Il m’a paru intéressant de replacer ces événements dans le contexte de ce qu’était alors le Ministère des Affaires Culturelles et les quelques brèves années que j’y ai passées.
Ce texte ne s’apparente en rien à des mémoires ou un essai historique.
Il est un simple témoignage basé sur mes seules mémoire et expérience. Et sur mes ressentis.
Volontairement, je n’ai vérifié que quelques dates pour ne pas m’enfermer dans des études et appréciations d’autres qui auraient pu, cinquante ans après, influencer mes souvenirs. Au risque de l’approximation ou de l’erreur de date mais au bénéfice de l’authenticité spontanée.
1/ 1966 : SAVOIRS ET SAVOIRS-FAIRE, UN APPRENTISSAGE SUR LE TAS :
J’ai pris mes fonctions d’attachée d’administration centrale stagiaire, le 1e août 1966.
J’avais 22 ans et demi.
En compagnie de ma meilleure amie de Sciences Po, Suzanne Simon ( qui est décédée en début d’année ).
Il n’y avait que peu de postes à pourvoir par ministère. On classait les ministères par ordre décroissant de choix.
Toutes les deux, nous avions placé en tête le ministère des Affaires Étrangères ( deux postes mis au concours ) qui correspondait le mieux à notre formation et nos goûts. En second, celui de la Culture ( deux postes aussi ) par attirance.
Nous eûmes notre second choix car notre rang de réussite au concours était bien placé mais pas assez pour les Affaires Étrangères, très convoitées ! Beaucoup de candidats postulaient plutôt les Finances ou l’Intérieur, réputés pour leur régime indemnitaire et les possibilités de carrière.
Suzanne fut affectée au bureau du personnel de l’Administration Centrale et y resta pendant toute sa présence au ministère, avant de réussir le concours interne de l’ENA.
Moi, à la direction de l’Architecture.
Je devais être affectée aussi au bureau du personnel de cette direction car les différentes directions du Ministère géraient alors chacune les personnels relevant de leurs services extérieurs.
Ce genre de poste n’était guère prisé car estimé source de beaucoup de boulot et de tracas pour régler les situations personnelles et peu propice à se faire mousser pour sa carrière.
On y casait donc les deux jeunettes qui débarquaient, tout feu tout flamme !
Mais c’était l’été, et comme le fonctionnaire que je devais remplacer pour cause de départ en retraite, ne serait pas de retour avant fin septembre, on me confia au bureau qui s’occupaient des travaux concernant les monuments historiques.
Il n’existait pas d’école spécialisée d’adaptation à l’emploi, à l’époque, pour les attachés. Nous étions considérés comme des cadres à vocation « généraliste », dont le concours avait validé le niveau de formation théorique et générale acquise sur les bancs de l’enseignement supérieur. C’était donc l’apprentissage en direct sous la houlette de fonctionnaires chevronnés.
Ces quelques semaines furent passionnantes.
Madame Espelette, proche aussi de la retraite et quelques autres, n’ont pas lésiné sur le temps qu’ils me consacrèrent.
Je passe sur la phase obligée de la prise de connaissance de la réglementation en vigueur, sur les procédures à suivre, sur les rébarbatives mais décisives règles budgétaires.
Cette formation au quotidien avec des fonctionnaires ayant un sens aigu du service public, une longue pratique, maîtrisant leurs dossiers par cœur et connaissant tout le monde, avait une appréciable dimension : une transmission non seulement des savoirs administratifs, mais des savoirs faire et des caractéristiques de chaque secteur. Les jardiniers de Versailles ou les gardiens d’Azay le Rideau, ce n’était pas « du personnel » indistinctement. Chaque catégorie, chaque monument, avait sa personnalité et ses codes.
Dans l’attente de mon affectation, j’ai visité avec les meilleurs guides imaginables, nombre de monuments historiques « de l’intérieur ». Quels souvenirs et moments d’émotion : le bureau des Présidents de la République, en l’occurrence de Gaulle, à Trianon et s’assoir sur son fauteuil ! Les petits couloirs et escaliers camouflés, empruntés par les serviteurs, au château de Champs sur Marne ! Les cellules de Fontevrault en train d’être démolies pour en finir avec son statut de prison et ouvrir ce chef d’œuvre architectural au public.
Et j’ai travaillé avec eux sur tous les grands dossiers qui lancèrent dans cette décennie de vastes travaux de préservation du patrimoine monumental français.
Tout ce qu’il m’ont transmis m’a beaucoup aidé sur le plan syndical pour toujours replacer situations et individus dans les multiples contextes de ce ministère original.
2 /1959 : LA CRÉATION D’UN MINISTÈRE « PATCHWORK » :
Les évolutions des structures administratives ne sont jamais neutres.
Elles obéissent toujours à l’émergence de besoins et de développement de leur sujet d’origine.
Souvent lorsque l’Etat est conduit à prendre en charge un nouveau domaine de compétence parce qu’il revêt un intérêt général, soit dépendant d’une collectivité, soit nationalisé, il le raccroche à un ministère existant.
Je pense à l’exemple de la Météo ou des Statistiques, d’abord rattachés au Ministère de l’Interieur.
Puis, lorsque ce domaine de compétence grandit, il y a généralement partition et naissance d’une structure administrative propre.
Le ministère appelé à l’époque des Affaires Culturelle est né en juillet1959, dans le berceau de la Ve République.
Il était le résultat de trois principales raisons : la volonté de de Gaulle d’avoir un instrument de propagation internationale de la culture comme dimension de la grandeur de la France ; offrir à André Malraux un ministère à sa mesure qui lui fasse accepter sa participation au gouvernement ; les aspirations grandissantes à la culture d’une population plus jeune, plus instruite, plus urbaine.
On regroupa donc toutes une série de directions qui menaient une vie quasi autonome au sein du ministère de l’Éducation Nationale, et quelques petites structures relevant de l’Industrie ou de la Jeunesse et des Sports.
Les personnels avaient mis une condition : conserver le bénéfice de la MGEN, qui recrutait seulement dans l’Education Nationale et était considérée comme une mutuelle d’avant-garde.
Ce fut chose faite... et je suis toujours à la MGEN !
Il allait falloir faire de ce « patchwork » aux entités jalouses de leur autonomie respective et aux personnalités très différentes, une nouvelle entité ministérielle cohérente.
Les événements de 1968 seront un accélérateur de cette construction administrative et humaine.
En ce milieu des années 1960, il y avait encore peu de cadres appartenant aux corps des administrateurs civils issus de l’ENA et à celui des Attachés, mais des Agents Supérieurs, corps de cadres en voie d’extinction, tous vers le départ en retraite.
Le jeune ministère avait reçu pas mal d’administrateurs de la France d’Outre-Mer, qu’il fallait recycler après les décolonisations en Afrique. Une catégorie particulière. Sur le plan personnel, des types charmants ne se prenant pas au sérieux et eux aussi attendant la retraite ! Sur le plan professionnel, ces ex-serviteurs d’une administration coloniale étaient, disons, très cool !
3 / HIVER 1966-67 : MA PREMIÈRE ACTION ...CONTRE L’INTERDICTION DU PORT DU PANTALON !
L’hiver 1966-67 était froid. Beaucoup de femmes portaient donc un pantalon.
Port du pantalon qui, petit à petit, entrait dans les mœurs vestimentaires des femmes.
Je ne sais quel brillant et conservateur esprit à Matignon avait sévi ou voulu se distinguer.
Je revois mon chef de bureau, Mr. Buffin, tout rouge, tout gêné, une feuille à la main, entrer dans mon bureau.
Mr. Buffin qui était devenu fonctionnaire parce qu’il fallait nourrir sa famille nombreuse, femme au foyer et 7 enfants. Catholique pratiquant, délicieusement vieille France, parlant un français digne du Larousse, qui aurait voulu être littérateur et poète. Il cachait timidité et humanité en ne sortant de son bureau que par obligation. Il me fichait une paix royale, me faisait confiance et ne me demanda jamais de justificatif lorsque je m’absenterais pour mes activités syndicales.
La feuille en question était une circulaire, signée Pompidou, qui réactivait les prescriptions de l’ordonnance du 7 novembre 1800 sur l’interdiction du port du pantalon par les femmes.
Comme nous étions, quand même en 1966, l’interdiction était limitée aux femmes fonctionnaires cadres de catégorie A.
Le pantalon portait, paraît-il, atteinte au bon exercice de leur autorité.
J’étais sidérée et indignée d’autant que j’étais ce jour là en pantalon.
Le téléphone a très vite fonctionné. Les réprobations étaient générales chez mes collègues de tous âges et familles de pensée. Une vraie humiliation.
Nous avons convenu d’un jour, la semaine d’après, où nous viendrions en pantalons avec comme consigne de passer le maximum de temps à se balader dans les couloirs, à se faire voir de nos directeurs, etc. Plusieurs collègues qui n’avaient pas de pantalons, en ont acheté un, pour le porter en solidarité.
J’ai le souvenir d’une journée joyeuse, pleine de discussions avec des collègues que je connaissais encore peu.
Dans tous les ministères, les réactions des femmes étaient vives.
Quelques jours plus tard, Mr. Buffin m’a informé que Matignon avait fait savoir « oralement » que cette circulaire devait être considérée comme nulle et non avenue.
C’est une réponse de même nature qui, encore en 2013, confirmera que l’ordonnance en question, contraire à la Constitution, n’était toujours pas abrogée mais s’était éteinte d’elle-même et qu’il convenait de la considérer comme une pièce d’archives ! Mignon, non, pour ne pas reconnaitre que ce sont les femmes qui lui ont tordu le cou !
4 / 13 MAI 1967 : MA PREMIÈRE GRÈVE ET MANIFESTATION ... CONTRE LES ORDONNANCES SUR LA SÉCURITÉ SOCIALE.
Je n’étais pas encore syndiquée. Je n’appartenais pas à une famille politisée.
On ne parlait jamais politique ou problèmes sociaux chez nous d’autant que j’ai été élevée dans un milieu de femmes ( grand-mère, sœur, mère ) car mon père naviguait 10 mois de l’année du Havre à New-York. Il était, mais sans plus, syndiqué à la CGT comme la majorité de ses collègues.
Mais moi, je développais depuis ma plus jeune enfance une passion pour l’Histoire, et ensuite pour l’actualité politique. A 10 ans, je soutenais activement la paix en Indochine et la politique de Mendes-France.
Je dois à deux institutrices du primaire puis à plusieurs enseignantes au lycée qui avaient été des résistantes, une sensibilité contre le colonialisme, contre le fascisme, contre les guerres.
Cette sensibilité, elle se greffait sur mon histoire familiale, transmise par la mémoire féminine : l’immigration italienne de la pauvreté et le dur labeur de la petite paysannerie bretonne.
Les débuts de ma vie professionnelle m’avaient vite mis face à des réalités sociales qui constituaient un envers du décor peu glorieux pour le jeune ministère, missionné au rayonnement de la France.
Le coup de force de de Gaulle de faire passer la réforme Jeanneney sur la Sécurité sociale par voie d’ordonnance me heurtait. La réforme renforçait la main mise l’Etat et du Patronat sur cette conquête de la Libération.
J’ai participé à la grève et à l’énorme manif du 13 mai 1967. Première grève et première manif. J’étais très impressionnée par ce sentiment de puissance que donne les grandes manifs motivées.
J’étais allée au RV des collègues de mon bureau qui étaient presque tous syndiqués à la CGT.
Le secrétaire du syndicat, Alfred Piquet, que je ne connaissais pas encore, y avait été affecté un temps.
Ils me diront plus tard que ça leur avait fait tout drôle de voir en grève et à leur côté leur sous-chef de bureau !
Ces collègues cégétistes ont joué un rôle décisif dans la transformation de mes aspirations sociales en engagement syndical.
J’aimais discuter avec eux. J’apprenais plein de choses de la vie, du travail, avec Mr. Ciprut, Mmes. Jallet, Nédélec, Garcia, Adjed, etc.
C’étaient tous humainement de belles personnes et ils offraient une image de la CGT qui correspondait à mes yeux à l’idée que j’avais d’un syndicat : avec les gens, à l’écoute de leurs problèmes d’une part et d’autre part, porteur d’un idéal de transformation de la société et sans compromission avec les puissants.
Après le 13 mai, j’ai commencé à aller aux réunions de la CGT et à lire ses publications.
Comme je lisais pas mal par ailleurs, notamment la presse comme Le Monde et Combat, je n’ignorais rien des critiques à l’encontre de la CGT et de son image de satellite du PCF.
Ce n’était pas ce que je ressentais. L’anticommunisme à l’égard de la CGT ne m’a jamais influencé.
5 / 1ER JANVIER 1968 : MON ADHÉSION EFFECTIVE À LA CGT.
Je précise effective car j’avais demandé mon adhésion en septembre.
Le trésorier, Jacques Fontaine, m’avait fait valoir que nous approchions de la fin de l’année et comme le syndicat privilégiait les placements de cartes syndicales à l’année, il me syndiquerait au 1er janvier. En attendant, je pouvais me considérer comme syndiquée et participer à toutes les activités.
Ça fonctionnait comme ça à l’époque. Et c’est ce que je fis.
Je connaissais bien maintenant notre secrétaire Alfred Piquet.
Un personnage. Le militant qui m’a inspiré un immense respect et une admiration filiale.
C’était un ancien de la Marine Nationale qui s’était ensuite reconverti dans la Métallurgie, puis entré, je ne sais trop comment ni pourquoi, au Ministère de la Culture. Il était communiste et portait haut ce drapeau.
C’était un « pur », travailleur acharné, toujours sur le pont. Ce qui faisait la force d’Alfred, c’était un mélange à l’efficacité redoutable entre une connaissance poussée du droit administratif ( une vraie passion chez lui ) et une pratique syndicale très active, au plus près des personnels.
L’administration le craignait car il détectait toujours l’erreur ou l’approximation dans leurs textes. C’était sa petite coquetterie que de clouer le bec à un directeur sur ses défaillances juridiques ! Mais l’Administration connaissait aussi l’ascendant qu’il avait sur les personnels et sa capacité à les mobiliser. Il rayonnait, en effet, de lui une force de conviction qui tenait plus à sa sincérité, sa connaissance des dossiers et son dévouement qu’à ses talents oratoires.
L’homme était d’une totale simplicité, toujours en sandales, amenant sa gamelle tous les jours.
J’ai raconté, dans mon hommage à notre camarade le concierge républicain espagnol, comment la pièce sans confort, sous les combles Rue de Valois, qui servait de réfectoire, se transformait le midi en une espèce de club de paroles et d’expression, animé par la présence majoritaire de syndiqués CGT. On y « buvait » les paroles d’Alfred qui analysait et commentait l’actualité, et comme nous étions en « off », il ne se privait pas de parler politique. On y approfondissait, aussi, bien des questions concernant le Ministère. Ces débats alimentaient à leur manière les réunions statutaires du syndicat.
A peine avalé mon repas à la cantine de la Rue des Bons-Enfants, je grimpais participer à ces réunions. Pour la « bleue » que j’étais, ces discussions représentaient une formation militante et humaine que j’adorais.
Ce qui sera la stratégie du syndicat dans notre ministère durant mai-juin 1968, a mûri dans ces débats informels, en sirotant le café de l’ami Balaguer !
J’étais membre de la section de l’Administration Centrale. Un bonne partie des dirigeants du syndicat en étaient membres et la section avait ainsi quelques difficultés à fonctionner tant son activité avait tendance à se confondre avec celle du syndicat général.
Je commençais avec mes camarades à aller à des réunions de l’UD et de la section de Paris de l’UGFF.
6 / LES PRÉMISSES DE LA GRÈVE :
Le 1er Mai 1968 avait été annonciateur, en fait, de bien des événements ultérieurs.
La CFDT, la FGDS ( ce cher François Mitterand) et la FEN avaient refusé l’unité et CGT, PCF et PSU avaient appelé seuls. Ne parlons pas de FO qui depuis longtemps faisait bande à part avec une initiative rikiki.
Les étudiants s’agitaient depuis plusieurs semaines. Des mouvements revendicatifs avaient lieu de ci, de là.
On sentait que les mécontentements s’accumulaient.
Puis, l’agitation des étudiants s’accélère au lendemain du 1er Mai et la répression s’abat sur eux, pour culminer dans la nuit du 10 mai, la fameuse « nuit des barricades », avec des centaines de blessés et d’arrestations.
L’attitude à l’égard du mouvement étudiant faisait débat dans la CGT. Les militants étaient partagés.
Je soutenais les étudiants même si je n’approuvais pas tout. Je sortais à peine de mes études supérieures et j’avais connu la galère.
Beaucoup de camarades en restaient à la surface de leurs agissements, y voyant avant tout des enfants de bourgeois et petits- bourgeois, prétendant filer des leçons aux travailleurs et aux modes d’action irresponsables. Et c’est vrai que leurs comportements, leur verbiage révolutionnaire, m’irritaient moi aussi !
Mais, il faut dire que l’article de Marchais (dans l’Huma juste après le 1er Mai ) traduisait une cécité préoccupante sur les mutations intervenues, sur les retards de la société française sur les modes de vie et les aspirations de la jeunesse. De toute la jeunesse, pas seulement estudiantine.
La répression du 10 mai a été un vrai électrochoc.
Les flics s’en prenaient sauvagement à des jeunes. J’ai entendu plusieurs camarades dire que leur sang n’avait fait qu’un tour, comme s’ils revivaient la répression de Vichy, et plus proche, le massacre du métro Charonne.
Elle a soulevé une émotion considérable et exprimait un besoin de solidarité qui s’associait à notre impatience d’agir pour nos revendications
La CGT a pris alors alors ses responsabilités en appelant à la grève le 13 mai.
7 / LE TOURNANT DU 13 MAI :
Dans mes souvenirs, c’est « ma » date d’entrée dans la grève.
Valerie, ma fille de 5 ans, venait d’avoir les oreillons de manière carabinée et la pédiatre lui avait prescrit une convalescence de 15 jours.
Nous l’avions amenée durant le week-end chez notre nounou des petites vacances, à la campagne près de Chartres, la belle-mère d’une amie. L’écrivain Serge Joncour est son petit-fils.
Elle y restera un bon mois !
Durant toute la semaine du 13 au 20 mai, même si nous n’étions pas officiellement en grève, c’était tout comme. Les militants comme moi, passions une bonne partie de nos journées en réunions. Avec les personnels, dans les instances et avec les autres syndicats CGT du Ministère ( Gardiens de Musées, Manufactures des Gobelins, de Sèvres, etc ).
On sentait monter une sorte d’effervescence bon enfant.
De jour en jour, les décisions de grève se multipliaient dans le secteur privé, en particulier métallurgie et automobile, dans le secteur nationalisé notamment SNCF, EDF, etc.
J’ai en tête, dans les dates actées dans ma mémoire, le 17 avril, qui a dû être l’entrée en grève de la RATP et qui allait accélérer notre propre entrée officielle en grève.
La CGT avait décidé de laisser la décision de grève à la base, pour ancrer un mouvement « voulu » démocratiquement. Car, il allait falloir tenir dans la durée.
L’UGFF avait adopté la même position tout en incitant ses organisations à y aller et à ne pas rester à côté du mouvement comme en 1936. C’est Alfred qui nous y représentait et il y plaidait pour un mouvement dur.
8 / 20 MAI 1968 : GRÈVE GÉNÉRALE AU MINISTÈRE :
La décision avait été prise d’organiser une assemblée générale des personnels du Ministère sur Paris et la Région Parisienne, le 20 mai.
On s’était mis d’accord dans la CGT pour que Piquet fasse l’intervention liminaire. Ce qui fut aussi accepté sans trop de problèmes par les autres syndicats. Il faut dire que l’audience de la CGT était de loin la plus importante.
Je me souviens que juste avant le début de l’AG, j’ai fait part à Alfred de scrupules qui me titillaient « Nous sommes en train de donner suite aux CAP ( mutations, promotions, etc ). Je ne voudrais pas pénaliser les gens par des retards. Je m’inscris comme gréviste mais je travaillerai pour partie comme cette semaine ». Alfred a éclaté de rire et m’a répondu « Tu sais tout le pays va être paralysé. Tes arrêtés peuvent attendre ! Par contre la lutte, elle n’attend pas. On a besoin de toi ». J’ai entendu Alfred.
L’assemblée Générale, après des débats animés, en particulier avec FO et des syndicats autonomes de jardiniers de Versailles, il me semble, décida à une très très large majorité, l’entrée en grève générale et l’occupation du Ministère.
Nous avions préparé des attestations individuelles destinées à tous ceux qui se déclaraient en grève générale.
Un comité de grève d’une vingtaine de personnes avait été élu.
J’en faisais partie. Piquet avait veillé à ce qu’il soit représentatif des autres syndicats pour qu’on ne nous accuse pas d’hégémonie stalinienne !
Mais dans la pratique, ce sont les militants de la CGT qui y seront les plus présents, les plus actifs et les plus écoutés.
L’occupation se traduisait par la présence permanente de personnels, de militants qui venaient aux nouvelles, qui en donnaient.
L’Assemblée Générale, plus ou moins fournie bien sûr, siégeait non stop.
Les gens apportaient chacun quelque chose à manger et à boire. Tout le monde se servait librement et cassait la croûte.
On ne risquait pas de grossir car, sans essence pour les voitures et la RATP en grève, on marchait, on marchait. Les copains avaient donné chacun un peu de leur essence à quelques responsables du syndicat pour pouvoir assurer les réunions en Région Parisienne.
Très peu de camarades ont dormi sur place. La situation au siège du Ministère ne l’exigeait pas.
Il y avait des tas de mini réunions partout dans le Ministère.
Quasiment personne ne travaillait ! Ça discutait dans tous les services.
Une partie de l’encadrement participait, sinon en tant que grévistes déclarés, mais comme fonctionnaires et citoyens, à toutes ces « cogitations ».
Ce besoin, comme on-dit aujourd’hui, de « libérer la parole » a été vrai partout en 1968, pas seulement à l’Odeon ou à la Sorbonne, mais aussi chez les cadres « ronds de cuir » du Ministère !
Je garde en particulier le souvenir d’un certain Bourguignon, un administrateur civil, se réclamant de la CFDT, qui avait mis sur pied un groupe de travail qui se réunissait à huis clos, dans une salle au sous-sol et carburait sur une nouvelle politique culturelle. Et avec lequel je m’écharpais régulièrement à l’AG tant il était viscéralement anti-CGT !
Tous les soirs, nous nous rendions, à tour de rôle, ( et à pied bien sûr ) au siège de l’UD de Paris.
On y faisait le point, échangions les informations, intégrions les consignes pour la poursuite.
Henri Krasucki présentait souvent le rapport qui introduisait les débats.
C’était pour moi un moment privilégié. J’ai tout de suite apprécié les capacités d’analyse, la hauteur de vue et toujours sous-jacente, la culture du personnage. Plusieurs dizaines d’années après, je peux encore citer certaines de ses phrases-formules, qui vous marquent parce qu’elles sont significatives d’une pensée et vous font réfléchir à votre tour.
9 / DERNIERS JOURS DE MAI, LES NÉGOCIATIONS AU MINISTÈRE :
Le gouvernement et le Patronat ont été contraints de négocier.
Les 25, 26 et 27 mai pour le secteur privé. Ce seront les « Accords de Grenelle » qui seront rejetés par la base. Des négociations dans les branches et les entreprises les dépasseront largement, en acquis pour les salariés.
Dans la Fonction Publique le gouvernement-employeur, lui aussi, doit se mettre autour de la table, les 28 et 29 mai, les 1 et 2 juin 1968
Ce sera « le constat Oudinot.
Les avancées ont été importantes. J’aurai l’occasion d’y revenir.
Mais je voudrais tout de suite souligner deux faits majeurs.
Le premier : c’est la première fois que le gouvernement négociait avec les syndicats de fonctionnaires. Il avait jusqu’à présent refusé en raison de la position particulière des fonctionnaires. L’Etat ne peut négocier avec lui-même, disait-il. Le rapport des forces l’y a contraint. Il ne pourra revenir en arrière.
Le second : c’est la première fois que vont négocier côte à côte pour la CGT. les Fédérations représentant les personnels de l’Etat, des PTT, des collectivités locales et de la Santé. Il va en découler une coopération solidaire permanente qui jouera un rôle notable dans l’élaboration des analyses et les revendications de la CGT pour la Fonction Publique et les luttes à venir.
Au ministère, comme dans les autres, nous exigions l’ouverture de négociations.
Le cabinet et le directeur général de l’Administration Centrale, Mr. Sérignan, le parfait technocrate genre grand seigneur d’Ancien Régime, opposaient une résistance méprisante.
Mais ici aussi, la grève massive et déterminée jouait en notre faveur.
Je n’ai plus la date en tête., mais c’est autour des derniers jours de mai que l’assemblée générale décida le matin de passer à l’acte.
Nous avertissons le cabinet qu’à telle heure ( je crois 16 heures ), une délégation d’une vingtaine de personnes, élue par l’assemblée générale, se présentera au bureau du Ministre, pour l’ouverture de négociations. J’en faisais partie.
Le cabinet renâcle, doit céder sur le principe mais veut limiter la délégation à 5/6 membres.
On lui fait savoir que se présentera la délégation telle qu’élue par l’Assemblée Générale.
Pas de réponse.
A 16 heures, nous gravissons le magnifique escalier de l’Hotel de Valois.
Ce moment est comme une photo dans mon cerveau.
En ces instants, je voyais défiler la séquence du film de Sacha Guitry, « Si Versailles m’était conté... » lorsque les femmes de Paris se sont rendues à Versailles le 5 octobre, montent un escalier identique et rameront la famille royale dans la capitale. Un sentiment qui vous prend les tripes : la force de la volonté populaire.
Nous sommes entrés. L’huissier a dû rajouter des chaises mais une partie de la délégation est restée debout !
Malraux était entouré de son directeur de cabinet et de Sérignan.
Je me demandais si j’hallucinais.
Le grand Malraux....les cheveux teints et les mèches en bataille, affalé sur son bureau, la tête posée sur son avant-bras, nous regardant comme si les Cosaques du Don avaient envahi son bureau. J’avais l’impression qu’il s’était dopé pour affronter cette épreuve.
Il avait du mal à parler et sa respiration faisait un bruit comme celle d’un asthmatique.
Après les présentations d’usage, il prend sa tête entre ses mains, nous regarde longuement et nous dit de son inoubliable voix rauque : « Je tiens à vous remercier de ne pas avoir mis le feu à Notre-Dame ».
J’ai cru que Piquet allait à son tour s’étouffer ! Et ce cher Alfred est parti dans une longue tirade sur notre conception de la culture, que le Patrimoine de la France appartenait au peuple qui avait le devoir de le préserver et que c’était l’Etat qui le laisser se dégrader.
On n’a plus guère entendu le ministre qui de toute façon ignorait tout de la situation de son personnel.
Il avait délégué la conduite de la réunion à Sérignan.
Mais il suivait attentivement les débats, toujours affalé.
Sérignan répondait par la négative à nos demandes, argumentait en contre à la limite de la provocation.
La température montait ! Nous commencions à menacer de partir et d’aller rendre compte à l’Assemblée Générale.
Malraux intervint alors en donnant consigne à son Directeur de mettre en place des groupes de travail sur nos principales revendications : les droits syndicaux, les conditions de travail, une couverture statutaire pour les catégories qui en étaient dépourvus et les auxiliaires.
Et de lui en rendre compte pour des décisions acceptables par les syndicats.
Comme on dit, si les yeux de Sérignan avaient été des révolvers !
Mais, en sortant, on s’est dit que Malraux avait conservé un reste de son passé avec l’Espagne républicaine !
Les discussions vont durer des semaines.
Le syndicat avait décidé de mettre en avant des revendications qui relevaient de la compétence du ministère pour ne pas se voir opposer le fameux : « ça ne dépend pas de moi mais de la législation commune à tous les fonctionnaires. Donc du ministère de la Fonction Publique ».
Aussi, nous avions mis le paquet sur les moyens d’exercice du droit syndical, sur les conditions de travail déplorables de nombre de catégories et sur l’exigence de règles statutaires ou conventionnelles pour ceux qui en étaient dépourvus et vivaient une précarité indigne d’un ministère ayant en charge la culture !
Je me permets de vous renvoyer à tout ce que j’ai déjà abordé sur mon blog concernant ces sujets, notamment les conférencières du Louvre, les vieux employés de nuit à la surveillance, etc.
Plusieurs réformes statutaires améliorant la situation des agents en découleront ainsi que des mesures de titularisation des auxiliaires ou d’emploi à temps plein.
10 / LE PRINCIPAL ACQUIS DE 1968 AU MINISTÈRE : LES DROITS SYNDICAUX.
Il n’existait alors aucune réglementation d’ensemble pour les fonctionnaires et l’UGFF ne bénéficiait d’aucun droit propre en tant que structure fédératives des organisations CGT de la Fonction Publique. Elle fonctionnait avec les maigres moyens concédés par ses organisations membres.
Celles-ci, Fédérations et syndicats, nationaux avaient au fil du temps, des luttes et de leur « poids » en influence, obtenu des moyens en locaux et dispenses de service, qui constituaient des acquis de fait, très hétéroclites et caractérisés par une forte centralisation à Paris. Le décalque de l’Administration française.
La jeunesse du ministère expliquait pour partie le vide existant en ce domaine.
Alfred Piquet, qui nous avait rappelé un jour que les bolcheviks n’hésitaient pas à dévaliser les banques pour avoir les moyens de préparer la Révolution, considérait que pour développer le syndicalisme dans notre ministère, à commencer bien sûr par la CGT, il fallait des moyens à la mesure et durables. C’était une analyse pertinente.
La conquête de droits syndicaux devait être notre priorité.
Mr. Sérignan dût se résigner à nous concéder des locaux syndicaux, des dispenses partielles et totales de service, des moyens de tirage ronéo, etc.
Et surtout, une innovation de taille dans la Fonction Publique, qui le restera longtemps : l’élection des membres des Comités Techniques Paritaires ( les organismes compétents sur en gros toutes les questions hors gestion individuelle des personnels ), par tous les agents. Une sorte de suffrage universel donnant une légitimité syndicale difficilement contestable.
Ces acquis syndicaux de 1968 ont joué un rôle certain dans le dynamisme de la CGT au ministère de la Culture.
11 / UNE SUITE IMMÉDIATE DE 1968 : L’ASPIRATION AU REGROUPEMENT « DES » CGT DU MINISTÈRE.
Les structures de la CGT recoupaient celles des composantes initiales du Ministère telles que décrites ci-dessus.
Les événements de 68 avaient été révélateurs des conséquences négatives de l’éparpillement des forces de la CGT.
Il y avait besoin de solidarité entre les catégories, de convergence dans les revendications, de cohérence dans nos analyses et notre vision du rôle de notre ministère.
Une fois ces évidences énoncées par tous, leur concrétisation se heurtait à des réalités plus complexes dans lesquelles subjectivités et habitudes pesaient lourds.
L’obstacle essentiel était de surmonter les réserves des catégories ouvrières et de surveillances à l’égard des administratifs.
Les administratifs portaient fort l’idée d’une force syndicale CGT unifiée.
Les autres catégories craignaient que les administratifs, réputés plus à l’aise avec plume et parole, ne les marginalisent au sein d’une structure unique.
Le corporatisme et les symboles compliquaient aussi la situation : il y a toujours une sorte de décalque mimétique entre l’image et la personnalité d’une structure administrative et son pendant syndical ! Ainsi, par exemple, le syndicat des personnels de Sèvres et ses ouvriers des métiers d’art, se considérait « supérieurs » aux gardiens de Musée !
Les administratifs étaient, de plus, un peu suspects d’être plus fragiles aux pressions administratives et aux idées réformistes !
Dans le même temps, le cabinet du Ministre tentait de regrouper la gestion de tous les personnels des services extérieurs du Ministère, éclatés pour beaucoup en unités peu nombreuses, à la gestion disparate et pénalisant les possibilités de promotion des agents.
Il se heurtera à des résistances qui se solderont par le refus notamment de la Direction des Archives de participer à ce regroupement.
Peu à peu, le besoin de solidarité et d’être plus forts ensemble, gagnera au sein de la CGT Culture qui eut, grâce à Alfred, la lucidité de regrouper les forces tout en laissant une très large autonomie interne, préservant la personnalité de chaque syndicat d’origine.
Ainsi naîtra, après le Syndicat général des Affaires Culturelles, l’USPAC : l’Union des Syndicats des Personnels des Affaires Culturelles.
12 / CE QU’ON APPELAIT ALORS « LE GAUCHISME » : NON, MERCI.
Je ne me suis pas du tout reconnue dans les mouvements ou idées portées par ce qu’on appelait alors « le gauchisme » que ce soit dans ses formes étudiantes ou féminines ou syndicale- politiques.
Pourtant comme j’aime me forger un jugement par moi-même, j’étais allée plusieurs fois le soir à l’Odéon, où défilaient non stop sur la scène, sommités et inconnus, pour s’exprimer sur la situation.
Dans une ambiance surchauffée et saturée de fumée, au milieu de détritus de papiers sales, bouteilles et autres.
Pour moi, un délire de catégories sociales en mal d’existence dont souvent je ne comprenais pas le sens exact de leurs propos.
Un autre monde bien éloigné des préoccupations des gens avec lesquels nous étions en grève générale ! Ou d’une bonne partie de la France.
Comment ne pas me rappeler ce coup de téléphone de ma grand-mère. Passé chez un voisin car elle n’avait pas le téléphone. Sa voix angoissée pour me demander si nous avions encore du sucre à Paris et si j’arrivais à manger. Les images à la TV sur la nuit des barricades et ensuite sur toute échauffourée, avaient effrayé l’opinion publique non engagée, notamment en province.
Il faut dire aussi que j’avais vécu une expérience du genre vaccination à effet immédiat contre le gauchisme !
Un matin, au début du mouvement, nous tenions une réunion aux Beaux-Arts pour rédiger le cahier de revendications des modèles. Ces jeunes filles et femmes, convoquées souvent à la dernière minute, posaient des heures durant sans pause, nues ou presque, dans des salles glaciales, sans couverture sociale et pour une rétribution de misère !
En pleine réunion, surgit par une porte au fond de l’immense salle où nous étions installés à l’autre bout ( heureusement ), une poignée d’énergumènes hurlant « Dehors les staliniens, on va vous régler votre compte, sales traîtres ». Les copains du syndicat local ( une pensée pour Alfred Bensaid ) se sont interposés et nous ont, comme on dit, « exfiltrés », par une autre porte.
Je l’avoue, j’ai eu peur, et j’éprouvais une incompréhension horrifiée face à une telle violence contre un syndicat qui faisait simplement son boulot.
Ces jeunes appartenaient au mouvement du 22 mars.
13 / VERS LA REPRISE DU TRAVAIL ET LA « VICTOIRE » DE DE GAULLE :
A partir du 24 Mai, les événements vont s’accélérer sur le champ des manœuvres politiques.
De Gaulle annonce un prochain référendum sur la rénovation universitaire, économique et sociale.
Le 27 mai, l’UNEF lance l’appel au Rassemblement au Stade Charléty des forces qui théorisent sur l’état insurrectionnel du pays et une révolution qui ne demande qu’à être ramassée ! Et bien sûr, vomissent sur PC et CGT.
Le 28, Mitterand se porte candidat à la présidence de la République si le non l’emporte au référendum, ce dont il est convaincu !
Le PC fait lui des propositions d’entente des partis de gauche sur l’idée d’un gouvernement populaire unitaire.
Le 29, de Gaulle disparaît des radars. On saura par la suite qu’il est allé s’assurer de la fidélité de l’armée ... au cas où !
Ce même jour, la CGT, soutenue par le PC, organise une manifestation monstre dans Paris. Quel souvenir ! Il faisait une chaleur d’enfer ! Les semelles collaient au goudron par moment. Nous nous époumonions à scander « gouvernement populaire ». A ce stade des événements, ce mot d’ordre prenait une ampleur qui traduisait ce besoin de changement, cette conviction qu’il fallait une issue politique au mouvement social et à tout ce dont il était porteur.
Ces quelques jours ont profondément marqué ma conscience politique. Un vrai bond en avant.
J’ai ressenti les méfaits de l’anticommunisme et de la division, les ravages des illusions pseudo-révolutionnaires même s’il y avait une charge de romantisme et, chez certains, de sincérité qui ne me laissaient pas indifférente.
Deux données se sont imposées à moi.
D’une part, les limites d’un mouvement social même puissant s’il ne se prolonge pas dans un mouvement politique au niveau de l’exercice du pouvoir d’Etat ;
D’autre part, la nécessité d’assumer un engagement politique, à côté de son engagement syndical, pour ne pas opérer de transfert du politique dans le syndical et préserver la spécificité et l’indépendance du syndicalisme.
Le 30, les gaullistes et la droite organisaient leur énorme manifestation des Champs-Élysées.
Le ministère étant tout près, j’ai raconté dans un précédent billet, que nous avions envoyés quelques camarades apprécier cette manif. Dont Jean Farrugia, un ancien résistant et ancien militant pourchassé par l’OAS pour son engagement auprès du FLN en Algérie. En revenant, impressionné par le nombre et la virulence des participants, Jean nous dit avec gravité : « Mes camarades, il n’y a plus qu’une solution : prendre le maquis ».
Les élections législatives règleront le problème : elles traduiront une victoire électorale pour de Gaulle, un recul des partis de gauche. Un vote de peur et d’incompréhension d’une partie suffisante de la France. Pour un temps.
La reprise du travail se fera pour nous vers le 6/7 juin.
Mais les causes des événements de mai-juin 1968 n’en avaient pas disparu pour autant.
Elles vont vite sonner à nouveau les cloches de l’Histoire.
14 / PLUS RIEN COMME AVANT :
Cinquante après, si je devais passer mes souvenirs au travers d’une écumoire, qu’est-ce qui resterait sur la surface de celle-ci ?
Un sentiment de durée : trois grosses semaines qui me semblent avoir duré plusieurs mois tant elles furent denses, riches en événements et activités.
Une irremplaçable formation : j’ai plus appris, expérimenté, discuté, vécu d’événements marquants que dans d’autres périodes de ma vie militante. Ce fut un condensé exceptionnel de formation pour les jeunes militants. L’expression « J’ai fait Mai-Juin 68 » résume bien cet apport de théorie/pratique dont nous avons bénéficié.
Une fraternité humaine : j’ai ressenti ce sentiment bien des fois entre camarades unis par des idéaux communs, par une volonté de combattre les injustices. C’est comme si ce mouvement social avait gommé petites rivalités, mesquineries. Il nous a fait donner le meilleur de nous mêmes pour nous mettre le plus possible à sa hauteur.
Une ambiance joyeuse : ce fut la caractéristique de ce mouvement même dans ses moments cruciaux. Il y avait de la joie dans ce tous ensemble bon enfant, dans ce sentiment que de toute façon l’avenir était de notre côté. Je garderai toujours le souvenir de l’Assemblée Générale où sandwich à la main, on réformait aussi bien le ministère que le statut des mosaïstes des jardins nationaux ou commentions passionnément l’actualité.
Oui, rien ne sera plus comme avant.
1968 va être le tournant de ma vie : je vais la consacrer au syndicalisme.
C’est ma filiation sociale : enfant de mai-juin 1968.