Chapitre II

L’ENTRÉE TARDIVE DE L’AMÉRIQUE DANS LA GUERRE.


SOMMAIRE

Une « neutralité d’acte et de pensée » 

  • La fidélité aux principes de George Washington : 
  • L’importance de l’immigration : 

De la crise monétaire… à la prospérité :

  • Un fructueux commerce avec les Alliés : 
  • Un rapide essor bancaire :
  • Un retard de sa marine marchande :

La reprise de la guerre sous-marine : 

  • Une évolution de l’opinion publique : 

L’Amérique n’est pas préparée pour faire la guerre. 

  • Une partie des Américains toujours opposée à la guerre 
  • Gagner l’opinion publique et limiter la contestation. 
  • Des sacrifices demandés aux Américains. 

Des forces armées qui ne sont pas à la hauteur des ambitions des États-Unis.  
  • Une armée à construire :  

  • La nécessité de la conscription :  
  • L’instruction des recrues : 
  • L’armement : les américains se fournissent chez les Alliés :  

Une armée ségrégationniste….  
….qui demanda à l’armée Française d’être raciste :  


Les américains prennent leurs marques en France :  
  • L’arrivée de Pershing   
  • Les ports de débarquements  
  • Le « front » attribué au CEA.  
  • Le GQG de Pershing. 
  • La ligne de communication. 
  • Une situation géographique « idéale ».


ANNEXES 
  1.  L’accord franco - américain 
  2.  La circulaire Linard 
Crédits photos :


Une « neutralité d’acte et de pensée »

La fidélité aux principes de George Washington :

L’Amérique avait appris avec stupéfaction la déclaration de la guerre par l’Allemagne à la Russie et à la France, les 1er et 3 août 1914.

Les milieux américains informés, les intellectuels, les industriels, les financiers, les « politiques », pensaient que le Kaiser, qui jouissait d’une certaine popularité aux États-Unis, ferait tout pour ramener son allié austro-hongrois à la raison et empêcherait la guerre.

Quant à la grande masse des Américains issus de l’immigration, ou immigrants de fraîche date, ils avaient fui la misère des pays d’Europe, les territoires austro-hongrois, les répressions politiques ou les pogroms de la Russie tsariste pour l’Amérique qui pour eux « demeure le meilleur espoir du monde » selon la formule de Jefferson.

Alors, le sort de l’Europe… !

Sous l’impulsion de Wilson, l’Amérique avait adopté dès le début du conflit une position de neutralité.

L’administration Wilson était restée fidèle aux principes légués par George Washington et repris par Jefferson respectivement, premier et troisième, Président des Etats-Unis d’Amérique : « Notre première et fondamentale maxime devrait être de ne jamais nous empêtrer dans les querelles de l’Europe : notre seconde, de ne jamais souffrir que l’Europe se mêle des affaires d’outre-atlantique. »

Cette décision politique répondait aussi à un courant pacifiste fort dans le pays et qui se retrouve jusqu’en dans l’administration du Président.

Enfin, elle permettait de maintenir la cohésion sociale de la population américaine issue de l’Immigration.

L’importance de l’immigration :

En effet, c’est l’Europe qui peupla le continent Américain.

L’immigration représente plus d’1/3 de la population.

Selon le recensement de la population de 1910, l’Amérique compte 92 millions d’habitants.

La population « blanche » y représente 82 millions,

Plus de 13 millions sont nés à l’étranger.

13 millions, environ, sont nés aux États-Unis mais les deux parents sont nés à l’étranger et enfin 6 millions sont nés aux États-Unis, dont un parent est né à l’étranger.

La ségrégation bat son plein dans ce pays qui prétend être le champion de la défense des petites nations et de la liberté des peuples.

De 1891 à 1913, ce sont 14 millions de femmes, hommes, enfants qui ont rejoint le paradis américain espéré.

Ce sont, des Américains à trait d’union : irlando-américains, italo-américains, juif-américains, russo-américains, polonais-américains, germano-américains, etc (1)

Les franco-américains, eux, sont trop peu nombreux pour jouer un rôle quelconque dans la vie politique du pays, à la différence des germano-américains qui représentent une force de 9 millions de personnes.

Lorsque la guerre éclate, 400 000 Allemands ne sont pas encore naturalisés.

La moitié d’entre eux étaient mobilisables dans l’armée allemande.

Quel parti allaient épouser ces populations d’origines géographiques diverses ? Celui du Kaiser ou celui des Alliés ?

La question était légitime.

Le Président Wilson avait demandé une « neutralité d’acte et de pensée ».

Majoritairement, l’opinion publique penche en faveur des Alliés. La France jouit du prestige de Lafayette et du pays de « la déclaration des droits de l’homme et du citoyen ».

Pour la population anglo-saxonne, l’Angleterre reste malgré tout la patrie d’origine même si les Irlandais la haïssent encore.

L’Allemagne est considérée comme une brillante civilisation. Son économie est en pleine expansion et fait l’admiration des milieux industriels et financiers. Le Kaiser bénéficie d’une certaine popularité, par contre l’autocratie militaire allemande et sa volonté impérialiste sont rejetées.

Après la violation de la neutralité de la Belgique et les exactions de l’armée allemande, les intellectuels et une grande partie de la presse condamneront le comportement des troupes du Kaiser. Ils le désigneront, lui et l’autocratie allemande, comme les seuls responsables de la guerre.

Ils maintiendront le peuple allemand hors de leurs condamnations.

Le Président Wilson, lui, resta muet.

Il n’aura de cesse de se présenter en médiateur entre les belligérants.

Malgré cela, l’opinion publique restera majoritairement favorable à la neutralité.

Mais la neutralité était-elle possible pour un pays dont le commerce était international ?

La reprise de la guerre sous marine sans merci décidée par le Kaiser, menace le commerce florissant entre les Américains et les Alliés.

Cette décision ne laisse pas d’autre choix à Wilson, que celui d’entrer dans le conflit.

Bien que, quelques mois plus tôt le 7 novembre 1916, il avait été réélu sur le mot d’ordre « Il nous a maintenu hors de la guerre »

De la crise monétaire…à la prospérité :

Après avoir surmonté la crise monétaire déclenchée par la déclaration de la Guerre, en accélérant l’application de la loi de 

réorganisation du vieux système bancaire américain créé en urgence en 1863 pour financer la guerre civile, le gouvernement relance ses exportations.

Un fructueux commerce avec les Alliés :

De 154 millions de dollars en juillet 1914, les exportations tombées à 11 millions en août.

Elles repartent à la hausse dès lors que l’Angleterre assurant la maîtrise des mers, fin août 1914, les relations commerciales maritimes entre les Etats-Unis et l’Europe sont rétablies.

Elles s’élèvent à 156 millions de dollars en septembre ; 194 millions de dollars en octobre ; 205 millions en novembre 1914.

L’année 1915 marque le début de l’expansion sans précédent des exportations de produits manufacturés.

En 1915, le chiffre total du commerce extérieur des États-Unis atteint 5 322 millions de dollars alors qu’il n’était que de 4 274 millions en 1913.

De 1914 à 1919, l’indice du commerce extérieur avec les pays de l’Entente (2), passe de l’indice 100 à l’indice 389,7 ; avec les Empires centraux, il passe de 100 à 0,68 ; avec les pays neutres, il passe de l’indice 100 à l’indice 149.

De fait, malgré l’affirmation de la politique de neutralité, les exportations américaines penchent en faveur des Alliés.

Ils sont leurs principaux clients.

Pour autant, le commerce maritime bien que réduit avec l’Allemagne du fait du blocus maritime passe par les pays restés neutres.

Afin de répondre aux importants besoins spécifiques des Alliées, l’industrie américaine va se réorganiser.

La hausse des exportations de matières premières, de produits manufacturés et de produits alimentaires, s’accompagne de la hausse des prix de ces mêmes produits.

Le blé, la farine, l’acier, tout augmente.

Les profits des industriels aussi.

L’aide Américaine se monnaye !

Pour obtenir des marchandises, ils doivent les payer.

Et, l’Amérique, seule, est capable d’accorder les crédits nécessaires.

Le développement des exportations va créer une situation capitale : la balance commerciale américaine à l’égard de l’Europe se trouve renversée.

Les Américains étaient les débiteurs de l’Europe, ils en deviennent les créanciers.

La balance commerciale des Alliés engagés dans la guerre devient déficitaire.

Un rapide essor bancaire :

Au début de la guerre, la France engagea des pourparlers avec les banques américaines pour obtenir un emprunt de 100 millions de dollars.

Le Secrétaire d’État au Trésor, déclara son hostilité à cet emprunt. Selon lui, il était contraire au principe de neutralité.

Les banquiers américains s’orientèrent donc vers des prêts à court terme conformes aux pratiques commerciale traditionnelles.

Dans ce cas, le Secrétaire d’État, considéra qu’il s’agissait de transactions privées. Il ne tentera en aucune manière d’user de son influence pour les entraver.

En septembre 1915, une commission Anglo-Française, négocie avec la banque Morgan un grand emprunt.

Pour les banques Américaines, il n’est pas question de tuer la poule aux œufs d’or. Elles vont aider les Alliés.

Regroupées en un syndicat qui comprend des banques germano-américaines, elles vont accorder un emprunt de 500 millions de dollars.

Cet emprunt sera accompagné de crédits privés.

D’autres prêts seront nécessaires.

Ils seront basés sur les valeurs américaines possédées par la France et l’Angleterre. Le gouvernement français rachète les valeurs américaines détenues par les nationaux. Ensuite ces valeurs sont utilisées pour payer les achats de marchandises..

Les Alliés financent la guerre à crédit.

L’entente entre les Alliés et les Américains est franchement cordiale.

Les Allemands, eux, accusent le gouvernement des États-Unis, de pratiquer une neutralité orientée.

La neutralité est un principe politique fort, mais les affaires sont les affaires.

La guerre qui détruit en Europe les richesses accumulées pendant plus d’un siècle est source de prospérité pour l’Amérique.

« Et voilà que cette guerre qui causait de si grands dommages dans le vieux monde, qui avait failli déclencher une crise financière violente aux États-Unis mêmes, devenait pour ceux-ci, par sa prolongation, une cause de profits extraordinaires.»(3)

La guerre ouvrait, aussi, de grandes opportunités pour un développement nouveau de leur commerce extérieur au delà des Alliés.

Les Alliés en guerre avaient abandonné certains de leurs marchés internationaux.

L’occasion se présente pour les investisseurs américains d’occuper les places laissées ainsi vacantes.

Ils regardent vers la Chine, le Japon, l’Amérique du Sud, plus généralement vers tous les pays abandonnés par les belligérants.

L’objectif affirmé est de construire les bases solides pour un commerce extérieur avantageux et de grande ampleur.

Les banques ouvrent des succursales à l’étranger.

Le Secrétaire au Commerce aide les commerçants et industriels dans leur expansion commerciale.

Les affaires se traitent à New York. Il n’est plus nécessaire de passer par Londres.

Le dollar concurrence la livre sterling.

L’ouverture du canal de Panama a transporté le centre de gravité de la Méditerranée dans le monde des Caraïbes.

Avant le conflit européen, l’Amérique du Nord avait entrepris, la mise en œuvre d’une politique de tutorat et de protectorat sur les pays d’Amérique Latine. Elle va tenter d’exclure l’Europe, politiquement et économiquement, de l’Amérique du Sud dont elle considère qu’elle est son domaine réservé.

À la fin de l’année 1916, l’ensemble des prêts et des ouvertures de crédits aux Alliées s’élevaient à environ 2 milliards 1/2 de dollars.

L’Amérique était devenue, le temps de la guerre, le centre du monde financier.

La prolongation de la guerre allait-elle en faire le centre commercial du monde ?

Pour soutenir l’essor de son commerce international, il lui faut résorber le retard de sa marine marchande.

Un retard de sa marine marchande :

L’état de la marine marchande américaine ne correspond pas aux ambitions commerciales des États-Unis.

En effet, à la veille du conflit, la marine marchande américaine n’assurait que 8 % du commerce maritime international des États-Unis. C’est nettement insuffisant.

Les 92 % restants étaient assurés par des pavillons étrangers.

En 1914, la loi du 8 août permettait de nationaliser des bateaux étrangers appartenant à des citoyens Américains. Les résultats furent médiocres.

Les États-Unis se devaient de se doter d’une puissante flotte marchande.

Le 7 septembre 1916, Wilson installe le « Shipping Board » dont la mission est d’acheter et de faire construire des navires marchands susceptibles d’être utilisés comme navires auxiliaires par la marine de guerre.

Il a également le droit d’ouvrir des lignes de navigations avec l’Amérique du Sud et tous autres pays, et de les exploiter directement à défaut d’entreprises privées, pendant les 5 années après la fin du conflit.


La reprise de la guerre sous-marine :

Le 31 Janvier 2017, le gouvernement allemand informe le Président Wilson que la guerre sous marine sera sans merci.

« Le gouvernement Imperial se voit contraint de continuer la lutte pour l’existence, qui lui est encore imposée, par l’emploi de toutes les armes à sa disposition. Il espère que les Etats-Unis pourront s’élever pour envisager la situation nouvelle aux sommets de la sereine impartialité et l’aider à prévenir de nouvelles misères et des sacrifices inévitables de vies humaines ».

L’objectif pour les Allemands est de conduire l’Angleterre à une capitulation rapide.

Et donc d’isoler l’armée Française pour la battre militairement.

Le Président Wilson et son Administration jugent cette attitude insolente !

Le 3/2/1917, Wilson demande au Congrès la rupture des relations diplomatiques avec l’Allemagne.

Le 8 février 1916, les Allemands et les Autrichiens aggravent les conditions de la guerre sous-marine : tous les bateaux marchands armés seront considérés comme des navires de guerre.

Wilson demande au Sénat de passer à la « neutralité armée. »

Les ambassadeurs sont rappelés.

Le 28 février, les services américains interceptent un télégramme du ministre des Affaires étrangères de l'Empire allemand, Arthur Zimmermann, adressé à l'ambassadeur allemand en poste au Mexique.

Il l’informe de la reprise de la guerre sous-marine sans merci et de la nécessité de redoubler d’efforts pour contraindre les Etats-Unis à abandonner leur neutralité.

Si ce n’est pas possible, il lui demande de proposer une alliance au Mexique pour la reconquête des Etats du Nouveau-Mexique, du Texas, de l’Arizona.

Il demande au Mexique de proposer au Japon d’adhérer à ce plan.

Wilson rend public par voie de presse le contenu de ce télégramme.

Il fait l’effet d’une bombe dans l’opinion publique.

L’Ouest Américain est inquiet. Les Germano-Américains se rangent massivement au coté de Wilson.

La Guerre sous-marine cause des dégâts matériels et des pertes humaines considérables.

La situation est difficile pour les Alliés. Le tonnage coulé augmente rapidement, 540 000 t en février, 580 000 t en mars, 880 000 t en Avril.

Les allemands coulent tous les navires qui flottent : cargos, paquebots, bateaux de pèche, les navires hôpital !

7 navires sanitaires anglais coulés, sans avis, de mars à juin1917.

3 navires américains sont coulés en février.

Les armateurs refusent de mettre les navires marchands à la mer.

Les exportations en cours encombrent les ports. Le manque à gagner financier est important. La guerre sous-marine sans réserve proclamée le 6 février 1917 par le Kaiser menace sérieusement le profitable commerce américain.

Le mécontentement est général.

Une évolution de l’opinion publique :

L’opinion publique se range du côté des Alliés.

En février, la Révolution Russe pousse le Tsar à abdiquer. Les Etats-Unis sont les premiers à reconnaître le gouvernement de Kerensky. Selon eux, la démocratie est instaurée en Russie. Elle devient ainsi une alliée acceptable.

Le 18 mars, trois vapeurs américains avaient été torpillés.

Le torpillage d’un quatrième vapeur armé, le lendemain, causa la mort de 24 marins américains. Il s’ajoute à la longue liste des bateaux coulés dont le paquebot Britannique le Lusitania torpillé le 7 mai 1915, sans préavis. Les deux tiers de ses 2 000 passagers, dont une centaine d’Américains, périrent noyés.

Ce torpillage avait soulevé une vague d’indignation aux États-Unis.

Le 21 mars 1917, le Président décide d’avancer au 2 avril la convocation du Congrès

Il termine son discours dans le lequel il demande au Congrès de déclarer l’état de guerre avec l’Allemagne en affirmant : « C’est une chose terrible que de conduire une peuple pacifique à la guerre, à la plus effrayante et plus désastreuse de toutes les guerres, à cette guerre dont la civilisation elle - même semble être l’enjeu. Mais le droit est plus précieux que la paix et nous combattrons pour les biens qui ont toujours été les plus chers à nos coeurs- pour la démocratie, pour le droit de ceux qui courbés sous l’autorité doivent avoir enfin voix dans la conduite du gouvernement, pour les droits et les libertés des petites nations, pour que le règne universel du droit, fondés sur l’accord de peuples libres, assure la paix la sécurité à toutes les nations et rende le monde lui même enfin libre. »

Wilson donne à l’intervention américaine dans ce conflit entre puissances impérialistes, l’apparence d’une croisade mondiale pour la liberté des peuples et des populations, les droits civiques, pour le bien contre le mal.

Le 4 avril le Sénat adopte la résolution par 82 voix contre 6.

Le 6 avril, la Chambre des Représentants adoptait la résolution, par 373 voix contre 50.

Le même jour, Wilson signe la résolution.

L’état de guerre avec l’Allemagne était formellement déclarée le 6 avril 1917.


L’Amérique, forte de sa puissance industrielle et financière entre dans cette guerre en tant que puissance « associée » aux cotés des Alliés épuisés, avec la ferme intention d’en être le vainqueur.

L’Amérique n’est pas préparée pour faire la guerre.

« Le pays paiera cher les retards dans la préparation militaire et morale, d’abord parce qu’il aborde la guerre sans armée ; ensuite parce que dans beaucoup d’esprits subsistent des doutes et des réticences. »(4)

Une partie des Américains toujours opposée à la guerre :

Des sénateurs et des membre de la Chambre des Représentants s’élèvent contre la résolution présentée par Wilson.

Ils traduisaient un réel mouvement d’opposition parmi la population américaine.

Le Sénateur Robert la Folette dans sa longue intervention porta à La Tribune du Sénat cette opposition. Il avait reçu plus de 15 000 télégrammes de protestation.

Pour beaucoup la guerre « s’oppose à tout idéal politique et social »(5) comme l’affirmera la première femme élue à la Chambre des Représentants, Jeannette Rankin, issue de la « frange progressiste du Parti Républicain » qui - hasard du calendrier - fut investie dans cette assemblée le 2 avril, et vota contre la résolution de Wilson.(6)

D’autres intervenants ont à la tribune mis en avant les aspects ou ce qu’ils considéraient être les causes inavouées de la déclaration de la guerre.

Ils soulignèrent qu’il s’agissait d’une ingérence Américaine dans les affaires européennes, que cette guerre répondait selon eux, aux interêts de la Bourse et aux profits énormes des courtiers de commerce et fabricants d’armes, que la démocratie ne s’imposait pas à la force des baïonnettes et que les Alliés ne se battaient pas pour la liberté mais pour des buts d’annexions territoriales ou des objectifs hégémoniques : la France pour récupérer l‘Alsace et la Lorraine, la Russie pour étendre son influence dans les Balkans et annexer Constantinople, l’Angleterre pour conserver la maîtrise des mers.  

Certes, les mouvements pacifistes et progressistes étaient divisés sur le sujet. Il y avait les pour et les contre l’entrée en guerre.

Mais l’opposition à la guerre se manifesta sous des formes diverses.

Le Parti Socialiste Américain dans sa convention extraordinaire d’Avril 1917, rappela son « opposition immuable » à la guerre. Il se prononça contre la conscription.

Un Comité Populaire Américain pour la Démocratie et la Paix fut créé. Il rassemblait des pacifistes, des socialistes, des syndicalistes et avait des sections locales dans tout le pays.

Les noirs américains étaient également divisés. « Même si plusieurs leaders afro-américains tels W. E. B. Du Bois encourageaient la participation à l’effort de guerre dans l’espoir de voir les discriminations disparaître, les noirs américains étaient nombreux à voir le conflit comme une nouvelle guerre menée par et pour l’homme blanc »(7).

Gagner l’opinion publique et limiter la contestation.

Dans son édition du 11 novembre 1917, « L’indépendant du Loir et Cher » dans la rubrique intitulée « le Concours des Etats Unis», informe ses lecteurs que 15 000 orateurs vont exposer « à tous les Américains le rôle individuel qu’ils ont à remplir pour assurer le succès de la guerre. ».

Il ne dit mot de l’objectif réel de cette campagne que Wilson et son administration engagèrent « pour éduquer les citoyens américains » et neutraliser l’opposition à la guerre.

A cet effet le « Comité d’Information Publique » fut créé et lança dans tout le pays, soixante quinze mille « hommes de 4 minutes »(8) qui firent sept millions cinq cent mille discours, à trois cent quinze millions d’auditeurs »(9). Cette campagne fut accompagnée par une politique répressive caractérisée par le contrôle des citoyens, la restrictions des libertés individuelles notamment des germano-américains.

La loi du 15 juin 1917, contre l’espionnage édictait des peines d’amende et de prison pouvant aller jusqu’à 10 000 dollars et 20 ans de prison.

La loi du 16 mai 1918, contre la sédition punissait les critiques du gouvernement et de la guerre.

« Plus de 6000 personnes furent arrêtées, emprisonnées, jugées, parfois déportées. Au nom de la sécurité de l’État, les droits fondamentaux de ces opposants au militarisme furent bafoués et le gouvernement fédéral mena une offensive sans relâche contre les syndicalistes, au mépris du 

droit de grève »(10).

L’entrée en guerre opéra dans la société américaines des fractures et des tensions qui se prolongeront au delà du conflit et dont une des manifestation les plus violentes sera le Maccarthysme.


Des sacrifices demandés aux Américains.

Dans son message au peuple américain du 14 avril 1917, Wilson exhorte l’ensemble des catégories sociaux-professionnelles à redoubler d’efforts pour répondre aux besoins de l’Amérique engagée dans un effort de guerre important, mais aussi aux commandes passées par les Alliés.

Les adaptations de l’appareil industriel et agricoles vont se poursuivre, Il faut nourrir la population mais aussi poursuivre l’aide alimentaire fournie aux Alliés dans une situation difficile.

L’effort concerne tous les secteurs de la vie économique et sociale, y compris les ménagères :

« Je veux dire encore que quiconque crée ou cultive un jardin contribue, et contribue beaucoup, à résoudre le problème de la subsistance des nations ; et que toute ménagère qui pratique une stricte économie s’enrôle parmi les serviteurs du pays. Le moment est venu pour l’Amérique de se corriger de son gaspillage et de ses prodigalités impardonnables. Que tout homme et que toute femme s’imposent d’être attentifs et prévoyants dans l’emploi des biens et dans la dépense ; c’est un devoir national, une obligation patriotique, et nul ne peut s’attendre à être excusé ou personne pardonnée s’il la méconnaît.»(11)

Wilson nomma Herbert Hoover à la direction de 

« l’US Food Administration ».

Il se chargea de demander aux ménagères de réduire les portions de nourriture des repas et à tous « travail et sacrifices ». Une vaste campagne de presse fut développée pour aboutir à des économies et parer l’Amérique de la générosité vertueuse pour la défense de la liberté en Europe.  

Deux millions de jardins potagers furent créés.

En décembre 1917, Hoover proposa à la population des jours sans blé le mercredi, des jours sans viandes le mardi puis, le jour sans viande de porc le samedi. La consommation du sucre fut limitée à un peu plus d’un kilo par mois et par personne etc.

En 1918, ces restrictions furent aggravées.

Ainsi, les restrictions que la population s’imposa, permirent à l’Amérique d’exporter en 1918, malgré une mauvaise récolte, deux fois plus de nourriture qu’en 1914.

Un effort important fut également fait pour doter le pays d’une flotte permettant commerce et transports de troupes. Aux 2600 bateaux américains construits sous l’impulsion du « Shipping Board », s’ajoutèrent la remise en état de navigation du tonnage des bateaux allemands saisis et consignés dans les différents ports d’Amérique du Nord ou d’Amérique Latine.

La guerre coûta au peuple américain 35 milliards de dollars, financés pour 1/3 par la hausse de la fiscalité, par l’augmentation de 4% à la base de l’impôt sur le revenu et l’institution d’une surtaxe progressive de 16 à 65 %, par l’imposition sur les bénéfices de guerre des entreprises de 20 à 60%, et par les 5 emprunts publics , « 4 emprunts de la liberté » et « un emprunt de la victoire » qui rapportèrent 21 milliards de dollars (12).

Des forces armées qui ne sont pas à la hauteur des ambitions des États-Unis.

Dès le début de la guerre, le Président Wilson et son Administration ont conscience de l’insuffisance des forces armées des États-Unis.

C’est un nain militaire.

Dans un rapport officiel, de novembre 1914 le Secrétaire d’État à la guerre, indique :

« Si toute la garde nationale pouvait être convoquée en cas de guerre, si tous les hommes répondaient à l’appel (résultat inconcevable), et s’ils étaient tous reconnus aptes à combattre en premières lignes, nous pourrions réunir dans ce pays une force de réguliers et de miliciens s’élevant à 9 818 officiers et 148 492 hommes. Et c’est absolument tout ».

En effet, l’armée régulière compte 92 000 hommes.

L’armée mobile est composée de 55 000 hommes, plus les troupes chargées de défendre les côtes, plus les services techniques.

Ces 55 000 hommes sont affectés pour partie à la défense des Philippines, des îles Hawaï, de Porto Rico et de la Zone du Canal de Panama.

La Garde Nationale compte 130 000 hommes.

Les canons et les munitions sont en nombre insuffisant.

Pour l'attaché militaire Français aux États Unis, l'armée américaine est une " armée très faible en effectifs et en artillerie ».

La marine de guerre est dans un état relativement meilleur : elle compte 50 000 hommes.

Mais le Commandant en Chef des Forces de l’Atlantique déclarait : « que des navires ayant un équipage insuffisant en hommes et en officiers ne peuvent être maintenus dans un état de préparation et d’efficacité capable de leur permettre d’affronter à égalité les navires de même type des autres marines ».

Les États-Unis ne peuvent rivaliser avec la puissance militaire de l’Allemagne.

Son agitation dangereuse dans le pays, ses visées impérialistes, inquiètent.

La puissance maritime anglaise ne rassure pas les Américains.

Dans l’opinion publique, la « campagne pour le renforcement » des forces armées va connaître un écho certain.

Le 4 novembre 1915, le Président apportera une première réponse à cette campagne.

Dans un message au Congrès, il annonce un programme de réformes militaires.

Il demande au Congrès de porter l’armée permanente à 142 000 hommes, et de créer une réserve de 400 000 hommes.

Concernant la marine, il propose un programme de trois ans, pour construire 157 navires dont 10 cuirassés, 6 croiseurs-cuirassés, 9 sous-marins de haute mer et 58 sous-marins côtiers. Les crédits furent votés par le Congrès.


Une armée à construire :

La guerre déclarée, il reste à construire une armée.

Pour cela il faut rassembler une masse importante d’hommes, leur donner une instruction militaire au niveau des exigences de la guerre de tranchées et les transporter avec le matériel et l’approvisionnement, des Etats-unis sur le front en France.

Le volontariat ne fut pas un succès.

C’est la conscription qui donnera aux Etats-Unis son armée.

La nécessité de la conscription :

La loi du 17 mai 1917, le « Sélective Service Act » rend le service militaire obligatoire pour les hommes âgés de 21 à 30 ans.

L’objectif était de former une « Armée Nationale » forte de 500 000 hommes en septembre 1917.

Elle rompt avec la conception qui prévalait depuis la fin de la guerre de Sécession, celle d’une armée de métier.

Le 31 août 1918, la conscription sera étendue jusqu’à 45 ans.

Elle se déroule en plusieurs étapes : le recensement proprement dit par l’inscription sur un registre de tous les hommes âgés de 21 à 30 ans. Des bureaux de recensement dans lesquels les hommes venaient s’inscrire ont été ouverts dans toutes les villes.

Le recensement débuta le 5 mai 1917.

Il y eut 520 000 inscrits ans la seule ville de New-York et plus de 10 millions dans tout le pays. Ensuite, les inscrits passaient devant une commission chargée de faire un bilan médical. Enfin, les appelés étaient tirés au sort. Le tirage au sort se déroula le 20 juillet 1917.

Les réticences étaient fortes.

Les demandes d’exemption pour des raisons diverses, notamment le mariage, furent nombreuses.

La constitution de « l’Armée Nationale », prit plus de temps que prévu.

« Le moins que l’on puisse dire, c’est que les américains ont été réticents à partir faire la guerre. »(13)

La loi sur la conscription augmenta la solde du soldat. Elle interdisait les alcools forts et les liqueurs à proximité et dans les camps d’entraînements.

L’instruction des recrues :

L’annexe IV de l’accord Joffre-Baker (voir annexe 1) prévoyait que l’instruction des soldats américains se ferait en deux temps.

Tout d’abord dans les 16 camps prévus à cet effet en Amérique, avec la participation d’officiers français.

Ensuite, la formation serait achevée en France avec les soldats français.

Très vite, des divergences apparurent entre Français et Américains.

« Dans la conception outre-Atlantique, l’armée américaine doit être l’élément déterminant de la victoire et ne doit pas se contenter de boucher les trous alliés. Pershing a largement souligné qu’un soldat ne se bat bien que sous son propre drapeau. Logiquement, c’est à l’offensive que les soldats américains doivent se préparer ; non à la guerre de position, telle que les Français tentent de l’enseigner. »(14)

« Dès le 27 août, en effet, Harbord, le chef d’état-major américain propose à Pershing un rapport qui préconise que :

L’instruction se fera à différentes échelles (…) notamment « dans des centres d’instruction divisionnaires, où la troupe sera entraînée sous l’autorité directe du commandant de chaque division ; dans des écoles de corps d’armée qui viseront à perfectionner l’instruction des officiers et à former des spécialistes. Les cours seront complétés par des stages sur le front français ou sur le front britannique »(15).

De plus l’état-major américain demande de les grouper à « l’intérieur d’une zone de stationnement délimitée par Blois, Montargis, Chaumont, Dijon, Châlons-sur-Saône et Bourges. »

Cela nous éclaire sur l’un des motifs de l’installation de la 41eme Division de dépôt à Noyers - sur-Cher et la place des centres d’instructions aux maniement d’armes, en particulier le 3e Centre d’instruction de l’aviation des Etats-Unis à Issoudun dans l’Indre.

L’armement : les américains se fournissent chez les Alliés :

Pershing dans ses mémoires évoque une «situation déplorable en ce qui concerne les munitions ». Il écrit : « il fut révélé que nous n’avions à notre disposition ( non entre les mains des troupes ) que moins de 285 000 fusils Spingfield de calibre 30; que nous avions seulement un peu plus de 400 canons légers de campagne de 3 pouces et de 150 canons lourds de campagne ».

Ils décident donc de se fournir chez les Alliés. C’est un choix stratégique.

En effet, le tonnage maritime disponible est insuffisant pour transporter les hommes et le matériel militaire lourd d’une part et d’autre part, l’industrie américaine n’a pas la capacité de production pour répondre dans un temps court aux besoins en armement du Corps Expéditionnaire Américian.

La concurrence, entre la Grande Bretagne, la France et l’Italie pour fournir l’armement fut rude.

Le marché n’avait pas perdu ses droits pendant le conflit et les industriels de chaque pays regardaient avec convoitise ce marché estimé en France à 2 millions de francs par jour.

Pour l’essentiel, l’équipement militaire lourd a été fourni par la France, soit :

1871 canons de 75 mm ; 762 obusiers de 155 court ; 224 canons de 105 long ; 10 millions d’obus ; 57 000 mitrailleuses; 206 millions de cartouches ; 227 tanks légers ; 44 tanks lourds et Sur les 6287 avions, 4791 seront de fabrication française :

Cela représente 100 % de leur artillerie, près de 100 % des munitions de l’artillerie, 100 % de leurs tanks, 85 % de leur avions, 57 % de leur canons à longue portée, et plusieurs mois de productions industrielles des usines de guerre.

Le gouvernement français y vit deux autres intérêts.

Le premier, de constituer des réserves en dollars. En 4 mois, le marché s’éleva à 160 millions de dollars de l’époque (18) , le second de faciliter la coopération entre les armées française et américaine et compenser ainsi la crise des effectifs de l’armée française.  

Une armée ségrégationniste….

Lors de la constitution de l'armée américaine, la ségrégation raciale est à son apogée aux USA.

Les lois dites « Jim Crow » ont permis l’élaboration de « Codes Noirs » dans les États du Sud.

Le Ku Klux Klan sème la terreur.

Un arrêt de la Cour Suprême avait légalisé de facto la ségrégation dans l’ensemble du pays, au travers du principe « égaux mais séparés ».

Le CEA est à cette image. Il est ségrégationniste.

Lors de la conscription, les afro-américains s'inscrivent en masse.

Ils y voient l’occasion de conquérir, le droit d’être des citoyens américains à part entière.

400 000 afro-américains seront incorporés dans l’armée pendant la durée de la guerre.

100 000 ont été envoyés en France, 20 000 seulement ont été incorporés dans des unités combattantes, tous les autres dans des unités de services.  


L’ Armée Américaine leur refuse de servir dans les unités combattantes réservées aux blancs. De plus les régiments ne peuvent être composés de « blancs » et de « noirs ».

Les Afro-Américains sont donc regroupés dans des unités de services.

Deux exceptions notables, le 369e régiment d’infanterie et le 370e Ri, surnommés les « Harlem Hillfligters » et les « Angels Devils ».

Ils composent la 93e DIUS, qui ne sera jamais engagée au combat. Cette division fut surnommée la « Ghost Division » ( « la division fantôme »).

Après de longues tergiversations de Pershing, malgré les demandes insistantes de l’Etat-Major français qui manque d’hommes, ils seront incorporés dans des divisions Françaises notamment la 161e DI. Ils combattront avec le casque Adrian et sous commandement français.

Le 369e devenu le Régiment d’Infanterie US, le « RIUS », fut décoré de la Croix de guerre. Il détient le record du plus grand nombre d’hommes décorés de tout le CEA, certains de ces hommes reçurent la Légion d’Honneur.

Pourtant, l’Etat-Major américain leur refusera le droit de participer au défilé de la victoire sur les Champs Élysées.

Les « Indiens », eux, sont incorporés dans les unités blanches. 17 000 seront incorporés dans l’armée en 1917. 14 000 seront envoyés en Europe. Ils participeront aux combats, certains dans des tâches spécialisées, éclaireurs, ou dans le Signal Corps car leurs langues tribales indéchiffrables permettaient de sécuriser les communications de l’armée.

….qui demanda à l’armée Française d’être raciste :


Le 7 Août 1918, une circulaire signée du Lieutenant Colonel Linard, Chef d’Etat-Major de la Mission Militaire Française près l’armée américaine, adjoint du Général Raguenau, est diffusée au sein de l’Etat-Major et aux généraux commandants des régions militaires.  

Il s’agit d’une circulaire confidentielle.

Elle a pour but de définir l’attitude à adopter vis-à-vis des troupes afro-américaines placées sous le commandement français.

Son contenu raciste fait scandale. Trois jours après sa diffusion, elle fut retirée et détruite.

Quelques exemplaires échappèrent à sa destruction..

On l’a dite inspirée par l’Etat-Major américain inquiet de l’accueil fraternel que les « poilus » ont réservé aux unités afro-américaines.

Néanmoins, elle fut écrite par un officier de l’Etat Major. Il fut promu colonel par le Général Pétain et remplaça le Général Raguenau à la direction de la Mission Militaire Française près l’armée Américaine.

Son contenu témoigne de l’état d’esprit d’une partie de l’Etat-Major Français à l’encontre de ses propres troupes coloniales.

Peut-on affirmer qu’il était général ? Non ! très répandu ? Oui !.

Soulignons que 171 soldats afro-américains ont été décorés de la Légion d’Honneur, par des officiers français.

Cette circulaire ne peut être résumée.

Mais elle ne peut, aussi, être une page oubliée de cette période.  

Elle est publiée intégralement en annexe (voir annexe 2).  


C’est donc cette armée américaine là qui installera la base arrière de la 1ère armée sur une zone géographique qui englobe entre autre le département de Loir et Cher, qui y cantonnera et y transitera.

Les américains prennent leurs marques en France :

L’arrivée de Pershing

Nommé le 10 avril 1917 Commandant en Chef de l’Américain Expeditionary Force (AEF), Pershing embarque le 28 mai 1917 à New-York pour Londres.

Le 8 juin, il arrive à Londres.

Le 13 Juin, Pershing, son état-major composé de 177 officiers et de quelques hommes de troupes, débarquent à Boulogne-sur-Mer à bord du navire de guerre Invicta.

Ils sont accueillis par les représentants des plus hautes autorités militaires Alliées et par le colonel Jacques Aldebert de Chambrun, descendant direct de La Fayette, qui bénéficie à ce titre de la nationalité américaine.

Dès la déclaration de la guerre actée, Pershing et son Etat-Major avaient élaboré, avec l’assistance de militaires français un schéma d’organisation en vue du débarquement du CEA, de son installation, de son ravitaillement en vivres, en munitions.

Les ports de débarquements

Le 10 juin, la liste des ports français utilisables pour le débarquement des troupes et matériels du CEA avait été arrêtée. L’essentiel des débarquements devait se faire dans les ports de la façade Atlantique, les ports de la Manche étaient réservé aux Anglais.

A partir du 12 juin, une commission composée d’officiers américains et français entame un travail d’investigations, de prospections. Elle visite les sites portuaires, examine et évalue les moyens disponibles et les besoins en quais de débarquement, en entrepôts disponibles ou à construire, les voies ferrées pour l’acheminement des hommes, du matériel, depuis les ports jusqu’au front.

Le 14 juin, la commission remet son rapport à Pershing.


Il contient une série de préconisations indispensables, selon les Officiers américains, pour la construction des lignes de communications du CEA sur le territoire français et surtout pour assurer l’autonomie de l’Armée Américaine.

Ces préconisations seront débattues avec le gouvernement français et les autorités militaires Françaises et Alliées.

Les capacité portuaires et d’hébergements étaient sous-dimensionnées au regard des besoins du CEA. Des travaux d’adaptation étaient nécessaires et furent entrepris par les américains.

Les ports de St Nazaire et de Bordeaux furent les deux premiers ports utilisés pour le débarquement des troupes et le stockage du matériel.

L’afflux des troupes transportées par paquebots nécessite des ports en eaux profondes. Par la suite, d’autres sites portuaires seront utilisés.

Des troupes débarqueront dans les ports de Brest à la fin de 1917, au Havre en mars 1818.

Les ports de La Rochelle et de Rochefort permettront de décongestionner Bordeaux.

L’efficacité de la lutte contre la guerre sous marine permit le débarquement à Marseille pour les approvisionnements encombrants, en été 1918.

A l’Armistice, les Américains utilisaient 80 postes à quai dont 67 de construction française et 17 américaine !

Le « front » attribué au CEA.

Le 26 juin à Compiègne, Pershing et Pétain s’accordent sur le théâtre d’opération des troupes du CEA : ce sera le secteur Nord-Est, plus particulièrement celui de Verdun.

Le secteur Nord-Est revêt pour le General Pershing une grande importance :

  • il est proche du Bassin de Briey qui fournit la « minette » indispensable à l’industrie sidérurgique de guerre allemande, il s’agit donc d’un enjeu économique stratégique.
  • la position géographique du front lui permet d’envisager une offensive décisive faisant de lui et du CEA le « vainqueur » de la guerre.
  • enfin, les lignes de chemins de fer existantes reliant le secteur du front aux ports de l’Atlantique lui permettent d’assurer l’autonomie de ravitaillement de l’armée américaine, bien que quelques travaux seraient indispensables pour assurer un fret aussi important.

Le GQG de Pershing.

En septembre 1917, après un bref séjour à Paris, Pershing installe son Grand Quartier Général (GQG) à Chaumont sur Marne.

Le GQG sera assisté par la Mission Militaire Française.

Il est composé de deux grandes parties :

1° l’Etat-Major proprement dit.

2° le groupe des services, divisés en 10 services : les Transports; le Service Automobiles; l’Intendance (Quatermaster); les Munitions et matériels (Ordnance); l’Aviation; le Génie; le Service télégraphique (Signal service); le Service sanitaire; le Service chimique.  

Avec l’accroissement du Corps Expéditionnaire, le groupe des services sera décentralisé en février 1918.

Il est placé sous le commandement en chef du service et ravitaillement, le S.O.S.

Il est transféré à Tours en zone de l’intérieur.

La ligne de communication.

D’un point de vue militaire, la ligne de communication, est le « chemin » par lequel elle communique avec ses dépôts, ses magasins, ses réserves, ses hôpitaux. Par ce ou ces chemins, passent le ravitaillement en munitions, matériels, carburant, effets militaires, mais aussi l’évacuation des blessés, les transports de soldats pour rejoindre les postes avancés etc.

Ce sont donc des vecteurs cruciaux pour toutes les armées.

Napoléon à la veille de la bataille d’Ulm en 1805 , écrivait « Dans une saison où il n’y aurait point de pommes de terre dans les champs, ou si l’armée éprouvait quelques revers, le défaut de magasins nous conduirait aux plus grands malheurs ».

Les américains en ont tiré les enseignements.

L’armée américaine : « Destinée à se battre sur le front de Lorraine, elle devait être alimentée par le sol des Etats-Unis ».(19)

C’est donc une question complexe nécessitant d’énormes moyens.

Ses lignes de communications sont composées de trois segments.

Le premier en Amérique : des centres de regroupements aux ports d’embarquements.

Le second : la traversée de l’océan.

Le troisième enfin : des ports de débarquements aux territoires d’opérations.

Sur le territoire français, les distances à parcourir sont importantes : 1100 km séparent l’Atlantique du front pour la distance la plus longue, 840 km pour la plus courte. Il faudra beaucoup de trains et une organisation adaptée pour stocker puis livrer l’approvisionnement aux postes de combats avancés.

D’autant que les quantités de fret à transporter sont énormes.

A titre indicatif, les quelques données chiffrées ci-dessous témoignent des tonnages transportés : entre le 29 octobre 1917 et le 32 mars 1919, pour le seul port de Nantes, ce sont 836 827 tonnes de marchandises (combustibles, céréales, pommes de terres, matériels, munitions, explosifs etc.) qui sont débarquées et manutentionnées par les unités de services américaines assistées de prisonniers de guerre allemands, et qui transiteront par les magasins intermédiaires.(20)

En octobre 1918, pour un soldat qui débarque, une tonne de matériel l'accompagne.

Les troupes du CEA arriveront de manière échelonnée :

30 juin 1917, 16 220 hommes soit 0,8% du total envisagé

30 novembre 1917 129 623 (6,3%)

30 janvier 1918, 224 655 hommes (11%)

31 mars 1918 , 329 005 (16%)

30 mai 1918, 667 119 (32%)

31 juillet 1918, 897 293 (44%)

31 juillet , 1 210 703 (59%)

30 septembre 1 783 935 (87%).

Une situation géographique « idéale ».

A la différence de l’armée française qui disposait d’un grand nombre de magasins de capacités limitées mais disséminés sur le territoire, ce qui lui donnait de la souplesse et la possibilité de s’approvisionner sur les productions locales au plus près des concentrations de soldats, l’armée américaine devait débarquer dans quelques ports une grande quantité de matériel et l’acheminer sur le secteur du front.

Elle opta donc pour la constitution d’un petit nombre de grands dépôts de stockage et de grands magasins.

Les dépôts de bases furent organisés dans le voisinage immédiat des ports de débarquement.

Base n° 1 Nantes-St-Nazaire ; la base n° 2 Bordeaux ; la base n° 4 Le Havre ; la base n° 5 Brest ;

la base n° 6 Marseille - Miramas ; la base n° 7 la Rochelle

Le matériel était débarqué et entreposé.

Les trois plus importants dépôts de base étaient situés à Montoir près de St-Nazaire qui comprenait 139 magasins desservis par 200 km de voies ferrées, à Saint-Sulpice-Izon près de Bordeaux et Miramas proche de Marseille.

L’espace territorial situé entre les ports et la zone de front était tout indiqué pour y implanter une zone militaire intermédiaire.

Particulièrement, la Vallée du Cher, longée pour partie par la ligne de chemin de fer Nantes-Lyon, rassemblait les caractéristiques idéales pour y implanter la base intermédiaire du CEA.

En effet, le matériel stocké dans les dépôts de base était ensuite expédié sur deux grands magasins intermédiaires : l’un à Giévres et l’autre à Montierchaume près de Châteauroux.

Seul celui de Giévres fut achevé.

Ces magasins avaient pour but d’alimenter les dépôts avancés, c’est-à-dire près du front.

Le plus important étant celui de la gare d’Is-sur-Tille.

« Is-sur-Tille était le maillon clé en zone avancée de la ligne de communication (Line of Communication-LOC) qui acheminait et approvisionnait en flot continu le corps expéditionnaire américain en France (AEF).

Le camp, installé par les soldats américains à Is-sur-Tille, était la plus grande base logistique de l’AEF en zone avancée, située à environ 250 km du front.

Son emplacement avait été choisi pour ses facilités ferroviaires, une gare régulatrice militaire française existant à Is-sur-Tille.

Ce camp a vu passer deux millions de soldats américains. Il comprenait différents

services : la gare régulatrice qui pouvait trier et expédier jusqu’à 1000 wagons par jour ; le dépôt du Génie qui stockait, préparait et expédiait le matériel réclamé par les Divisions US. ; le service de l’Intendance qui gérait la grande boulangerie mécanisée ; cette dernière fabriquait 375 tonnes de pain chaque jour et ravitaillait un million d’hommes. Immense, mais éphémère, le camp sera démantelé en 1919 et les terres rendues à l’agriculture. »

D’autres furent installé en fonction des besoins et des mouvements de l’armée Américaine.


ANNEXES


I) L’accord franco - americain

Le 14 mai 1917, Baker, Secrétaire d' État à La Guerre Américain, signe un texte qui fixe le programme de l'intervention américaine. Ce programme répond aux orientations définies par la délégation Française conduite par Joffre et Viviani (15 avril- 24 mai 1917).

Ce programme prévoit :


L'envoi d'un corps expéditionnaire, des le 1er Juin 1917, constitué d'une division : la 1er Division Infanterie US

L'organisation d'une armée sur la base des grandes unités militaires classiques, Corps d'Armee, Division etc. L'instruction des soldats composant ces unités devait se faire en deux temps, un premier temps dans des camps en Amérique, et ensuite achevée dans les camps de l'armée française,

La France devait aider a la formation des officiers et sous officiers.

Les États Unis devaient participer aux services généraux de l'arrière, entretien des forces US, conducteurs, chemins de fer, parc d'artillerie, télégraphistes etc.  

II) La circulaire Linard


Mission militaire française près l’Armée Américaine.

7 août 1918

« Au sujet des troupes noires américaines »


« I. Il importe que les officiers français appelés à exercer un commandement sur des troupes noires américaines, ou à vivre à leur contact, aient une notion exacte de la situation des Nègres aux États-Unis. Les considérations exposées dans la note suivante devraient donc leur être communiquées, et il y a un intérêt considérable à ce qu’elles soient connues et largement diffusées ; il appartiendra même aux autorités militaires françaises de renseigner à ce sujet par l’intermédiaire des autorités civiles, les populations françaises des cantonnements de troupes américaines de couleur.

II. Le point de vue américain sur la "question nègre" peut paraître discutable à bien des esprits français. Mais il ne nous appartient pas à nous Français de discuter ce que certains appellent un "préjugé". L’opinion américaine est unanime sur la "question noire" et n’admettrait pas la discussion.

Le nombre élevé de Nègres aux États-Unis (15 millions environ) créerait pour la race blanche de la République un danger de dégénérescence si une séparation inexorable n’était faite entre Noirs et Blancs.

Comme ce danger n’existe pas pour la race française, le public français s’est habitué à traiter familièrement le "Noir", et à être très indulgent à son égard.

 Cette indulgence et cette familiarité blessent profondément les Américains. Ils les considèrent comme une atteinte à leurs dogmes nationaux. Ils craignent que le contact des Français n’inspire aux Noirs américains des prétentions qu’ils considèrent comme intolérables. Il est indispensable que tous les efforts soient faits pour éviter d’indisposer profondément l’opinion américaine. »

Bien que citoyen des États-Unis, l’homme de couleur est considéré par l’Américain blanc comme un être inférieur avec lequel on ne peut avoir que des relations d’affaires ou de service. On lui reproche une certaine inintelligence, son indiscrétion, son manque de conscience civique ou professionnelle, sa familiarité.

Les vices du Nègre sont un danger constant pour l’Américain, qui doit les réprimer sévèrement. Par exemple, les troupes noires américaines en France ont donné lieu à elles seules à autant de plaintes pour tentatives de viol, que tout le reste de l’armée, et cependant on ne nous a envoyé comme soldats qu’une élite au point de vue physique et moral, car le déchet à l’incorporation a été énorme.

Conclusion

I. Il faut éviter toute intimité trop grande d’officiers français avec des officiers noirs, avec lesquels on peut être correct et aimable, mais qu’on ne peut traiter sur le même pied que des officiers blancs américains, sans blesser profondément ces derniers. Il ne faut pas partager leur table et éviter le serrement de main et les conversations ou fréquentations en dehors du service. »

II. Il ne faut pas vanter d’une manière exagérée les troupes noires américaines surtout devant les Américains. Reconnaître leurs qualités et leurs services, mais en termes modérés conformes à la stricte réalité.

III. Tâcher d’obtenir des populations des cantonnements qu’elles ne gâtent pas les Nègres. Les Américains sont indignés de toute intimité publique de femme blanche avec des Noirs. Ils ont élevé récemment de véhémentes protestations contre la gravure de la "Vie Parisienne" intitulée L’enfant du dessert" représentant une femme en cabinet particulier avec un Nègre. Les familiarités des Blanches avec les Noirs sont du reste profondément regrettées de nos coloniaux expérimentés, qui y voient une perte considérable du prestige de la race blanche. L’autorité militaire ne peut intervenir directement dans cette question, mais elle peut influer sur les populations par les autorités civiles. »


Signé Linard



Sources :

1. André Kaspi « Le temps des Américains », Publications de la Sorbonne, 1976

2. La Triple Entente : Royaume-Uni, France et Empire russe et la Triple Alliance : Empire allemand, Empire austro-hongrois et Italie.

3. Achille Vialatte, "Les Etats-Unis et le conflit européen (4 août 1914- 6 avril 1917)", BNF, Gallica
4. André Maurois de l’Académie Française, Aragon, "Les deux géants, Etats-Unis t 1. Histoire des Etats-unis et l’URSS de 1917". Edition du Pont Royal, Paris, 1962
5. Claire Delahaye, « L’opposition à l’entrée en guerre », IdeAs

6. Claire Delahaye, « L’opposition à l’entrée en guerre », IdeAs

7. Claire Delahaye, « L’opposition à l’entrée en guerre », IdeAs

8. En souvenir des « minute men. » Minute men est le nom donné aux membres de la milice des Treize colonies qui jurèrent d'être prêts à combattre dans les 

    deux   minutes de la guerre d’Indépendance.
9. André Maurois, ouvrage déjà cité.

10.  Claire Delahaye, article déjà cité.
11. Wilson," message au peuple américain du 14 avril 1917".
12. André Maurois, ouvrage déjà cité.
13. André Kaspi, ouvrage déjà cité.
14. Raphaëlle Autric, « La rivalité franco-américaine : l’instruction des soldats américains en France (1917-1918) », Revue historique des armées, 246 | 2007, 22-32.
15. Raphaëlle Autric, ouvrage déjà cité.

16. Raphaëlle Autric, ouvrage déjà cité.
17. J-J Pershing, "Mes souvenirs de la guerre", T1 Chapitre III page 27 Ed. Plon, Paris 1931.
18. André Kaspi, ouvrage déjà cité.
19. M. Andriot , Lieutenant-Colonel, "Les transports par voie ferrée de l’Armée américaine en France (1917-1919)", BNF, Gallica.

20. Ouvrage collectif sous la direction de Gilbert Nicolas, Eric Jonet et Jean-Marie Kowalski, "Images des américains dans la grande guerre de la Bretagne au 

      front de l’ouest", Editions Presse Universitaire de Rennes.

21. Commission des Antiquités et du Patrimoine. L’Académie commémore la Grande-Guerre

 

Crédit photos :

  • Journal l’Illustration
  • Les Américains à Issoudun, Bernard Gagnepain.
  • Collection personelle A. VILLA.


Pour les photos des troupes afro-américaines et des personnages, Pershing, Baker  :