Le général Franco et le concierge de la rue de Valois.

En écoutant, sur la situation en Catalogne, l’intervention du Roi d’Espagne aux accents d’autant plus martiaux qu’il a l’air d’avoir une personnalité pâlichonne, j’ai pensé très fort à mon camarade Balaguer.

En ces années 1970, c’était le concierge du 3, rue de Valois, entrée du Ministère de la Culture.

Je ne sais trop comment il avait été recruté à ce poste.

Il approchait de la retraite. Il avait gardé un accent très prononcé de son Espagne natale et un perpétuel mégot d’une cigarette roulée main pendait à ses lèvres.

Très jeune, il avait fait toute la guerre civile dans les rangs des républicains. Il appartenait au puissant courant anarchiste des républicains espagnols.

Puis, comme tant d’autres de ses compagnons de lutte, ce fut l’exil en France.

Il était syndiqué à la CGT mais demeurait anarchiste de cœur et se plaisait à « titiller » les communistes. Les luttes internes des républicains espagnols avaient laissé des traces.

Plusieurs copains du syndicat, dont le secrétaire général Alfred Piquet, ancien militaire puis reconverti dans la métallurgie et licencié devenu fonctionnaire, amenaient le midi leur gamelle.

Le repas à la gamelle était un mode de vie pour ces militants issus souvent du privé avant de devenir fonctionnaire. Et ce repas pris en commun servait presque de réunion syndicale. Car nous n’avions alors pas de local syndical, pas de droits syndicaux officiels. C’était donc pratique.

Ce local situé sous les combles, pour « le déjeuner du personnel » était des plus spartiates... 4 tables de bois brut, des chaises ...une petite plaque à réchauffer !

Balaguer arrivait chaque jour avec sa cafetière et ça discutait, discutait !

Moi, je mangeais à la cantine avec mes collègues, puis je rejoignais les potes pour ce café et pour la discussion.

J’ai la nostalgie de ces rapports simples, solidaires, chaleureux, nourris par nos espoirs de changements et par l’inlassable dévouement de ces militants de la base, comme on dit maintenant !

Balaguer était de plus, en raison de sa fonction, une irremplaçable source de renseignements.

Le temps passe et je me retrouve à l’UGFF à l’été 1970.....

Le 20 novembre 1975, la mort du Général Franco est rendue publique.

Le lendemain à peine arrivée à l’UGFF, je reçois un coup de fil du syndicat du ministère : Balaguer avait refusé de mettre le drapeau, situé sur l’entrée du ministère.....en berne.

À l’époque, c’était une pratique courante de mettre le drapeau français flottant sur les édifices publics en berne pour le décès notamment des chefs d’états étrangers très connus !

Cette pratique a évolué depuis.

Balaguer était menacé de mesures disciplinaires.

Je l’appelle pour plus plus d’infos et il me dit en substance « plutôt mourir que de baisser le drapeau de la France de la Révolution et de la Résistance pour cette ordure ».

Je l’ai presque trouvé modéré ce jour là !

Nous avons immédiatement appelé le cabinet du Premier Ministre en lui mettant le marché en mains : vous annulez cette mesure qui déshonore la France républicaine et vous foutez la paix à Balaguer ou nous pondons dans l’heure un communiqué et appelons à réagir tous les démocrates et l’immigration espagnole.

L’affaire ne traîna pas. Les drapeaux ne furent pas mis en berne ou remis à flotter.

Balaguer a fini tranquillement sa carrière.

Le gouvernement espagnol et le Roi seraient bien inspirés de ne pas oublier leur histoire nationale.

5 octobre 2017