De l’indépendance syndicale.... témoignage sur les rapports CGT / PCF ( 1978-1996 ).

Le vingtième anniversaire de la mort de Georges Marchais, celle toute récente de Jack Ralite qui fut un des quatre ministres communistes de 1981 à 1984, ont ravivé mes souvenirs et mes réflexions sur ces années qui furent aussi une exceptionnelle période de travaux pratiques sur les rapports entre la CGT et le PCF, avec comme enjeu central, l’indépendance syndicale.

Je dois dire que les propos de Jean-Luc Mélenchon sur le caractère obsolète de la Charte d’Amiens, c’est à dire sur l’affirmation du syndicalisme français d’alors ( en 1906, il y avait seulement la CGT composée de militants appartenant aux familles fondatrices du socialisme français ) que la CGT entendait demeurer indépendante de tous les Partis politiques, m’ont hérissé le poil.

Ils traduisent une inquiétante méconnaissance de l’histoire et des caractéristiques du syndicalisme français qui comme, pour tout pays, est le produit des processus de luttes politiques et sociales de ces pays.

Ils s’inspirent des thèses de Lénine qui prônaient le rôle premier du Parti et la subordination de l’action des syndicats, considérés « conservateurs », dans leur essence même. Quand on regarde les positions de Mélenchon, ça y ressemble beaucoup ! Tous derrière La France Insoumise, le petit doigt sur la couture du pantalon !

Les pratiques actuelles de La France Insoumise qui multiplie les critiques sur les syndicats et leur supposée incapacité à mobiliser contre les réformes Macron, sont démobilisatrices.

Elles sont aussi culpabilisatrices pour les salariés.

Comme si c’était facile de faire grève quand la pression de la peur du chômage et de l’exclusion pèse comme jamais ; quand il faut faire face aux dépenses nécessaires pour survivre ; et quand, aucune perspective politique crédible et tant soit peu enthousiasmante, n’existe à la gauche du défunt Parti Socialiste.

Alors, c’est un maelström dans la tête des salariés et des populations, où les dégâts des idées libérales se mélangent à une aspiration de plus en plus coléreuse à vivre mieux et autrement.

Je ne me suis pas éloigné de mon sujet sur l’indépendance syndicale.

Ce thème a servi de fond de commerce à l’anticommuniste primaire contre la CGT, accusée d’être vassalisée au PCF. Et ça continue malgré l’affaiblissement considérable du PCF !

C’est un sujet complexe qui ne se réduit pas à une vision simpliste. D’autant que les comportement des militants en la matière ne sont pas similaires.

Je vais vous raconter mon expérience.

Une adhésion syndicale prolongée par une adhésion politique :

Ma première carte syndicale porte la date du 1er janvier 1968.

J’ ai participé de À à Z aux événements de ce printemps qui changea ma vie.

Aujourd’hui, dans ce billet, je voudrais me limiter à un aspect des événements de 1968.

J’étais vite arrivée à la conclusion que sans débouché politique réel, ce qui était le cas, et sans une distinction découlant du rôle des uns et des autres, il y avait des risques de confusion entre les partis et les syndicats.

La CFDT était l’exemple type de ce genre de confusion, nourrie par l’agonie de la SFIO et l’activisme anti communiste de la galaxie des groupuscules dits gauchistes.

Prolonger mon engagement syndical par un engagement politique m’apparaissait comme une garantie de la non dénaturation du rôle d’un syndicat.

Changer le pouvoir, mettre en œuvre une autre politique, relève des partis.

Car un syndicat, ça va de soi mais encore mieux en le rappelant sans cesse, a vocation à défendre les intérêts des salariés de toutes opinions, en toutes circonstances et face à tous les gouvernements.

Certes il fonde son action sur son patrimoine historique d’idées, d’expériences, de pratiques.

Certes, il n’est ni indifférent, ni neutre au regard du politique mais, le syndicalisme doit toujours se déterminer à partir de sa vocation à défendre ses mandants.

C’est ce qui fonde le principe d’indépendance syndicale.

Ce fut toujours ma boussole.

J’ai laissé mûrir mon besoin d’adhésion politique.

J’ai pris le temps de faire un choix non passionnel ou dicté par l’immédiateté des événements.

Car je savais que je ne pouvais qu’adhérer au PCF mais je devais parcourir le chemin m’y menant. D’un côté, il me fallait surmonter la Hongrie de 1956, les purges staliniennes, l’invasion toute chaude de la Tchécoslovaquie, etc. D’un autre côté, j’avais besoin de prendre ma place dans le Parti des petits et des humbles, dans sa belle tradition anti-fasciste et anti-coloniale. La Résistance, la guerre d’Algérie, les guerres en Indochine, la lutte contre les dictatures de Franco et Salazar, ont pesé lourd dans mon choix. Et toujours et encore, la petite Thérèse Bevilacqua, ma mémé, fouillant la poubelle de ses patrons pour manger !!

C’est donc en toute lucidité que j’ai adhéré au PCF en pleine campagne des présidentielles de 1969. Jacques Duclos et sa campagne si humaine et convaincante m’a fait concrétiser mon besoin d’agir pour changer la société.

De 1969 à 1978, j’ai participé aux activités de la cellule du ministère de la Culture, qui était rattachée à la section du 1er Arrondissement et à la Fédération du PCF de Paris.

Je suis restée une simple adhérente de base car dès l’été 1968, j’avais d’importantes responsabilités syndicales, notamment à partir de 1970, qui m’occupaient beaucoup !

En juin 1978, j’ai été élue secrétaire générale de l’Union Générale des Fédérations de Fonctionnaires.

Mon rapport au Parti va en être modifié.

1979 : élue au Comite Central du PCF.

Quelques jours avant l’ouverture du XXIIIe Congrès du PCF, la secrétaire de Georges Séguy me téléphone en me disant qu’il voulait me voir de toute urgence. Je me demandais ce qui se passait et m’attendais à des trucs pas agréables compte tenu des rapports qui se tendaient à nouveau au sein de l’UGFF avec la Fédération des Finances et des relais que celle-ci avait au sein du Bureau Confédéral.

De plus, le courant ne passait pas entre Séguy et moi. Affaire de personnalité ? Surtout conséquence des positions qu’il avait prises sur les conflits au sein de l’UGFF et qui avaient conduit au départ anticipé de celui-ci et à mon élection. Ou encore, mes désaccords avec le 40e   Congrès de la CGT en 1978 qui sous couvert « d’ouverture » nous envoyait tout droit dans les bras de la CFDT.

En fait, Séguy m’annonça que j’allais être élue au Comité Central sans m’en expliciter les raisons et que donc je devais participer à la conférence fédérale de Paris censée présenter les candidatures de la Fédération.

Sans remonter plus avant, depuis la Libération, il y a toujours eu deux ou trois dirigeants de la CGT membres du Bureau Politique et cinq-six autres membres du Comité Central.

Jusqu’à mon départ en 1996, je serais la seule dirigeante femme de la CGT à être membre du Comité Central.

Le fait d’être une femme et jeune et représentative d’un secteur important comme la Fonction Publique, ont dû être les critères de ce choix plus que mes caractéristiques personnelles ou ma contribution au sein du Parti.

Je dois dire que, sincèrement, je ne m’y attendais pas. Entre les picotements de mon égo et la prémonition des difficultés qui allaient découler de cette « promotion », c’est tout de suite ce deuxième sentiment qui a prévalu en moi.

Je connaissais trop bien le syndicalisme des fonctionnaires pour ne pas être consciente que le poids des socialistes, les gesticulations des gauchistes et les tendances de nombre de responsables à perdre les pédales à la moindre offensive anti-communiste, allaient singulièrement compliquer la situation.

J’allais être « l’œil de Moscou » d’autant que mes convictions syndicales ne me portaient pas aux accommodements et compromis ni en 1978 avec un gouvernement de droite ni demain avec un gouvernement d’une gauche dominée par le PS.

L’avenir dépassera mes craintes d’alors !!

Le Comité Central : une chambre d’enregistrement.

J’ai participé quasiment à toutes les séances du Comité Central de 1979 à 1996.

J’en garde un souvenir pénible et surtout une grande frustration.

Le décor futuriste des lieux, dû à l’architecte de génie Oscar Niemeyer, était déjà impressionnant.

Tinte encore à mes oreilles le bruit des grandes portes automatiques de la salle de réunion, sans fenêtre, lorsqu’elles se fermaient automatiquement. La séance commencée, pour sortir, il fallait passer par une porte sur le côté. Cela m’oppressait beaucoup car j’ai des tendances claustrophobes.

Mais c’est le fonctionnement du CC qui fut et une déception et un révélateur.

Après le rapport du Bureau Politique, présenté par un de ses membres, s’ouvrait « la discussion ».

En fait, des interventions, qui suivant le terme employé par plusieurs orateurs chaque fois, entendaient « illustrer » le rapport qu’ils approuvaient bien sûr totalement.

Car, on peut être d’accord avec un rapport tout en réfléchissant, en approfondissant, en s’interrogeant sur tel ou tel point.

Le fonctionnement du CC était une machine à stériliser tout esprit critique, toute volonté de pousser les analyses.

La plupart des membres n’intervenaient jamais. C’étaient pourtant pour l’essentiel d’authentiques dirigeants, en prise avec les réalités et les difficultés du terrain et courageux dans leur vie militante.

La conception du centralisme démocratique (ça aurait pu être différent) fondée sur une hyper-concentration au sommet des décisions, sur une conception exclusivement descendante de l’analyse, sur une promotion des cadres décidée sur des critères de fiabilité sur leur ligne politique, conduisait la majorité des membres du CC, soit au silence soit au suivisme.

Pendant plus d’un an, moi aussi, je suis restée silencieuse.

L’idée d’avoir à intervenir me rendait malade. Je ne sais pas faire des interventions « illustratives ».

Formée à l’école du syndicalisme et d’un syndicalisme des fonctionnaires où le débat d’idées était permanent, je ne m’y retrouvais pas dans ce fonctionnement avec ses codes et ses rites.

Puis, survint l’affaire du bulldozer de Vitry.

La dignité militante : dire toujours ce que l’on pense

Tout le monde a dû oublier cette affaire qui a nourri une virulente campagne anti-communiste.

Fin 1980, le maire de la bourgeoise ville de St. Maur, fait expédier dans un foyer de la populaire ville de Vitry, des dizaines de travailleurs émigrés.

Le maire de celle-ci fait détruire au bulldozer ce foyer pour protester contre la décision du maire de St.Maur.

Le problème des villes ghettos, et de plus en plus délaissées, pour les émigrés mais aussi les ouvriers, était en train d’émerger.

Le PCF aurait pu jouer un rôle irremplaçable sur ces questions si importantes pour solidariser les populations.

Mais, la méthode employée était inacceptable.

D’autant qu’au Comité Central qui suivit, le secrétaire fédéral du Val de Marne, Guy Poussy, intervint en défense et illustration de cette action.

Son intervention m’a horrifiée. Elle frisait le racisme. Je n’en croyais pas mes oreilles. Elle percutait   mes sensibilités et convictions les plus profondes. Mes origines immigrées. Le nom de mon premier mari juif d’origine polonaise et ma petite Valerie dont le père était africain !

Et je n’ai rien dit. Et j’ai voté la résolution de soutien au maire de Vitry !

Louis Viannet me ramenait souvent en voiture les jours de CC. C’était sur son chemin.

Lui aussi était secoué. Moi, je pleurais à chaudes larmes ...la honte de ma lâcheté.

Je lui ai dit ce soir là : « Louis, dorénavant, je dirai ce que j’ai à dire. Pour moi, c’est une affaire de dignité ». Il n’ à pas répondu. Il appartenait, je l’ai écrit dans mon Hommage, à ces générations de communistes « disciplinés » ...mais lui aussi dira des choses quelques années plus tard.

 

( à suivre dans deux- trois jours. Car nous sommes en cure pour nos vieux os et le soir, après séance de sport en salle et soins thermaux, on est sur les rotules.... c’est le cas de le dire ! )

 

La montée vers 1981 : une intense période de réflexions :


La période qui s’était ouverte par la signature du Programme Commun des partis de gauche en 1972 avait aussi ouvert des chantiers à la réflexion et à l’approfondissement des questions majeures de la Fonction Publique et de l’Etat.

Il y avait dans l’air une profonde volonté de changement, dans le sillage des événements de 1968, révélateur s’il en fut des transformations de la société et des aspirations à des évolutions des modes de vie.

Nous nous devions de nous y préparer.

Toutes ces années là furent une intense et passionnante phase de réflexions et propositions syndicales.

Sous l’impulsion de René Bidouze, alors secrétaire général, l’UGFF fut particulièrement active.

Journées d’études sur l’appareil d’Etat, célébration du 40e anniversaire du Statut Général, projet de nouvelle grille indiciaire, groupes de travail spécialisés, etc. nous permirent de mieux maîtriser et concrétiser nos conceptions.

Nous avions beaucoup travaillé les questions institutionnelles car nous avions perçu, pour certains d’entre nous, que l’on ne pouvait plus séparer une analyse pour les fonctionnaires de l’Etat de celle concernant les fonctionnaires des autres niveaux territoriaux.

Ce travail s’était aussi prolongé dans des groupes de travail communs avec les autres Fédérations de la Fonction Publique ( PTT, Services Publics, Santé ).

Sur le plan politique, il existait au niveau du PCF un groupe de travail sur l’Etat assez intimiste et en roue libre. Ces questions n’étaient pas la tasse de thé du Parti et lorsque j’y participais, je n’y comprenais rien tant la plupart de ses membres se complaisaient dans un théoricisme abscons !.

Jusqu’en 1981, je n’ai jamais été confrontée ou eu vent d’une quelconque immixtion du Parti dans les affaires syndicales de la Fonction Publique.

La situation à gauche, elle, se dégradait.

À gauche, rien ne va plus :


Il fallait être aveugle pour ne pas voir que cette volonté de changement était en train de profiter au PS : l’adhésion massive de ceux se réclamant de la « nouvelle gauche », celle de pas de trotskystes, celle des syndicalistes de la CFDT d’une part ; les élections intermédiaires qui à partir de 1974 traduisent des reculs du PCF y compris dans ses bastions et dans l’électorat populaire d’autre part.

Un marqueur de taille : l’adhésion à la CFDT et au PS d’une partie des énarques de ces promotions de la fin des années 1970, plus celle de nombre de hauts fonctionnaires déjà en poste.

L’échec de l’actualisation du Programme Commun demandée par le PCF en 1977 lui a surtout nuit à lui, car il s’en est suivie une polémique dont l’opinion publique a fait porter le chapeau au PCF, jugé sectaire et démobilisateur. Les gens n’avaient que faire du nombre de nationalisations à réaliser. Il voulaient se débarrasser de la droite. Pour cela, c’est la candidature Mitterand qui leur semblait la plus sûre.

La tête dans les « programmes » :

Nous avions bien évidemment passé au peigne fin les programmes des candidats à l’élection présidentielle dont les 41 propositions de Mitterand. Celui du PCF reprenait très largement les revendications de la CGT, imposées dans le groupe sur l’Etat.

Nous étions imprégnés encore par cette vision « programmatique ».

C’était la période où on écrivait aussi aux candidats ( et pas que la CGT, c’était une pratique courante ) pour leur demander leurs propositions.

Tous passaient bien sur la main dans le sens du poil.

En mettant bout à bout ces éléments, nous étions arrivés à la conclusion que le PS nous enfumait, notamment sur la titularisation des non-titulaires et les créations d’emplois, car le chiffrage donné était très inférieur aux propositions promises !

Et, au nom justement de l’indépendance syndicale, nous avons écrit tout ça, dans un édito de la Tribune des fonctionnaires signé par Armand.

Un tollé dans la CGT ! Nous fûmes accusés de vouloir saboter la candidature Mitterand et de rouler pour celle de Georges Marchais.

Avec le recul du temps et surtout de l’expérience, je mesure les limites de nos propres illusions programmatiques. Comme s’il suffisait que ce soit écrit dans un texte pour que ça devienne réalité ! Nous apprendrons vite que résistance, luttes, rapports de force et....indépendance syndicale, seront toujours et encore les conditions des avancées sociales, gouvernement de la gauche compris.

Premier tour : le « tout peut arriver » :

Il y a des situations que l’on a du mal à comprendre tant elles paraissent surréalistes.

Les illusions du PCF sur les résultats du 1e tour des présidentielles de 1981 en font partie.

Des membres éminents du BP et du CC étaient persuadés que Marchais arriverait en tête.

Je participais à une réunion au Colonel Fabien ( je ne sais plus sur quoi ) un ou deux jours avant et j’ai encore à l’oreille cette phrase ( les « éléments de langage » du moment ) entendue plusieurs fois, prononcée avec un sous-entendu complaisant évident : « Dimanche, tout peut arriver ». En décodé, « Georges sera en tête ».

Pourtant, sur le terrain des militants diront, mais après, qu’ils avaient eux perçu une distanciation de notre électorat, qui ne disait pas qu’il s’apprêtait à voter Mitterand mais devenait muet et gêné lors des portes à portes.

Imaginez dans ce contexte, le choc des résultats du 1e tour !

Marchais en 3e position. A peine plus de 15% !!! Nettement distancé par Mitterand qui sera donc le candidat de la gauche au second tour.

Un appareil militant en partie KO. J’ai assisté à des scènes très tristes dans les sections ce soir là.

Car les militants s’étaient défoncés dans la campagne électorale. Ils avaient adhéré aux analyses et illusions de la direction.

J’ai toujours eu la conviction que ce 1e tour de 1981 achevait toute une phase de l’histoire du PCF et qu’il l’avait précipité dans son déclin, dont les causes remontent certes à l’après-guerre, mais qui ne se voyait pas trop encore.

Deuxième tour : « le vote révolutionnaire ».

Officiellement le PCF soutenait la candidature de Mitterand au second tour, devenu le candidat unique de la gauche-slogan des socialistes- et le candidat commun de la gauche pour les communistes. Une nuance pour initiés, jugerez-vous ; mais qui en disait long sur l’ambiance unitaire.

L’affaire du vote révolutionnaire consistait à voter Giscard d’Estaing au second tour car le maintien de la droite au pouvoir favoriserait le développement des luttes de tous ceux qui étaient excédés par les politiques d’austérité et permettrait au PCF de se refaire la cerise, alors que la victoire du PS déboucherait aussi sur l’austérité mais avec une stérilisation des luttes compte tenu des espoirs populaires d’un changement entre politique de droite et politique de gauche.

Je ne sais quels brillants esprits mitonnèrent une position qui laisse encore pantois aujourd’hui !

Cette position était contre-nature, immorale si ce terme a un sens en politique.

Elle était débile traduisant un irréalisme stupéfiant sur l’état d’esprit de l’électorat qui majoritairement voulait se débarrasser de Giscard et allait utiliser le bulletin Mitterand pour y parvenir.

Certes, ce ne fut pas un mot d’ordre même officieux du Parti.

Il était propagé de bouche à oreille par certains cadres.

Moi, je n’en ai pas entendu parler dans les instances du Parti ou en aparté dans des réunions. Par contre, Armand y eut droit, appelé au téléphone chez lui par un dirigeant de la section de Maisons-Alfort.

C’est Louis Viannet qui m’en a parlé. Il s’était retrouvé dans le même avion que le responsable du secteur Éducation du Parti qui lui avait expliqué les vertus de ce vote révolutionnaire.

Louis était resté circonspect sur cette position ; ce qui ne l’empêchait pas d’être très lucide, comme moi, sur les jours compliqués qui étaient devant nous, si Mitterand l’emportait.

L’analyse de la carte électorale au soir du 10 mai donne la mesure du fiasco total de ce mot d’ordre mais en quelques heures, la direction du PCF va basculer de la critique du programme de Mitterand et des méfaits de la social-démocratie, à un opportunisme sans complexe qui me sidère encore près de quarante ans après.


Les « pots de la victoire » :


Le 10 mai au matin, je m’étais longuement promené le long du canal St.Martin ( j’habitais alors près de la Place de la République ), pour réfléchir. Les gens aspiraient au changement de majorité politique ; fallait-t’il les accompagner pour qu’ils fassent leur expérience et donc voter en toute connaissance de cause pour Mitterand ? Ou voter en conscience à partir de mes convictions sur les déboires à venir avec la social-démocratie au pouvoir ?

J’ai voté ma conscience. J’ai voté blanc. Le droit de vote a été une conquête, notamment pour nous les femmes. Hors de question de s’abstenir.

Le soir, je dînais chez ma mère. Au moment où est apparu en filigrane le visage du vainqueur, elle s’est précipitée vers le frigidaire et brandit une bouteille de champagne. Devant ma tête fermée et soucieuse, elle s’exclama, adorable maman mais peu portée sur la politique : « moi qui croyais te faire plaisir ». Cette anecdote fait maintenant partie de la mémoire de la famille.

Je ne suis pas allée comme je l’aurais dû à la Fédération de Paris ni au Comité Central. Pas envie d’entendre des propos que l’envoi par la direction du Parti de Pierre Juquin et Gisèle Moreau aux manifestations de la Bastille, me permettaient d’imaginer !

Le lendemain, la Confédération prit l’initiative d’appeler toutes ses organisations et militants à organiser dans les entreprises et services, « des pots de la victoire ».

Pour l’UGFF, nous n’avons pas relayé cette initiative, laissant nos organisations libres de faire ce qu’elles voulaient. Je pensais que ce n’était pas le rôle d’un syndicat, qu’il fallait garder du recul et surtout que nous n’avions pas à encourager cette déferlante d’illusions.

Je n’étais plus comme on dit en féminisant l’expression, « une perdrix de l’année ».

J’avais vu l’opportunisme à l’œuvre.... mais à partir de ce 11 mai 1981, les comportements opportunistes vont devenir une des composantes permanentes du décor syndicalo-politique.

Car ce sont ceux, qui depuis la rupture du Programme Commun et depuis les reculs enregistrés par le PCF, n’avaient pas de mots assez durs pour le PS et pratiquaient un sectarisme à toute épreuve, qui manifestèrent un grand zèle dans l’organisation de ces pots de la victoire.  

Les mêmes remiseront ou altéreront très vite les revendications de leur secteur, fondées sous Giscard d’Estaing, mais devenues pour eux inadaptées avec la gauche au pouvoir.

Les mêmes accentueront encore cette démarche de suivisme politique, avec l’entrée des ministres communistes au gouvernement.

L’opération Panthéon :

Le 21 Mai, le jour même de son investiture, Francois Mitterand remonte le Boulevard St. Michel et va déposer une rose rouge sur les tombeaux de Jean Jaurès, Victor Schoelcher ...et de Jean Moulin. Pour un type décoré de la francisque pétainiste, c’était grandiose !

J’avais demandé à Armand d’y aller, comme tout un chacun, pour avoir une idée de l’état d’esprit des gens. Une foule en délire scandant le « on a gagné ». Beaucoup de jeunes. Des hauts parleurs partout déversant de la musique. La liesse populaire. C’est cette joie collective et aveugle qui est terrible. On ne peut rien faire. Il a gardé le souvenir d’y avoir rencontré une camarade qui travaillait dans les services confédéraux et qui disait aux gens sur leur passage : « rigolez bien maintenant car bientôt ce seront des coups sur les têtes » et elle mimait le geste !

Un discours enflammé de Pierre Mauroy :

Le premier gouvernement Mauroy dura à peine un mois ( 21/5-22/6 ). Le temps de la campagne électorale des législatives, après la dissolution de l’Assemblée Nationale.

Catherine Lalumière avait été nommée à la Fonction Publique.

Ce ne fut pas une surprise car elle animait le groupe de travail du PS sur la Fonction Publique.

Je la connaissais donc car elle avait procédé à des consultations des syndicats dans ce cadre.

Cette juriste et universitaire était une femme intelligente, d’un abord sympathique et ouverte à la discussion.

Son court mandat a surtout donné lieu à des réunions pour faire le bilan de l’existant et fixer des objectifs de travail.

Mais, elle eut le temps d’organiser une session du Conseil Supérieur de la Fonction Publique, dont je garde intact le souvenir.

Le Premier Ministre devait y prononcer un discours sur la Fonction Publique.

Le CSPF était composé à parité de hauts fonctionnaires, tous chargés des questions de personnels de leur ministère et de représentants des Fédérations de Fonctionnaires.

Dans la parité administrative, trois membres se signalaient tout particulièrement par des positions conservatrices et anti-personnels, représentant le ministère de la Défense Nationale, le Ministère des Finances et celui de l’Intérieur. J’avais durement combattu leurs positions de refus de l’ouverture aux femmes de certains corps de fonctionnaires ( je vous en reparlerai ).

Le pire était le sinistre Robert Pandraud, directeur de la Police, qui sera plus tard député de droite.

Une tête de bouledogue, provocateur, grossier.

Les places étant fixes, les trois se trouvaient placés en face de la délégation CGT.

Pierre Mauroy s’installe. Je le connaissais. L’homme avait de la prestance. Il était impressionnant par sa taille et sa gestuelle. Il émanait de lui une sorte de force.

Et il prend la parole. Il a peu parlé de fonctionnaires mais ce tribun exceptionnel dans la tradition du socialisme d’avant Épinay, nous a fait vibrer dans un rappel des luttes « des prolétaires » des mines de charbon, des grandes luttes ouvrières, des répressions patronales, des espoirs de changement..et sa chaleur sincère nous aurait presque fait oublier le programme du PS !

Il maniait des mains très fines et blanches avec un rythme quasi musical pour un discours enflammé où bien sûr eurent leur place, Jaurès et Blum.

Mais les mines ulcérées des trois et Pandraud qui n’arrêtait pas de dire « on est au CSPF, pas dans un coron » conféraient un air cocasse à cette scène !

La « vague rose » des élections législatives :

Ces élections législatives eurent lieu les 14 et 21 juin 1981. Ce fut une vague rose comme le peuple français les pratique dans des périodes historiques à enjeu élevé, propice à des pulsions électorales dans un sens ou un autre.

Elles traduisirent les rapports de force entre PS avec environ 36% et PC avec 16%, au premier tour. Le mode de scrutin fit le reste pour le second tour : 266 députés PS et 44 députés PC.

Une majorité absolue. Donc théoriquement, ce qu’il fallait pour faire adopter les lois du changement.

Un nouveau rude coup pour le PC.

Je garde le souvenir de la soirée électorale du second tour. J’étais à la Fédération de Paris.

Tout le monde savait que le Parti s’apprêtait à gouverner avec le PS.

A un moment de la soirée, je me retrouve dans la petite salle à côté de celle où les militants recevaient au téléphone les résultats remontant des sections, seule avec Henri Malberg pour manger un sandwich.

Henri Malberg (qui est mort il y a peu de temps) était le secrétaire fédéral. Je l’appréciais beaucoup. Il était cultivé avec un esprit fin. Il était la gentillesse même. Toujours souriant. D’une grande humanité. Il savait écouter. Il ne vous débitait pas un discours langue de bois mais argumentait toujours dans le respect des autres.

Ce soir là nous eûmes une rude discussion. J’avoue que j’avais fait croître mes décibels. Les camarades étaient venus nous prier de baisser le ton pour pouvoir entendre leurs interlocuteurs !

Henri essayait de me convaincre ( je le cite car cette phrase est écrite dans mon cerveau ) que « la participation du Parti au gouvernement de la gauche était la condition de sa remontée ».

Je lui rétorquais que ce serait l’inverse, que le Parti paierait une lourde addition, qu’il n’oublie pas les propos de Mitterrand sur sa stratégie pour étrangler le PC.

Henri reflétait les analyses de la direction du Parti. Nous avons stoppé cette discussion en actant notre désaccord.

Un ministre communiste de la Fonction Publique :

Ma mémoire me fait peut-être défaut ou mon inconscient a enfui cette donnée. Je n’ai pas souvenance d’un débat au Comité Central sur le principe même de la participation ou pas.

Je me remémore bien la réunion du CC le jour de la désignation des ministres communistes et du second gouvernement Mauroy, le 22 juin.

Le CC siégeait non stop en attendant la fin des discussions. Combien de ministres ? Qui ? Quels porte-feuilles. Des noms circulaient comme celui de René Leguen, de l’UGICT- CGT et membre du BP.

Je priais le ciel, auquel je ne crois pas, que la Fonction Publique ne fasse pas partie des ministères attribués au PC. Hélas, ce fut le cas.

Aucun de ces ministère, n’était à enjeu régalien mais ils correspondaient, comme par hasard,

à des secteurs avec un grand nombre d’agents publics, avec des syndicats CGT bien implantés et pour certains comme les cheminots, avec de puissantes traditions de luttes.

Mitterand ( et ses conseillers ) étaient de bons psychologues des comportements politiques et espéraient ainsi paralyser la CGT en la plongeant dans les contradictions entre indépendance syndicale et complaisance à l’égard des ministres communistes.

Je n’entend pas parler à la place de mes camarades des autres secteurs concernés. A eux de témoigner de ces années.

Lorsque la nomination d’Anicet Le Pors fut officielle, il ne se trouvait pas au siège du CC.

Nous nous étions vite concertés avec Louis Viannet et Henri Krasucki qui firent part de ces réflexions à Georges Marchais.

Le souci commun était de doter le ministre d’un directeur de cabinet « connaissant bien la musique » dans un secteur complexe, avec une forte implantation du PS dans les autres syndicats, à commencer par la FEN.

Le nom qui s’imposait à nous trois était celui de René Bidouze, l’ancien secrétaire général de l’UGFF, qui avait repris un poste administratif.

Il était connu et respecté par les autres syndicats. Il avait une longue pratique des négociations.

Il était d’une compétence inégalée à ce jour sur toutes les questions de la Fonction Publique.

Sur le plan des convictions, c’était un homme de fidélité au Parti depuis sa jeunesse.

Contacté, il donne son accord.

Nous voilà partis en cette fin d’après-midi, Louis et moi, au local des sénateurs communistes au Palais du Luxembourg pour y rencontrer Le Pors ( il était sénateur ) et lui faire part de cette proposition qui fut donc une initiative syndicale.

Nous vîmes très vite qu’elle ne lui agréait pas. Nous crûmes comprendre qu’il avait en tête le nom de Jean-Jacques Philippe, un administrateur civil du Ministère des Finances. Un type charmant mais sans expérience du mouvement social dans la Fonction Publique.

Mais, il était difficile à Le Pors de refuser notre proposition.

En sortant, nous savions que nous allions vivre des situations plus que compliquées car nous connaissions le personnage. L’exercice du pouvoir allait démultiplier certains traits de sa personnalité.

Du mépris pour les syndicalistes CGT de la Fonction Publique.

J’assume bien évidemment les propos qui vont suivre.

De toute ma vie, je n’ai rencontré quelqu’un d’aussi imbu de sa personne qu’Anicet le Pors. Certes l’homme est intelligent, travailleur, imaginatifs, brillant et avec toutes les qualités intellectuelles que vous voudrez. Mais il appartient à la catégorie de ceux qui veulent entrer vivants dans l’Histoire qui commence et s’achève bien sûr avec eux.

Il ne supportait pas que la bande de jeunes trentenaires qui dirigeaient les Fédérations CGT de son secteur refusent de servir de faire-valoir à son action, prennent leurs décisions sur tel ou tel dossier de manière indépendante, à partir des mandats de leurs Congrès. Nous commettions un crime de lèse- majesté !

Notre position était pourtant simple : nous ne pouvons accepter de juger positif sous la gauche ce que nous avons estimé négatif sous la droite.

Ainsi, nous n’avons pas signé en 1982 l’accord salarial, malgré une tribune de Le Pors dans l’Humanité le jour même de la séance de signatures, vantant les mérites de son accord.

Ainsi, nous ne l’avons pas invité à notre Congrès début 1982 : il voulait une tribune pour se faire mousser et nous nous n’entendions pas inviter notre patron. Ça ne se fait pas !

Ainsi, et surtout nous avons combattu avec succès, en fédérant toute l’ancienne CGT d’avant la scission, son projet de remplacer le Statut Général par un Code.

En 1946, Maurice Thorez avait attaché son nom au Statut Général. Après 1981, Il fallait un Code Le Pors.

( comme Macron ne va pas tarder à annoncer ses réformes sur la Fonction Publique, je reviendrai sur ces enjeux statutaires ).

Vous ne me croirez peut-être pas, mais en trois ans, le ministre de la Fonction Publique communiste n’a pas eu le moindre contact direct avec la secrétaire générale de l’UGFF ( pardon, une seule fois sur un truc très marginal concernant une affaire individuelle ) sur les dossiers en cours. Il s’adressait directement à la direction confédérale, espérant s’accorder avec elle et que celle-ci nous fasse raison entendre.

Je témoigne que jamais, oui jamais, la direction confédérale n’a exercé la moindre pression sur nous. Je suis en mesure d’affirmer que les comportements de Le Pors irritaient sérieusement Henri Krasucki.

Par contre, le ministre n’était pas avare de contacts avec les autres fédérations de fonctionnaires, en premier lieu la FEN.

S’il me lit, j’accepte d’avance qu’il m’accable de défauts, d’insuffisances ou de ce qu’il lui plaira !!

Traduite devant le Bureau Politique du Parti :

L’affaire du projet de Code de la Fonction Publique fut, comme on dit, la goutte d’eau qui fit déborder le vase du ministre.

Les positions de l’UGFF étaient pourfendues par certains dirigeants du Parti au niveau national et dans des fédérations par les tenants de la participation gouvernementale à n’importe quel prix et de la valorisation incantatoire de l’action des ministres communistes.

Des pressions s’exerçaient sur nos militants membres par ailleurs du Parti qui, et il faut le souligner, ne s’en laissèrent pas conter pour l’écrasante majorité d’entre eux.

Je ne sais pas avec certitude qui fut à l’initiative de ma convocation devant le BP avec la présence du ministre. Celui-ci, instruisît, comme on pouvait s’y attendre, le procès de la CGT dans la Fonction Publique, mis en avant sa politique porteuse d’avancées pour les fonctionnaires et insista sur le caractère « novateur » d’un Code.

Plusieurs membres du BP lui emboîtèrent le pas dont Paul Laurent.

Moi, j’ai exposé nos positions syndicales ( en restant calme malgré ma colère et l’humiliation imposée ) et clairement exprimé que l’UGFF ne changerait pas d’avis sur le Code, rejeté qui plus est par la majorité des syndicats et non des moindres !

Viannet et Krasucki ( par ailleurs membres du BP ) intervinrent longuement sur le même créneau que moi, en faisant comprendre que l’indépendance syndicale devait être respectée par Le Pors.

Georges Marchais n’avait pas dit un mot durant tous ces échanges. Il écoutait avec beaucoup d’attention d’autant que ces questions de Fonction Publique n’étaient pas évidentes pour un profane.

Mais, c’est vraiment sur le fond de ce qui se jouait qu’il s’est prononcé. Il déclara en substance qu’il fallait tenir compte de la position de la CGT et des syndicats ; que le Parti n’avait pas à se mêler de ce genre de problèmes ; que c’était au ministre de convaincre du bien fondé de ses propositions !

Le « chef » ayant parlé, le vin était tiré ! La réunion était terminée.

A partir de ce jour là, je ne fus plus confrontée à de telles pressions.

Il faut dire que de mois en mois, les couleuvres à avaler pour le PC, devenaient plus nombreuses et plus grosses. Du blocage des salaires en 1982, annoncé par le Premier Ministre en plein congrès de la CGT à Lille, puis avec le tournant de l’austérité en 1983 et l’inflexion grandissante de l’action gouvernementale vers les politiques libérales européennes....

La base militante rejetait de plus en plus la participation au gouvernement et supportait de plus en plus mal ce sentiment d’être prise en étau entre les frustrations des salariés et les compromissions au sommet du PC.

Georges Marchais : une impressionnante personnalité.

J’avais indiqué qu’à l’occasion du vingtième anniversaire de sa mort, j’avais envie de lui rendre hommage.

Georges Marchais était venu à l’engagement militant par le syndicalisme. Il avait gardé une sensibilité syndicale affirmée. Il comprenait bien comment nous fonctionnions et ressentions les choses. Après 1981, j’étais intervenue à une session du CC en critiquant les syndicalistes de la CGT communistes qui dans les entreprises et services, n’osaient plus lutter sur les revendications et se réfugiaient dans l’action pour de nouveaux critères de gestion. Paul Boccara ( qui vient de décéder ), un des pères fondateurs de ces critères de gestion, m’interrompit avec véhémence. Ce qui était rarissime dans cette instance. Mais était aussi rarissime la contestation clairement énoncée des positions de la Section Économique du Parti. Georges Marchais lui intima de me laisser continuer car on pouvait ne pas être d’accord avec mes propos, lui dit-il, mais j’exprimais un ressenti de syndicaliste et ce qui se passait sur le terrain.

L’homme était impressionnant. Pas seulement par son statut de secrétaire général d’un parti centralisé et hiérarchisé. Il l’était d’abord par son physique. Grand et costaud. Son regard aux grands yeux verts qui vous transperçait. Une voix puissante un tantinet gouailleuse. Puis par sa manière directe de vous interpeler qui me desséchait la glotte pendant que je formulais ma réponse dans ma tête, pour ne pas taper à côté tout en disant ce que je pensais. Je crois qu’il appréciait ma franchise. Il y avait chez lui des côtés irritants car c’était un sanguin qui démarrait vite dans les ripostes verbales mais c’était aussi un intuitif à la sensibilité à fleur de peau qui « sentait » les situations. Il avait bien perçu, à mon sens, l’enjeu posé au PC : comment conduire une transformation de nos sociétés capitalistes en prenant en compte les réalités d’aujourd’hui tout en restant fidèles à nos principes fondateurs ? Mais, il n’a pas été en capacité personnelle, notamment théorique et stratégique, de traduire ce renouvellement en cap politique. La voie était alors libre à la multiplication des tendances au sein du Parti. J’ai toujours pensé que derrière sa façade assurée, l’homme cachait timidité et complexes.

C’est de tous les dirigeants communistes, celui qui aura été le plus traîné dans la boue et l’objet d’attaques personnelles annonciatrices de ce qu’est devenu le rôle des médias dans l’organisation des massacres médiatiques individuels ou collectifs.

Je l’ai respecté comme il a, en ce qui me concerne, fait respecter l’indépendance syndicale et ma liberté d’expression.

1984 : Le rôle majeur de la CGT dans le départ des ministres communistes du gouvernement :

Les élections européennes avec une liste conduite par Georges Marchais lui-même, en juin 1984, avaient été catastrophiques pour le PCF. A peine 11%des suffrages et une hémorragie de son électorat traditionnel. La base militante était déboussolée par la participation à un gouvernement dit de gauche mettant en œuvre une politique d’austérité grandissante.

La fin du gouvernement Mauroy 2 et la préparation d’un nouveau gouvernement confié à Laurent Fabius vont poser donc ouvertement la poursuite ou non de la participation du PCF.

On était à la mi-juillet 1984. Beaucoup de dirigeants étaient en vacances à commencer par Georges Marchais en Roumanie.

Charles Fiterman, ministre des Transports, enverra un avion pour le rapatrier d’urgence.

Le Comité Central avait été convoqué et attendait. Le BP tenait réunion pour faire le point des discussions en cours avec Fabius et avoir de premiers échanges sur le principe même de la participation. Louis Viannet me racontera après, qu’à ce moment là, il avait été le seul ( Henri Krasucki lui aussi en congé n’était pas encore arrivé ) à se prononcer pour quitter le gouvernement. Charles Fiterman tout en critiquant la politique des socialistes estimait qu’on pouvait encore faire avancer des choses. On mesure encore mieux avec le recul du temps, la cécité politique ou au choix, le degré d’illusion opportuniste des membres du BP !

Marchais atterrit. C’est Gaston Plissonnier qui l’accueille et lui résume la situation. Et le BP se réunit à nouveau. Georges Marchais, me rapportera Louis, se prononce clairement pour ne pas entrer dans le gouvernement Fabius... et surprise et non surprise, des membres du BP qui étaient pour deux heures avant, tournent leur veste !

En attendant la réunion plénière du Comité Central ( car une délégation avait une ultime rencontre avec le PS), il avait fallu nous nourrir d’urgence le soir. Comme nous en avions l’habitude, les membres CGT, mangions ensemble. Ce fut donc aussi le cas ce soir là. Mais pendant tout ce temps, aucun d’entre nous n’a parlé de l’événement qui nous réunissait. Nous ignorions donc la position que chacun d’entre nous prendrait. On pérorait sur des banalités, gaiement, comme pour exorciser la gravité de l’heure et notre responsabilité individuelle à intervenir ou pas, en prenant position sans barguigner.

Enfin, la séance fut ouverte. Par un bref rapport de Plissonnier. Pas de position du BP. Dans le rituel du Parti, cela signifiait qu’il y avait problème en son sein.

C’est Georges Seguy qui ouvrit le feu par une intervention limpide et très argumentée, débouchant sur la nécessaire sortie de la participation gouvernementale. Cette intervention fit sensation venant de l’ancien secrétaire général de la CGT, figure emblématique et considéré comme un partisan de l’unité syndicale ou politique. Ce soir-là, je l’aurais volontiers embrassé !

Je suis intervenue la troisième. Depuis que vous me lisez, vous pouvez deviner le contenu de mon propos et ceux de Louis Viannet aussi. J’ai plaidé pour la sortie, en m’appuyant en particulier sur la situation dans la Fonction Publique. Krasucki fera une intervention que je trouvais ampoulée et un peu ambiguë mais qui allait aussi dans le sens de la sortie. Il y eut les défenseurs de la poursuite de l’expérience. Sauf Fiterman qui, j’ai eu l’impression, avait pris la mesure du rejet notamment au travers des interventions de la CGT, les trois autres ministres se prononcèrent pour la participation. Peu d’autres membres du CC se prononcèrent en appelant un chat un chat, pour le départ. Il y a eu beaucoup de silencieux qui attendaient comment se prononceraient in fine Georges Marchais et BP ! Ah les ravages du carriérisme !

En fin de nuit, nous reprîmes séance. Les ultimes échanges négatifs avec le PS, les interventions fermes dans le CC de la CGT et la position personnelle de Marchais vont peser lourd dans le vote du CC ( même par suivisme pour certains ). Une quasi unanimité pour mettre fin à la participation. Ralite et Le Pors s’abstenant et Rigout votant carrément contre !

Après ce vote historique, il y eut une suspension de séance. A la reprise, le Président de séance fit savoir que Le Pors avait décidé de changer son vote. Il votait pour la sortie ! Courageux mais pas téméraire. Mon opinion sur le personnage ne s’est pas améliorée ce jour là.

Nous nous séparâmes vers 9 h du matin.

Les membres CGT du CC et du BP ont joué un rôle essentiel pour en finir avec ce bourbier de la participation, pour libérer nos forces militantes de l’attentisme et les encourager à renouer vite et fort avec ce pour quoi la CGT existe : défendre les intérêts des salariés en toutes circonstances.

Après 1984, le déclin du PCF s’accélère dans les déchirements internes et mes désaccords se renforcent :

Comme mon propos n’était pas d’écrire l’histoire du PCF mais de témoigner sur le fait d’être politiquement engagée tout en pratiquant l’indépendance syndicale, je m’en tiendrai à quelques considérations.

Très vite après 1984, j’ai trouvé de moins en moins ma place au sein du Parti.

Je n’avais pas d’affinités avec les Refondateurs, les Reconstructeurs, les tenants de la « mutation » et autres tendances internes qui tiraient le PCF sur sa droite et se situaient de facto dans les mouvances du réformisme politique.

Mais j’avais aussi des désaccords grandissants avec les tendances conservatrices et sectaires prônant une conception mythique de la classe ouvrière ne correspondant plus aux évolutions du salariat car ces courants sous-estimaient et déformaient la nature et le rôle entre autres des « cols blancs » ( dont les fonctionnaires ) ; ou encore, les retards d’analyse sur les évolutions des modes de vie, de questions sociétales comme la révolution numérique ; ou aussi, l’urgence de se ré-approprier les thèmes de la Nation, de la solidarité internationale, d’une autre construction européenne, d’un socialisme démocratique dans les pays dits socialistes ( encore existants ).

Mes désaccords les plus fondamentaux portaient sur deux points.

Un : la présentation d’un candidat aux élections présidentielles. C’était l’affaiblissement assuré chaque fois ! C’était le ralliement au candidat du PS au second tour .... et tourne manège.

En 1995, j’avais été la seule à me prononcer au CC contre une candidature communiste, en l’occurrence celle de Robert Hue ... qui a fini dans les rangs macronistes !

Il aurait mieux valu consacrer nos énergies à reconquérir les milieux populaires et re-solidariser les catégories sociales !

Deux : la stratégie d’union de la gauche qui nous fera retourner au gouvernement en 1997 e continuer à nous arrimer au PS pour sauvegarder des élus. En fait, payer la facture commune chaque fois par une accélération du déclin.

Je sais que ma réputation était celle d’être un « électron libre », donc quelqu’un de non maîtrisable par le groupe. Pas un compliment dans le Parti. Mais, je ne sais pas fonctionner autrement. Je préfère me tromper mais réfléchir avec ma tête et avoir le courage d’exprimer ce que je pense sans me soucier de plaire.

Lors de la préparation du Congrès du Parti de 1996, le responsable des cadres m’a contacté pour me demander comment je voyais mon avenir. Je lui ai répondu : « il est tout vu, je quitte le CC » !

J’ai quitté le Parti au Congrès suivant quant la délégation du Loir et Cher où je résidais depuis, s’est littéralement assise sur les amendements votés en conférence fédérale car ils étaient en opposition à la ligne de la direction.

Nous avons tenté une expérience avec des camarades en créant dans notre département, le groupe des « 41 ». Mais les conditions n’étaient pas réunies à l’époque pour en faire une expérience novatrice.

Il faut savoir s’arrêter.

Mais dans ma tête et mon cœur, je reste fidèle à mes idéaux.

Pour l’heure, j’observe avec un mélange de tristesse et de colère le spectacle d’un PC sur sa fin et les pantalonnades de Mélenchon en train de saccager le potentiel de reconstruction d’une force de transformation sociale, issu de la présidentielle.

Mais les humains et la nature ont horreur du vide, alors......

Articles rédigés entre le 21 novembre et le 3 décembre 2017