Partie II


Pour la population : les conséquences de la présence d’une armée étrangère, même amie.


Introduction



Des villages au rythme des cantonnements.

A plus d’un siècle de distance il est difficile d’imaginer le bouleversement du quotidien des villages de la Vallée du Cher que provoqua l’arrivée des soldats américains.

Une armée qui se déploie ne le fait pas dans la discrétion.

Le nombre considérable de soldats, les différentes langues parlées, leur culture, leur matériel, les exercices militaires, l’activité journalière, bruyante et sur un rythme élevé de la vie d’une garnison etc…, mais aussi tout ce qu’une armée draine dans son sillage, mercantis, pratiques et comportements de trafiquants en tout genre : c’était un autre monde.  

Il fit irruption dans nos compagnes et les rapprocha de la zone de front.

Une activité trépidante.

Un beau matin, ou en soirée, les soldats arrivent dans un des villages retenus par l’armée. Ils y installent leur cantonnement.

Au petit matin, le chant du coq est supplanté par le son du clairon et les commandements secs et sonores des gradés.

Les bruits traditionnels de la vie campagnarde, le hennissement d’un cheval, le roulement  d’une charrette, le meuglement de la vache,  

ou le trottinement des chèvres menées aux prés, le tintement de la cloche de l’église, le sifflet des quelques rares trains, tous, se mêlent aux vrombissements des gros camions, des motos et voitures militaires, et au hennissement des dizaines de chevaux au pacage.

Les voitures automobiles dans les villages, étaient très peu nombreuses voire inexistantes. Une seule était présente dans Monthou. C’était celle de la Baronne de Cassin au château du Gué-Péan.

Et voilà que des camions sillonnent à longueur de journée les chemins empierrés ou en terre battue.

Le cliquetis des armes, le tapage des exercices militaires et des explosions troublaient quotidiennement la quiétude des villages.  

A Pontlevoy, dans le bois de la Garette, ils s’exerçaient au tir à la mitrailleuse, au Petit-Bois, au lancer de grenade.

Il y avait aussi un hôpital militaire et un cinéma installés dans le collège de Pontlevoy.

Sur le terrain d’aviation fondé par Fernand Morlat (voir annexe 1) règne une intense activité.

L’inspection de Pershing dans le cantonnement de Thenay, situé sur la route de Sambin, ne passa pas inaperçue.

A Montrichard, un contingent de télégraphistes venu pour monter des poteaux et des lignes de téléphone était installé depuis août 1917, les officiers logeaient à l’Hôtel de Blois (actuel siège du Crédit Agricole) et les troupes de services extrayaient du sable du Cher. 

A Monthou, aux « Orfeuilles », ils apprenaient le maniement et le tir au canon de 75.

Mais surtout, le vacarme des concasseurs devait être assourdissant.

En effet, à Monthou, les soldats exploitaient une carrière. En fait, ils avaient entrepris de transformer tout un vaste ensemble de roches erratiques, datant de la préhistoire, dont des polissoirs du néolithique, en gravier.

Après les avoir dynamités, ils transformaient, à l’aide de deux puissants concasseurs, les morceaux de roches éclatées en du gravier pour remblayer les chemins.

Des prisonniers allemands étaient employés à ces travaux de terrassements.

L’activité militaire et son fracas étaient quasiment inconnus dans la plupart de nos villages loin de la guerre.

Les va-et-vient incessants des camions eurent raison des chemins vicinaux. Ils furent très rapidement défoncés, rendus inutilisables pour les charrettes des locaux.

De nombreux Conseils Municipaux protestèrent et demandèrent réparations à l’armée américaine.

 Celui de la ville de Montrichard, dans sa réunion du mois de juin 1918, délibère : « le conseil en raison des nuages de poussières que soulève le passage incessant des autos et camions de l’armée américaine dans les rues de la ville prie, Monsieur le Maire de bien vouloir faire les demandes nécessaires pour que l’arrosage des rues soit assuré fréquemment et par les soins de l’armée américaine ».

Le Maire de Monthou, Mr Berthelin, réunit le Conseil Municipal le 15 août 1918 à 10 heures pour une série de délibérations dont une concerne l’armée américaine :

« Le conseil considérant que les troupes américaines qui exploitent une carrière de pierres à Monthou sur Cher, ont un va et vient continuel de camions lourdement chargés sur plusieurs chemins vicinaux trop faibles pour supporter de pareilles charges vont être dégradés en fort peu de temps, certaines parties sont déjà impraticables.

Le Conseil demande que l’autorité américaine veuille bien entretenir ces chemins afin de les laisser, en fin d’exploitation, dans l’état où ils se trouvaient avant le commencement des travaux. »

A Châtillon-sur-Cher, le Conseil Municipal, « considérant ..les dégâts occasionnés par leurs lourds chariots au pont du canal du Berry et du Cher qui doivent être réparés par la commune, qu’il y aussi un pont sur le canal du Berry qui, de ce fait n’est plus utilisable, sans craintes d’accidents….. »(2).

Le soir après la soupe et avant l’extinction des feux, sonnée au clairon, les « débits » créés pour l’occasion se remplissaient de soldats.


Le soir après la soupe et avant l’extinction des feux, sonnée au clairon, les « débits » créés pour l’occasion se remplissaient de soldats.

Difficile, également, d’imaginer aujourd’hui, l’agitation, sur le site de la base de Gièvres en construction, ses trains, ses camions, ses autos, les allées et venues incessantes des soldats des unités de service qui y travaillent.

Le Commissaire Spécial à l’occasion d’une visite des lieux en mai 1918, découvre la démesure des installations et en fait une description saisissante dans son rapport au Préfet.

Il souligne les transformations sociologiques en cours parmi la population.

Ce rapport traduit son étonnement inquiet devant la nouveauté de la situation.

Aux habitants originaires des localités s’ajoutent « déjà, des chinois, des annamites, des espagnols, des américains de toutes couleurs » (3) des belges et des français réfugiés des zones sinistrées.

Et que dire du fourmillement du camp gigantesque de Noyers, de ses centaines de soldats qui arrivaient pour remplacer ceux qui partaient au front.

Une population interlope s’installe et gravite autour des camps et cantonnements.  

Les mercantis montent leur magasin mobile aux abords des villages.

Les enfants du Monthou de l’époque étaient passionnés par cette agitation militaire :

« Nous aimions les voir défiler, entendre le clairon, assister quelquefois et de loin à leurs exercices... »

« Notre temps libre, c’étaient les Américains... ». rapportera Guy Lemoine (3). .

Leurs grands-parents, leurs mères, confrontés aux difficultés du travail de la terre, et de la vie quotidienne, comment vivaient-ils la présence 

militaire ?

Ce qui est certain, c’est que la vie paisible et rythmée par les travaux agricoles de ces villages fut bouleversée par la vie trépidante et bruyante des casernements.


Pour les populations, les conséquences de la présence américaine ne se limiteront pas à ce seul aspect de la vie villageoise ; elles pèseront sur de multiples aspects de la vie sociale.



ANNEXE 1

Fernand Morlat, membre de l’Union des Aviateurs de la Seine est un des fondateurs avec Charles Tauvin, propriétaire foncier sur la commune de l’Aérodrome de Pontlevoy. L’aérodrome de Pontlevoy a connu ses heures de gloire de 1910 à 1920. Terrain d’atterrissage et de décollage, celui-ci se transforme dès août 1910 en école d’aviation avec quelques avions-pilotes, puis en terrain militaire jusqu’au départ de l’armée de l’air américaine en juin 1920.

Le Département de Loir et Cher, avec la participation des Archives Départementales a consacré à l’aéroport de Pontlevoy, une exposition itinérante.


Notes

1 - Délibération du Conseil Municipal de Monthou-sur-Cher. Source ADLC.

2 - Rapport du Commissaire Spécial au Préfet de Loir et Cher. Source ADLC : Série 4 M 21, Commissaires Spéciaux.,Rapports de police, population, affaires économiques, mercuriales, maladies vénériennes, tuberculose,

3 - Monsieur Guy LEMOINE, dans un recueil de souvenirs intitulé  "GLANE ... DE SOUVENIRS", écrit en 1988, témoigne de son enfance vécue à Monthou-sur-Cher. Il évoque dans ce recueil la vie du village pendant la Grande-Guerre et  "LES AMERICAINS ».


Sites :

Les amis du vieux Montrichard : http://www.montrichardvaldecher.fr/index.php/les-amis-du-vieux-montrichard

Le Musée de Sologne : http://www.museedesologne.com