Le 10, rue de Solférino… ….Pour toujours dans la mémoire     du mouvement syndical CGT des Fonctionnaires

Il se dit de plus en plus que le PS, financièrement étranglé, va mettre en vente son siège au 10, rue de Solférino.

C’est son problème.

Mais l’histoire de cet hôtel particulier qui fut un symbole du Paris mondain de la Belle Époque, associant depuis le XVIIIe siècle, la grande noblesse et les grands bourgeois parvenus, autour du Boulevard St.Germain, a aussi une autre histoire.

« Solférino » et l’ancienne Fédération Générale des Fonctionnaires :

Celle de décennies de la vie du syndicalisme des fonctionnaires.

La Fédération Générale des Fonctionnaires l’avait acheté en 1934, à la princesse de Broglie, devenue princesse d’Orléans-Bourbon. Elle était née Marie Say, fille du magnat de l’industrie sucrière.

Son second mari avait précipité sa ruine qui l’obligera à vendre aussi en 1938, son Château de Chaumont-sur-Loire. Elle finira sa vie dans la misère.

L’immeuble était une aubaine pour la Fédération car au-delà d’un prix sans commune mesure avec ce monumental ensemble, il était admirablement situé en plein quartier des ministères et proche de l’Assemblée Nationale.

Certes, il ne sera jamais fonctionnel.

Il fallait y caser la plupart des syndicats composant la Fédération.

Leur locaux résulteront de rafistolages et répartitions successives, au gré souvent des rapports de force interne !

Libéré par les siens :

Lorsqu’en 1940, le gouvernement de Vichy dissout la Fédération Générale des Fonctionnaires, il installe dans l’hôtel son gouvernement de l’Information dont le ministre fut Philippe Henriot, qui impulsa notamment à la radio, la propagande de la collaboration avec les nazis.

Le 28 août 1944, il est assassiné dans sa salle de bains.

Lorsque je suis arrivée à l’UGFF en 1970, on voyait encore nettement une marque brune, son sang, sur le parquet d’une des pièces qui constituaient le local du syndicat CGT du Trésor.

Le 15 août 1944, la CGT appelle les Parisiens à la grève insurrectionnelle.

Les Fonctionnaires dont les policiers, y seront particulièrement actifs.

Le 18 août, Jacques Talouarn, qui fut secrétaire général du SGPEN ( personnel non enseignant de l’EN ) m’a raconté comment les syndicalistes CGT obtinrent des responsables parisiens des FFI ( Rol-Tanguy et André Tollé en tête ) d’avoir l’honneur de libérer eux-mêmes Solférino, encore occupé par les miliciens.

Ce qui fut fait. Une plaque apposée en 1964, commémore cet événement.

Puis vint la scission.

La Fédération Générale des Fonctionnaires éclata : l’UGFF-CGT, la FEN demeurèrent dans l’hôtel.

FO migra quelques centaines de mètres plus loin.

Une copropriété à trois :

Il fallut pas mal d’années pour démêler l’écheveau de la dévolution des biens de l’ancienne FGF.

L’ avocat Jean Cornec, qui donna son nom à la Fédération des Parents d’élèves, s’y employa.

La sagesse l’emporta.

En 1965, CGT, FEN et FO se mirent d’accord pour être co-propriétaires à part égale, la gestion étant assurée par un Comité de Gestion commun.

De mémoire, car c’était René Bidouze, secrétaire général de l’UGFF, qui s’occupait du dossier directement, ça se passait à peu près bien.

Les tensions naissaient plutôt des rivalités entre les deux concierges, la nôtre et celle de la FEN qui occupait la partie des bâtiments donnant sur la Rue de l’Université et des insolubles questions de parking des voitures !

Il faut dire que notre concierge sortait de l’ordinaire : elle faisait irruption en chemise de nuit dans la salle Guyader, dans la cour, à minuit pétante, fermait sans sommation la lumière à l’assistance pour lui signifier que l’heure réglementaire était dépassée ! Et plein d’anecdotes du même acabit !

Un charme désuet inoubliable :

Dans les années 1970, hormis les aménagements intérieurs et notamment la division des salles de réception pour en faire des bureaux ( « massacres » serait plus adapté ! ), Solférino était resté tel quel.

Il s’en dégageait, du moins pour moi, un charme, une atmosphère comme aurait dit Arletty , qui m’imprègnent encore aujourd’hui.

Je revois cette belle salle Pierre Simon au premier. Elle contenait une des premières glace de St.Gobain. Celle-ci, immense, avait due être placée avant de construire les murs autour !

Le parquet était chevillé à la « Versailles », tellement patiné par le temps, que régulièrement quelqu’un s’étalait par terre. Il avait fallu interdire à la femme de ménage, outrée, d’aggraver la situation en le cirant !

Quant à la salle Guyader, elle était un exemple parfait de l’architecture Baltard.

Au moment de quitter Solférino, nous avons décidé de faire expertiser les beaux meubles et tableaux qui s’y trouvaient. Nous fûmes bien inspirés car il s’agissait de mobilier, oublié et considéré comme destruction de guerre, datant du Ministère Henriot !

Le Mobilier National les a récupérés, rafraîchis et affectés dans une ambassade.

Et que dire de son monumental escalier qui me faisait chaque fois penser à cette scène dans « Si Versailles m’était conté..» où on voit les femmes de Paris monter un grand escalier pour aller chercher le Roi et la Reine et les ramener à Paris.

Une charge devenue trop lourde :

Solférino se détériorait lentement mais sûrement.

L’hôtel étant classé, les servitudes devenaient insurmontables pour des finances syndicales !

Les alertes se rapprochaient.

En 1974, à la suite des déclarations scandaleuses sur la peine de mort d’Aimé Pastre, dirigeant du syndicat CGT des Pénitentiaires, Solférino fut une des cibles de la « fameuse nuit bleue » du Comité des Prisonniers. La bombe fit pas mal de dégâts…mais le local des Pénitentiaires n’eut pas une égratignure ! Par contre, nous eûmes beaucoup de mal à trouver un artisan d’art capable de refaire les petites balustres à l’identique !

Puis, des fuites dans le toit commençaient à faire de sérieux dommages dans des locaux de la FEN. Le coût de réparation au m2 du toit en plomb, et monté suivant des techniques anciennes, était exorbitant. Je vous laisse imaginer la surface des toits de Solférino !

Enfin, la Ville de Paris a exigé que les monumentaux portails soient repeints d’une autre couleur et réparés …

Ce n’était plus tenable. Il fallait se résoudre à vendre.

Rester dans le patrimoine national :

Pour l’UGFF et les organisations CGT logées, s’offrait à ce moment là la perspective de se retrouver avec la Confédération dans l’immeuble de Montreuil en construction.

Le Comité de Gestion avait arrêté la position de principe que nous ne vendrions qu’à un acheteur français, malgré de premières sollicitations étrangères.

Pas question avec une telle histoire de liquider une partie du patrimoine national.

Ce fut finalement l’organisation fédérant les Mutuelles de la FEN qui acheta.

La vente eut lieu le 14 mars 1978 avec partage égal à trois.

Je ne sais pas si ce fut un achat en sous mains, avec revente déjà décidée au nouveau PS, sorti d’Epinay. Mais la question ne me me paraît pas extravagante !

Le dernier souvenir : un communiqué écrit, assise par terre.

La vente nous faisait obligation de libérer l’immeuble le 31 juillet 1978.

Nous avions quasiment tout déménagé dans les locaux loués rue Blanche, près de la place Clichy, en attendant d’aller à Montreuil.

Les discussions salariales s’achevaient.

Les premières du nouveau Secrétariat élu en juin.

Solférino étant tout proche du Ministère de la Fonction Publique, nous y sommes retournés pour faire le communiqué de fin de négociations.

Il restait par terre un téléphone car on dictait encore les textes à des sténos de presse.

J’ai écrit le communiqué, assise par terre avec mes camarades.

Et nous sommes définitivement partis …..


…J’espère que le PS d’aujourd’hui aura la même exigence que les syndicalistes d’hier : conserver Solférino dans notre patrimoine national et notre mémoire syndicale.

Le 2 août 2018