A Louis Viannet ... le militant qui ne voulait pas être secrétaire général de la CGT.

Je suis très triste. Je savais Louis gravement malade. Mais la disparition de quelqu’un qui a tant compté dans ma vie militante, c’est très dur.

J’ai connu Louis dès mon arrivée au Secrétariat de l’UGFF en 1970.

La tradition de la Fédération des PTT voulait que ce soit son secrétaire général adjoint qui participe à la coordination des Fédérations de la Fonction Publique.

Je l’ai donc côtoyé dans une première période de 1970 à 1978 sur tous les dossiers communs aux agents publics.

L’homme était chaleureux, simple et soucieux de faciliter l’exercice des responsabilités aux jeunes. Ainsi, lorsque je dus, au pied levé, remplacer René Bidouze, secrétaire général de l’UGFF qui dirigeait la délégation CGT aux discussions salariales pour cause de décès de sa mère , Louis me dit : « oui, je sais, tu penses que tu ne va pas être à la hauteur mais tu vas diriger la délégation. Et, si besoin, je suis là ».

Car Louis ne faisait pas de transfert carriériste dans son engagement syndical. Comme j’en ai tant vu ! Il n’éprouvait pas le besoin d’écraser pour briller. Je dirais même qu’il avait tendance à se sous-estimer.

Son engagement dans le syndicalisme obéissait à un choix de vie, somme toute naturel pour lui compte tenu de ses origines modestes.

Si je devais le définir, je dirais que c’était avant tout un postier, imbibé dans toutes ses fibres de l’esprit de service public, fier des traditions de lutte de sa corporation, de son rôle dans toute l’histoire de la CGT.

Puis en 1978, deux événements vont nous rapprocher plus encore.

Cette année là, les trois devenant quatre Fédérations de la Fonction Publique ( PTT, UGFF, Services publics et la nouvelle de la Santé) changent de secrétaire général : trois trentenaires et Louis dans la quarantaine. Certes, c’est une nouvelle générations mais c’est surtout aussi un groupe soudé par l’amitié et les mêmes convictions sur les enjeux de la période et de la Fonction Publique.

Nous étions toujours très attentifs aux analyses de Louis car elles nourrissaient nos réflexions, dans cette montée vers les changements politiques de 1981.

Cette même année, j’ai été élue au Comité Central du PCF où Louis siégeait déjà.

Louis appartenait à à ces générations de communistes qui ne critiquaient pas les décisions des instances dirigeantes du Parti en réunion ou publiquement.

Une discipline librement consentie, forgée aussi comme une résistance aux attaques et calomnies anti-communistes.

Mais je témoigne que cela ne l’empêchait pas de se poser des questions notamment sur les stratégies du Parti sur l’Union de la Gauche, sur sa participation gouvernementale, sur des questions de société.

Louis fut ensuite élu au Bureau confédéral. Cette élection annonçait en fait la prochaine en tant que secrétaire général.

Il ne voulait pas être secrétaire général de la CGT. Je ne sais si c’est l’âge, mais il savait qu’il supporterait mal les contraintes inhérentes à la fonction : voiture et chauffeur, garde du corps, emploi du temps frénétique, le moindre propos commenté.

Louis était un homme de liberté : il aimait faire ce qu’il voulait quand il voulait. Comme aller acheter son repas de midi à la supérette du coin à Montreuil ou disparaître sans rien dire pour aller au restaurant avec des copains et leurs épouses. Il alternait des périodes de gros boulot et des périodes disons plus tranquilles. Cela rendait très attachant le personnage qui aimait le très bon vin ( avec une sage modération ), la bonne chère, la chasse et son potager.

Mais la caractéristique de Louis, à chacun de juger, si elle fut positive ou négative, c’est d’avoir fait consensus, comme on dit, au moment de la succession d’Henri Krasucki.

D’un côté, Henri déboussolait littéralement une partie des organisations et des militants par des analyses et attitudes par trop aimables avec les politiques socio-démocrates ( et qu’on laisse de côté par pitié, surtout aujourd’hui, les inepties sur les staliniens ! ).

D’un autre côté, ceux qui dans la CGT plaidaient pour l’unité privilégiée avec la CFDT, pour l’allégeance aux thèses de la Commission Européenne, lorgnaient vers des militants réputés plus softs comme Gérard Alezard ou Alain Obadia.

Louis donc rassuraient les premiers et n’effrayaient pas les seconds.

Il avait horreur des conflits et essayait toujours de s’en sortir sans prendre ouvertement parti pour les uns et les autres.

Il n’avait donc pas d’autre choix que d’accepter cette responsabilité.

Et une nouvelle période de coopération entre lui et moi a commencé.

Après mon départ de l’UGFF en Octobre 1992 ( dans des conditions qu’il faut que je me décide à vous raconter ) et une copieuse dépression nerveuse, Louis m’a demandé de venir travailler avec lui sur les dossiers internationaux, les questions de société et tout ce qui touchait aux « idées ».

Je garde de cette période le souvenir de l’ambiance super sympa de l’équipe que nous formions autour de lui avec Eliane Allouche, sa secrétaire, Jean-Louis Balland, son directeur de cabinet ( sans troupes ! ) et moi avec mon statut en free-lance.

Nous passions des heures à discuter, échanger, frotter même vigoureusement nos idées.

Je suis fière d’avoir été sa principale plume durant ces premières années de son mandat.

Les médias veulent le présenter comme celui qui a fait prendre à la CGT ses distances vis à vis du PCF. Pour eux, c’est la seule qualité valable pour un dirigeant de la CGT !

Je crois que c’est surtout le PCF qui avait pris ses distances avec la société française et donc avec la CGT.

Louis était conscient des grandes mutations en cours et des évolutions que devait opérer le syndicalisme CGT dans son rapport au pouvoir quel qu’il soit, au salariat, aux modes de vie, au mœurs.

Mais son souci du compromis et de la voie moyenne l’ont freiné. C’est dommage.

Cela n’occulte en rien le respect et l’affection que je lui porte.

A cet instant, je ne veux pas pleurer mais revivre tous ces moments forts et exaltants, partagés avec Louis.

Mes pensées vont à sa femme et toute sa famille.


22 octobre 2017