Chapitre V

 

PRESENCE AMERICAINE ET PROLIFERATION DE LA PROSTITUTION


Table des matières

  • Dès 1915, dans les zones de guerre : une situation jugée préoccupante :
  • En 1916, un arsenal réglementaire départemental mis en place :
  • A chaque débarquement : comment contenir l’épidémie vénérienne ?
  • La stratégie américaine : la prévention par des activités récréatives :
  • La stratégie française : « Les oeuvres militaires de tolérance »:
  • Le Préfet de Loir et Cher entre « ouvertures françaises » et 
  • « consignations américaines » :
  • Le gouvernement français demande la levée de l’interdit :
  • La position du GQG Américain : une fin de non recevoir.
  • Pershing renforce lui ses consignes  de répression :
  • Une lutte désordonnée contre la prostitution
    •  L’amertume du Préfet. 
    • Les autorités américaines agissent de leur côté …
    • … et les élus font leur possible !
    • Les dénonciations sont nombreuses :
    • La prostitution se faufile partout :
    • Une explosion des demandes d’autorisation d’ouverture de Maisons de Tolérance :
  • Annexes.
  • Sources.

Au début du 20e siècle, « Mme Georgette », tenancière chevronnée, gérait avec fermeté « Le Vert Galant » situé 1, rue Lauricard à Blois.

Une dizaine de pensionnaires, recrutées par «Loulou les Bagouses» son mari, égayaient les soirées des bourgeois blésois, et donnaient à certaines recrues du 113e Régiment d’Infanterie caserné dans la ville, -celles qui en avaient les moyens-, le baptême du feu de l’alcôve.

A Romorantin, la maison close était désignée par son adresse, le bourgeois esseulé allait au  « 42, rue des Limousins». Brel aurait dit « Ce n’est pas grand non, mais il y’a d’la place » pour 5 « filles de joie ».

Dans ces deux maisons, la prostitution y était enfermée, encadrée et réglementée. L’ambiance entre les femmes était presque familiale. Les soirées que les hommes y passaient pouvaient s’apparenter à celles d’un club, avec des moments « coquins ».

Certes, en ville, il devait bien y avoir quelques prostituées « clandestines », quelques femmes « encartées ». Mais le « racolage » était un délit. Il était donc surveillé et réprimé. La police veillait au respect des bonnes moeurs !

La guerre puis l’arrivée dans le département des hommes du Corps Expéditionnaire Américain, vont faire vaciller l’éclairage au gaz des lanternes rouges qui illuminaient discrètement les portes de ces deux bordels.

La prostitution va prendre d’autres chemins et occuper d’autres lieux, ceux des maisons particulières, des berges de la Loire, du Cher, de la Sauldre, des forêts et des coins sombres des rues.

Depuis deux ans déjà, les autorités civiles et militaires françaises avaient engagé contre la propagation des maladies vénériennes, des actions qu’elles voulaient efficaces.

Avec les autorités militaires américaines ensuite, elles s’accorderont sur cet objectif.

Français et américains entendent tout mettre en oeuvre pour y remédier.

Si tous deux dispensent des actions d’éducation à l’hygiène sexuelle pour prévenir les maladies, français et américains divergent sur la nature des outils à utiliser pour éviter leur propagation.

Les français réglementent, encadrent la prostitution. Ils la considèrent comme , « un mal nécessaire » inévitable.

Les autorités américaines, elles, s’affirment comme des propagandistes des thèses abolitionnistes, avec interdiction et répression immédiates.

L’opposition entre ces deux thèses va, dans leur mise en oeuvre, s’exacerber sur le terrain. Elle prendra quelques fois une tournure cocasse.

Dans le département de Loir et Cher, leur coopération revêtira un aspect brouillon et un caractère conflictuel.

Dès 1915, dans les zones de guerre : une situation jugée préoccupante :

Durant l’été 1915, les médecins militaires français s’alarment de la recrudescence des maladies vénériennes et notamment de la syphilis.

Le poilu vit dans des conditions indicibles. Il côtoie la mort à tous les instants. Il est en manque de présence féminine.

La guerre durant, les comportements vont s’adapter. Les femmes usent de divers stratagèmes pour contourner l’interdit et retrouver leur mari dans les cantonnements ou les villages proches. Ils y louent une chambre d’hôtel.

Selon des témoignages, les chambres sont prises d’assaut au sens propre. Bien que barricadé à l’intérieur, le couple occupant n’est pas pour autant tranquille. Les autres restés dehors tambourinent à la porte ou expédient la bonne de l’hôtel pour faire vider les lieux (1).

Une telle situation crée dans les zones de combat un désordre que l’armée ne peut tolérer.

L’armée va donc modifier ses attitudes et comportements à l’égard de la prostitution. Elle ne chasse plus la prostituée des zones de combats, elle la tolère et l’encourage à y venir.

Les prostituées sont déjà là ! Elles affluent depuis l’intérieur dans les zones de combats.

Selon le docteur Léon Bizard, « Là, c’était la bousculade, un dur, dangereux et écœurant “business” : cinquante, soixante, jusqu’à cent hommes de toutes les couleurs, de toutes les races à “faire” par jour, sous la menace continuelle des avions, des bombardements, qui firent du reste leurs victimes parmi ces malheureuses. [...] On allait puiser à l’arrière pour garnir les “tolérances” de l’avant, où des femmes qui n’étaient vraiment pas des paresseuses ont vu leurs 50 000 hommes pendant la guerre » (2).

Le marché de la prostitution est en plein essor, les conditions d’hygiènes déplorables, les maladies vénériennes se propagent.

Quelques fois, la contamination peut permettre l’éloignement des premières lignes.

Il est des cas où la prostituée se sachant malade, augmente son tarif. Le poilu l’accepte en toute connaissance, car un début de syphilis équivaut à plus de vingt jours d’hospitalisation. On risque moins sa vie sur un lit d’hôpital que dans la tranchée.

Devant l’ampleur du phénomène, les pouvoirs publics et l’armée vont réagir .

Ils organisent, sur le front, des actions de « prévention » controlées par les médecins militaires. Elles s’avéreront insuffisantes pour enrayer la propagation dans les zones de l’arrière, véhiculée par les permissionnaires.

Justin Godard, Sous-secrétaire d’Etat de la Guerre, responsable du service de santé militaire, réactive les conférences « d’hygiène sexuelle » du soldat. En usage dans l’armée depuis le début du XXème siècle, elles n’étaient pratiquées que très modérément, sous la pression des officiers estimant que l’armée n’avait pas à jouer un rôle d’éducation sexuelle et sanitaire.

Les conférences se tiennent dans les régiments, dans les zones de l’arrière et visent à la fois les jeunes qui vont être appelés, et les publics civils.

Un travail important de diffusion de conseil, d’information par voie de tracts et affiches traduit en plusieurs langues, y compris le chinois, est réalisé.

Très vite, ces conférences qui devaient être centrées sur l’hygiène sexuelle sont teintées de morale culpabilisatrice pour le soldat.

Pour nombre de médecins militaires, le moyen le plus efficace contre les maladies vénériennes, reste encore la chasteté.

A défaut de pouvoir demeurer chaste, ce sera la maison de tolérance. Elle n’est toutefois, pas une garantie parfaite.

« Après avoir posé l’intérêt de la chasteté et décrit les dangers des maladies vénériennes, les médecins se font les propagandistes par défaut des maisons de tolérance et de la prostitution réglementée » .

L’armée recommandera l’ouverture des œuvres militaires de tolérance autrement dit les « bordels militaires de campagne » (BMC), à l’image de ceux utilisés en Algérie pendant la guerre de conquête.

La guerre accélère la libéralisation sexuelle qui heurte de plein fouet la morale dominante de l’époque. Les résistances sont vigoureuses.


En 1916, un arsenal réglementaire départemental mis en place :

La période qui couvre l’année 1916 jusqu’à l’arrivée des troupes américaines est marquée par une série de mesures réglementaires.

Le 2 février 1916, par circulaire, le Préfet rappelle aux maires du département, les pouvoirs qu’ils détiennent de la loi pour réglementer la prostitution :

  • le droit d’ordonner l’inscription d’office les prostituées sur les registres de police,
  • de les soumettre aux règles sanitaires nécessaires pour la sauvegarde de la santé publique, y compris l’hospitalisation d’office.
  • de les diriger vers les établissements qui ont créé des sections spéciales à cet effet.    

Le 22 juillet, il rappellera, fermement, ses instructions. 

Il les invite, ainsi que les deux sous-préfets, à prendre des mesures sévères de police des moeurs. 

La police poursuit sa surveillance et ses contrôles. 

Quelques « filles » isolées sont « encartées » telle la « fille » B…, employée au faubourg Saint-Antoine à Romorantin, dans la fabrique de lacets Clément. Elle est signalée « prostituée » et « mise en carte », le 4 mai, car elle loge et vit dans l’immeuble B.… Cet immeuble devait être considéré comme étant « mal famé ».


Le 28 juin 1916, le Préfet adresse une note aux directions des hôpitaux de Blois, Vendôme, Romorantin.

« Mon attention a été appelée - écrit-il - à la fois par Monsieur le Ministre de l’Intérieur et par Monsieur le Général Commandant la 5e Région, sur la recrudescence des maladies vénériennes qu’on observe à l’heure actuelle tant dans la population civile que dans l’armée. Non seulement les villes mais aussi les centres ruraux sont touchés par la contagion du fait des permissionnaires venus de la zone des armées ou de l’intérieur; enfin, il a été constaté que les jeunes gens de 17 à 18 ans qui vont s’engager ou être incorporés étaient contaminés de syphilis dans des proportions impressionnantes. 

Il y à là un véritable péril national qu’il s’agit de conjurer d’urgence. »

Le ton est donné, l’importance de l’enjeu fixée.

Les maladies vénériennes sont assimilées à un ennemi intérieur qu’il faut combattre avec autant de force que l’ennemi extérieur, le « Boche ».

Diverses dispositions sont prises. 

A des mesures de police renforcées, contre la prostitution clandestine, s’ajoute « l’institution partout où cela apparaitra nécessaire, des dispensaires spéciaux annexés aux hôpitaux où les personnes atteintes de maladies vénériennes pourront être soignées et éventuellement hospitalisées dans des conditions de secret et de gratuité absolue ».

Il en fixe les conditions et le coût de fonctionnement.

Pour « les hospitalisations à venir », il faut « prévoir un petit nombre de lits isolés ».

« Les frais d’hospitalisation ne dépasseront pas 1000 francs par an pour chacun d’eux ».

Le budget de 1000 francs se décompose comme suit :

  • pour « le traitement des malades, 300 francs par an pour chacun d’eux »,
  • pour « le prix des médicaments et des pansements, 30 francs par malade en moyenne ».  

L’Etat prend en charge la création de 12 lits ainsi que deux cabinets de consultations à l’hôpital de Vendôme.

Pour l’hôpital de Romorantin, il demande de procéder à l’évaluation des travaux d’adaptation nécessaires.  

Il faudra attendre « le 25 septembre 1916, pour qu’ils (les dispensaires spéciaux) soient généralisés et soumis à la direction unique de Justin Godart ».

Parallèlement à la prise en charge des malades, la surveillance des prostituées clandestines se poursuit.

Par circulaire en date du 6 juin 1917, le Préfet appelle les maires à la plus grande vigilance sur tous les lieux publics où la prostitution peut s’exercer. Interdiction est faite aux propriétaires de débits de boissons ou de restaurants, d’employer des filles de moins de 18 ans, à l’exception des membres de sa famille.

Les employées de plus de 18 ans, doivent être en possession d’un « certificat de bonne vie et moeurs de moins de 3 mois ». Ce certificat n’est autre qu’un extrait du casier judiciaire.

Les vitres des devantures et fenêtres, doivent être transparentes. L’intérieur du bar ou du restaurant doit être visible de l’extérieur. Pas de rideaux aux fenêtres et devantures !

Les arrières salles fermées sont interdites.

Les femmes et filles qui y travaillent, ne peuvent s’assoir et consommer avec les clients.

Enfin, ces établissements sont interdits « aux femmes de débauche ».

Le 20 octobre 1917, le Préfet insiste à nouveau pour organiser le dépistage et le traitement des maladies vénérienne, notamment la syphilis. Afin d’accentuer plus encore la discrétion qui s’impose dans le traitement de ces maladies, il propose de les désigner derrière le paravent  de « consultations pour les maladies de la peau et des muqueuses »

Les jours de consultations spécifiques sont fixés :

  • à l’Hôtel Dieu de Blois, ce sera  le mercredi à partir de 10 h 30 pour les femmes et le lundi à partir de 9 heures pour les hommes. Ces consultations seront assurées par des médecins distincts,
  • à l’hôpital de Romorantin, ce sera les mercredi et samedi de 9 h à 5 h,
  • à Vendôme, le dimanche à 9 h.

Le 10 décembre 1917, il demande aux Maires un état nominatif des filles employées dans les cafés et hôtels des villes de Blois, Romorantin, Vendôme.

Nombreuses sont les très jeunes filles qui travaillent dans les établissements visés de Romorantin. Elles sont âgées de 13, 14, 17 ans et toutes ne sont pas en possession du « certificats de bonne vie et moeurs ». 

C’est dans ce contexte de « péril national », de lutte pour préserver « l’avenir de la race», que l’arrivée massive de soldats américains  complique considérablement, la tâche et l’action des autorités départementales.

La prostitution accompagne l’armée. 

L’attitude des plus hautes autorités militaires américaines vaaccentuer le chaos.

A chaque débarquement : comment contenir l’épidémie

vénérienne ?

Le déploiement du CEA s’échelonna sur quelques mois. 

Du mois de mars au mois d’août 1918, sont arrivés en France par bateaux, 1 158 000 Sammies. 

Laurence Stallings dans son livre décrit le parcours initiatique du jeune « Doughboy » : « Une fois le pied posé sur le sol français », il commence par se saouler avec un mauvais rhum dans un bar du port, puis pris en charge par des rabatteurs, il termine sa « virée » dans un des bordel de la ville où une prostituée « malade »  lui « refile » sa maladie.

L’auteur a peut-être forcé un peu le trait, mais cela correspond à une certaine réalité.

Alcoolisme et prostitution ne sont pas des particularités exclusivement françaises, comme le montre le contenu de la lettre que le Secrétaire d’Etat américain à la Guerre adresse à Pershing, le 10 septembre 1917.

Cette lettre évoque trois points qui préoccupent particulièrement le Secrétaire d’Etat, celui de l’engagement des troupes dans les combats ; celui du choix des officiers de commandement de ces troupes et enfin celui de la prostitution et de l’alcoolisme :

« En Amérique, nous avons réussi à installer nos camps dans des conditions très supérieures à celles d’autrefois. La question de la boisson est très surveillée et celle de la prostitution a fait de grands progrès par rapport au passé.

Une fois nos troupes arrivées en France, ces questions se poseront sous un aspect nouveau et seront plus difficiles à réglementer. L’organisation de la police locale est évidemment délicate, et j’ignore quelles mesures on pourrait prendre pour réduire au minimum les deux maux en question. 

Je prierai bientôt Mr. Raymond Fosdick, Président de notre « recreational committee »; de se rendre en France et de voir si nous ne pourrions pas étendre à nos camps de France le système récréatif que nous projetons d’instituer ici. Ce serait là une solution avantageuse de ces deux problèmes ». 

Un autre personnage jouera un rôle important dans la détermination de l’attitude de Pershing et de son Etat-Major. C’est le docteur Young considéré comme le père de l’urologie américaine..

Young visite les soldats arrivés à Saint-Nazaire. Il est catastrophé par leur situation sanitaire.  

Il en informe le Général. Pershing se rend à Saint-Nazaire accompagné du docteur. Il ordonne de faire garder par des soldats, armes à la main, tous les bordels de la ville, d’organiser des patrouilles de soldats en armes dans les rues dites « chaudes », afin d’interdire aux soldats fraichement débarqués de sombrer dans la « débauche »

Le maire de la ville n’était même pas informé.

Dans ces conditions, le taux de maladie chute pour se stabiliser à 11%.

Ce fut, paraît-il, la première bataille gagnée par le Docteur Young. Au vue des statistiques du Loir et Cher, il est loin d’avoir gagner cette guerre !

En effet, on retrouve le Docteur Young à Blois.

Le camp militaire de Blois est un centre de tri. Les soldats qui arrivent sont sélectionnés. Certains sont dirigés vers les centres pour achever leur formation avant de partir pour le front. D’autres restent en observation ou dans l’attente d’être réformés. 

La prostitution suit le mouvement.

Young estime à 6, pour autant qu’il soit exact, le nombre de prostituées aux abords du camp. 

Ce chiffre sera très rapidement dépassé. Il augmentera au fur et à mesure de l’arrivée des contingents de soldats.

A l’examen des différents rapports, ceux du préfet, du commissaire de police de la ville et du commissaire spécial, la situation en Loir et Cher paraît moins triomphante que celle de St-Nazaire !

Le Docteur Young pour tout ce qui concerne le contenu de l’organisation médicale et Raymond Fosdick pour ce qui concerne l’organisation des loisirs du soldats censés les détourner du péché de la chair, vont être les deux personnages importants dans cette lutte contre le mal vénérien.

La stratégie américaine : la prévention par des activités récréatives 

Raymond Fosdick, après avoir été responsable pour la fondation Rockefeller, d’un programme d’études pour la prévention des problèmes sociaux liés à la pauvreté urbaine, notamment le développement de l’alcoolisme, des maladies vénériennes, de la criminalité, travaille pour le Département de la Guerre.

Il a l’écoute du Secrétaire d’Etat à la Guerre.

Il préside la commission rattachée au Département de la Guerre, chargée d’élaborer et d’impulser la mise en oeuvre de programmes récréatifs dans les camps de formation et d’entraînement des soldats sur le sol américains et en France. A ce titre il est nommé conseiller personnel de Pershing.

La mise en oeuvre de ces programmes sous l’égide de la commission, étaient assurée par les associations qui accompagnent le CEA.

Elles sont nombreuses : l’Y.M.C.A, l’Y.W.C.A, le Conseil du Bien-Etre juif, les Chevaliers de Colomb, le Conseil National Catholique de Guerre, l’Armée du Salut, l’Association des bibliothèques de guerre, le Service Communautaire des Camps Miliaires, etc.

L’Y.M.C.A joue un rôle central. Cette association est présente dans tous les cantonnement militaires.

On trouve sa trace à Thésée, où un bâtiment qui abrite aujourd’hui une salle de sport est dénommée la salle « Y » pour y avoir abrité l’YMCA. La lettre Y y est encore apparente sur la façade.

Ces programmes incluaient, le sport, individuel et collectif. Les initiatives sportives américaines furent nombreuses dans la Vallée du Cher. La démonstration de boxe que réalisa le champion français Georges Carpentier, le 28 avril 11918, reste emblématique. Étaient organisés des spectacles d’art vivant; du cinéma; des chorales et du chant; des bibliothèques; mais aussi des écoles; des conférences et des cours d’éducation sexuelle.

L’organisation des permissions et du logement des permissionnaires était aussi de la compétence de ces associations.

L’objectif était d’exercer une influence morale sur les soldats mais aussi sur leur environnement, et en particulier sur les civils des lieux de cantonnement.

La commission espérait construire une alternative aux deux extrêmes, les moeurs laxistes et corrompues qu’elle estimait être l’apanage de la classe ouvrière urbaine et à l’opposé, les tendances traditionalistes et rigoristes lourdes, de certaines catégories sociales américaines.

L’espoir étant d’unifier les américains dont les origines géographiques sont diverses, de bâtir « l’homme nouveau américain » en quelque sorte.

La stratégie française : « Les oeuvres militaires de tolérance » :

Le 13 mars 1918, le gouvernement et les autorités militaires franchissent un cap dans la lutte contre les maladies vénériennes.

Une circulaire confidentielle, émanant du Président du Conseil, Ministre de la Guerre, adressée aux Généraux commandant les Régions (Zone de l’intérieur) affirme qu’aucun moyen ne sera négligé pour combattre « les dangers que fait courir aux armées alliées, ainsi qu’à l’avenir de la race, la multiplication croissante des maladies vénériennes ». La circulaire trace deux axes d’intervention : l’institution de maisons de tolérance et la chasse sévère à la prostitution libre.

Il est demandé aux généraux des Régions de la zone de l’intérieur de recenser : 

  • les territoires où existent des cantonnements militaires et leurs effectifs,
  • le nombre de maisons closes déjà existantes sur ces territoires,
  • de rechercher les locaux libres qui pourraient être utilisés pour ce type de maisons et éventuellement les lieux où des baraquements pourraient être construits à cette fin.
  • enfin de rechercher les personnes susceptibles de les gérer. 

Les pouvoirs civils seront chargés des mesures de police.

La circulaire « confidentielle » en date du 13 mars 1918, signée par le Général Mordacq, Chef de Cabinet de Clemenceau est en quelque sorte l’acte officiel de naissance des BMC.


Les cantonnements de Pruniers et de Salbris, bénéficient d’un traitement spécifique. .

En effet, le Président du Conseil Ministre de la Guerre, par dépêche en date du 8 juillet 1918, fait savoir que : « dans l’interêt de la discipline et de la santé des troupes qui sont cantonnées à Salbris et à Pruniers, il a décidé d’y provoquer la création de maisons de tolérance spécialement 

réservées aux militaires ».

L’autorité militaire exerce seule dans ces communes tous les pouvoirs de police en matière de réglementation et de surveillance de la prostitution.

La possibilité est laissée aux communes si elles en sont d’accord de la partager. Le recrutement d’un personnel pour cette tache est possible. Il pourra être placé sous la direction du commissaire de police et sera à la charge financière du ministère de la Guerre.

Le budgets des communes ne sera pas impacté.

Les « pensionnaires » dites « filles soumises » de ces établissements, sont en quelque sorte les « travailleuses du sexe ».

Les troupes américaines sont directement visées.

Ce sont les troupes américaines qui sont directement visées.

Les autorités américaines ne peuvent s’opposer à cette décision du gouvernement. Mais, elles interdiront ces maisons à leurs troupes !

La décision de l’armée américaine soulève incompréhension et crainte.

Le Sous-Préfet mesure la difficulté, voire l’impossibilité, de contraindre les soldats à l’abstinence sexuelle.

Il imagine les conséquences qui vont en résulter, notamment la prolifération de la prostitution clandestine.

Cette situation durera tout au long du séjour des troupes américaines.

Et les soldats américains sont très nombreux durant cette période.

Pour la seule ville de Blois qui est un centre de triage du CEA, la moyenne des troupes varie de 3000 à 10000 soldats suivant les jours. Dans le camp de Noyers, ce sont plus de 260 000 hommes qui sont passés. En janvier 1919, ils étaient encore 30 000.

Dans les bourgs autour de Noyers, ont cantonné, 710 officiers et 26 000 hommes.

Le frigorifique de Gièvres occupe 12 000 hommes. La base logistique de 20 à 30 000.

La construction de la base a été réalisée avec des soldats américains mais aussi 500 ouvriers chinois, des indo-chinois, des italiens, des espagnols etc…

Une telle quantité d’hommes est une aubaine pour les affairistes de tous poils, mercantis, débitants de boissons, mais aussi, souteneurs, tenanciers et tenancières de bordels.

Parmi les craintes du Sous-préfet, il en est une qui interroge : il s’inquiète parce que «  … les 15000 américains des 2 camps vont désormais rechercher davantage encore à entretenir des relations avec les jeunes ouvrières nombreuses à Romorantin et qu’il y aura invitation pour celles-ci à abandonner l’atelier afin de ne tirer de ressources que de la prostitution ».

Quel mépris pour les jeunes ouvrières ! Ce Sous-préfet ne voit dans chacune d’elle qu’une prostituée potentielle !

Mais n’est-ce pas un aveu inconscient ? Celui de la faiblesse des salaires dans les entreprises de Romorantin ? 

Lorsque le Préfet est informé de la décision de l’Etat-Major américain, il sonne l’alarme.

Le Préfet de Loir et Cher entre « ouvertures françaises » et « consignations américaines » :

Le Préfet de Loir et Cher va se trouver confronté à une situation ubuesque.

Les autorités françaises facilitent l’ouverture des maisons closes pour les soldats. Les autorités américaines les consignent pour leurs troupes. 

Le  4 mai 1918, il s’inquiète auprès du Ministre de l’Intérieur sur les « conséquences sur la santé publique de la fermeture, sur décision de Pershing, des maisons de tolérance que l’autorité militaire avait fait ouvrir à Blois ». 

Selon lui, Pershing a été influencé par les Young Men's Christian Association (YMCA).

L’association « est une sorte d’armée du Salut très riche qui installe dans toutes les garnisons américaines des cercles, cabinets de lecture, cafés où l’alcool est proscrit etc etc. écrit -il »… 

La présence  massive de soldats, a pour conséquence que «la prostitution clandestine a augmenté dans des proportions inquiétantes, non seulement pour la population blésoise, mais surtout pour l'armée Américaine, puisque le nombre de maladies vénériennes qui était de 1% alors que les maisons de tolérance étaient ouvertes, est passé à 14% depuis la fermeture.»

Les autorités militaires américaines s’inquiètent de l’envolée du nombre de maladies vénériennes, affirme-t-il. Elles exigent des mesures efficaces, mises en carte massives et expulsions de la ville des femmes qui selon les américains se livrent à la prostitution, « Toutes mesures que je me refuse à prendre parce qu'absolument arbitraires et de nature à provoquer des scandales dans la population ».

Toutefois, sur le plan local, l’autorité militaire parce qu’elle est aux prises avec la réalité des faits, constate que les hommes de troupes mais aussi des officiers « vont aux prostituées », semble partager l’avis du Préfet,

«… Mais elle désire que son avis corroboré par le mien, soit transmis par le gouvernement lui même au Généralissime américain ».

Il termine son rapport par une belle formule pour demander « Que le gouvernement en appelle du Général Pershing mal informé au Général Pershing mieux informé ».

Le gouvernement français demande la levée de l’interdit :

Le Ministre de l’Intérieur transmettra ce rapport au Président du Conseil, Ministre de la guerre. 

Clemenceau, chargera le Général, Chef de la Mission Française près les armées Américaines, d’interpeller le haut commandement américain et de lui demander sous certaines conditions de « lever, d’une manière générale l’interdit jeté sur les maisons de prostitutions autorisées ».

Dans le département, le Capitaine Klotz, officier de liaison auprès de la 41e DIUS, s’adresse au Général Alexander.

Il informe le Préfet de sa démarche le 16 mai.

Pour le Capitaine, les Maisons de Tolérance ont deux objectifs,« l’hygiène de la troupe » mais aussi, « la protection des foyers des mobilisés ». 

« Restées seules au foyer, les épouses de mobilisés, sont chaque jour l’objet de sollicitations non seulement de la troupe, mais trop souvent des officiers américains ».

Le Général Alexander promet le « conseil de guerre » et des punitions sévères pour « tout militaire convaincu d’avoir été trop entreprenant. »

Cela donne un aperçu de la réalité du climat dans les villes de cantonnement et du rapport des soldats américains aux femmes françaises.

Des scandales éclatent, écrit le capitaine.

A Montrichard, « un officier vivant en concubinage avec la femme de ...., mobilisé, se brouille avec sa maîtresse, se fait gifler, réplique et est l'objet d'une plainte pour scandale.

D'autres, ivres en général, ont tenté de violer des femmes qui leur résistaient ».

Il est bien certain que si ces jeunes gens pouvaient satisfaire leurs ardeurs dans des maisons ad hoc, tous ces scandales seraient évités ».

« De plus à St-Aignan par exemple, des officiers ont fait venir des femmes. A Pontlevoy, à Montrichard, à Selles sur Cher, des femmes ignobles circulent en quête de clientèle et la Gendarmerie est presque désarmée ».

Il s’inquiète de l’impression que cela donne aux Américains.

Et termine sa lettre sur un post-scriptum surprenant compte tenu du sujet traité… l’évolution du prix des oeufs : « P.S. Je m’excuse d’ajouter à cette lettre une question d’un tout autre ordre; les prix des oeufs ont augmenté formidablement sur les marchés où il est impossible d’obtenir que les prix soient affichés; je me permets de signaler ce fait à votre attention; je crois d’ailleurs que les nouvelles restrictions sur la consommation de la viande ne sont pas étrangères à cette hausse qu’il serait peut être dangereux de laisser évoluer ».

Ce post-scriptum révèle toute la complexité de la vie quotidienne de l’époque.

Il tentera d’obtenir du Général Alexander un changement de position.

La réponse du Général Alexander ne tarde pas.

La position du GQG Américain : une fin de non recevoir.

Le 22 mai 1918, le Général Alexander, Commandant la Division Dépôt du 1er Corps d'armée US adresse sa réponse au Préfet du Loir et Cher, via l'officier de liaison le Capitaine Klotz..

Sa réponse n’est pas une surprise. Elle est une fin de non recevoir, courtoise, diplomatique mais ferme.

Le Général Alexander répond en substance : je respecte la France, ses lois  et usages sociaux, mais ceux de l’Amérique sont très différents et je les applique dans ma Division. Il n’est pas question de déroger aux règles disciplinaires d’ensemble du Corps Expéditionnaire Américain. Je ne reviendrai pas sur la décision de fermeture. Je ne conteste pas aux maires le droit d’autoriser l’ouverture des maisons de tolérance, mais je me réserve le droit de les consigner aux officiers et à la troupe ainsi que tout autre établissement, s’ils représentent une menace pour les hommes de ce commandement. Je demande aux Commandants de Districts d’agir de même.

Cette ligne de conduite durera aussi longtemps que je ne serai pas moi-même avisé des mesures prises pour l'ensemble de l'American Expeditionary Force (A.E.F)».

Pershing renforce lui ses consignes  de répression :

Le 7 août 1918 le Général Pershing, renforce les règlements pour lutter contre « un grand danger d’infection vénérienne » qui « menace à la fois les populations civiles et l’armée ».

Ses ordres sont consignés dans le Bulletin n°54. Il ordonne aux officiers l’application stricte des règlements et l’information de la troupe.

« Passer outre serait pour eux une sérieuse preuve dincapacité ».

Après avoir déclaré que ......

  • « la source principale des maladies vénériennes se trouve dans les Maisons de Tolérance régulières et sous contrôles. Les méthodes d’inspection sont des plus inefficaces ».
  • « la pratique des rapports sexuels illicites conduit inévitablement à l’infection ».
  • « l’ivresse précède et conduit aux risques de ces maladies ».
  • « l’efficacité du traitement dépend de la promptitude avec laquelle on l’emploie », après l’acte sexuel illicite....

.....Le général affirme : «  Contracter une maladie vénérienne, c’est pour un homme être incapable de rendre service, et c’est pour lui souvent un affaiblissement de sa santé. Soldat, c’est un attentat contre votre devoir envers le pays  ».

 Ainsi, le Général édicte les prescriptions suivantes :

  • de « s’abstenir de tout rapport sexuel est le devoir naturel des membres de l’A.E.F., tant pour la conduite vigoureuse de la guerre que pour la bonne santé du peuple Américain après la guerre ». 
  • d’éviter « les permissions de nuit et de 24 heures». Elles «  sont une source fertile d’infection ».
  • le maintien et le renforcement de « l’interdiction de la vente de l’alcool aux soldats ».
  • « de répandre partout un traitement immédiat ».
  • « les conseils de guerre seront suffisamment sévères pour les cas d’infection vénérienne, pour décourager les hommes qui s’y exposeraient volontairement ».
  • « les maisons de tolérance seront consignées pour tous les membres de l’A.E.F, ainsi que les salons poussant à la vente de l’alcool ».


  • « En coopération avec la police française, les autorités civiles et militaires, tous les efforts seront faits pour réprimer la prostitution clandestine et les promeneuses de rues. Tous les moyens possibles, conformes à la loi française, seront employés pour faire partir ces femmes ».

Le Général Pershing, ne pouvait être plus clair. il n’a aucune confiance dans le dispositif français de lutte contre les maladies vénériennes. Il confirme la nécessité d’un prompt traitement dans une période n’excédant pas les 3 heures qui suivent le rapport sexuel « illicite ».

Aux contrôles médicaux des Maisons de Tolérance, il préfère la prophylaxie individuelle. Son non respect sera sévèrement réprimé par le Conseil de Guerre : la solde était suspendue pour 3 mois.


La réalité sera tout autre.

Une lutte désordonnée contre la prostitution :

L’amertume du Préfet.

Suite à la décision américaine, c’est un Préfet amer, qui constate la dégradation de la situation morale dans son département.

Railleur, il écrira à son Ministre de tutelle, à propos de l’abstinence sexuelle ordonnée par le général américain : « je puis vous affirmer, que jusqu’ici l’armée américaine me paraît nullement disposée à s’abstenir et cherche abondamment dans la population civile ce genre de plaisir que la circulaire du 7 août lui recommande de s’interdire »

Le Préfet tient les américains pour responsables « de la débauche qui en résulte et qui s’étend jusque dans les plus petits villages de mon département ».

Il attire aussi, l’attention du gouvernement sur les dangers d’espionnage, que représente le « pullulement de la prostitution libre autour de tous les cantonnements américains. »

Ce jugement est partagé par les sous-préfets de Vendôme et de Romorantin, les élus, ainsi que par les autorité militaires françaises.

Pour le Préfet de Loir et Cher, la seule solution est la réouverture des maisons de tolérance.

Devant le refus obstiné des américains, il s’exclamera « advienne que pourra ! ».

La lutte contre la prostitution et la contamination se poursuit, malgré tout et va prendre une tournure brouillonne.

Les autorités américaines agissent de leur côté …Elles poursuivent leurs actions : activités récréatives, traitement prophylactique rapide, chasse aux prostituées.

Les autorité françaises poursuivent les leurs favoriser l’ouverture de maisons de tolérance et lutter contre la prostitution clandestine.

Sur cette base va se constituer la coopération franco - américaine pour tenter de contenir le pullulement et ses conséquences sanitaires. :


La prostitution se faufile partout :

Le Préfet, en affirmant, dans sa note adressée au ministre, ne pas vouloir prendre « des mesures de nature à provoquer un scandale dans la population », laisse entrevoir toute la complexité de la situation et des causes sociales de la prolifération.

En effet, en cette période de la guerre difficile pour les populations civiles, la « prostitution clandestine » cache aussi pour nombre de femmes, une prostitution occasionnelle.

Le soldat américain a de l’argent.

Sa solde varie de 30 à 105 dollars par mois, selon le grade et le régiment, soit entre 150 et 525 francs de l’époque, environ par mois, (1 dollar = 5 fr).

Le montant de l’allocation de mobilisé est de 1,50 fr, par jour. Chez Normant, une « tisseuse » gagne entre 5,96 et 6,96 fr par journée de 10 heures, un ouvrier agricole gagne 2,50 fr. par jour.

Le chômage est élevé.

La vie est chère, un maire l’écrit au Préfet : sur le marché de sa ville, Saint-Aignan, le beurre se vend 5,5 fr, le demi-kilo. Quasiment une journée de travail pour un demi-kilo de beurre !

Le capitaine Klotz confirme la hausse des prix, les oeufs ont terriblement augmenté, en aout 1918, la douzaine se vend 3,80 fr. Pour certains travailleurs, le prix de 12 oeufs c’est plus de deux journées de l'allocation de mobilisé.

« La fille M…, demeurant 15 rue St Lubin a gagné 35 frs avec les américains ». affirme le commissaire

La misère peut expliquer beaucoup de choses.

Le 1er août 1918, le commissaire de police de Blois dans un rapport adressé au Préfet révèle l’ampleur de la dégradation de la situation « au point de vue de la moralité publique » dans la ville de Blois.

Il confirmera l’impossibilité au regard du droit français de répondre aux exigences américaines, « il ne peut être question de procéder à des visites domiciliaires dans le but de rechercher si telles ou telles personnes reçoivent chez elles des soldats américains ».

Ces femmes ne sont soumises à aucun contrôle médical, car elles ne se livrent à aucun racolage ni à la débauche habituelle, elles ne sont pas inscrites sur le registre des mœurs.

« La plupart, en effet, sont des employées des usines et ateliers de la ville, travaillant régulièrement, et ne demandant pas exclusivement à la prostitution leurs moyens d’existence ».

« Si on ajoute les autres filles qui accourent des villes voisines autour des camps, qui se renouvellent journellement et par cela même qui sont très difficiles à surveiller et à reconnaître».

Toutes ne sont pas des « professionnelles » les difficultés de la vie, le chômage favorisent « l’occasionnelle ».

Selon le commissaire, une prostituée gagne au minimum 37 francs par jour. Le salaire d'une semaine de travail de notre ouvrière de l’usine de Normant.

Le tarif, c’est au minimum 5 francs pour faire « zig-zig » comme le proposent les soldats !

Il souligne « l'impossibilité matérielle d’empêcher des jeunes gens d’avoir des rapports avec des femmes qui les accueillent d’autant mieux qu’ils sont sympathiques à la nation française... »

Il considère que la décision de consigner aux troupe du CEA les maisons de tolérance de la ville comme étant un « ostracisme injustifié ».


...dans la rue.

Plusieurs plaintes ont été déposées par les passants et habitants de Blois. Ils se plaignent des spectacles immoraux auxquels ils assistent.

« Depuis longtemps, je suis saisi de plaintes au sujet des spectacles d’immoralité qui s’offrent aux yeux des passants, à proximité de la ville».

Trois femmes ont été surprises sur les berges de la Loire en compagnie de soldats américains et dans une attitude indécente. Elles on été condamnées à huit jours de prison pour outrage à la pudeur.

D’autres femmes sont sous le coup de condamnations.

Deux femmes ont été surprises derrière les abattoirs.


...chez les particuliers.

Sur cinq filles conduites à la visite médicale, « trois d’entr’elles...ont été reconnues malades et retenues en traitement à l’Hotel-Dieu ». Ce sont cinq soeurs.

Dans la rue des Basses Granges, la « fille » reçoit les militaires chez ses parents. Dans la rue Chambourdin, ce sont la mère et la fille qui ensemble se livrent à la prostitution.

Rue des violettes, se sont deux « filles » qui sont surprises avec deux militaires à leur domicile.

Sur le Quai Ulysse Besnard, la locataire reçoit des femmes et organise les rencontres avec les militaires. Des entremetteuses entretiennent de véritables réseaux. Ils sont composés de trois à une douzaine de femmes qui logent dans des domiciles différents.

« Enfin, dans tous les quartiers de la ville, des femmes me sont signalées comme recevant chez elles de jour et de nuit des américains ».

Les voisins se plaignent des allées et venues de militaires dans les immeubles de la rue du Bourg St-Jean, même constatation avenue Paul, rue des Acacias, rue des Violettes, rue de la Gare, rue du Lion ferré, rue des Minimes.


… dans les hôtels.

A l’hôtel de la Tour d’Argent, rue des Trois Clefs, un capitaine de l’armée américaine est surpris par une patrouille franco-américaine, couché avec une femme mariée.


Une activité commerciale comme une autre.

Pour le commissaire « … la fermeture des maisons de tolérance ....est contraire à la morale publique ».

Les maisons de tolérance sont des commerces, les tenanciers sont patentés, les consigner aux soldats américains revient à les priver de revenus. La prostitution clandestine est en quelque sorte de la concurrence déloyale. La « logique » du commissaire reflète, la place de la maison de tolérance dans la société de l’époque. C’est une activité commerciale comme une autre.

Toutes ces « prostituées » ne sont pas du département.

Certaines viennent de Paris, d’autres changent de ville assez souvent au gré des tracasseries policières. Certaine sont même des comtesses, anciennes « cocotes de luxe » qui s’installent dans les hôtels.

 

Aux abords du cantonnement de Noyers-St-Aignan.

Le contenu du rapport adressé le 25 août 1918 au capitaine Klotz, par le Chef de Brigade, Commandant la Prévôté de Noyers attaché à la Mission, est sans appel : c’est « un constat quotidien à l’occasion des rondes de nuit effectuées à Saint-Aignan,(…) des femmes et de toutes jeunes filles sont surprises en des endroits retirés, discrets, avec des militaires américains, dans des poses qui ne laissent aucun doute sur l’emploi de leur temps.

Ce sont des parents qui attirent des militaires chez eux.

Ce sont des boutiques ou des maisons qui (…) reçoivent très tardivement des militaires.

Tous ces faits ne pouvant que laisser fausses et mauvaises impressions à nos alliés ».

Les pouvoirs publics sont très soucieux de l’image morale que donne la population aux troupes alliées.

A Pont-Levoy, le Médecin-Major Houssay, médecin chef de santé de la Place Militaire, s’insurge contre le fait que deux femmes réglementées seulement, étrangères à la population, se livrent à la prostitution alors que « jusqu’ici la municipalité n’a établi aucun service régulier » de contrôle sanitaire.

Les femmes viennent à mon domicile affirme-t-il. Il demande au Préfet d’inviter la mairie à faire le nécessaire. Il préconise l’ouverture d’une maison close pour faire face aux conséquences de la croissance des troupes. La réponse du Préfet est sans équivoque : les américains n’en veulent pas !


Aux alentours de Vendôme.

Le Commandant américain du Camp de Marchenoir, dans le nord du département, demande au commissaire de police de Vendôme de surveiller tout soldat qui se rend à Vendôme. S’il cause des scandales ou s’il est en état d’ivresse, il faudra le déposer au « violon » dans l’attente du sous-officier de service venu pour le chercher et «le samedi et le dimanche, une ambulance se tiendra à proximité des maisons de tolérance de façon que chaque homme puisse après tout contact avec une femme procéder aux mesures prophylactiques nécessitées par les circonstances ».


Aux abords de la base intermédiaire.

La quasi totalité des communes accueillant des cantonnements sont impactées.

Les enquêtes du commissaire Bauer sont là pour le confirmer …

Deux gendarmes de la brigade de Gièvres, Chippault et Morel, ont déployé une intense activité.

En binôme ou accompagnés de deux Military Police, ils traquent les prostituées.

Ils ont verbalisé 56 femmes se livrant à la prostitution.

Les procès verbaux sont parvenus jusqu’à nous. Ils couvrent la période qui s’étend du 8 février au 14 octobre 1918, soit 9 mois. 

Ces procès verbaux décrivent des situations similaires à celles décrites par le commissaire de Blois.

Les femmes verbalisées sont domiciliées dans les hôtels de Vierzon, l’hôtel du Boulevard, du Cheval Blanc, de Toulouse, de la Gare, de l’Espérance. On peut en déduire qu’elles sont de passage à Vierzon.

Elles viennent également de Tours, et de Paris où elles sont domiciliées.

Elles arrivent à Gièvres par groupes de deux le plus souvent, parfois plus.

Lorsque l’une d’entre elles est interpellée, « ses amies » arrivent à se soustraire aux gendarmes.

Certaines ne passent qu’une journée, voire quelques jours. D’autres font le voyage par train, matin et soir.

Elles sont très jeunes, quatre seulement sont âgées de 36 à 41 ans, les autres de 17 à 30 ans.

L’immense majorité de ces femmes sait lire et écrire et ont un métier, sept sont titulaires de la carte justifiant leur inscription sur les listes communales. Elle sont donc considérées comme des professionnelles.

Quelques unes d’entres elles sont porteuse du certificat médical, délivrés par des médecins militaires américains, certifiant qu’elles sont saines.

Elles n’ont jamais été condamnées.

Sept d’entre elles sont mariées à des soldats mobilisés. Une seulement, est une très jeune veuve.

Certaines déclarent être venue retrouver un « annamite » rencontré dans une poudrerie de Gironde !

Une d’entre-elle proteste d’être traitée de prostituée, c’est une réfugiée. Elle a un enfant et un amant. Un soldat américain dont elle est enceinte. Elle espère un mariage.

« je vends des cartes postales aux soldats américains et je profite de mon commerce pour me livrer parfois à la prostitution », déclare l’une d’elle aux gendarmes.

Avec mon amie déclare une autre, « nous n’avons pas trouvé de chambre à l’hôtel et nous avons par conséquent couché dehors ».

Elles dorment sur l’herbe, dans les bois.

Une autre clame haut et fort sa situation « Je suis arrivée ce matin,….. je discutais de prix avec un américain avec lequel j’allais coïter. Actuellement, j’ai sur moi la somme de 55 francs que j’ai gagnée par la prostitution….Je fais la noce depuis l’âge de 16 ans »…

Une prostituée de 24 ans, habite Tours, « je viens à peu près tous les jours à Gièvres par un train du matin et je retourne chez moi le soir …. ». « je n’ai pas passé la visite à Tours ».

Une autre, inscrite sur le registre de la mairie de Gièvres.« Je suis en possession d’un certificat du médecin militaire américain devant lequel j’ai passé la visite lundi dernier…qui m’a reconnu comme saine ».

Une autre tente d’éviter l’hospitalisation, «Je suis arrivée à Romorantin il y à 5 jours, mais comme le commissaire de police de cette ville m’ayant fait passer la visite hier, je devais entrer à l’hôpital ce matin pour maladie vénérienne. Aussi je suis partie ce matin de Romorantin afin de me soustraire à cette mesure »….

A côté de ces prostituées de rue, certaines se prostituent dans les débits de boissons qui s’ouvrent près des camps et où elles travaillent. Les serveuses ne font pas que servir les boissons ou les repas.

Dans certains hôtels pour officiers, comme l’Hermitage à Romorantin, la bonne « monte » avec les clients américains de l’hôtel, fréquenté par des officiers français dont certains ont contribué à l’ouverture de ce type d’établissement.

Ces femmes, à l’exception de quelques unités, ne sont pas recensées comme se livrant à la prostitution. Ce sont les enquêtes du Commissaire spécial Bauer sur la moralité des propriétaires des établissements qui dévoilent les aspects cachés des activités de ces débits ou hôtels (Cf, Historiettes oubliées….) .

Pour 56 femmes verbalisées, dont le dossier est transmis au Procureur, combien de femmes sont passées au travers des mailles du filet ?


La Military Police s’active...

Les américains ne se contentent pas d’accompagner les gendarmes.

Ils dressent des listes de femmes, dénoncées pas les militaires contraints de passer devant le major.

Les noms sont accompagnés d’un bref signalement du type, « élancée, petite, grande, manque une dent devant », l’âge est approximatif, etc. Ils transmettent leur signalement au Sous-Préfet qui l’envoie à la gendarmerie pour enquête. Avec de telles informations la recherche des personnes est fastidieuse.

Le nom n’est pas toujours le bon et le prénom pas toujours reconnu par l’Etat Civil, comme celui de « Poulette ».

L’urologue de la DIUS saisit la police française d'une listes dressée par la 218e Compagnie (Police Militaire 1ere Division de Dépôt, CEA), de femmes contaminées. Elles ont été dénoncées par les soldats. Ce sont des habitantes de Montrichard, Angé, Saint-Georges, Pontlevoy, Pouillé, Faverolles.

Cette énumération, révèle l’ampleur et la complexité du problème, car il est clairement établi sur cette liste que toutes les femmes concernées ne se prostituent pas mais déclarent vivre maritalement avec des soldats !

Les officiers de la MP font le forcing auprès du Sous-préfet pour que des moyens de gendarmerie soient affectés à la lutte contre la prostitution.

Ils n’hésitent pas à mettre des sentinelles en faction sur les accès de certaines propriétés boisées.

Le 12 mars 1918, le Chef de la Police Militaire, lui écrit

« il nous est impossible de fournir assez d’agents de police pour garder chaque place des environs du camp, où les soldats et les femmes publiques pourraient se rencontrer ».

« Nous sommes très désireux de protéger la propriété et les droits des français et de faire bien tenir les troupes américaines, mais je ne peux rien faire contre ces femmes et apprécierais beaucoup, votre aide. »

Peut être est-ce la réponse à son interpellation par le directeur de l’Atelier de Fourrage pour chevaux, Mr Bonneville qui le 9 Mars 1918, lui avait écrit, avec humour, afin de lui signaler qu’un « …. grand nombre de soldats américains viennent avec des femmes se coucher sur les meules de paille et de foin. Ils allument…..et fument en même temps… Je vous demande de bien vouloir détacher un de vos policeman pour garder l’atelier ou je décline toute responsabilité pour le feu qui peut résulter d’une telle imprudence ».  

La Mission Militaire Française signale au préfet que ,« Plusieurs femmes de mœurs quelque peu équivoques étaient venues récemment se fixer dans cette ville...Le General Coulter serait très heureux de les voir partir »….de Montrichard.

Dans le village de Pouillé, une femme a été désignée comme se livrant à la prostitution par l’armée américaine. Ils exigent qu’elle soit inscrite sur le registre et qu’une carte lui soit délivrée. Le maire demande au Préfet de l’aide, et un exemplaire de l’arrêté préfectoral.

La réponse du Préfet est claire, c’est de votre compétence !.

Dans d’autres circonstances, ils vont exiger la présence de médecins américains lors des visites médicales des prostituées ; un seul acceptera.

Ils n’hésiteront pas à se rendre à l’improviste dans les maisons de tolérance pour exercer des contrôles médicaux. Ils seront évidement éconduits !

Enfin, des majors américains n’hésitent pas à délivrer des certificats médicaux aux femmes qui les consultent.

A Blois, Montrichard, Selles sur Cher, quelques établissements, hôtels et cafés, seront consignés par les autorités américaines. Elles posteront même un soldat de faction devant la porte.

Le Chef de la Military Police de Blois, lui, monnaye auprès des soldats, l’accès à la maison close consignée ! 

… et les élus font leur possible !

Pouvoirs publics, élus, mettent en oeuvre la politique définie par le Président du Conseil.

Le Préfet doit rappeler aux élus, les règles de droit édictées par la loi du 5 avril 1884, qui organise la compétence des élus, la mise en carte et les contrôles sanitaires des femmes qui se livrent à la prostitution.

Il insiste auprès des élus, d’autant que les autorités sanitaires américaines ne manquent pas une occasion de lui rappeler que la contamination se développe.

C’est le cas à Saint - Aignan, à Montrichard.

Nombre de maires de la Vallée du Cher, n’étaient pas préparés à une situation d’une telle ampleur.

Les maires demandent au Préfet, des cartes pour l’enregistrement des prostituées, des exemples pour des projets d’arrêtés pour réglementer la prostitution sur le territoire communal.

La quasi totalité des communes de la Vallée du Cher sont concernées par l’existence sur leur territoire d’une maisons close ou de prostituées « clandestines ».

Le maire de la commune de Gièvres prend un arrêté municipal le 26 janvier 1918.

L’article premier stipule que « à partir de ce jour toute femme ou fille notoirement connue pour se livrer à la prostitution sera inscrite sur un registre tenu à cet effet à la mairie ».

Cette inscription est ordonnée par le maire, sur la base des informations et renseignements que lui fournit la gendarmerie, mais aussi à la suite des plaintes des voisins ou des habitants du quartier après vérification de la véracité de celles-ci.

De l’inscription découle toutes une série de contraintes.

Elles sont détentrices d’une « carte d’inscription », une carte d’identité de prostituée en quelques sorte, qu’elles doivent pouvoir présenter à toutes les réquisitions.

Ces femmes sont astreintes à une visite médicale hebdomadaire dispensée par un médecin désigné. Le médecin devra mentionner sur cette carte leur état sanitaire et exiger leur hospitalisation éventuelle.

Elles doivent signaler tout changement d’adresse et elles ne peuvent refuser d’ouvrir leur porte de jour et de nuit, aux agents de l’autorité. Les lieux publics leurs sont interdits, ainsi que les bals. Leurs tenues vestimentaires doivent être décentes. Toute femme ou fille étrangère à la localités pourra être arrêtée et être renvoyée dans sa localité.

La notion de fille publique est assez extensive puisqu’aux termes de ces arrêtés

« Sera considérée comme femme publique, toute femme ou fille même dans ses meubles, habitant seule dans la demeure de laquelle il y aura des réunions habituelles d’hommes ou de femmes qui occasionnent du tapage, du scandale par une conduite déréglée ou par des scènes de débauches qui seraient de nature à troubler ouvertement et fréquemment le repos des voisins.

Sera également considérée comme femme publique toute femme ou fille (fut-elle mariée) qui sera convaincue d’avoir été rencontrée le soir parcourant les rues et promenades et d’y avoir provoqué le passant à la débauche ».

Ces prescriptions correspondent au sytème règlementariste en vigueur en France.

Elles répondent a deux objectifs : assurer l’ordre sécuritaire et moral, assurer l’ordre sanitaire.

La France tolère la prostitution, tout en rejetant ces femmes de la société, qu’elles soient dans une maison close ou pas.

On retrouve ces prescriptions dans tous les arrêtes municipaux.

Le maire de Montrichard, met à profit sa demande de validation de l’arrêté municipal par les services préfectoraux pour les interroger: qui paiera les visites médicales des femmes « encartées »?.

Les femmes « encartées » elles-mêmes, lui répond le Préfet !

Le Maire de Contres réclame 12 cartes et il organise les visites médicales chez un médecin de la ville.

Le Maire de Noyers, le 29 juillet 1918, autorise l’ouverture d’une maison de tolérance.

Le Maire de Saint-Aignan quant à lui, dans une lettre manuscrite adressée au Préfet, déplore la décision américaine, « c’est par trop puritain au préjudice de la moralité de notre région ».

Les maisons de Noyers étaient sur le point d’être ouvertes, « elles vont rester closes, les moyens de prospérité n’existant plus ». « Pour celle de Saint-Aignan, des sommes importantes allaient être engagées ». « Les pauvres de Saint-Aignan vont y perdre 1000 francs par mois ».

Peut-être, fait-il allusion aux contributions financières que les tenanciers et tenancières de ces maisons s’engagent à verser aux oeuvres sociales communales.

Cela nous permet de mesurer les gains attendus dans ces maisons puisque le tarif d’une prostituée est de cinq francs la passe.

On peut imaginer aussi, dans quel état moral et physique se trouvaient ces femmes.

Le Juge de Paix de Montrichard saisit le Procureur de la République du Tribunal d’Instance de Blois, qui saisit, à son tour, le Préfet, sur le fait qu’un grand nombre de « contraventions sont dressées par la gendarmerie établie à la prévôté près l’armée américaine contre des filles soumises pour défaut d’absence à la visite sanitaire ».

Ces arrêtés instaurent le quasi-couvre feu pour les femmes et ouvre la porte à la délation.

Les dénonciations sont nombreuses.

Les brigades de gendarmeries conduisent les enquêtes suite aux dénonciations. Elle sont nombreuses.

A Marchenoir, par exemple, une lettre anonyme accuse des soeurs, coquettes, de se livrer à la prostitution dans la forêt, avec des soldats américains. La gendarmerie conduit son enquête, interroge le maire, des habitants du village. Les faits ne sont pas confirmés, mais la réputation de la famille est atteinte.

C’est aussi le cas à Pontlevoy. La personne dénoncée est innocentée.

Dans la commune de Mur de Sologne, la tante et la nièce, âgées respectivement de 19 et 16 ans, sont accusées de prostitution avec des soldats américains.

La gendarmerie interroge une dizaine de personnes. Toutes affirment que ces filles passent pour être libertines et se livrer à la prostitution, et toutes disent aussi, qu’elles n’ont rien vu ! Le dossier est transmis au tribunal.

A Selles-sur-Cher, une blanchisseuse de la Grande Rue est accusée par la rumeur publique de se livrer à la prostitution.

La gendarmerie mêne l’enquête sur les allées et venues des soldats du régiment de « Marines » cantonné à Chatillon-sur-Cher. Selon la blanchisseuse, ils se rendent chez elle pour lui donner son linge à laver et pour le retirer.

Mais voilà le canonnier du 117eme Régiment d’artillerie en convalescence chez lui qui n’est pas de son avis. Les militaires se trompent de porte, frappent à la sienne et quand sa femme ouvre, ils l’accostent pensant avoir à faire à la blanchisseuse.

La cafetière de la Grande Rue confirme. Une voisine déclare, « elle a attiré mon père âgé de 75 ans chez elle et lui a volé différentes choses ».

Circonstances aggravantes, elle a déjà été condamnée pour incitation de mineur à la débauche, la blanchisseuse de la Grande Rue ! Elle, pour se défendre déclare aux gendarmes : « ils viennent pour faire « zig zig », mais je les mets à la porte ».

Le maire confirme les déclarations des habitants de la Grande Rue. La blanchisseuse est considérée comme une prostituée.

Toutes et tous réclament non pas son inscription sur le registre municipal, mais son expulsion de la ville.

A Blois, à la Patte d’Oie, trois soeurs sont l’objet d’accusations identiques.

La liste de ce type de plaintes est longue.

Dans les dénonciations, le vrai et le faux se mêlent. La calomnie et la vérité se confondent.

Toutes ces enquêtes conduites dans des villages où tout le monde se connaît, ont créé un climat détestable.

Les demandes d’ouvertures de bordels explosent.

Quatorze dossiers, au moins, seront déposés pour la Vallée du Cher.

Gièvres, Romorantin, Pruniers, Selles sur Cher sont des lieux très convoités.

Mais les bourgs ont aussi leur maison close, Thésée par exemple.

Les demandes émanent d’hommes et de femmes déjà dans le milieu de la prostitution, à Paris ou à l’étranger. Il y en aura même une émanant de la responsable d’une entreprise industrielle.

Elles sont adressées aux maires, car c’est lui qui décide d’autoriser ou pas l’ouverture de la maison.

Mais sa décision est subordonnée à une enquête diligentée par la Sureté Nationale, à la demande du Préfet.

Bauer, le Commissaire spécial, est chargé de mener les enquêtes individuelles sur les demandeurs.

Cette enquête porte moins sur leur moralité, et pour cause, que sur leurs qualités « d’un point de vue national ». Il faut éviter l’espionnage.

Sur la centaine de dossiers individuels instruits par Bauer, une majorité concerne la prostitution.

La lettre d’une Madame Blin est significative de la conception de la prostitution qui prédomine à cette époque.

Elle s’adresse au maire de Gièvres pour lui demander l’autorisation d’ouvrir une maison de tolérance, Avenue de la Gare. Sa demande est fondée sur « la grande quantité de soldats américains et la préservation de la santé publique ». Elle garantit de bonnes conditions de propreté, d’hygiène et de santé. Les visites médicales seront organisées plusieurs fois par semaine et « les pensionnaires ne sortent jamais de la maison ».

Une telle maison évitera la prolifération de « certaines femmes de mauvaises vie qui font le parcours entre Vierzon et Selles-sur-Cher ». Elles « font des stages à Gièvres, Salbris, Selles-sur-Cher et ne passent aucune visite médicale ». « Et de plus étant en pleine liberté dans les pays où elles séjournent sont un scandale aux yeux des jeunes filles de vos administrés ». Mme Blin qui affirme offrir toutes les garanties exigées par la loi, espère une réponse favorable. « Certains dons seront faits pour les pauvres et les indigents de votre commune ».

Un certain  « Coco Lacet » dépose une demande d’autorisation pour deux maisons de tolérance. Il entend en réserver une aux « Nègres ». (C'était aussi ça...)

Le Commissaire spécial Bauer en octobre 1918 révèlera au Commandant de la brigade de gendarmerie, deux faits inconnus :

A Gièvres, « une fille J…»(..) « utilise une voiture ambulance organisée pour les rendez-vous avec les soldats du camps ».

La prostitution en camping-car, n’est donc pas une nouveauté !

« A Saugirard, une petite maison isolée, à 800 mètres de la route est « le rendez-vous des nègres après 6 heures du soir. Une seule femme de 40 ans assure les rendez-vous ».

Quatorze dossiers, au moins, seront déposés pour la Vallée du Cher. 

Gièvres, Romorantin, Pruniers, Selles sur Cher sont des lieux très convoités.

Mais les bourgs ont aussi leur maison close, Thésée par exemple.

Les demandes émanent d’hommes et de femmes déjà dans le milieu de la prostitution, à Paris ou à l’étranger. Il y en aura même une émanant de la responsable d’une entreprise industrielle.

Elles sont adressées aux maires, car c’est lui qui décide d’autoriser ou pas l’ouverture de la maison.

Mais sa décision est subordonnée à une enquête diligentée par la Sureté Nationale, à la demande du Préfet.

Quel bilan de cette coopération franco-américaine : une évaluation complexe.

Il est très difficile d’avoir une appréciation précise, voire de dresser un bilan, de la coopération franco-américaine dans le département de Loir et Cher sur ce dossier.

En effet, nous ne disposons pas, à ce jour, dans le département, de statistiques fiables. 

Les statistiques des hôpitaux de Blois, Vendôme, Romorantin sur le traitement de la syphilis sont incomplètes et ne portent que sur le 1er et 4e trimestres de 1918.

Quant aux statistiques américaines, elles ne traduisent pas la réalité. 

La crainte des sanctions conduisait les soldats à cacher leur contamination et à se faire soigner dans les dispensaires français.

Le système américain du cabinet prophylactique finira par s’imposer au niveau national français et fera l’objet d’une décision d’application généralisée dans les régions militaires par le gouvernement. 

Mais ce fut un échec.

En 1927, le médecin, correspondant de l’Office National de l’Hygiène écrit au Ministre de l’Hygiène, de l’Assistance et de la Prévoyance Sociales,  au sujet des résultats d’une enquête prescrite par le ministère sur le traitement de la syphilis, « Personnellement, écrit-il, sans pouvoir fournir de statistique, je puis affirmer que durant la guerre, la syphilis à fait des ravages dans le Loir et Cher, surtout dans les parties du département où se retrouvaient campées les forces américaines ».

Il faudra d’autres études fondées sur d’autres sources d’archives, pour se former une idée précise.

Néanmoins, il apparaît avec clarté que, confrontés à la complexité du problème, et à son ampleur, les pouvoirs publics français et les autorités militaires américaines ont finalement considéré la prostitution comme un mal inévitable. Ils tenteront d’en limiter et d’en gérer les conséquences en faisant cohabiter deux systèmes, celui des américains, celui des français. 

Entre fatalisme et exaspération, ces deux systèmes coopéreront tant bien que mal.

A ce défaut d’éléments chiffrés, il faut ajouter, d’autres considérations liées au climat social de l’époque. 

La Guerre génère un climat favorable à la perception amplifiée des conséquences des questions nouvelles qui surgissent sur le devant de la scène. 

Les maladies vénériennes jusqu'ici considérées comme des maladies honteuses, spéciales, restaient cachées . La lutte contre « ce péril national » évoqué par le préfet les sort de l’ombre mais en les sur-dimensionnant.

De plus, la population de Loir et Cher, s’est trouvée confrontée à une situation inédite. Des milliers de soldats, venus de loin, porteurs d’une culture, de moeurs, de représentations sociales différentes, s’installent à grand renfort de technologies au milieu d’une population très majoritairement rurale. 

Ils bouleversent tous les schémas d’une vie rendue plus difficile encore par les restrictions imposées par et pour la guerre.

Il est toutefois peu crédible de penser que la population dans son ensemble participa à la débauche généralisée que décrivent les autorités civiles et militaires françaises et américaines, même si se sont manifestés des comportements inhérents aux périodes troublées.

Il reste que, les pouvoirs publics ont initié, dans le domaine des maladies sexuellement transmissibles, une politique d’hygiène publique qui sera développée par la suite, élargissant ainsi comme dans d’autres domaines en période de guerre, la responsabilité de l’Etat au regard d’une compétence devenue nationale et permanente.


ANNEXES

YMCA (Young Men's Christian Association) ou UCJG (Union chrétienne de jeunes gens) est une association et une ONG chrétienne protestante interconfessionnelle. Elle regroupe plus de 15 000 associations locales de jeunes, présentes dans 119 pays, représentant 58 millions de membres qui œuvrent dans de nombreux domaines. La première YMCA a été fondée à Londres en 1844 par George Williams (1821-1905). Le siège est à Genève, en Suisse. (Source : Wikipédia)

Y.W.C.A, Young Women's Christian Association, fondée en 1855 à Londres, est   autourd’hui un mouvement qui travaille pour l'autonomisation, le leadership et les droits des femmes, des jeunes femmes et des filles dans plus de 120 pays. (Source : Wikipédia)

Les Chevaliers de Colomb : organisation catholique fondée en 1881 par un petit groupe issue de l’Eglise de Marie dans le New Haven (Connecticut) pour défendre leur pays, leur famille, leur foi, en référence à Christophe Colomb qui qui avait apporté la foi en Amérique. 

le Conseil National Catholique de Guerre : organisme philanthropique 


Sources :

Archives Départementales de Loir et Cher (ADLC), séries 8 RV3.

Le Naour Jean-Yves, « Sur le front intérieur du péril vénérien (1914-1918). », Annales de démographie historique 1/2002 (no 103) , p. 107-120 

URL : www.cairn.info/revue-annales-de-demographie-historique-2002-1-page-107.htm

Pershing : Mes souvenirs de la guerre T 1 pages 238-239.  Ed.E.S.I

Laurence Stallings : Les Sammies, histoire du corps expéditionnaire américain ne France pendant la première guerre mondiale (1917_1918).

Thérèse Gallo-Villa :  L'histoire du Vaulx Saint-Georges.

Armand Villa : Le contre-espionnage et la surveillance en Loir et Cher 

Archives Départementales de Loir et Cher : Exposition Le Loir-et-Cher à l’heure américaine, 1917-1919 

Notes

1 et 2 - RAPPORT D’INFORMATION fait au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes (1) sur les actes du colloque « Les femmes pendant la Grande Guerre », organisé le 18 octobre 2018,

Deuxième séquence – l’intime et la guerre animée par Claudine Lepage, vice-présidente de la délégation aux droits des femmes

Jean-Yves Le Naour, docteur en histoire (2).