10 septembre 1942
La Rafle de Bourré
Commémoration du 82e anniversaire
Avant Propos
La cérémonie commémorative du 82e anniversaire de la Rafle de Bourré a eu lieu jour pour jour le 10 septembre et quasiment à la même heure.
Un panneau spécifique du Chemin de Mémoire, inauguré lui le 7 septembre à Mareuil, a été consacré à la rafle, posé à l’endroit où furent arrêtées les six victimes.
La mairie de Bourré, aujourd’hui mairie déléguée rattachée à Montrichard, depuis un certain temps, souhaitait honorer ce tragique événement tombé dans l’oubli de la mémoire communale ou carrément méconnu.
Les recherches que j’avais menées lors de mes premiers travaux sur la Ligne de Démarcation avaient permis d’exhumer cette rafle.
En l’intégrant dans le Chemin de Mémoire, elle y puise sa pleine signification d’exemple de ce que furent la répression allemande sur la Ligne, la place des passeurs et convoyeurs ainsi que l’engrenage de l’extermination des juifs.
La cérémonie avait été précédée par la tenue d’une Conférence dans la salle des Fêtes où l’exposition était ouverte au public depuis quelques jours.
Michel Dumont-Dayot, maire délégué de Bourré ; Jacques Paoletti pour le Département, la Communauté de Communes et le Pays ; Mathilde Desjonquères, députée ; Michel Pillefer, sénateur et Laurent Vignaud, sous-préfet de Romorantin sont intervenus, apportant ainsi une contribution actant l’intérêt des institutions pour le souvenir de la Ligne et de la seconde guerre mondiale dans le département.
A la demande du maire, je suis intervenue sur la rafle à proprement dite ( vous trouverez ce texte ci-dessous )
Un moment fort et particulièrement émouvant a été la rencontre entre les descendants du passeur Louis Serin et ceux de la famille de Jacques Levy aujourd’hui décédé ( qui en plus de sa femme Violette et de son fils Jean avait aussi subi la déportation de son frère ainé et de sa mère ).
Quatre magnifiques gerbes, accompagnées par les porte-drapeaux, la Sonnerie aux Morts, le Chant des Partisans et la Marseillaise, ont été déposées au pied du panneau.
La mairie de Bourré a offert un très sympathique buffet autour duquel se sont poursuivies les discussions entremêlant les souvenirs de ce douloureux passé, la conviction de tout faire pour conserver la mémoire pour les générations à venir et l’espoir d’un monde sans antisémitisme, ni racisme sous toutes ses formes, ni discriminations.
Il ne faut jamais renoncer à rêver un avenir lumineux.
Thérèse Gallo-Villa
Mesdames et Messieurs les institutionnels (elles)
Mesdames et Messieurs les élus (es),
Mesdames et Messieurs,
Il avait fait très beau et très chaud ce jeudi 10 septembre 1942.
Vers 19 h 15, Louis Serin avait attelé sa carriole derrière l’église.
Il avait amené de Montrichard où ils étaient arrivés par car, en provenance de Tours, un groupe de personnes pour leur faire passer la Ligne de Démarcation.
Marchand de bestiaux, venant régulièrement à la gare de Bourré pour y conduire ou récupérer des bêtes, il avait repéré ce passage discret.
Il l’utilisait souvent et profitait des passages pour discuter avec le garde-barrière Louis Sirot dont la maison était juste devant et se mettre ainsi à jour sur les horaires des trains, ceux des patrouilles allemandes.
Il travaillait régulièrement avec le jeune boucher Robert Firmin, demeurant à Faverolles, qui avec des copains, opérait les passages en barque vers la rive libre.
Louis Serin faisait passer, sans se préoccuper de la cause du passage, tous ceux qui le lui demandaient ou lui étaient envoyés par des amis et connaissances professionnelles.
Ce jour là, il était accompagné d’une jeune convoyeuse, Marcelle Laurillou, originaire de la région de Loches en zone libre où elle avait des attaches et qui elle opérait les passages notamment avec les familles Gabb et Thomas d’Amboise où elle demeurait maintenant.
Elle avait à charge de faire passer la Ligne à une jeune femme juive parisienne et son petit garçon, Violette Levy et Jean Lévy.
Violette était née en France de parents commerçants juifs polonais, professeure de gymnastique, chassée de la Fonction Publique sur la base du Statut des Juifs de Pétain. Elle avait épousé Jacques Lévy, ingénieur, en ce moment prisonnier de guerre en Allemagne, appartenant lui à une de ces vieilles familles bourgeoises de juifs français depuis des générations, ayant donné tant de militaires, de membres éminents des professions libérales ou du monde des arts, à notre pays.
A la dernière minute, à Tours, un couple de hollandais avait été adjoint. Nombreux en effet étaient les ressortissants belges et hollandais, dont les pays étaient aussi occupés, à vouloir fuir pour rejoindre Londres ou l’AFN.
Comme toujours, l’organisation avait été millimétrée : de l’autre côté, deux jeunes observaient à la jumelle la rive occupée. Robert Firmin était dans la barque, cachée le long de la petite île dans le Cher. Au signal de ses copains, un mouchoir blanc agité, confirmant que rien n’était à signaler, il amenait la barque. L’opération aller-retour durait quelques minutes.
Mais, ce 10 septembre, au moment où Firmin posait pied sur la rive, plusieurs personnes jaillirent du chemin de halage, pistolet au poing.
C’était la Gestapo de Tours. Leur voiture était cachée sur le chemin de halage, invisible d’en face.
Le couple de hollandais était en fait des agents de la Gestapo.
Le groupe d’Amboise avait été infiltré depuis des semaines dans le cadre d’un plan de démantèlement du maximum des réseaux de passages de la ligne de démarcation dans notre région, notamment des juifs.
Plus de la moitié des juifs déportés de France le furent en 1942, particulièrement au second semestre. C’est en effet en janvier qu’à la Conférence de Wannsee, l’extermination totale des juifs des pays sous domination allemande avait été décidée par les nazis.
Robert Firmin sera amené à Tours le soir même.
Louis Serin et Marcelle Laurillou, les convoyeurs, Louis Sirot arrêté pour ne pas avoir dénoncé l’existence de ce lieu de passage, Violette et Jean passent la nuit à Montrichard dans la pièce que toutes les mairies sur la Ligne devaient avoir prévu pour y placer les personnes accusées de tentatives de passages clandestins, en attendant leur transfert en prison.
Tous les membres du réseau de passeurs d’Amboise seront aussi arrêtés dans la même nuit.
Violette Levy est envoyée au sinistre camp de juifs de La Lande en Indre et Loire. Jean comme très souvent pour les jeunes enfants fut d’abord confié à une institution religieuse. Les enfants rejoignaient leurs parents quand approchait le départ en déportation.
Ainsi, il retrouvera Violette le 17 septembre.
Ils partent pour Drancy le 21 et pour Auschwitz le 23 dans le convoi n°36 qui emporte vers la mort 644 hommes, 342 femmes et 200 enfants.
475 seront gazés dès leur arrivée dont Violette et Jean.
Les médecins nazis, au bas de la « Judenrampe » située à l’arrivée des wagons de déportation, triaient entre qui était à exterminer tout de suite et qui le serait plus tard, dirigeaient vers les camions pour les chambres à gaz toutes les femmes, même celles jeunes en état de travailler, accompagnées de jeunes enfants. Les nazis redoutaient les réactions de ces mères si on tuait leurs enfants, en les laissant elles temporairement en vie : de dangereuses folles potentielles, estimaient-ils. Une solution radicale immédiate était donc préférable !
Violette avait 31 ans et Jean, 8 ans.
Louis Serin, Louis Sirot et Robert Firmin sont emprisonnés à Tours puis le 5 novembre, envoyés au camp de Compiègne.
Marcelle Laurillou, de la prison de Tours sera transférée à la prison de Romainville, le 7 novembre.
Ces deux lieux de détention étaient des anti-chambres vers les camps de concentration en Allemagne pour les résistants, les opposants à Vichy.
Le 24 janvier 1943 au matin, un convoi de 1466 hommes et 230 femmes part pour Sarrebruck. Les protagonistes de la rafle de Bourré en font partie.
Les hommes seront ensuite dirigés vers le camp de Sachsenhausen Orianenbourg.
Les femmes vers Auschwitz.
C’est le premier convoi de femmes résistantes françaises, connu sous le nom des « 31000 », base du nombre qui leur était tatoué sur le bras à Auschwitz.
Marcelle Laurillou se retrouve avec d’autres tourangelles résistantes. De ce groupe de 20 résistantes qui s’entr’aident et se soutiennent avec une solidarité admirable, une seule survivra, Hélène Fournier de Tours, dont les témoignages à son retour sont bouleversants.
Marcelle meurt de 24 avril 1943 de dysenterie. Après trois mois en enfer. Elle avait 28 ans.
Louis Serin après avoir été transféré à Dachau semble y être mort le 28 février 1945. Mais ce n’est pas une certitude. Il avait 46 ans.
Louis Sirot et Robert Firmin reviendront de déportation dans un état physique lamentable avec de très lourdes séquelles pour le restant de leurs jours.
Le couple de français au service de la Gestapo, responsable de dizaines d’arrestations et de déportations, et directement impliqué dans la dénonciations du groupe de passeurs d’Amboise, sera fusillé à la Libération : lui à Tours, elle à Angers.
La rafle de Bourré fut tragiquement exemplaire de la répression allemande sur la Ligne de
Démarcation contre les passeurs, les convoyeurs, les juifs. Elle est aussi significative de ces premières formes de la Résistance que sont les passages clandestins. Résistance qui va, peu à peu, s’organiser et entreprendre des actions combattantes jusqu’à la victoire.
Mesdames et Messieurs… chut ! Ecoutez :
…le clapotis de l’eau sous les coups de rame de Robert Firmin…
…le hennissement du cheval qui a reconnu l’arrivée de la barque….
…le rire de Marcelle qui papote avec les deux faux hollandais…
…les salutations de Louis Serin à Louis Sirot…
…et surtout, Violette qui dit à Jean : « Ne fais pas de bruit, on va monter dans la barque, n’aies pas peur, donne-moi la main »…
Ces mains qui resteront enlacées jusqu’à leur ultime souffle dans la chambre à gaz.
In Mémoriam : Jean, Violette, Marcelle, Louis et Louis, Robert pour que :
« Plus jamais ça », « Plus jamais ça ».