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La Seconde Guerre Mondiale à Montrichard :

Les filières du SR Kléber

Le Réseau Kléber est le nom donné aux services de renseignements clandestins des services spéciaux ou secrets du gouvernement de Vichy, concernant l’armée de Terre.

Il se ramifiera en de nombreux sous-réseaux, avec le recrutement de civils.

Il y a aussi un SR Air sous la direction du colonel Ronin et un SR Marine sous celle du capitaine de vaisseau Samson.

Un certain nombre d’officiers, opposés à l’Armistice et convaincus qu’il faut préparer la reprise future des hostilités, vont constituer des services clandestins à coté des missions officielles concédées à l’armée d’Armistice par les Allemands qui prennent la forme, deux mois après l’Armistice, d’un Bureau des menées antinationales ( BMA ) (1).

Le colonel Rivet qui dirige les services spéciaux de l’armée de Terre va jeter les bases de cette organisation clandestine dès le 25 juin 1940 (2).

Des entreprises spécialisées dans la ruralité vont servir de couverture comme « l’Office du retour à la terre » du lieutenant-colonel Perruche, chef du SR Kléber ou « l’entreprise de Travaux Publics » du commandant Paillole. Nombre d’officiers de l’Armée d’Armistice, mis en congé, s’y reconvertissent et mettent à profit leurs déplacements pour recueillir des renseignements.

Ces services clandestins ont des contacts avec les ambassades et consulats alliés en zone non occupée et avec les services anglais de l’Intelligence Service.

De même, des militaires renvoyés dans leurs foyers sont aussi recasés dans des organismes publics comme les Oeuvres Sociales des Armées, les Chantiers de Jeunesse, etc.

Ces activités serviront là encore de couverture aux activités de l’Organisation de Résistance de l’Armée ( ORA ).

Il convient de rappeler que beaucoup de ces militaires ne sont pas au départ en opposition avec le régime de Vichy et le maréchal Pétain car ils pensent que Pétain, qui continue à bénéficier de son aura de « vainqueur de Verdun », mène en fait un double jeu pour gagner du temps pour redonner des forces à la France. La poignée de mains de Montoire, les concessions grandissantes aux Occupants avec la politique officielle de collaboration, les feront évoluer pour beaucoup vers une résistance plus affirmée et organisée.

Nous trouvons trace de deux filières du Réseau Kléber à Montrichard. Chacune ignorant évidemment l’existence de l’autre. Le principe du cloisonnement était la base des règles de sécurité.


« Allez-donc voir Georges Fermé à Montrichard… »



Jean-Marie Lelièvre, directeur de la Mutuelle Générale Française du Mans, société d’Assurances MGF, poursuit : « C’était mon lieutenant de batterie en 40, un dur, je serais bien surpris qu’il ne soit pas dans le coup » (3).

Ces propos s’adressent à son collaborateur René Branchu à la recherche d’un nouveau lieu de passage de la Ligne de démarcation, en ce début de 1941 (4).

Le SR Kléber au Mans

C’est le premier réseau de renseignements créé dans la Sarthe, dès l’été 1940.

Jean-Marie Lelièvre décide d’entrer en contact avec le 2e Bureau car il est convaincu que son expérience militaire d’ancien officier du 5e Bureau de l’Etat-major du 4e Corps d’armée et les possibilités de collecte de renseignements au travers des missions de la Mutuelle, peuvent aider les services secrets de l’Armée.

Ses principaux collaborateurs l’appuient et ainsi est crée le sous-groupe manceau du SR Kléber.

Ce groupe va jouer un rôle notable dans la transmission de renseignements notamment grâce aux agents qui enquêtent sur le terrain pour constituer les dossiers d’assurances : sur les transports ferroviaires, les chantiers de constructions, les allées et venues à l’Etat-Major du général allemand Dollmann installé en face des locaux de la Mutuelle, etc.

Le SR Kléber du Mans ne se limite pas au renseignement. Il va faire passer aussi en zone non occupée des militaires, des prisonniers de guerre et de manière plus large tous ceux qui ont besoin d’échapper aux Occupants.

La succursale de la MGF à Châteauroux

La Ligne de Démarcation, comme on le sait, a constitué une véritable frontière intérieure affectant aussi toute la vie économique et financière. Les entreprises et sociétés ne peuvent plus communiquer avec leurs structures de la zone non occupée. Elles vont donc s’organiser pour créer des centres de direction dans cette zone.

Châteauroux a des atouts : préfecture du département de l’Indre élargi à une partie du Loir et Cher et jouxtant la Ligne. Elle est située sur de grands axes de communication.

La MGF développe donc cette succursale qui sera le relais pour le courrier et ses affaires en zone non occupée, pour l’aide aux personnes passées et servira de « couverture » pour la transmission des renseignements du SR Kléber vers les supérieurs directs du groupe manceau.

Châteauroux devient le Bureau centralisateur du courrier de la zone non occupé qu’il faut donc faire passer pour l’amener au Mans et vice-versa.

L’homme de confiance désigné par Jean-Marie Lelièvre pour accomplir ces missions est René Branchu.

René Branchu, le « missi dominici » du SR Kléber

René Branchu a fait sa carrière à la MGF : il y est contrôleur. Il va donc avoir deux casquettes.

Celle de faire passer en zone non occupée le matériel, les documents et courriers de l’entreprise, les personnels et leurs familles qui y vont en renfort et à sens inverse.

Celle de convoyer les personnes pourchassées et les renseignements du SR Kléber.

Ainsi Jean-Marie Lelièvre demandera à Branchu de faire passer les employés de l’entreprise soupçonnés par Vichy et les Allemands d’être communistes et les jeunes requis pour le travail obligatoire (5).

Il convoiera aussi des militaires anglais, belges et hollandais, des juifs de la région parisienne, etc.

Son premier trajet de passage sera à Bléré-La Croix, très précisément aux lieu-dit des Ouches. Mais un soir au printemps 1941, sur le chemin le conduisant au lieu du passage pour repasser en zone occupée, la patrouille allemande, lui tire dessus, le manque mais l’arrête. il a juste le temps de jeter dans un fossé le paquet de courrier qu’il ramenait.

René Branchu sera détenu 10 jours à Tours, à la caserne Lasalle utilisée comme prison par les Allemands. il avait pu alerter sa famille et la MGF. Les démarches de la MGF aboutissent à sa libération, faute de preuve manifeste de menées subversives.

Il faut donc trouver un autre lieu pour les passages et Jean-Marie Lelièvre pense alors à Georges Fermé qui précisément habite une localité sur la Ligne, plus proche encore de Châteauroux.

L’indispensable Jean Sentout


Georges Fermé est épicier en gros. Patriote et anti pétainiste de la première heure, il est « déjà dans le coup ». En effet, il est en contact avec Henri Drussy, le maire de Blois et Marcel Buhler, qui s’occupe des Anciens combattants qui lui envoient du courrier, des documents, des gens à faire passer. De plus, le Préfet lui a confié la livraison de denrées aux habitants résidant dans la partie du département qui se trouve en zone non occupée. Son Ausweis de commerçant frontalier lui sera d’une grande utilité pour faire lui aussi passer dans ses camions (6).

Georges Fermé ne saura rien du rôle de Branchu au service du SR Kléber. La prudence absolue s’impose y compris avec les amis, la famille.

Georges Fermé lui présente sans plus tarder le passeur, Jean Sentout, à qui il envoie régulièrement des gens à passer (7)

Branchu nous le décrit : « C’est un grand gaillard, flegmatique, peu causant, type du paysan madré ».

Rendant compte à Jean Marie Lelièvre à son retour, celui-ci commentera au sujet de Georges Fermé : « C’est bien, je ne m’étais pas trompé ».

Branchu dira que c’est une « collaboration sans faille » qui va s’établir entre lui et ces deux hommes pendant environ dix-huit mois.

Les passages s’échelonnent tous les quinze jours, au maximum toutes les trois semaines.

A chaque fois, trois postulants au passage. Souvent, il y a des membres du SR Kléber parmi eux.

Branchu et ses compagnons voyagent en train : Le Mans-Tours, changement pour Montrichard. Pendant les deux heure d’attente, ils font un tour dans la ville. Jamais de halte dans un café, trop propice à se faire repérer.

Ils déjeunent à Montrichard. A l’hôtel-restaurant du Courrier, tout près de chez les Fermé, sur le Champ de Foire (8).

Puis, ils franchissent le Pont qui est en zone occupée et tournent juste après sur la droite. Ils vont s’abriter dans une maison désaffectée. Rappelons que les allemands avait poussé un peu plus loin la Ligne de démarcation en empiétant sur la commune de Faverolles pour assurer la sécurité de leurs convois militaires passant sur le quai du Cher.

C’est dans cette vieille maison que Sentout les récupère et leur fait traverser les près vers Faverolles en zone non occupée.

Une fois, Branchu fait part à Sentout de ses inquiétudes car il pense que des bavardages ont éventé le passage en préparation à Montrichard. Sentout lui propose d’opérer le passage à Bourré qui est aussi un de ses des lieux de passage. La traversée du Cher se fera en barque.

Ils y vont à pied par les coteaux, passent sous la voie de chemin de fer et découvrent un groupe de dix personnes en attente au bord du Cher (9).

C’est une barque venant de l’autre rive, qui était cachée dans les roseaux, qui les conduira vers la liberté. Branchu ne cache pas son angoisse car nulle échappée possible s’ils avaient été surpris. Sentout avec son habituel calme stoïque lui répond qu’il s’assure toujours que les douaniers allemands ne sont pas là !

Ce nouveau lieu de passage conduit René Branchu à changer ses habitudes.

Dorénavant, il descend du train à Amboise avec les postulants au passage. Puis, ils traversent la forêt d’Amboise à vélo. Ils sont hébergés par le garde de la forêt d’Amboise dans la Maison forestière. Là encore, c’est Sentout qui les a mis en contact.

Georges Fermé récupère après les vélos, les amènent à Noyers où l’agent de la MGF à St. Aignan qui dispose d’un laissez-passer les récupère à son tour avec la complicité des cheminots résistants.

1942 : les évènements se précipitent


Le 16 mai et le 17 mai 1942, Georges Agoutin et André Gardes, les supérieurs correspondants directs du groupe manceau du SR Kléber sont arrêtés à Paris, avec plusieurs autres résistants (10).

Or, Lelièvre avait fourni une carte professionnelle d’inspecteur de la MGF à Agoutin pour légitimer ses déplacements. Ce qui pouvait mettre la puce à l’oreille des Allemands d’autant que Lelièvre venait d’être détenu quelques jours en prison, soupçonné d’aider ses jeunes employés à fuir le STO.

Le SR Kléber du Mans cesse alors ses activités.

Mais Branchu poursuit les passages clandestins à Montrichard car dit-il

« les besoins se font toujours sentir ».

Fin octobre 1942, il a rendez-vous à Blois avec Georges Fermé qui doit le ramener avec deux réfractaires STO. Ils sont en retard. Georges Fermé les laisse à Montrichard et ils se rendent à Bourré par les hauts. Il commence à faire nuit. Sentout les attend. Mais, le groupe tombe sur la patrouille allemande qui fait feu. Pas de blessé. Les jeunes arrivent à fuir. Mais Branchu est arrêté.

Il sera condamné à 6 semaines d’emprisonnement et détenu à Romorantin. Il s’en tire bien car les Allemands ont cru qu’il s’agissait d’un simple franchissement individuel de la Ligne.

Après cette mésaventure et dans une période de plus en plus répressive sur la Ligne, René Branchu ne fera plus de passages. Il semble avoir cessé des actions trop dangereuses de Résistance.

Une indéfectible amitié


Des liens forts vont unir tous ces protagonistes. Des amitiés indéfectibles se noueront dans la résistance entre des hommes et des femmes qui ont partagé tant de dangers au nom de leurs convictions.

Ainsi, lorsque Georges Fermé échappera de justesse aux Allemands venus l’arrêter en août 1943, la MGF est alertée par Marcel Renault, membre du groupe de Georges (11).

Elle charge Branchu et la succursale de Châteauroux de lui trouver un refuge. Il sera d’abord accueilli dans la famille Caradeuc à Châteauroux, puis à St. Martin de Lamps, dans la ferme « la Ferrière » de Mr. Resiqui, un russe polonais où il demeurera plusieurs mois avant de rejoindre, un peu avant le débarquement, le maquis Nord-Indre, dans le bataillon Comte.

Après la libération, René Branchu et les Fermé correspondront régulièrement.

Ainsi, lorsque après la fin de la guerre, Jean Sentout revient à Montrichard et connait des difficultés financières, un juif parisien qu’il avait fait passer et qui venait le remercier de son aide, alerte René Branchu. Celui-ci organise une collecte pour le secourir. La MGF sera une généreuse donatrice en reconnaissance de tous les services rendus par Jean Sentout. Il pourra ainsi conserver son domicile de la rue du Haut-Charnier où lui et sa femme avaient hébergé tant de postulants au passage (12).


Jean Monmousseau : « Des filières d’une sureté exceptionnelle.. »

A la Libération, c’est en ces termes que le général Bonneau, délégué général des FFCI, qualifie l’action de Jean Monmousseau dans la citation à l’ordre de sa division, soulignant qu’il fut un résistant de la première heure. Cette citation valait attribution de la Croix de Guerre.


La « Maison Monmousseau » : un statut d’institution montrichardaise


Jean représente la troisième génération des Monmousseau à Montrichard.

En effet, c’est son grand-oncle Alcide Monmousseau qui en 1886 installe son négoce de vins dans des caves troglodytes qui avaient été une importante carrière de pierre de tuffeau.

Elles sont adaptées à la conservation du vin et bien situées pour les transports : au bord du Cher et de la Nationale 76 ainsi que proches de la voie ferrée Tours-Vierzon, permettant la jonction avec d’autres lignes de chemin de fer.

Au début du siècle, son neveu, Justin Monmousseau lui succède (13).

Il met au point une méthode proche de celle du champagne, dite méthode traditionnelle. Le succès de ces vins pétillants est immédiat. Dès les années 20, il exporte dans toute l’Europe notamment en Suède et en Allemagne.

En 1931, il achète un domaine viticole, le Château Gaudrelle à Rochecorbon, producteur de vin de Vouvray et en 1932, il rachète la Maison Bouvet-Ladubay à Saint-Hilaire-Saint Florent (49) fondée en 1851, productrice de vins de Saumur.

Les établissements Monmousseau prospèrent.

Justin et son épouse Jeanne Maury ont deux enfants Jean, né en 1904 à Paris et Blanche née en 1905 à Montrichard (14).

Jean seconde son père en tant que directeur sur le site de Montrichard, depuis 1941.

Il a épousé en mai 1932 à Manchester, Germaine Bernard. C’est une anglaise de confession juive.

Ils auront quatre enfants (15)

Jean a le grade de lieutenant de réserve. Il avait fait l’école d’application des chars. C’est par l’intermédiaire d’un camarade connu pendant la « drôle de guerre » qu’il va entrer dans la Résistance.

A la jonction du SR Kléber et du mouvement Combat

Pierre de Froment, saint-cyrien et lieutenant, n’accepte pas la défaite et l’occupation du pays (16)

Il entre en contact en septembre 1940 avec le capitaine Henri Frenay qui est en train de constituer un mouvement de résistance, le Mouvement de Libération Nationale (MLN), qui avec l’apport d’autres mouvements deviendra Combat, un très important mouvement de la zone non occupée. Frenay est aussi membre du SR Kléber (17)

Frenay charge Froment de le représenter en zone occupée. Celui-ci va, en accord avec le colonel Louis Baril, responsable du 2e Bureau de l’Etat-Major de l’armée de terre et en coordination avec les services du contre espionnage du colonel Rivet, monter un vaste service de renseignements.

Une question majeure se pose : comment faire franchir la Ligne de démarcation aux agents du réseau Kléber, à ceux du MLN puis de Combat et aux renseignements à transmettre aux autorités concernées de la zone non occupée ?

C’est Georges Beitz, administrateur d’immeubles à Paris, adjoint de Froment, qui propose la solution.

Froment l’explique ainsi : « Beitz avait la chance de connaitre en Touraine, à Montrichard, un officier de réserve très patriote, très désintéressé qui était aussi industriel, fabricant de vin de Vouvray (cf. Froment confond les vignobles ! ) Jean Monmousseau qui accepta tout de suite de faire passer la Ligne de Démarcation aux agents de Froment et au courrier ( il facilita de la même manière l’évasion de prisonniers de guerre ) »…il connaissait les sentinelles, savait les moments propices.. »

Ses services d’Agent P1 (donc agent régulier mais non clandestin ) du Réseau Kléber sont actés à partir du 1er janvier 1941 mais il avait commencé les passages dès l’automne 40.

Dans deux de ses ouvrages, Henri Frenay raconte ces passages à Montrichard en termes quasi identiques : « ..fin 1940, Pierre décide de retourner en zone libre. La nuit de Noël 1940, il la passe dans la famille Monmousseau à Montrichard où il est fraternellement reçu. Le lendemain 25 décembre, avant le jour (cf. Froment indique à 6 heures), Jean Monmousseau qui a son permis frontalier, charge son camion de grandes futailles. Les unes sont pleines, d’autres vides. Dans l’une d’elles, au fond du chargement, Pierre est enfermé, la bouche près de la bonde. A la ligne de démarcation, non sans crainte, il écoute des voix allemandes. La bâche arrière est soulevée, un doigt cogne sur trois tonneaux…le camion reprend sa route…Pierre de Froment est arrivé en zone libre ».


Ces dirigeants de Combat précisent une donnée importante : « Ce service de passage continua sans interruption et Jean Monmousseau ne fut jamais inquiété ».

Ainsi se vérifie ici que, même après la fin de la Ligne en mars 1943, les résistants auront recours aux passages clandestins pour éviter les contrôles toujours possibles aux anciens points de passages officiels.

Jean Monmousseau va être inquiété par les Allemands mais pour une toute autre affaire.


L’affaire du dépôt des armes parachutées


Les 17 et 20 juin 1943, des armes avaient été parachutées sur le terrain de la Pernotière à Chissay, réceptionnées par le groupe montrichardais de Georges Fermé du Réseau Adolphe/SOE.

Ces armes avaient été cachées dans sa cave : le mur refermé par le maçon Alfred Dupuis et repeint par le peintre Maurice Pinon, deux membres du groupe.

Les groupes du SOE pratiquaient les consignes de Londres : stocker les armes dans des dépôts souvent conséquents, en attendant le moment de la libération nationale. Les FTP préconisaient la dispersion maximale des armes et leur utilisation immédiate pour harceler l’ennemi avec des actions de type guérilla.

Après la fuite de Georges Fermé (voir les notes 6 et 11), Jean Monmousseau est arrêté le 11 septembre, le même jour qu’Henriette son épouse, en compagnie de Stéphane Berthelot, beau-frère de Georges et de son père Justin Monmousseau.et de Jacques Peyrard, le propriétaire de l’Hôtel de la Croix-Blanche, arrêté lui la veille. Ils sont soupçonnés de complicité et interrogés par la Gestapo pour leur faire avouer l’endroit où ces armes sont cachées.

Les allemands malgré leurs recherches dans la cave ne trouveront pas l’endroit du dépôt. Ce fut un quasi miracle car leurs sondages avec des coups sur le mur frôlèrent la cache !

Jean Monmousseau et les autres détenus seront libérés après une courte détention (18


L’engagement dans les FFI et la fin de la guerre

Le 20 mai 1944, il s’engage au sein de la 10e Compagnie des FFI du Loir et Cher, commandée par Gérard Caffy et Marius Bigot.  

Jean Monmousseau a le grade de lieutenant FFI, membre de l’Etat-Major de la compagnie. Il est plus particulièrement chargé du secteur de Monthou-sur-Cher.

Il effectue des patrouilles et des liaisons avec les groupes de résistance voisins.

Les 2 et 3 septembre 1944, « il assure les liaisons avec des éléments de l’armée américaine à Amboise en traversant la forêt d’Amboise infestée d’allemands pour demander l’appui de l’aviation américaine contre une très forte colonne allemande remontant de la région de Bordeaux et se dirigeant vers l’est en longeant le Cher entre Bléré-Cormeray. Il participe à la Libération de Montrichard ».

Les FFI sont dissoutes le 19 septembre 1944. Leurs membres peuvent être incorporés à l’armée régulière si ils souscrivent un engagement à servir jusqu’à la fin de la guerre.

Nombreux seront les FFI du Loir et Cher, souvent appelés les « volontaires de la liberté », à souscrire cet engagement au sein du 4e Régiment de l’armée de l’air (RIA), crée par le colonel Henri Valin de la Vaissière, qui avait été le chef départemental des FFI.

Tel fut le cas de Camille Ferrand,

Jean Monmousseau s’engage aussi volontairement et il est mis à la disposition du général Delmas, commandant la 5e Région militaire. Il est rappelé en activité en février 1945 et affecté à l’Etablissement de Réserve Générale des Engins Blindés (E.R.G.E.B) à Gien (45). Il est démobilisé fin septembre 1945 avec le grade de capitaine de réserve, dans l’arme blindée et cavalerie (ABC), composante de l’armée de terre, créée en 1942.

En 1946, Jean Monmousseau prend la suite de son père à la direction de la Maison Bouvet-Ladubay dans le Maine-et-Loire.

Après la Libération, une période compliquée s’ouvre pour la famille Monmousseau. Elle fera l’objet de procédures des Services de la Confiscation des Profits Illicites dans les trois départements où elle est implantée. Elle sera aussi accusée de commerce avec l’ennemi… mais c’est une autre histoire qui relèvera d’un futur article sur ces dimensions économiques de l’Epuration.


La présence de ces deux filières du SR Kléber, mises à jour dans le cadre des recherches sur la Ligne de démarcation, souligne la place importante des filières organisées d’acteurs de premier plan de la résistance dans les passages sur Montrichard comme aussi celle du réseau du Musée de l’Homme ou les filières d’évasion belges.

Thérèse GALLO-VILLA


Notes

  1. La mission officielle du BMA ( qui a aussi des structures déconcentrées) est la lutte contre l’espionnage, le sabotage, les menées communistes, plus généralement celles estimées « antinationales ». Cette mission permettait certes de collecter des renseignements utiles notamment aux services secrets britanniques et à certaines organisations opposantes à Vichy mais elle fut aussi exercée contre les communistes et les gaullistes, en fournissant des informations à la police de Vichy et aux Occupants qui conduisirent à bien des arrestations.
  2. Le jour même de l’entrée en vigueur de l’Armistice soit le 25 juin 1940, lors d’un séminaire à Bon-Encontre (47) du colonel Rivet avec ses officiers et sous-officiers, tous prêtent serment de poursuivre clandestinement leur lutte contre les services de l’Axe jusqu’à la libération de la Patrie : c’est le Serment de Bon-Encontre.  
  3. Jean-Marie Lelièvre (1900-1976), grand sportif, a aussi attaché son nom à l’Automobile Club de l’Ouest (ACO). Il a contribué au développement et au rayonnement des « 24 heures du Mans ».Pendant la « drôle de guerre », il cantonnait à Marigny-les-Usages (45) et avait Georges Fermé sous ses ordres qui tuait le temps en faisant la popote pour ses camarades.
  4. René Branchu (1896-1995) : il a été reconnu appartenant aux Forces Françaises Combattantes (FFC), Agent P1, du 1-12-1940 au 1-1-1943 pour le Réseau Kléber. Les Agents P1 étaient des résistants réguliers mais qui n’étaient pas en situation de clandestinité. les Agents P2 étaient les clandestins et les agents O les occasionnels.
  5. Jean-Marie Lelièvre sera arrêté deux fois par les Allemands en 41 et 42
  6. Georges Fermé crée un groupe de résistance avec une douzaine d’amis sûrs. Début 1943, il affilie son groupe au réseau Adolphe de Pierre Culioli, rattaché au réseau Prosper du SOE britannique. Le réseau Adolphe tombera en juin 1943. Le groupe de Georges Fermé a participé à plusieurs parachutages.
  7. Jean Sentout est le passeur emblématique de Montrichard. On estime qu’il a fait passer au moins 6000 personnes. Voir les articles de l’auteure sur la Ligne de Démarcation.
  8. L’hôtel-restaurant du Courrier sera tenu successivement pendant la guerre par deux propriétaires qui hébergeront des juifs en attente d’un passage et rendront de nombreux services à la résistance.
  9. Dans un autre texte, Branchu indique que la barque pouvait contenir un groupe allant jusqu’à 30 personnes.
  10. (10) Le 11 janvier 1943, ils sont condamnés à mort par un tribunal allemand et sont fusillés le 30 avril au stand de tir du champ de manoeuvres d’Issy-les-Moulineaux.
  11. (11) La chute du réseau Adolphe se soldera par des dizaines d’arrestations et de nombreuses déportations. En représailles, les Allemands arrêteront Henriette Fermé le 11 septembre 1943. Elle sera déportée à Ravensbruck et rentrera en 1945.
  12. (12) Jean Sentout, arrêté en novembre 1942, avait réussi à s’enfuir. Il se réfugie à Céré-la-Ronde où il devient ouvrier agricole et agit avec le groupe de résistants de Montrésor (37) jusqu’à son retour à Montrichard en septembre 1944.
  13. (13) né à Esvres (37) le 18 septembre 1887 et décédé le 16 décembre 1973 à Montrichard.
  14. (14) Il aura une résidence à la Roche-Posay dont il sera maire de 1977 à 1979. Il décède le 15 décembre 1983 à Saumur. Sa soeur Blanche, épouse Maury, fera passer en barque en 1942, les enfants juifs d’une amie d’enfance, Francis et Maurice Van Kote, qui seront accueillis et cachés chez le couple Buron, instituteurs à Angé, en zone non occupée.
  15. (15) Armand Philippe, 1933-2001 ; Bernard François, 1941-1973 ; Charles Patrice 1943-vivant. Je n’ai pu identifier le ou la 4e.
  16. (16) Pierre de Froment (1913-2006) : il sera arrêté ainsi que son adjointe Denise Cerneau, le 14 janvier 1943. Il est déporté à Mauthausen et Denise à Ravensbruck. Ils en reviendront. De Froment réintègre l’armée, occupe des responsabilités au sein des services du contre espionnage et deviendra général.
  17. (17) Henri Frenay prend rang parmi les résistants les plus connus de la résistance. Il est caractéristique de la catégorie des « vychisto-résistants ». D’abord favorable à Pétain « qui prépare forcément le salut de la France d’une manière ou une autre » mais qui rompra avec en raison de la politique affirmée de collaboration. A la Libération, il devient ministre des Prisonniers, des Déportés et des Réfugiés. Son nom est indissociable de celui Berthy Albrecht, arrêtée et torturée à plusieurs reprises, elle se pend dans la prison de Fresnes le 31 mai 1943.
  18. (18) L’affaire resurgira à la Libération : des membres du groupe Fermé saisiront le Comité Local de Libération convaincus que Peyrard avait indiqué à la Gestapo, lors de sa détention, qu’un dépôt d’armes étai caché chez G. Fermé. Une enquête fut ouverte et tous les protagonistes concernés furent interrogés. L’affaire fut classée sans suite.

Sources et bibliographie

SDH : dossier Branchu, GR 16 P 87616 ; dossier Jean Monmousseau, GR 16 P 426427 ; dossier André Beitz, GR 16 P 43725

Archives Nationales : 72 AJ 46/III/pièce 9 : témoignage de Pierre de Froment et de Denise Cerneau sur leur participation à la résistance.

ADLC : les séries 1375 W, 1652 W concernant la Seconde Guerre Mondiale.

Souvenirs de René Branchu, document communiqué par Monique Fermé.

Entretiens avec Monique Fermé.

Entretiens avec Camille Ferrand.

Les travaux de l’auteure sur la Ligne de Démarcation et la Seconde Guerre Mondiale en Loir et Cher, sur le site www.tharva.fr

ABSAC-EPEZY (d’) Claude, Les Services Secrets de Vichy, in Chemins de Mémoire du SHD.

BERLIERE Jean-Marc, BMA : les Bureaux des menée antinationales de Vichy, in Polices des Temps noirs, Ed. Perrin, 2018.

CASAS Raymond, Les Volontaires de la Liberté ou les FFI du Loir et Cher, PUF Vendôme, 1982.

FRESNAY Henri, La nuit finira, Robert Laffont, 1973 et Volontaires de la Nuit, Robert Laffont, 1975.

PIOGER André, Le groupe Manceau de Renseignement Kléber, in Le Mans et la Sarthe pendant la Seconde Guerre Mondiale, Revue du Maine, 1976.

JARDEL Lucien et CASAS Raymond, La Résistance en Loir et Cher , PUF Vendôme, 1964.

VERGEZ-CHAIGNON Bénédicte, Les vichysto-résistants, Ed. Perrin, 2016.