Chapitre IV

Hygiène individuelle et insalubrité collective.

Dans la note du 27 Novembre 1917, qu’il adresse au Général de l’Espée, commandant la 5e Région, pour lui signifier sa décision d’autoriser le cantonnement d’une Division US, Georges Clemenceau, Président du Conseil, Ministre de la guerre, consacre un paragraphe à ce que nous appellerions aujourd’hui les problèmes de l’assainissement : « Les questions d’alimentation en eau, d’évaluation des eaux usées de toute nature devront être examinées en envisageant leurs répercutions possibles sur le régime des eaux et de l’hygiène de la région. »

La problématique de l’assainissement se posait avec acuité, partout où un cantonnement américain était installé.

Les solutions retenues, contrasteront avec la qualité des habitudes d’hygiène individuelle des soldats du CEA.

L’hygiène individuelle :

Les soldats américains se lavaient et se rasaient tous les jours. Les témoins qui, dans les villages, assistaient à ces séances en étaient étonnés.

« Ce qui nous épatait c’est qu’ils se lavaient tout nus, se rasaient tous les jours car ils n’avaient ni barbe ni moustaches. » (1)

Alain Quillout, dans son étude sur la présence des soldats américains à Selles-sur-Cher, évoque « l’étonnement des Sellois face aux habitudes d’hygiène des américains. »(2)

Leur hygiène corporelle était d’un niveau supérieur à celui de la plupart des villageois.

Sur son blog, Rupert Clyde Lindsay, soldat américain hébergé à Champcol commune de Selles-sur-Cher, évoque les difficiles conditions d’hygiène des populations : « Il n’y avait pas de toilettes dans ces villages, et nous construisions les nôtres. Quelques jours après tous les gens du village utilisaient les nôtres…. Ces fermiers avaient l’habitude de faire leurs besoins sur les tas de fumier. »(3)

A Monthou-sur-Cher des douches collectives avaient été construites pour le soldats.



L’hygiène collective et le traitement des déchets :

La question la plus délicate à régler fut celle de hygiène publique et du traitement des déchets quotidiens qu’une quantité aussi importante d’hommes ne manquait pas de produire.


La Commission Sanitaire de l’arrondissement de Romorantin est saisie.


Le 26 juillet 1918, le Général de l’Espée saisit le Préfet.

Le camp d’aviation de Pruniers présente un danger pour la population, du point de vue sanitaire.

Les tinettes sont vidées dans les bois !

A cette date, la présence américaine est peu importante. Mais les arrivées de soldats s’accélèrent. Leur nombre ira croissant.

Pour le Général « il est nécessaire d’employer un système d’évacuation des eaux usées et de vidange plus approprié aux données d’hygiène dont les Américains semblent peu se soucier dans le cas présent. »

Il propose de s’inspirer des pratiques militaires, c’est-à-dire de créer des fosses septiques ou un incinérateur.

Il demande au Préfet de saisir la Commission Sanitaire compétente.

Ce sera fait.


Les solutions retenues :

Le 10 août 1918, le lieutenant Desouches, "interprète au près de l’armée américaine" communique au Sous préfet les solutions retenues par les autorités militaires du camp :


  • Les eaux ménagères sont enlevées par un certain Mr. Bejarry et sont utilisées pour engraisser les cochons de la porcherie de la Brigaudière.
  • Les boites de conserves sont vendues au Ministère de l’Armement.
  • Les os sont vendus à un certain Mr. Besson.
  • Le reste est brulé à l’air libre dans l’attente de l’installation d’un incinérateur.

Reste la difficulté de l’évacuation des matières fécales.



 Le principe des feuillées n’a pas été retenu compte tenu du nombre d’homme concernés.

La « feuillée », c’est un trou dans la terre, surmonté d’une construction en bois pour supporter un siège de toilette, le tout protégé des intempéries par des bâches et des toiles.

La proposition de la Commission Sanitaire de construire une fosse septique n’est pas retenue également. Elle est considérée comme irréalisable du fait de la quantité nécessaire de tuyaux et de la distance séparant les lieux d’aisances de l’emplacement de la fosse septique, 5 voire 6 km ; de plus le terrain est plat et il n y a pas de pente pour que s’écoulent les matières.

En conséquence, c’est le principe des tinettes qui a été retenu car considéré comme le plus approprié.

Mais, au lieu de vider les tinettes dans des tranchées creusées dans les bois, il est proposé de les concentrer dans des fosses septiques réparties dans divers endroits du camp. Là, la matière serait transformée en un « liquide non dangereux » qui s’écoulerait par filtration dans le sol jusqu’à la rivière.

L’armée demande au Sous-préfet de lui indiquer à quelle distance de la rivière doivent être placées les fosses.

On conçoit les conséquences d’un tel procédé sur les sols, la nappe phréatique ainsi que la rivière, la Sauldre !

Le système des tinettes fut utilisé à Monthou.

Les soldats noirs des compagnies de services transportaient les tinettes dans des charrettes et allaient les vider dans le « trou caca » à l’écart du village.

Le souvenir du « trou caca » est parvenu jusqu’à nous.

On peut penser, que ce sont les odeurs pestilentielles qui flottaient derrière ces charrettes et exhalaient de ce trou, qui ont imprégné, pour des décennies, la mémoire collective du village.

Cette pratique semble avoir été retenue dans la plupart des cantonnements.

Le 6 août 1918, à Pontlevoy, le Médecin chef du service médical du Secteur de Pontlevoy, le Dr Houssay, s’adresse à l’officier de liaison de la Mission Française près l’Armée américaine à Saint-Aignan.

Les plaintes de particuliers affluent car les WC sont pleins et il est impossible de les faire vider du fait de la guerre.

Les fosses sont perméables. Elles communiquent avec la nappe aquifère.

Les puits sont contaminés.

Le danger sanitaire pour la population mais aussi pour les troupes américaines est réel.

Il demande des mesures urgentes.

Le 8 août, le Capitaine Klotz lui répond que le Commandant du camp de Noyers-St-Aignan, offre le transport et la main d’ouvre pour vider les WC.

Mais resterait à charge pour les habitants la somme de 10 à 15 francs.

Le maire est informé.

Je n’ai trouvé aucun document sur les suites données a cette proposition.

Les risques d’épidémies :

Des cas de maladies contagieuses, (scarlatines, rougeoles, oreillons), sont diagnostiqués dans les cantonnements.

"Dans le cantonnement de Selles-sur-Cher il est fait état selon le témoignage d’un soldat américain lui même atteint par l’épidémie, de plus de 150 cas d’oreillons. Ce soldat expliqua au Major venu le visiter chez la famille de paysan qui l’hébergeait que celle-ci le soignait selon une méthode qui consistait à lui appliquer un cataplasme chaud de fumier de vache sur les testicules, de changer ce cataplasme toutes les heures, et de lui faire boire des boissons chaudes alcoolisées. Le Major en fut très étonné. Le soldat fut guérit".(4)

Les autorités sanitaires françaises sont systématiquement informées des épidémies.

Les risques d’extensions sont réels du fait de la promiscuité des hôpitaux et des maisons d’habitations.

Le 10 janvier 1918, Madame Delagrange, veuve d’un colonel tué à l’ennemi, qui occupe le deuxième étage de la maison Pernet, 3 quai, l’Abbé Grégoire à Blois, s'adresse au Docteur Ansaloni (4) pour lui signaler que l’ambulance sanitaire américaine du premier étage après avoir été occupée par des soldats américains, atteints d’oreillons, abrite aussi des cas de rougeoles.

Elle est inquiète pour la santé de ses enfants.

Le Docteur Ansaloni informe le maire de Blois, le Préfet, le Major Crum, médecin chef de la Place Militaire de Blois, et les autorités sanitaires américaines.

Le 16 février, le commandant Charles C. Pulis, "Commandant Chef de Santé" lui répond que l’armée américaine utilise cette ambulance depuis le 9 février en qualité d’annexe à l’hôpital 29. Préalablement, elle était utilisée par l’armée française.

Dix-huit cas d’oreillons, un cas de rougeole et sept cas de maladies vénériennes furent admis à cette annexe par les autorités françaises avant qu’elle ne passe sous le contrôle de l’armée américaine.

Ils ont continué d’utiliser l’annexe pour les maladies contagieuses.

Le 14 février, l’armée américaine a obtenu des chambres dans l’Hôpital mixte de Blois. Ils ont donc transféré les malades dans ces chambres, à l’exception de cinq officiers qui y séjournent encore parce qu’ils sont officiers.

La réponse de l’officier américain donne la dimension de la complexité de la situation sanitaire dans la ville.


Le docteur Ansaloni fait des propositions :

Les besoins sanitaires américains se superposent à ceux des français, des solutions temporaires ont été trouvées avec les risques de contagions et d’épidémies qui en résultent. Les malades sont transportés dans les hôpitaux installés pour certains, au cœur de la ville. Ils jouxtent des habitations, voire des écoles.

Le 27 février, le maire de Blois convoque les médecins pour assister à une conférence donnée par le Colonel américain, Directeur des Services de Santé, sur le perfectionnement de la stérilisation des eaux de la ville. L’administration municipale est également convoquée.

Le Docteur Ansaloni profite de cette réunion pour émettre le vœu de la « construction d’un hôpital américain unique, en baraquements (comme sont installés les hôpitaux du front) situé dans les terrains de campagne auxquels on accède par la rue Dessaigne. (Plusieurs hectares peuvent être occupés). Ces terrains sont au nord de la ville à proximité de la caserne, voisins de la route de Paris, d’où l’on peut prendre l’eau de la Loire, le gaz et l’électricité, proches de la grande ligne ferrée St-Nazaire-Paris. »

L’objectif du Docteur est de mettre fin à la dispersion des unités sanitaires dans la ville. C’est selon lui un facteur de développement potentiel d’épidémies.

D’autant que les hôpitaux cédés aux américains, les hôpitaux 29, 13, le Pensionnat Ste. Geneviève, sont aussi occupés pour partie par des écoliers   ; quant aux annexes de la Rue Pernet et de l’ancienne Gendarmerie, elles sont contiguës à des maisons habitées par des familles ayant des enfants.

De plus, les blessés de guerre arrivent par convois ferrés à la gare de la ville, puis de la gare jusqu’à l’hôpital. Ils traversent la ville en convoi, dans des véhicules, pas toujours adaptés à ce type de transport.

Comme à Blois, les hôpitaux que les américains occupent à Romorantin sont mitoyens avec des écoles. Certains estiment que ce n’est pas un spectacle pour les enfants !

La proposition du Docteur Ansaloni a, selon lui, plusieurs avantages : permettre aux américains de faire des économies d’argent et de temps en regroupant les personnels ; de pouvoir créer des secteurs sanitaires isolés pour les maladies contagieuses ; de protéger la ville de Blois et de Romorantin des risques d’épidémies.

On peut penser que cette proposition soit à l’origine de la décision des autorités américaines de construire à Montoire un hôpital de très grande capacité. Il fut mis en chantier mais jamais achevé du fait de l’Armistice.


Des américains peu soucieux des procédures françaises !

La barrière de la langue est un handicap qui quelques fois complexifie les rapports entre les institutions civiles et militaires.

Ainsi, le 15 octobre 1918, le maire de Romorantin qui préside à ce titre l’Hospice, s’adresse au Préfet de Loir et Cher.

Il lui signale que de nombreuses femmes sont victimes d’accident du fait de la conduite des conducteurs américains.

Une voiture du camp d’aviation « fait journellement le service du camp américain à l’hospice ».

Les victimes sont déposées et le conducteur s’en retourne au camp sans avoir déposé le « billet d’assistance médicale » rédigé par le Major. Il ne donne aucune précision sur les circonstances de l’accident.

Le conducteur ne parle pas un mot de français.

De plus, il n’est pas passé par le maire pour faire viser l’autorisation d’hospitalisation comme l’exige le règlement.
D'ailleurs le maire est très souvent absent de la mairie.

Dès lors, une question se pose : qui rembourse les frais d’hospitalisation ?

La Préfet transmet la requête à l’autorité militaire.

La réponse revient par le Lieutenant Desouches qui demande que soit relevé le numéro de la voiture et que soit exigé le procès-verbal des circonstances de l’accident.

Cette réponse de type administratif ne semble pas correspondre à la réalité de la vie quotidienne dans le camp d’aviation.


Notes


(1) Lemoine, ouvrage déjà cité

(2) Alain Quillout : Les soldats américains à Selles sur Cher. 1918 (Ed 1988)

(3) Rupert Clyde Lindsay in Bulletin les Amis du Vieux Selles N° 38, 2017. Selles sur Cher.

(4) Les Cahiers des Amis du Vieux Selles, N° 38, page 49, 2017

(5) Le docteur Ansaloni est le médecin responsable pour la ville de Blois des questions sanitaire en période de guerre.