8 mai 2017 :

STELE COMMEMORATIVE A EMILE MANDAR ET AUX
 PASSEURS DU CHER


Les personnalités présentes; de gauche à droite : Mr. de Belder, Président du Souvenir Français; Mr. Roinsolle, Maire de Thenay; Mr. Jean-Marie Janssens, Vice-Président du Conseil Départemental et Maire de Montrichard; Mr Jean-François Marinier, Vice-Président de la Communanuté de Communes Controis-Val de Cher et Maire de Monthou sur Cher; Mr. Denys Robillard, Député de la circonscription; Mr. Damien Henault, Maire adjoint de Montrichard et Maire de la Commune Historique de Bourré; Mr. Michel Delalande, Maire Honoraire de Bourré; Thérèse Gallo-Villa durant son intervention.

Madame Laurence Armand, Directrice de l'école primaire Monthou-Thenay et les écoliers  qui vont interpréter le "Chant des Partisans".

Intervention de Thérèse GALLO-VILLA

( Association Monthou : Nature, Eau et Patrimoine )

Mesdames et Messieurs les élus,

Mesdames et Messieurs les membres de la famille d'Emile Mandar,

Mesdames et Messieurs,

 

Fermez vos yeux quelques instants.

Rappelons-nous ensemble .....


Nous sommes le 14 juin 1940 : les troupes allemandes défilent sur les Champs-Elysées.

Les 14, 15 et 16 juin, Blois et Orléans sont durement bombardés.

Le 14, plus de 300 personnes, pour la plupart des réfugiés, meurent sous les bombes à Montrichard.

Du 12 au 14, une partie du gouvernement résidera au Château de Chissay, puis se retire sur Tours.

Le 17, il n'y a plus un seul pont praticable sur la Loire entre Tours et Nevers.

L'armée française en déroute tente de rejoindre le Sud.

Et ce sont quelques régiments de tirailleurs sénégalais, marocains et tunisiens avec quelques rares gradés, quelques rares pièces d'artillerie, qui vont héroïquement tenter de "tenir" la ligne du Cher.

Le 17, Pétain a demandé l'armistice mais le 18 juin de Gaulle lance son appel au micro de cette BBC qui sera une des voix de l'espoir pour les pays occupés.

La Xieme armée allemande déferle : dans la nuit du 19 au 20 juin, venant de Blois, de Contres, de Noyers, les Allemands occupent toutes nos communes de la rive droite du Cher.

Le 20 au soir, toute résistance a cessé.

L'Armistice, signée le 22, entre en vigueur le 25 juin à 0h35, instituant une Ligne de démarcation qui est concrétisée ici par le Cher. 

Notre département est coupé dorénavant en deux.

La longue nuit de l'Occupation commence.....


Mesdames, Messieurs,

Imaginons ensemble .....


C'est l'exode. 

Environ 10 millions de personnes fuient les zones de combats belges et françaises, devant les avancées des armées allemandes.

Il n'est pas une maison, une grange, une cave où les habitants de nos communes n'hébergent, nourrissent, soignent, accouchent, aident ces réfugiés. 

La plupart l'ont fait bénévolement, par solidarité et altruisme. De belles et longues amitiés en naîtront.

Car la mémoire collective de cette vallée du Cher garde, à vif, le souvenir des troupes prussiennes de la guerre de 70 qui avaient atteint le Loir et Cher, et surtout, surtout, les horreurs et les souffrances de la guerre de 14 de tous ces poilus, les morts et les rescapés, et de leurs familles.

Ces réfugiés, des soldats livrés à eux-mêmes, des soldats faits prisonniers qui ont pu s'enfuir, des juifs lucides sur ce qui les attend car, hélas, beaucoup ne le comprendront que plus tard, trop tard, vont être les premiers concernés par le passage clandestin de la ligne de démarcation.

Notre zone est particulièrement recherchée, surtout de Thésée à Montrichard, car le Cher y est étroit.

Aves des îlots, avec beaucoup d'écluses et de gués, facilitant les passages.

La solidarité, l'imagination, le courage de ces habitants, passeurs occasionnels, de toutes opinions, croyant au ciel autour des curés de la plupart de nos paroisses qui furent passeurs et résistants ,ou n'y croyant pas, autour de ces professions de la vigne acquises depuis longtemps à la République puis aux idéaux du Front Populaire, a été fantastique.

 

Il faut dire et redire que l'écrasante majorité de ces passeurs l'ont fait de manière désintéressée. 

Bien sûr il y eu quelques âmes noires qui multipliaient par dix leurs tarifs habituels pour faire passer des juifs forcément riches !!

 

La ligne sera supprimée officiellement le 11 novembre 1942 avec l'occupation de tout le territoire par les Allemands, après le débarquement allié en Afrique du Nord du 8 novembre.

Mais dans les faits des contrôles aux postes obligés ( Montrichard et St.Aignan pour nous) subsistent, de nouvelles formes d'autorisations sont requises, la répression s'intensifie. 

Car ce sont maintenant les aviateurs anglais, les parachutés, les prisonniers évadés d'Allemagne, les résistants, les réfractaires au STO, les politiques, les juifs, les résistants belges et hollandais au travers de filières d'évasion très organisées, qui passent discrètement l'ex-ligne.

 

À partir de l'été 1942, les passeurs risquent désormais déportation et peine de mort notamment pour le passage des juifs et des résistants que les Allemands appelaient " les terroristes ".

Ce sera le cas en face de l'Eglise de Bourré avec l'arrestation et la déportation de Louis Serin et Louis Sirot en septembre 1942, pris en train de faire passer la ligne à la famille juive Lévy qui sera gazée dès son arrivée à Auschwitz. Il y avait trois enfants de 7 à 4 ans.


Émile MANDAR fut un des principaux " passeurs" du Cher :

 

Émile était né le 9 avril 1902, à Chisseaux et avait épousé en 1925, Yvonne Aubry de Bourré. Ils eurent cinq filles.

Atteinte de maladie nerveuse, elle décédera durant la guerre dans des circonstances suspectes pour sa famille, à l'hôpital psychiatrique de Blois.

Il est affecté en 1937, en tant qu'agent des Ponts et Chaussées comme éclusier-barragiste à l'écluse de Vineuil, limitrophe de Monthou et Bourré.

Dés l'instauration de la ligne, il devient passeur.

Il fera passer plus de mille personnes attesteront les rapports officiels à la Libération.

Sa motivation ? Les témoignages convergent : la volonté sans faille d'être utile aux autres et le refus passionné de voir " les Boches " occuper la France.

Ce qui caractérise Émile Mandar, c'est qu'il n'appartiendra à aucun groupe, et qu'il travaillera avec tout le monde, qu'il fera passer tous ceux qui le sollicitent, sans distinction d'aucune sorte.

Ce qui va faire sa réputation de passeur fiable, c'est son souci pointilleux de l'organisation et son extrême prudence.

On comprend alors qu'il deviendra, avec Jean Sentout de Montrichard ( qui lui fera passer environ 6000 personnes ) un des passeurs recherchés par les grandes filières d'évasion dont les filières belges. 

Il travaillera beaucoup pour la grande résistante belge Louisette Carlier-Lambert, convoyeuse de groupes à passer vers la zone libre, qui sera arrêtée en Belgique, torturée et déportée.

Il travaille avec son compère Pierre Pinon, le meunier d'Angé, en face.

Avec son collègue des Ponts et Chaussées, Jean Fontenas.

Avec ses confrères éclusiers pour réguler le Cher les nuits de forts passages


Avec des gendarmes résistants de Montrichard qui donnent de précieuses informations sur les déplacements des Allemands.

Avec l'aide et la complicité de beaucoup d'habitants, de voisins, d'artisans, commerçants qui disposent d'un moyen de transport.

Il faut souligner le rôle important des enfants et adolescents, qui signalent les mouvements des patrouilles allemandes le long de la voie ferrée, font diversion au moment décisif des passages de jour, en se bagarrant dans le Cher, etc.

Le temps me manque pour vous expliquer en détail comment Émile procédait. 

Allons à l'essentiel.

Les gens étaient cachés l'été dans ses fameux rangs très serrés de haricots en palissade, dans les communs de l'écluse, sur les hauteurs derrière nous.

Ou encore, à une heure convenue, des connaissances lui déposaient à demeure les gens à passer.

Un chiffon blanc à la lucarne indiquait à Pinon les passages importants qui recourraient son aide.

Le passage durait quelques dizaines de secondes.

Et, s'il flairait le moindre danger, il reportait le passage.

Malgré leurs soupçons, malgré leurs fouilles de la maison éclusière, jamais les Allemands n'ont pu le démasquer.

Ces hommes et femmes considéraient qu'ils n'avaient fait que leur devoir, que c'était normal.

Émile sera conseiller municipal de Monthou sous les mandats du maire André Beauvais.

S'il reçoit la médaille militaire à la Libération, il lui faudra attendre les années 1960, pour que le gouvernement reconnaisse enfin les activités des passeurs comme des actions authentiques de la Résistance.

Émile recevra aussi des décorations de Résistant au titre de l'Etat Belge.

Il décèdera à Blois, chez une de ses filles, le 4 mars 1974.

 

On ne dira jamais assez cette réalité méconnue, voire minorée. 

C'est combien cette vallée du Cher, et plus généralement notre département, fut un haut lieu de la Résistance. 

D'abord une résistance au quotidien, multiforme et diffuse, puis qui sera de plus en plus organisée et enracinée dans nos terroirs et populations, autour essentiellement pour notre zone des FTPF, des réseaux du SOE britannique, de LibéNord et de l'ORA.

Elle paya un lourd tribut en martyrs et en souffrances.

Ainsi, les passeurs du Cher furent une interface majeure dans l'organisation de la résistance.

 

J'éprouve une des plus intenses émotions de ma vie d'avoir pu contribuer à ce que soient aujourd'hui honorés tous ces " héros ordinaires " de nos communes, au travers d'Émile Mandar.

Je remercie la municipalité de Monthou  et celles qui s'y sont associé, pour cette initiiative


Mesdames, Messieurs,

N'oublions pas ensemble...


La guerre de 14-18 ne fut pas la "der des der ".

Celle de 39-45 s'est prolongée dans d'autres terribles conflits.

Les dangers de nouvelles guerres et atrocités sourdent sur tous les continents.

Et notre France de la liberté, égalité, fraternité, est tenaillée par le racisme, la xénophobie, la violence terroriste mais aussi l'exaltation de l'argent-Roi et de la loi du plus fort.

Le combat d'Emile Mandar et de tous ces citoyens engagés n'est donc pas terminé.

Que leur souvenir soit pour nous un exemple et une force.


Honneur, à Emile Mandar et à tous les passeurs du Cher.