Castanier de Couffoulens, son épouse, l’était aussi. Elle appartenait à une dynastie de Présidents du Parlement de Toulouse et de financiers, partie prenante à la Compagnie des Indes.
Comme les Vieilh étaient aussi liés à la Compagnie des Indes, on peut penser que c’est par ce réseau que s’est faite la vente.
La marquise de Poulpry devient veuve en 1769. Le couple s’était fait donation réciproque de tous leurs biens.
Elle n’a jamais mis les pieds à Bourré.
C’est « l’intendant de sa maison et de ses affaires », Jean Labatut, qui vient à Bourré pour passer à bail la gestion de la seigneurie.
Claire Vieihl demeurait elle sur place et gérait en direct sa seigneurie.
Au XVIIIe, la seigneurie a bien changé. Les liens entre suzerain et vassal ne signifient plus grand chose. Pour beaucoup de grands nobles et de financiers, elle est devenue un investissement. Le recours aux fermes générales se multiplie. Elles assurent aux seigneurs des revenus fixes et aux preneurs de substantiels bénéfices.
Pour de petites seigneuries comme celle de Bourré ce sont la plupart du temps des locaux enrichis dans les activités économiques et les offices publics, qui recherchent ces fermes générales, leur assurant aussi une promotion sociale valorisante.
Le 9 décembre 1772, Gabriel Archambault et sa femme Anne Pinvert signent le bail.
Il appartient à l’importante famille des Archambault de St. Georges, voituriers par eau depuis plusieurs générations. Son père, un autre Gabriel Archambault, avait épousé Anne Rivon, fille d’un des principaux tuiliers de Monthou (qui à cette époque là s’étendait jusqu’au Menais) et était devenu à son tour tuilier et marchand de pierres.
Le bail porte sur les bâtiments du Château, les caves (avec pressoirs, cuves, etc. ), les granges, deux enclos dont un contient une fuye (volière pour pigeons) et est planté de mûriers, l’autre est planté de pruniers, le jardin devant le château, une cave perrière derrière le château, et de nombreuses parcelles de terres, vignes.
Le bail inclut les quelques rentes dont est redevable la seigneurie à la ville de Montrichard, le droit de pêche sur le Cher, le « Petit Port », et les droits seigneuriaux traditionnels (cens, lods et ventes).
Un logement dans le château est mis en réserve à usage du garde.
Le preneur est soumis à une sorte de cahier des charge avec des obligations, concernant les travaux d’entretien, les coupes de bois et de taillis, les labours, les arbres fruitiers, des aides à la Cure, les vendanges, etc.
Ils doivent rémunérer le garde et tenir à jour les registres des baux qu’ils concèderont, des droits seigneuriaux perçus, etc.
Ils devront donner à la marquise de Poulpry, chaque année, « six poinçons de vin rouge et deux de blanc du meilleur de celui qui sera récolté dans les vignes de la dite terre ».
Le prix du bail est de 1560 livres, payable par moitié à la St. Jean Baptiste et à Noel.
La durée du bail est de 9 ans. Il est passé à Montrichard dans la maison de Joseph Francois Rance, Conseiller du Roi au grenier à sel de Montrichard (il est aussi Sieur de Vallagon).
Le 6 décembre 1777, les mêmes signent un autre bail, donc avant l’échéance du premier, à Paris, chez un notaire du Châtelet. La marquise a augmenté le prix du bail qui passe à 1800 livres.
Gabriel Archambault décède le 21novembre 1783.
Pierre Quentin Girard est son gendre.
Sa famille était originaire de Chisseaux et Chissay.
Son père s’était marié à St. Quentin sur Indrois avec Marie Ruby, une jeune veuve. Il y nait le 13 mars 1762 ; son père était alors marchand tonnelier.
Pierre Quentin Girard se marie à Bourré le 20 janvier 1784, avec Louise Marguerite Archambault. Elle est son ainée de 5 ans.
A son mariage, il est « marchand » et son père aussi. Sa famille et lui résidaient à Murs dans l’Indre.
Le 18 janvier avait été liquidée la succession de Gabriel Archambault et de sa première épouse. Les droits de la seconde avaient été réglés, les 15 et 17 janvier.
Les biens du couple avaient fait l’objet de trois lots car ils avaient eu trois enfants.
Il était stipulé que le « temps restant » du bail serait attaché au lot 2.
Et ce fut Louise Marguerite qui tira le lot 2.
Le contrat de mariage est signé le lendemain, 19 janvier.
Une succession et un mariage rondement menés….ou soigneusement préparés !
Je n’ai pas trouvé trace d’un autre bail qui a bien existé puisque lorsque Pierre Quentin Girard et sa femme signent le bail de la ferme générale de la seigneurie du Gué-Péan le 10 janvier 1787, il est qualifié de fermier de la seigneurie de Bourré. Il est mentionné comme tel encore en 1792.
Pour la ferme du Gué-Péan, il est passé à un stade supérieur car le prix de cette ferme-là est de 6500 livres.
A 25 ans, il détient donc deux fermes de seigneuries
Deux législations révolutionnaires vont se cumuler pour produire le plus grand transfert de la propriété foncière dans l’histoire de la France.
D’abord, l’abolition des droits féodaux.
Elle prévoyait leur rachat. Ce rachat sera supprimé en raison des protestations populaires.
Pour Bourré, cette disposition a une portée limitée car l’exiguïté de son territoire avait pour conséquence un nombre réduit de terres soumises à cens et de perception des lods et ventes. La perte de revenus du fermier était faible et la somme à déduire du prix du bail modeste.
A l’inverse, cette suppression des droits féodaux pour la seigneurie du Gué-Péan, donnera lieu à un gros contentieux entre Girard et la nouvelle administration des Domaines qui durera jusqu’en 1808.
Puis, la vente des biens nationaux.
Elle commence par la vente des biens du clergé, à partir de la loi du 9 juillet 1790.
Girard achète la plupart des biens de la Cure de Bourré et la métairie du Moulin Blanc qui relevait de l’Abbaye de Pontlevoy.
Elle se poursuit par la vente des biens des émigrés.
La marquise de Poulpry est portée sur la Liste des Emigrés, le 26 octobre 1792.
Elle en sera rayée le 18 juin 1801, rentrera en France et sera indemnisée sous Charles X comme tous les émigrés.
Il va acheter un nombre important de parcelles de terres et vigne appartenant à la seigneurie.
Mais surtout, il se porte acquéreur avec le tanneur Antoine Rouet de St. Aignan, de tous les bâtiments du Château. Rouet pour plus de 40000 livres et Girard pour plus de 20000 livres.
Il est aussi gros acheteur sur Pontlevoy.
Girard a t’il eu les « yeux plus gros que le ventre » ? Il aura du mal à honorer ses échéances de paiement et la gestion de ses affaires semble complexe.
Le 19 décembre 1817, Louise Marguerite obtient par jugement, la séparation de biens. Dans la foulée elle renonce à leur communauté de biens et fait établir ses droits financiers au regard de son mari. Elle devient créancière de son mai pour une somme rondelette de plus de 14000 francs.
On sait que le recours à la séparation de biens était pratiqué par les femmes qui avaient apporté une dot conséquente, pour sauver une partie de ce qu’elles appelaient « leurs droits matrimoniaux ». Souvent cela se faisait en accord avec le mari pour qu’un seul trinque financièrement !
Le couple n’a pas eu d’enfant.
Après sa mort le 6 février 1821 à Bourré, la succession de Girard, criblée de dettes, sera refusée par ses neveux héritiers et sera ainsi une « succession vacante ».
Par contre, Louise Marguerite, qui lui survivra 15 ans, laissera aux siens une coquette succession, à son décès à Bourré, le 3 juin 1836.
Pierre Quentin Girard est nommé maire de Bourré le 24 août 1810 en remplacement du Sieur Lebert décédé. C’est le curé de la paroisse, Templier, qui le propose en soulignant qu’il n’y a « personne dans la commune qui puisse remplir cette place plus honorablement. Nous sommes alors sous l’Empire.
Il n’avait pas d’adjoint. Il en réclame un. Sans le consulter, le Préfet nomme Victor Deniau. Girard proteste avec véhémence en récusant cette nomination unilatérale car, selon lui, Deniau est « un mauvais sujet ». Le Préfet en prend acte et lui demande de lui proposer « les trois plus riches et les plus recommandables ». Après trois lettres de Girard avec des propositions, le Préfet nommera le 23 octobre 1813, Silvain Mignault comme maire-adjoint.
Mais le Préfet nomme un nouveau maire le 9 septembre1816. Cela se fait si rapidement que Girard absent pour ses affaires, ne peut remettre ses archives de maire à son successeur et assurer la passation légale de la fonction devant le Conseil Municipal !
Son profil ne devait guère convenir au pouvoir des Bourbons de retour sur le trône.
C’était un affairiste plus qu’un administrateur, qui avait assis sa richesse sur l’achat des biens du clergé et des nobles, deux crimes de la Révolution pour les monarchistes !
Il avait été un pur produit de ces jeunes pousses du Tiers Etat, acquises aux idées de 1789 puis fidèles à l’Empire, qui constituèrent ces générations de notables qui furent l’épine dorsale de la vie publique dans nos communes tout au long du XIXe siècle.
Thérèse GALLO-VILLA
Les séries des ADLC : série Q sur les biens nationaux et l’Enregistrement, série 3E pour le notariat de Montrichard (baux, successions), série M pour les municipalités, série U pour la Justice, série F pour les travaux du Dr. Houssay sur les biens nationaux du district de St. Aignan.
Les registres paroissiaux et d’Etat Civil de Bourré et des communes citées.
Les sites internet de généalogie et les ouvrages référents sur le droit féodal et les seigneuries.
Les précédents travaux de l’auteure sur Bourré publiés dans le « Petit Bourrichon » et sur l’histoire du Gué-Péan sur le site www.tharva.fr